The thing we need is never all that hard to find • Robyn Patel

— An 1000, Lune 7, Jour 26
@Robyn Patel

La route vers Melka avait été relativement rapide. Levée aux aurores, la jeune femme avait été réveillé par les bruits des oiseaux à sa fenêtre, leurs chants annonçant une belle journée ensoleillée. Elle s’était rendue dans ce petit village à quelques heures de la capitale d’Hyrule plusieurs fois, soit pour ses recherches, soit lorsqu’elle était partie vers le Sud pour rejoindre la forêt de Firone ou s’approcher du Domaine Zora. Un petit village sans histoire en somme, rien d’important ne s’y passait et les personnes qui y vivaient étaient accueillantes et bienveillantes. Cela avait été une sensation étrange pour la Reine lorsqu’elle était sortie pour la première fois du château d’Hyrule à la suite de son coma, et qu’elle avait foulé les petites rues de Melka. Montée sur un petit cheval alezan, elle était arrivée au village en début d’après-midi et le soleil ne faiblissait toujours pas. À mesure qu’elle s’en était approchée, la rousse se questionnait sur le choix qu’elle était en train de faire, sur la raison de ce détour qui n’était pas des plus intelligents. Jamais elle ne s’éloignait des sentiers battus. Et pourtant.

On lui avait proposé une garde rapprochée pour rejoindre la ville portuaire de Portua. Elle avait refusé, donnant l’excuse qu’elle préférait voyager seule pour rejoindre son Royaume, et qu’elle n’avait pas besoin de protection. Et pourtant, ce n’était pas directement vers le Port qu’elle était partie au galop, mais au Sud, là où elle irait retrouver un homme qu’elle commençait à connaître un peu mieux. Il était agaçant mais il y avait quelque chose de mystérieux chez cet oiseau, et d’attachant. Bien qu’elle ne puisse pas l’avouer. Son chemin jusqu’ici parlait de lui-même. Elle aurait pu le retenir cette nuit où ils s'étaient trouvés, mais elle n’y était pas parvenue. Elle ne savait pas faire. Et il était trop rapide. Midona n'était pas une femme à agir sans réfléchir, elle pesait toujours le pour et le contre des choses avant de se lancer. Elle perdait des opportunités à tout vouloir contrôler de la sorte.

La jeune femme avait pris soin de s’habiller de sa longue cape, nouant ses cheveux roux pour qu’ils ne dépassent pas de la capuche. Habillée tout en noir de la sorte, elle ressemblait à l’ombre de la mort. Et son teint pâle n’y arrangeait rien. Elle maudissait le soleil qui était au rendez-vous ce jour-là, elle avait si chaud sous sa cape. Fort heureusement, une légère brise venait la soulever de temps à autre, rafraichissant son visage. Toujours juchée sur son petit cheval alezan, elle questionna un homme qui passait près de sa monture, lui adressant un sourire qui se voulait rassurant mais qui ressembla davantage à une grimace.

« — Je cherche Robyn… » Quel était son nom déjà ? « …Pastel ? » elle n’était plus certaine.

Le regard interrogateur lui signifia que ce n’était pas correct, et la personne s’éloignait en la regardant drôlement. Elle n’avait pas de temps à perdre. C’était une idée stupide de revenir ici et de chercher cet oiseau de malheur. Elle commençait à douter du bien-fondé de cette idée. Il fallait qu’elle arrive à Itzal dans quelques jours, à la huitième lune, c’était l’objectif qu’elle s’était donnée. Si elle repartait pour Portua tout de suite, elle y arriverait tranquillement, il était encore temps de faire demi-tour.
Midona ne voulait pas s’approcher du marché mais ses pas l’y conduisirent tout de même, car le village n’était pas bien grand et la place du marché se révélait souvent être le meilleur endroit pour trouver ce qu’elle cherchait. Arrivée devant deux jeunes femmes qui discutaient autour d’un étal de fruits, elle tenta nouveau sa chance.

« — Je cherche Robyn, le Piaf. » Demanda-t-elle d’une voix qui se voulait innocente. Surement chercher une personne avec des ailes ne devrait pas être difficile.

Face à elle, on gloussa. La rousse fronça les sourcils.

« — Est-ce que j’ai dis quelque chose d’amusant ? » Sa voix cassante asséna un silence autour d’elle.

Décidément, fallait-il qu’elle se fasse remarquer à chaque fois ?

« — Qui le demande ? » Entendit-elle dans son dos.

Midona se tourna dans sa selle et vit un homme un peu bourru, la tête coiffée d’un genre de béret pour se protéger du soleil.

« — Une… » Qui était-elle ? Une connaissance ? Elle ne pouvait définitivement pas se présenter comme une amie, elle n’en était pas une, ils ne se connaissaient pas assez. Mais que faisait-elle ici alors ? « …Une amie. » Et pourtant, c’était la meilleure manière d’avoir accès à ce qu’elle voulait. Oui, c’était seulement pour ça.

Des yeux curieux s’étaient posés sur elle et la rousse sentait bien qu’elle était désormais le centre des attentions du marché. En presque huit lunes, elle n’avait toujours pas réussi à se faire discrète quand elle allait dans un endroit et qu’elle souhaitait rester anonyme. Échappant un soupir de dépit, la jeune femme mit pied à terre de son petit cheval et prit la besace qu’elle avait accroché à la selle, pour la conserver tout près d’elle. Son bien le plus précieux résidait à l’intérieur. Même vide de pouvoir, sa couronne était son joyau qu’elle ne pouvait absolument pas laisser glisser entre d’autres mains que les siennes. Elle portait, à son cou, le collier qu’un certain voleur lui avait subtilisé, quelques lunes plus tôt. Bien qu’elle soit habillée au premier regard tout en noir pour la discrétion, ce bijou aux reflets d’obsidiennes, ne pouvait pas tromper un œil aguerri. Peut-être était-ce la raison pour laquelle une autre femme se mit à la questionner sur la raison de sa venue ici, et si elle pouvait lui acheter quelques pommes, au passage, pour le voyage. Midona, très mal à l’aise et ne sachant pas comment réagir autrement que par la dureté face à l’obstination des vendeurs de marché, se mura dans un silence. Mieux valait ce mutisme que d’hurler à la femme de se taire.

La main crispée sur les rênes de son cheval qu’elle tenait encore, elle essaya de se glisser hors de ce traquenard en faisant un pas de côté. Elle n’avait pas besoin de fruits et il était hors de question qu’elle s’épanche sur ses intentions. Si elle ne trouvait pas le satané piaf, elle ferait demi-tour et rejoindrait Portua plus rapidement.

Qu’est-ce qu’elle faisait là après tout ?

Quelle stupide idée.

Sa voix interrompit le cours de ses pensées. Midona se tourna et fit face à l’homme aux cheveux ébouriffés qui venait de faire son apparition. Elle sentit son cœur battre un peu, une sensation de pincement, tandis qu’elle hésitait franchement à bondir sur son cheval et à galoper dans le sens inverse. Mauvaise idée. Stupide. Stupide. Elle avala sa salive et resta particulièrement crispée lorsqu’il la salua d’une main. Drôle de manière de saluer une Reine, pensa-t-elle, mais elle garda cela pour elle et ne prit pas la main tendue. Il n’y avait pas de Reine de Metzli ici, juste une femme tout de noir vêtue curieusement mystérieuse sur ses intentions.

« — Robyn. » Murmura-t-elle, dans un souffle de soulagement tout de même car s’il était là, son calvaire dans le marché était terminé. Ou presque. Il n’avait pas l’air très heureux de la voir. Mauvaise idée, très mauvaise idée.

Une pomme vola brusquement en direction du Piaf, heurtant sa tête. Midona aurait pu réagir, faire voler la pomme en éclats avant qu’elle ne touche sa petite tête d’oiseau, mais elle n’en fit rien. Sa couverture était plus importante que de le protéger d’une bosse sur le crâne. Cependant, le geste ne passa pas bien chez la régente qui fit volte-face, dominant de sa hauteur la femme qui venait de menacer son compagnon d’un fruit bien mûr. Était-ce une tradition en Hyrule pour déclarer sa flamme ? Une parade nuptiale ?

« — Quel est votre problème, à vous ? » Acerbe et cinglante, elle darda sur la femme un regard à faire pâlir un mort. « Quelque chose à dire ? » Sa voix grondante asséna un nouveau silence sur les personnes alentours.

Devant cette démonstration de froideur, on ne répondit rien face à elle. La petite femme se fit encore plus petite puis, comme soudain prise d’un élan de courage, fit un pas en avant et fit mine de regarder sous sa cape.

« — Et vous, z’êtes qui ? Sa femme cachée ? Z’êtes bien pâle ! » Ou comment dire qu’elle ne venait pas d’ici et que cela se voyait à la peau sous sa cape.

Midona rougit et fit un pas en arrière, adressant à la dénommée Primerose, un regard courroucé. Il fallait qu’elle contienne ses émotions. De quel droit lui parlait-elle ainsi ? Elle ne savait pas qui elle était réellement. Cette sale garce. La rousse ouvrit la bouche puis se ravisa, fronçant les sourcils en se tournant vers Robyn.

Peut-être aurait-elle dû éviter la place du marché, après tout. Cela avait été le conseil le mieux avisé de la part de son compagnon.

« — Y-a-t-il un endroit où nous pouvons discuter en privé ? » Grinça-t-elle, amère, essayant de ne pas songer au poids des regards.

La jeune femme se laissa entrainer par Robyn, adressant un dernier regard de glace à la femme qui l’avait invectivée. Ils traversèrent quelques rues et elle réalisa que les battements de son cœur devaient être rapides car ils se calmèrent lentement lorsqu’ils atteignirent un lieu plus calme.

« — Le pensiez-vous vraiment lorsque vous m’avez proposé de m’accompagner à Portua ? » Sa voix était accusatrice et les mots partirent de ses lèvres de la façon dont elle les avait pensés, seulement elle n’eut pas le temps de les reformuler. Son sourire un peu penaud lorsqu’il l’avait rejoint, elle l’avait traduit comme une forme de gêne de la part du Piaf, comme s’il ne s’était pas attendu à ce qu’elle vienne réellement, comme si ce n’était pas une réelle invitation. Quelle idiote. Embarrassée, Midona fit la moue et tenta de se rattraper. « Vous avez l’air… Surpris. Et ces femmes… » Elle coula un regard vers les rues qu’ils avaient traversé, laissa sa phrase en suspens. Était-ce de la jalousie ?

Elle tenait toujours les rênes de son cheval qui les avait suivis jusque-là, comme seule échappatoire qu’elle conservait à portée de main, au cas où. La rousse était incertaine et se sentait particulièrement honteuse de s’être laissé cueillir par la sincérité de Robyn. Elle ne savait plus où se mettre.

« — Vous ne m’attendiez pas. J’ai peut-être… Mal compris. Après tout, il était tard, j’étais épuisée. J’aurai dû rejoindre Portua directement. » C’était une erreur. Midona se tût et se mordit l’intérieur des joues pour ne pas se montrer blessante, embourbée dans ses propres incertitudes et sous le poids de son embarras.

Robyn semblait bel et bien affecté de la façon dont les choses s’étaient passées. Peut-être alors que le sourire penaud qu’elle avait aperçu n’était en fait que la traduction d’une autre émotion. Elle s’était imaginée qu’il ne voulait pas la voir, qu’elle s’était faite des idées sur la sincérité du Piaf et qu’elle avait été stupide de le croire, de lui faire confiance. La rousse était tant sur la défensive qu’une seule petite déconvenue de la sorte, un regard de travers, un sourire torve, la remettaient tout de suite en doute et lui donnaient envie de se remettre en boule, protégée par sa cape de régente. Il se défendit à son tour, visiblement agacé qu’elle se soit permise de parler à sa place et cela eut pour conséquence de renfrogner la jeune femme. Elle s’était retenue pour ne pas être blessante, elle avait retenu des leçons, mais elle l’avait tout de même froissé.

Le voyage, s’il devait en avoir un, ne partait pas sous les meilleurs hospices.

Midona se mura temporairement dans un silence sans le quitter des yeux. Elle ne savait pas quoi répondre à ce qu’il venait de lui dire. Elle était… Soulagée ? Soulagée qu’il ait été réellement sincère dans sa proposition de l’accompagner jusqu’à Portua. Soulagée qu’elle ne se soit pas faite des idées à son encontre. Soulagée que la confiance qu’elle avait commencé à avoir envers lui n’était peut-être pas qu’à sens unique. Un doute subsistait cependant. Peut-être avait-il ses raisons pour se rapprocher de la Reine de Metzli sachant que sa mère y était bloquée. S’était-il confié à elle avec une idée dans la tête ? Peut-être avait-il pour projet de l’utiliser plus tard et que ses desseins n’étaient pas tout à fait ceux qu’il lui avait exposé. La rousse fronça les sourcils. Elle lui avait proposé elle-même de l’aider dans sa quête. Comment pouvait-elle l’accuser ? Elle chassa tout cela de sa tête et revint au moment présent.

Elle le darda de ses prunelles bleues lorsqu’il lui dit ne pas être important et son regard tomba sur ses mains et l’étrange manie qu’il avait de se tordre les doigts. Elle n’en dit rien, se contentant de hausser les épaules.

« — Et alors ? Faut-il… Être de la noblesse pour être important ? » Elle lui adressa un léger sourire. « Qu’est-ce qu’un souverain sans peuple ? »

La jeune Reine avait toujours eu tendance à mettre son peuple en premier dans ses décisions, c’est pourquoi le geste qu’elle avait eu devant le Roi d’Hyrule pour le protéger n’avait pas fait réellement sens. Même encore aujourd’hui, à certains moments, Midona s’interrogeait sur la raison de ce mouvement de sacrifice qu’elle avait eu envers un homme qui avait eu du mal à accepter de parler avec elle, en tant que Twili.

La rousse hocha lentement la tête quand il lui proposa de se mettre en route pour le départ à Portua. Elle n’ajouta rien sur le moment, de peur de dire quelque chose de travers, de mal comprendre ou d’être mal comprise. Décidemment, la communication entre les deux était toujours aussi compliquée à certains moments.

« — Ce n’est pas entièrement de votre faute. » Dit-elle avant de se rattraper, prenant conscience qu’il le prendrait surement mal dit de cette manière. « Non, enfin ce n’est pas de votre faute, du tout. Quelle est cette manie de vouloir toujours tout savoir de la vie des autres ? » Ronchonna-t-elle. « Elle n’avait pas à poser ces questions, ni à vous attaquer. »

Elle fut surprise d’entendre le mot pitié alors que ce sentiment ne lui était guère venu. Elle n’avait d’ailleurs jamais ressenti de pitié à l’encontre du Piaf, de la colère et de l’agacement, certainement, mais pas de la pitié. Ni maintenant, ni quand il lui avait confié son histoire. Elle avait essayé de comprendre sa souffrance, de l’entendre surtout, pour peut-être y remédier. Elle était une femme d’action avant tout, encore davantage désormais.
Elle cligna des paupières, un peu prise d’embarras, quand il évoqua avoir des conquêtes et même plusieurs à la fois. La Reine ne sut pas tout à fait comment réagir à cela. Elle se contenta de le scruter et de froncer les sourcils lorsqu’il insista sur le fait qu’elle puisse être choquée par une telle conduite.

L’était-elle ? Ou jalouse, peut-être ? Envieuse ? Midona ne connaissait pas cet abandon charnel, ce désir que pouvaient avoir deux amants l’un envers l’autre. Elle n’avait pas connu le réel sentiment amoureux. Elle s’en défendait même, évitant de s’adonner à ces rêveries d’amour et d’attachement, se persuadant que ce n’était pas pour elle. Il était hors de question qu’elle ne s’attache à qui que ce soit. Elle était Reine et ne pouvait pas se donner à n’importe quel homme. Et d’ailleurs, son corps n’était pas destiné au plaisir charnel. Il était presque considéré comme une monnaie d’échange pour la jeune femme. Et même avant d’être Reine, son père lui avait inculqué de fortes valeurs à ce sujet-là. Coucher avec d’autres personnes, c’était se salir soi-même et salir le nom des Vajanska dont la lignée était pure. C’était également courir le risque d’une grossesse illégitime.

Elle ne savait pas si elle pourrait un jour s’accorder le droit d’aimer d’un amour sincère une personne. Son mariage serait probablement un mariage arrangé pour le bien des Twilis. Elle l’avait toujours vu ainsi, et c’est de cette manière que cela devrait être. Pour son peuple. Tant pis pour elle et ses sentiments.

« — Peut-être devriez-vous être polygame. » S’entendit-elle lui dire, presque sur le ton de la plaisanterie. Elle retira sa capuche, dévoilant entièrement son visage et ses cheveux impeccablement nattés dans son dos. « Me choquer ? » Oui, cela la choquait que l’on puisse s’adonner à ces plaisirs aussi facilement. Mais ils n’étaient pas du même monde. « J’imagine que ce sont des choses que les hommes peuvent faire. Il n’y a pas de risque pour eux, de papillonner, pas de conséquence. » Et de petite naissance encore moins. Est-ce que les hommes des grandes familles de Metzli multipliaient les conquêtes ? Elle n'était guère dans la confidence. Elle détourna son regard, parler de cela lui fit monter le rose aux joues. « Ce qui me choque, c’est que vous soyez capable de partager cette intimité avec des femmes dont vous ne portez aucun sentiment. À moins que je ne me trompe ? Vous leur faites du mal, visiblement, en jouant sur tous les tableaux. »

La rousse haussa les épaules, signifiant que ce n’était probablement pas ses affaires et qu’il était assez grand pour s’arranger lui-même de ses conquêtes. Et puis, difficile d’éprouver de l’empathie pour quelque chose qu’elle ne connaissait pas du tout. Bien sûr, Midona avait été curieuse de découvrir son corps, celui d’un homme ou pourquoi pas celui d’une femme. Mais la jeune femme s’en était formellement protégée, s’interdisant ces rapprochements. Maintenant qu’elle était Reine, elle imposait la distance du fait de son rang. Que dirait-on de la Reine de Metzli si elle couchait avec n’importe qui ?

Le sujet changea et Robyn lui proposa des vêtements communs pour remplacer ceux simples mais relativement beaux qu’elle portait. La Reine fit la moue, adressa un regard agacé à Robyn puis de retour sur ses vêtements. Elle le suivit, néanmoins, pour jeter un œil aux habits qu’il lui proposa. Le Piaf pénétra une petite bâtisse et l’emmena dans une chambre où se trouvait une commode qu’il ouvrit. Il en sortit des vêtements aux couleurs un peu trop chatoyantes. Forcément, Midona ne portait que du noir ou du gris. Alors quand il en sortit une tunique en vieux lin délavé orange, autrefois rouge certainement, elle la prit dans ses mains et la scruta un instant comme si elle cherchait à savoir comment elle était censée se servir de cela. Et en guise de bas, il lui proposa une jupe plissée verte foncée, peut-être un peu grande.

La rousse hésita un moment, son regard passant de la tunique à Robyn, visiblement dubitative à l’idée qu’elle puisse porter quelque chose comme ça et ressembler à quelque chose. Sa cousine avait de drôles de goûts vestimentaires. À moins qu’il ne veuille se moquer d’elle ?

« — Vous êtes certain que c’est vraiment nécessaire ? » Elle soupira. Il avait probablement raison. « Sortez, je vais me changer. » Elle l’encouragea à s’extirper de la petite pièce.

Une fois seule, Midona entreprit de défaire la fine tenue de voyage qu’elle avait mise, dévoilant sa peau pâle et les nombreux symboles turquoise qui parsemaient ses bras et ses cuisses, et les écailles qui décoraient ses épaules et son dos. Il y avait également la cicatrice de son combat contre Ganondorf, une marque bien disgracieuse sous sa poitrine. Elle se hâta pour retirer ces vêtements et pour enfiler la tunique et la jupe, s’assurant que le tissu recouvrait ses marques. Elle trouva une grosse ceinture qu’elle utilisa pour faire tenir la jupe sur ses hanches sans qu’elle ne tombe. Elle mit la main sur des petites espadrilles qu’elle enfila. Elles étaient un peu petites pour ses pieds mais elle ne le sentirait probablement pas à cheval. Finalement, elle dénoua ses cheveux pour avoir l’air moins sophistiquée. Est-ce qu’elle ressemblait à une femme des champs désormais ? Elle se sentait bien ridicule en tout cas.

Un peu honteuse, elle rejoignit Robyn en prenant soin de ne pas croiser son regard. Elle ne voulait pas s’imaginer à quoi elle ressemblait. Son collier pendait toujours à son cou et elle entreprit d’essayer de l’enlever. Elle se sentait bizarre dans les vêtements d’une autre personne. Elle n’était plus vraiment elle-même.

« — J’ai l’air ridicule. » Conclut-elle en marmonnant.

Elle avait l’impression que ses vêtements étaient trop grands, qu’ils grattaient, qu’elle allait trébucher dessus et s’emplafonner en face de Robyn. Alors elle faisait des grands pas en regardant ses pieds pour s’assurer qu’elle ne marchait pas sur sa jupe. Après quelques pas, elle se rendit compte que tout irait bien et qu’elle ne pouvait pas trébucher. Ses vêtements étaient plus légers que ceux dont elle avait l’habitude de porter. Ils étaient taillés pour la praticité et non pour la parure que se devait de revêtir une Reine. Sous le soleil chaud de cet après-midi, la légèreté de ces vêtements seraient les bienvenues. Pourtant, la rousse bourgeonnait un peu, gênée de ne pas être parée de ses soieries, elle avait presque la sensation d’être nue.

Il fronça les sourcils quand elle le rejoignit, et Midona crut qu’il allait lui dire qu’elle était, en effet, parfaitement ridicule. Mais au lieu de ça, le Piaf la rassura et conclut en la coiffant d’un grand chapeau tressé de paille. La rousse dissimula un sourire sous ce chapeau, effleurant du bout de ses doigts les rebords de ce dernier. Avait-elle déjà portée quelque chose sur sa tête qui n’était pas une couronne ? Ses mots étaient doux et agréables à entendre. Après ce qu’il lui avait dit au sujet de ses conquêtes, elle ne pouvait s’empêcher de se persuader qu’il disait ces choses-là à toutes les femmes. Et pourtant, elles touchaient le cœur de la jeune femme. Elle releva son regard sur Robyn sous son chapeau en osier.

« — Maintenant que je sais que vous êtes un séducteur, je ne sais pas comment je dois le prendre ! » Probablement simplement, sans à en chercher le sens. Mais ce n’était pas naturel chez la Twili.

Il n’avait pas plus épilogué sur le sujet de ses sentiments et de ses conquêtes et peut-être que cela l’arrangeait au fond. Midona n’avait pas tant envie de discuter de ces sujets-là avec un homme. L’intimité, la tendresse et l’amour, ce n’étaient pas des choses qu’elle connaissait. Il apprendrait probablement qu’elle était entièrement novice pour ces choses-là et la rousse en serait embarrassée. Elle finirait par se sentir gênée et se défendrait en retour, arrivant irrémédiablement à un nouveau conflit.

Midona le regarda faire avec curiosité lorsqu’il présenta théâtralement le « carrosse » qu’il avait affrété. Un chariot. Hébétée, elle ne sut pas tellement comment réagir face à ce transport rudimentaire. Par réflexe, elle coula son regard vers son cheval, puis de nouveau vers Robyn, comme pour essayer de comprendre pourquoi elle ne pouvait pas faire le trajet à cheval. Mais elle pouvait voir à quel point il s’était donné du mal, cela avait l’air sincère. Comment pouvait-elle refuser désormais ? Elle ne voulait pas qu’il soit déçu par sa réaction, aussi lui répondit-elle par un sourire.

« — J’imagine que ne pas faire trois jours de route entier sur le dos d’un cheval sera agréable. J’espère simplement que votre carrosse tiendra la distance… » Son regard s’arrêta sur le vieux cheval qui allait les tirer. « …Et votre pauvre cheval également. »

Robyn ne mit pas longtemps à détourner son attention d’elle et à aller donner de la tendresse à ses chèvres. Il exagérait tout ce qu’il faisait, prenant son temps auprès de ses animaux. Essayait-il d’attiser son agacement ? La rousse le regarda faire et ne put s’empêcher d’échapper un rire en voyant ses chèvres s’agglutiner contre lui et se frotter à son visage. Il allait probablement sentir le bouc pendant tout le voyage.

« — Vous êtes plus fidèle avec vos chèvres qu’avec les femmes, visiblement. » Se moqua-t-elle sans être réellement sérieuse.

Elle s’approcha finalement du petit troupeau, par curiosité et pour s’intéresser. Elle tendit une main fébrile vers la tête d’une des bêtes qui vint lui sentir le bout des doigts mais qui resta à bonne distance. La jeune femme adressa un regard au Piaf.

« — Elles ne m’aiment pas. » Argua-t-elle.

Midona se risqua à approcher sa main de la tête de la bête mais celle-ci recula et la regarda de travers, laissant la Twili pantoise.

Les chèvres des Patel ne semblaient pas réellement intéressées par la présence de la jeune femme. Elles étaient curieuses et ne cessaient de la regarder, mais davantage en la lorgnant d’anxiété comme si Midona allait soudainement se mettre à leur courir après. Elle ramena sa main vers elle, un peu vexée de ne pas avoir eu l’effet escompté en s’approchant des animaux. Ce n’était pas comme si elle avait déjà côtoyé des animaux de ferme. Midona n’en avait jamais vu de près bien qu’elle en ait eu la curiosité lorsqu’elle était plus jeune. On lui avait alors sèchement répondu qu’elle n’avait rien à faire dans la boue. La rousse avait donc grandi ainsi, se désintéressant des autres animaux que ceux qu’elle connaissait déjà. Accroupie jusque-là pour essayer de toucher un animal, elle se redressa finalement pour reporter son attention sur Robyn quand elle l’entendit parler. Elle éructa alors un hoquet de surprise lorsqu’il tomba à la renverse sous l’attaque des bêtes.

Il se mit à rire et Midona se détendit sous l’effet de ce rire, signe qu’il n’avait pas été blessé par un coup de corne. Elle le regarda, un sourire dissimulé sous son chapeau, en voyant l’homme pleinement joyeux auprès de ses animaux. Elles ne le connaissaient pas, non, et elles n’auront jamais l’occasion de le faire puisqu’elle allait rentrer chez elle. Et de toute manière, pourquoi une Reine irait courir dans la boue et jouer avec des animaux de ferme ? Quelle drôle d’idée ! Et pourtant, accoutrée des vêtements d’une autre, elle se sentait différente et avait envie d’essayer des choses qu’elle n’aurait pas faite naturellement. Elle n’était pas tout à fait Midona la Reine Crépusculaire, mais une simple dame des champs mal à l’aise avec un Piaf un peu trop enthousiaste. Elle aurait presque pu passer inaperçue si sa peau n’avait pas été si blanche.

Elle le regarda se relever rapidement, désormais couvert de poussière. Il reprit la parole en estimant lui donner une recette qui fonctionnait à tous les coups. La Reine esquissa à nouveau un sourire. Il avait une telle manière de parler, une éloquence qui le rendait presque persuasif et séduisant. La petite réflexion sur les hommes eut pour conséquence de lui faire lever un sourcil. Est-ce qu’elle s’imaginait des choses où tournait-il autour du pot puisqu’elle n’avait pas répondu plus tôt à ses interrogations ?

« — Si vous le dites. » Elle haussa négligemment les épaules, fit mine de ne pas entendre entre les lignes et de rester bien cachée sous son chapeau de paille. Elle le vit prendre une pomme et la présenter à une chèvre. « Dois-je considérer les hommes comme des chèvres, donc ? » Peut-être lui faudrait-elle trouver une pomme et lui la présenter ?

Encouragée, elle tendit à nouveau la main et pu caresser le cou de la chèvre qui se délectait de la pomme qu’il tendait. L’animal ne fit guère attention à sa main, trop occupé par la friandise. Un sourire lui échappa lorsqu’elle sentit le pelage de l’animal sous ses doigts, et la chaleur qui s’en dégageait. Elle l’entendit la questionner sur les animaux dans son royaume et la jeune femme s’arrêta finalement de caresser l’animal.

« — Si, bien sûr… Mais je ne m’en suis pas approchée. » Elle évitait son regard, ne voulant pas que cela soit considérée comme de la condescendance. « …J’ai un affilié, un loup, que j’ai connu alors qu’il était jeune louveteau… » C’était une vieille histoire qu’elle ne racontait pas. « …Et ma jument. » Elle adressa un regard au petit hongre alezan que la couronne d’Hyrule lui avait ‘prêté’. « Une belle et grande jument noire. Elle est restée à Metzli, je ne voulais pas qu’elle passe sur le bateau. » Expliqua-t-elle.

Midona s’éloigna des chèvres tandis que Robyn s’affairait auprès d’elles. Elle rejoignit son petit cheval alezan et prit les rênes afin de les attacher à la fin du cortège pour que l’animal les suive. Elle rangea ses vêtements dans les sacoches de selle mais conserva sa besace auprès d’elle, gardant sa couronne proche, à défaut d’en être coiffée.

« — Nous devrions y aller. » Dit-elle en jetant un œil au ciel. La route allait être longue, plus longue que prévu avec un carrosse tel que celui qu’avait préparé le Piaf. Ils allaient passer du temps ensemble, plusieurs jours, et cela la rendait nerveuse tant elle se sentait gauche et si peu naturel avec lui. Enfin… Naturel n’était pas le bon mot. Elle se sentait… Différente.

Elle grimpa dans le chariot en prenant garde à ne pas trébucher sur sa jupe et à tenir son chapeau pour qu’il ne tombe pas. Elle reconnut le renard qu’elle avait vu le premier jour qu’elle avait rencontré celui qu’elle avait considéré comme un vulgaire voleur. L’animal roux leva une oreille, la considéra un instant mais ne bougea pas finalement. Midona s’installa donc à côté du conducteur avant de se raviser et de rentrer dans le chariot. Elle n’avait pas envie d’être attaquée par une autre de ses conquêtes. Ainsi il vaudrait mieux qu’elle se dissimule un minimum, au moins le temps qu’ils aient dépassé Melka.  

Voilà que la Reine Crépusculaire se retrouvait bien dans un petit carrosse, tiré par un vieux canasson, en compagnie d’un Piaf un peu plus silencieux que d’accoutumé. Alors même que, quelques jours auparavant, elle avait fermement défendu l’idée de rentrer chez elle par ses propres moyens. Que faisait-elle donc là, auprès de cet homme qu’elle considérait si agaçant ? Elle avait fait un détour pour venir le chercher et faire la route avec lui alors qu’elle aurait très bien pu commencer à prendre la route et être déjà pratiquement à mi-chemin de Portua. Deux jours après leur dernière rencontre, Midona ne se voyait pas repartir aussi vite sans le revoir. Elle s’en était d’ailleurs voulu de ne pas l’avoir retenu, lorsqu’il s’était envolé par la fenêtre. Leurs échanges avaient toujours été particulièrement difficiles tant ils étaient différents. Pourtant, c’était bien elle qui était venu vers lui cette fois-ci et elle n’était pas persuadée d’en connaitre la raison. À moins qu’elle ne veuille tout simplement pas la voir.

Se pouvait-il qu’elle ressente quelque chose, des sentiments, pour cet imbécile d’emplumé ? La rousse fronça les sourcils. Ce n’était pas possible. Le manque et la distance de ses proches devaient la rendre bien vulnérable pour qu’elle doute de ses émotions face à un homme qu’elle ne connaissait que trop peu. Mais c’était plus fort qu’elle. Quelque chose l’attirait irrémédiablement. Il était différent, si différent, des personnes qu’elle avait l’habitude de côtoyer. Il était malicieux et amusant, et il n’était pas impressionnée par le pouvoir de la couronne. Elle n'était pas vraiment Reine de Metzli auprès de lui. Elle aurait bien pu le menacer autant qu’elle le voulait, il n’aurait pas réagi. Pire, il lui aurait probablement ris au nez. Et cela l’aurait mise en colère. Mais qui ne la mettait pas en colère ces derniers temps ? Il ne se sentait pas obligée d’être agréable avec elle, il ne l’avait pas toujours été, malgré qu’elle n’ait jamais été douce envers lui. Elle commençait à comprendre tout cela alors qu’une petite voix malsaine continuait de lui susurrer, lorsqu’elle voulait bien l’écouter, qu’il avait forcément quelque chose à y gagner.

Le chariot s’ébranla après qu’il s’y soit installé et voilà qu’ils étaient partis pour Metzli. Elle fut tirée de ses pensées après quelques minutes de route, lorsque les bruits du village se furent évanouis et que seuls les bruits des sabots foulant le sol et des couinements du chariots se firent seulement entendre. Robyn l’interrogea sur sa présence dans le chariot, si elle resterait cachée et silencieuse. Tout le trajet ? Mais ils étaient partis seulement depuis une dizaine de minutes. La rousse hésita un peu. Elle en avait envie, elle n’était pas venue simplement pour qu’il la transporte jusqu’à Metzli. Mais d’ailleurs, pourquoi était-elle venue après tout ? Elle n’en n’était même pas certaine elle-même. Une pulsion, un désir, la peur de regretter surement.

Elle posa son regard sur la renarde, Hemsie, qui n’avait pas tellement l’air si chanceuse. À vrai dire, elle n’avait pas l’air d’être si intéressée par la présence de la Twili. Elle lui jetait bien des regards à certains moments, mais elle ne faisait aucun mouvement vers elle. Midona ne chercha pas non plus à la toucher. Et risquer de se faire mordre ? Surement pas. La rousse croisa le regard malicieux du Piaf qui la regardait derrière se main, grimaçant légèrement. Elle détourna vivement le regard et se mit en mouvement pour masquer son embarras. Il n’était pas aisé de se mouvoir dans le chariot alors qu’il était un peu secoué.
Sans répondre, elle se hissa pour tenter de s’asseoir à côté de lui, manquant de tomber à la renverse sur ce dernier dans un cahot de la route. Elle s’excusa du bout des lèvres et s’installa à côté de lui.

« — Je ne me cache pas. Enfin si… Un peu. Je n’aimerais pas recevoir des projectiles si la femme de tout à l’heure me voyait m’évader avec vous. » Elle lui adressa une grimace qui se voulait être une sorte de sourire torve. « Je crois qu’elle me tuerait. »

Maintenant qu’elle était sur le chemin du retour, l’anxiété grandissait davantage en elle, enserrant douloureusement son cœur. Elle craignait aujourd’hui plus que jamais le retour dans son Royaume et l’accueil qu’elle y recevrait. Elle craignait de perdre beaucoup, bien plus que ce qu’elle avait pu perdre lors de ces dernières lunes. Elle craignait que tout ceci devienne encore plus réelle, que la perte de la couronne devienne enfin une réalité dont elle ne pourra plus se protéger. Mais cela, elle ne pouvait pas le lui dire. Cela ne l’intéresserait pas.

« — Je tenais à m’excuser, Robyn. » Fit-elle finalement, brisant le silence qui s’était installé entre eux, assis côte à côte. « Je crois avoir été parfaitement injuste avec vous. Avec du recul, je ne pense pas que vous n’ayez jamais eu de mauvaises intentions à mon égard. » Elle baissa les yeux, prenant bien garde à ne pas croiser son regard. « J’espère sincèrement que vous trouverez ce que vous cherchez à Metzli, et que vous pourrez, un jour, revoir votre pays natal. Je crois que nous allons tous les deux à la rencontre de notre destin. »

Elle scruta son visage un moment lorsqu’elle eut fini de parler puis se détourna sur autre chose, histoire de changer de sujet. Elle attrapa l’une des flèches qui étaient à sa portée et en caressa la plume doucement entre ses doigts.

« — Ce sont vos plumes ? » Demanda-t-elle sur le ton de la conversation. « Dites-moi, pourquoi voyager à cheval alors que vous pourriez être rendu beaucoup plus vite en volant ? »  La curiosité revenait bien vite. Après tout, la jeune Reine découvrait les autres races du monde et les Piafs la fascinaient. Elle admirait leurs ailes et leur capacité à voler. Qu’avait-elle en tant que Twili ? Des marques de couleur cyan sur la peau et des écailles à certains endroits, et elle voyait dans l’obscurité. Ce qui n’était pas utile dans sa présente situation.

Elle n’avait probablement rien à se reprocher, contrairement à lui. Mais qu’importe, car la jeune femme qui l’avait alpaguée, n’en aurait probablement eu rien à faire d’entendre la vérité. Elle n’aurait écouté que sa colère et sa déception, car visiblement elle avait espéré être la seule et l’unique aux yeux du Piaf. Quel crève-cœur, de découvrir que son amant n’était en fait qu’un homme à femmes. Il lui adressa un sourire et Midona lui rendit ce même sourire tordu, un peu embarrassée. Difficile pour elle de lire dans les lunes rieuses de l’homme à plumes. Et même s’il se montrait mielleux, la rousse n’irait pas s’imaginer qu’il avait une idée derrière la tête, ou qu’il avait des espoirs. Leurs avis sur la chose étaient bien trop différents et Midona restait persuadée qu’elle ne pouvait pas partager ce genre d’intimité avec n’importe qui. Non pas que Robyn était n’importe qui, mais il n’était pas de Metzli et il n’était pas un noble. La jeune femme pouvait aisément deviner les prunelles sauvages de son père si elle osait outrepasser ses devoirs.

« — Une terrible perte… Mmmh… Je me demande bien pour qui. » Murmura-t-elle en réponse à sa phrase qui se voulait surement dans un tout autre sens.

La confiance avait été longue à venir mais Midona pensait désormais qu’il était digne de la sienne. Elle ne pouvait pas savoir à quel point sa confiance serait de nouveau mise à l’épreuve dans les jours à venir. Même si elle se doutait que son retour serait compliqué, elle ne s’imaginait pas faire face à un tel mur ou des difficultés trop grandes. Elle était Reine après tout, même sans les pouvoirs de sa précieuse Couronne des Ombres. La rousse ne put se retenir de rire lorsqu’il remit sur le tapis l’attaque de la jeune femme sur le Piaf quelques jours plus tôt. Elle y était allée fort et l’avait même menacée de sa magie pendant qu’il manquait d’air. L’emplumé lui avait alors montré qu’il avait peu de sursaut de survie car il n’avait pas été très enclin à lui expliquer la raison de son apparition dans le jardin de la Citadelle d’Hyrule. Il avait alors ressemblé au parfait assassin ou au voleur, d’où le fait qu’elle se soit autant méfiée de de lui. Non, peut-être qu’elle avait eu raison de ce méfier de cet énergumène à plumes.

« — Peut-être devriez-vous rester sur vos gardes, juste au cas où. » Lui répondit-elle avec un sourire en coin. « Vous connaissez assez bien les Twilis pour savoir que nous ne sommes pas dignes de confiance. » Elle faisait référence à leur discussion sur son peuple et leurs propensions aux assassinats et aux trahisons.

Tant qu’il ne lui donnerait pas de raison de lui faire ravaler sa langue, il ne craignait rien de sa présence. Au contraire, Midona appréciait sa compagnie même si elle aurait bien du mal à l’avouer. Son corps se détendait à mesure que les kilomètres avançaient et que Melka s’éloignait d’eux. La route serait longue, il était temps qu’elle apprenne à se détendre si elle ne voulait pas rentrer en morceaux à Itzal.

« — Je vois, c’est vrai que cela doit faire une sacrée distance. » Elle adressa un regard à ses ailes, se demandant ce que cela faisait que de s’envoler à l’aide de ces deux grandes choses pleines de plumes. Sentir son poids plus léger, s’éloigner du sol, voir le monde d’en haut. Les sensations devaient être agréables.

Midona fut un peu prise de court à sa question sur sa propre race, alors qu’elle aurait pu s’attendre à recevoir des interrogations à son tour. C’était une étrange question, mais pas beaucoup plus étrange que de lui demander pourquoi il ne volait pas au lieu de se déplacer en chariot. Elle réfléchit un instant, portant son regard sur l’horizon, essayant de retenir son corps de venir buter contre le sien à chaque petit cahot de la route. Il n’y avait décidemment pas beaucoup de places. Est-ce qu’elle brillait dans le noir ? Les marques qui creusaient sa peau sur ses avants-bras et ses cuisses brillaient un peu mais d’un halo plus doux, émettant assez peu de lumières. Elles étaient donc plus facilement dissimulables.

« Nous sommes des Hyliens damnés. » Commença-t-elle à expliquer. Midona n’avait jamais vu un Hylien nu mais elle voyait bien qu’ils étaient différents, et certaines particularités physiques n’étaient pas aussi faciles à cacher que d’autres. « Nous avons… Des marques magiques sur le corps, des écailles, parfois des cornes. Vivre dans le crépuscule a rendu notre peau plus pâle même si j’ai déjà croisé des Twilis à la peau noire. Nous avons également une très bonne vision nocturne. » Cachée sous son chapeau, elle sentait moins les rayons du soleil sur sa tête et son visage. « C’est pratique à Metzli où il fait toujours sombre, mais ici tout cela ne sert à rien. À part à être dévisagé par autrui. Enfin… Je peux cacher mes marques. Avec un peu de maquillage, j’ai juste l’air d’une femme qui ne sort jamais de chez elle ! » Ce qui n’était pas tout à fait faux puisqu’elle passait énormément de temps à Itzal.  

Elle suivit le mouvement quand le chariot tourna, visiblement pour éviter un terrain un peu plus escarpé. S’ils commençaient à faire des détours dès que cela montait un peu, ils risquaient de mettre beaucoup plus de temps. Elle n’en dit rien cependant, se contentant d’aplatir sa jupe sur ses cuisses et de tenir, lorsque le vent s’engouffrait dans le chariot, son chapeau pour éviter qu’il ne s’envole.

« — Être avec un bandit permet-il de ne pas se faire attaquer sur les routes ? » Demanda-t-elle presque innocemment. C’est qu’elle se sentait particulièrement vulnérable dans ce chariot qui avançait à une vitesse toute relative. « En prenant des routes parallèles, nous risquons de tomber sur des monstres. J’en ai croisé quelques-uns lors de mes voyages. »

Quant à savoir si son acolyte savait se battre, Midona en doutait. Mais s’il avait un arc c’est qu’il pouvait certainement s’en servir. En théorie.

Le piaf semblait l’écouter docilement. En voilà une chose étonnante ! Avait-il déjà été si calme et silencieux ? Midona n’allait pas s’en plaindre car un peu de calme l’aiderait à se détendre. Elle haussa les épaules à sa réflexion sur le mauvais sort. Elle n’y croyait pas un seul mot mais elle n’en ajouta rien. S’ils devaient se faire attaquer par un monstre ou une troupe de bandits, ce ne serait assurément pas parce qu’elle en avait parlé, mais surtout parce qu’ils se trainaient et qu’ils étaient une cible vulnérable. C’était aussi évident à ses yeux que cela devait l’être aux yeux de tous. Ils croisèrent, de temps à autres, d’autres individus à cheval ou quelques chariots de marchands. Ils les saluèrent poliment et la rousse en fit de même, collant à son rôle de jeune ingénue même si ce n’était pas naturel chez elle et qu’elle devait avoir l’air fortement stupide. Qu’importe, elle était rentrée dans son jeu et il était trop tard pour se raviser.

Au loin déjà se dessinaient la Citadelle d’Hyrule et sa bâtisse qui s’élevait vers le ciel. Quelques heures seraient encore nécessaires pour rejoindre la capitale du Royaume de Lumière alors qu’ils traversaient le grand pont qui menait jusqu’à Célesbourg. À mesure qu’ils progressaient, le soleil déclinait à l’horizon et il serait déjà temps qu’ils s’arrêtent pour la nuit. Midona n’avait pas tellement pensé à cela jusqu’à maintenant, elle était concentrée sur le fait qu’ils devaient avancer car il fallait rapidement rejoindre Itzal. Maintenant qu’elle était décidée à rentrer chez elle, l’attente lui semblait interminable. Elle gardait cela pour elle, néanmoins, car elle ne voulait pas paraitre plus désagréable qu’elle ne l’était déjà.

De nombreux marchands voguaient sur les chemins qui allaient jusqu’à la petite ville marchande de Célesbourg. Ils en croisèrent tant que la jeune femme n’y fit plus tellement attention au bout d’un moment. Assise à côtés de Robyn et bercée par les cahots de la route et le bruit répétitif des roues sur le chemin, elle se sentit somnolée puis piquée du nez. Elle était levée depuis longtemps et elle avait déjà fait la route dans le sens inverse le matin même. Être de nouveau sur les routes l’ennuyait et elle ne chercha pas à combattre la fatigue qui la terrassa rapidement une fois qu’elle céda à son emprise.

Elle s’endormit, sa tête tombant sur l’épaule du Piaf tandis qu’elle s’enfonçait dans un songe. Elle aurait presque pu continuer à entendre le bruit régulier du chariot sur la route et occasionnellement des voix, celle de Robyn lorsqu’il s’adressait à une autre personne. La rousse entendait sans voir, puis elle ne sembla plus tout à fait entendre, cachée sous son chapeau de paille, le sommeil l’envahit.

Lorsqu’elle ouvrit les paupières, Midona était arrivée au château d’Itzal. Une seule personne l’attendait devant la grande entrée de son château. Un sentiment de joie lui vint alors qu’elle s’approchait de lui pour le prendre dans ses bras. Elle était soulagée d’être de retour chez elle et que son ami soit là pour l’accueillir. Celui-ci répondit par un rire, un rire étrange dont le son rauque ne ressemblait pas à celui qu’elle connaissait de cet homme. Elle se recula alors et discerna, dans les prunelles de l’homme qui se tenait en face d’elle, les yeux mauvais du Yiga qui l’avait précipité dans cette situation. Elle ouvrit la bouche pour s’interroger quand Xanto l’attrapa brusquement à la gorge, fit tomber sa couronne et l’écrasa sous sa chaussure. Tétanisée par la surprise et la douleur, elle se débattit furieusement.

C’est alors qu’elle ouvrit réellement les paupières en sursautant et qu’elle prit conscience que la personne contre laquelle elle essayait de se défendre, n’était pas son ami à la peau pâle mais un Piaf tout à fait innocent, au moins pour ces accusations-ci. Midona se redressa vivement, lâchant toute prise qu’elle pouvait avoir sur le col du pauvre emplumé. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’elle ne comprenne finalement qu’elle s’était assoupie et qu’elle avait de nouveau rêvée. Le cauchemar de la Lune de Sang lui revenait encore parfois, de différentes manières, mais sensiblement identique dans les grandes lignes. Son cœur battait à tout rompre et l’angoisse qu’elle avait ressentie, se calma bien vite, remplacée par la honte.

« — Oh ! Pardon, Robyn ! » Fit-elle brusquement, le visage bouffis d’embarras. « Je ne vous ai pas blessé ?! » L’interrogea-t-elle vivement en remettant son col en place. Oh, elle n’aurait pas pu s’imaginer qu’elle l’étranglerait réellement de nouveau, cela avait été une blague ! « Je me suis assoupie… » La rousse ne savait pas comment réagir, elle s’éloigna un peu de lui et mit les mains sur ses cheveux pour remettre en place son couvre-chef, et se cacher dessous. « Où est mon chapeau ? » Murmura-t-elle en cherchant autour d’elle, sur le siège, dans le chariot… Elle l’avait perdu ! Il avait dû tomber lorsqu’elle s’était réveillée brusquement ! Midona grimaça, une injure au bout des lèvres.

Elle ne savait plus où se mettre. Cramoisie, la jeune femme inspecta le visage du Piaf pour s’assurer qu’elle n’y avait pas plantée ses ongles. Elle ne chercha pas à expliquer la raison de son attaque, ni le cauchemar qui avait perturbé son sommeil. La rousse fronça les sourcils et croisa les bras, bien décidée à ne pas se rendormir à nouveau.

Le soleil déclinait toujours et la Citadelle d’Hyrule se rapprochait. Midona avait dû s’assoupir bien plus longtemps que ce qu’elle s’était imaginée. Embarrassée, la jeune femme chercha ses mots lorsqu’elle reprit la parole.

« — Peut-être devrions-nous nous arrêter pour la nuit quelque part ? » Elle étudia les différentes possibilités qui s’offraient à eux. « Je ne voudrais pas vous étrangler une troisième fois en moins de quarante-huit heures. » La phrase aurait presque pu être drôle si Midona ne l’avait pas exprimée de façon aussi sérieuse. Elle s’en voulait réellement, désormais, car cette fois-ci il n’avait pas mérité de se retrouver dans cette fâcheuse posture. Il allait finir par croire qu’elle était folle puisqu’elle finissait toujours par l’attaquer, qu’importe les circonstances !

La rousse se retourna et étudia le chariot et son confort tout relatif, mais probablement que Robyn s’attendait à ce qu’ils dorment dedans ? Après tout, il s’était donné du mal pour le charger avec tout le confort nécessaire à la Reine. Même si l’intention était là, cela lui semblait tout de même un peu… rudimentaire. S’il n’y avait pas d’autre option, cependant, elle ferait un effort. Il méritait bien cela, après tout.

Elle n’avait pas été en mesure de sentir les mains chaudes du Piaf sur les siennes quand elle avait commencé à s’agiter dans son sommeil. Dans cet état d’inconscience cauchemardesque, rien ne pouvait réellement l’atteindre. Même en la secouant, il n’était pas aisé de la réveiller et de lui faire rejoindre le monde de la conscience. L’angoisse et la terreur lui étreignaient tant les tripes dans ses songes que son environnement n’existait plus. Le pauvre Piaf l’avait appris à ses dépens. Elle rougit furieusement à ses paroles, tandis qu’elle relâchait son col et qu’elle s’éloignait un peu sur le siège. Fallait-il qu’il rende ce moment encore plus embarrassant ? Ses joues lui brulaient et Midona n’avait même plus de chapeau sous lequel cacher sa gêne.

« — Dans vos rêves… » Murmura-t-elle dans son menton en retour.

Car pour la rousse, il ne pouvait qu’être moqueur en lui faisant du pied de la sorte. Après tout, elle était Reine. Midona ne s’imaginait pas que le Piaf puisse être sincère, qu’il puisse réellement désirer quoi que ce soit venant d’elle. Le petit sourire qu’il conservait sur ses babines ne semblait pas sérieux. Il l’invitait à l’embrasser mais que dirait-il si elle le faisait vraiment ? Après tout, la rousse s’était montrée déjà bien téméraire auprès de Robyn. Elle lui avait montré beaucoup plus d’elle-même que d’autres personnes qu’elle considérait proche. À sa manière, il s’insinuait sous son cuir et ébranlait chacune de ses barrières. Et cela avait autant le don de l’attendrir que de la défriser.

Oh, bien sûr, l’idée lui avait traversé l’esprit depuis leur dernière rencontre. Son franc parler et sa malice l’attiraient et lui donnaient une irrémédiable envie de goûter au fruit défendu. Mais à chaque instant, sa raison lui dictait de ne rien tenter, de rester à sa place et de le laisser à la sienne. Cela ne pouvait pas être autrement. Même un baiser serait déjà de trop. Le Piaf avait déjà bien assez de concubine comme cela. Quant à Midona, il en était hors de question. On la tuerait. Alors quand il lui montra, avec malice, le coin de ses lèvres, la rousse détourna le regard, la mine un peu boudeuse. Certainement pas !

Une bonne et une mauvaise nouvelle ? Oh, cela ne débutait pas bien, même de la part de Robyn. Elle l’écouta parler et échappa un soupir lorsqu’il eut terminé. Elle aurait dû le voir venir. Ce n’était pas comme si elle pouvait retourner à la Citadelle et s’inviter pour la nuit avec le Piaf alors qu’elle avait dit à la Reine Zelda qu’elle partait directement pour Portua. Et dans cet accoutrement, elle ne pouvait décemment pas rentrer dans le château d’Hyrule. Au moment où elle serait reconnue, on entendrait parler d’elle jusqu’à Metzli bien avant qu’elle n’ait atteint Itzal. Quant à dormir avec lui, dans le même lit, l’idée n’était pas concevable pour la Reine. Elle n’avait jamais partagé son lit avec quiconque et il était hors de question qu’elle commence avec un homme tel que lui ! À moins qu’il ne désire finalement mourir étranglé. Peut-être était-ce l’un de ses fantasmes, après tout.  

« — Cela n’a rien à voir avec votre fuite de la dernière fois, alors ? » Elle plissa les yeux, suspicieuse, l’air un peu pincé. « Vous craignez qu’il me reconnaisse ? Ou qu’il vous reconnaisse ? » Un léger sourire amusé ponctua sa phrase. « Oh, peu m’importe. Je ne vais pas refuser une aventure de plus. » Ajouta-t-elle d’une voix sarcastique. Une de plus ou de moins, il fallait bien qu’elle arrive jusqu’à Portua et elle ne pouvait pas conduire la carriole.

Ils partirent finalement sur un autre plan et Midona concéda à suivre celui-ci. En avait-elle le choix ? Non. Si la perspective de faire ses adieux au lit en plumes qu’elle avait espéré offrir à son postérieur douloureux avait été particulièrement séduisante, elle serait heureuse d’avoir un simple endroit dans lequel dormir en paix. La rousse avait dormi quelques fois en plein air lors de ces dernières lunes et cela n’avait jamais été très plaisant. Peut-être que camper en compagnie d’une autre personne pouvait être plus agréable. Un doute subsistait tout de même, car il s’agissait de Robyn, et qu’il était trop imprévisible à son goût.

Quand il eut fini de parler et décidé de surcroit que la Reine parte en recherche de nourriture, il l’enroula dans une grande écharpe aux odeurs de plumes et de chèvres. Elle fut surprise de sentir l’odeur de Robyn sur son étoffe, ou plutôt, étonnée de reconnaitre son odeur. Voilà qui prouvait qu’elle s’était tenue beaucoup trop proche de lui les fois où ils s’étaient côtoyés. Ainsi dorlotée, la rousse ne s’en plaignit pas pour autant. Elle abandonna même un peu son petit air pincé sous l’effet du tissu doux contre la peau de son cou. Au fond, elle aimait bien être au cœur des attentions et Robyn était particulièrement docile et doux avec elle depuis qu’elle l’avait retrouvée, quelques heures plus tôt.

« — Le climat de Metzli est bien plus rude que celui d’Hyrule. » Expliqua-t-elle de façon très pragmatique, sans pour autant essayer de se défaire de l’écharpe. Elle était douce et agréable, et l’odeur ne la dérangeait pas tant que ça.

Et juste comme ça il s’était éloigné en laissant la jeune femme enroulée dans son écharpe et pantoise. S’il avait été réellement un homme galant, il aurait tout ramené lui-même et ne l’aurait pas envoyé faire le marché. Elle était Reine après tout ! Qui était-il pour lui ordonner d’aller chercher à manger ? Mais elle avait faim et les quelques grignotages pendant le trajet n’avaient pas assez remplis son ventre. Elle pourrait bien ne rien manger mais si elle voulait ne pas se sentir mal pendant le voyage, elle ne devait pas commencer à sauter des repas. Bon. Comment allait-elle faire son histoire ?

Robyn avait stoppé leur carrosse à l’entrée de la Citadelle d’Hyrule et Midona se mit simplement en quête du marché de la Citadelle. Quel autre endroit pour trouver des victuailles que le marché de la ville ? Elle n’était jamais passé dans cet endroit, l’évitant soigneusement pour éviter tous les regards en coin. S’y rendre affublé des vêtements communs prêtés par Robyn lui sembla pourtant moins risqué. Qui pourrait bien reconnaitre la Reine de Metzli habillée en paysanne ? Surement que si les espions de Metzli la voyaient, ils en seraient hilares. La rousse fronça les sourcils pour chasser cette idée de sa tête. Personne ne la reconnaitrait !

Bien emmitouflée dans l’écharpe de son compagnon de voyage, elle s’avança d’un pas déterminé dans les allées du marché. Il y régnait un sacré remue-ménage à cette heure-ci alors que les étalages fermaient les uns après les autres. Si elle voulait trouver de quoi manger, il lui faudrait trouver rapidement. La rousse plongea sa main dans sa besace pour y compter ses derniers rubis. Il n’y en avait pas beaucoup et elle devait encore payer la traversée jusqu’à Metzli. Si elle pouvait faire des économies, cela ferait en plus jaser son pigeon voyageur.

« — Excusez-moi… » Hésita-t-elle devant un monsieur à la moustache hérissée qui tenait un étalage à viandes. Il lui adressa un long regard suspicieux, l’air presque dédaigneux.

Midona se fit violence en serrant la mâchoire, alors que la pulsion de lui rétorquer d’arrêter de la reluquer comme ça l’empoignait. Non mais quel goujat ! Elle fut soudainement particulièrement consciente de sa tenue et de sa vulnérabilité. Il ne faisait pas face à la régente. L’homme, pourtant, n’avait rien de menaçant. Mais à sa manière de la regarder longuement, la rousse se sentit soudainement très mal à l’aise. Elle resserra son écharpe contre elle mais ne se débina pas.

« — Est-ce que vous avez de la viande en trop… ? » Elle hésita encore, sa voix lui semblait étrangère. La Reine de Metzli en train de quémander de la nourriture ! Elle pinça ses lèvres. Oh, elle allait exploser de honte.

L’homme à la moustache lui adressa soudainement une moue peu commode et se pencha vers elle. Il la dominait de sa carrure mais Midona ne courba pas l’échine pourtant, soutenant son regard même si elle n’était pas tout à fait sûre de son coup.

« — Hey ma p’tite, tu devrais gagner tes rubis plutôt que venir mendier d’honnêtes marchands ! » Lui lança-t-il en attrapant, de sa grosse main, une carcasse de lapin pour la menacer avec.

L’ancienne Midona aurait réagi effrontément et ne se serait pas laissé faire, mais la nouvelle se contenta de filer en lui adressant un regard meurtrier au passage. Il n’était pas question de provoquer un ramdam dans tout le marché parce qu’un homme avait regardé de travers la Reine de Metzli. Quoique ! Mais elle n’était pas tout à fait Reine à cet instant, juste une jeune demoiselle aux cheveux roux en bataille et emmitouflée d’une écharpe trop grande pour elle. Tandis qu’elle s’éloignait du goujat, une main lui saisit l’avant-bras et la rousse eut un violent mouvement de recul à l’apparition de ce contact non désiré. Une petite femme un peu potelée lui adressa un sourire désolé, se voulant rassurante lorsqu’elle relâcha sa prise. L’effet escompté étant évidemment d’attirer son attention.

« — N’aie pas peur, ma grande ! » La rassura-t-elle rapidement, mais comme elle voyait que Midona cherchait surtout une porte de sortie, elle prit ses mains pâles et fourra dans celle-ci une barquette de fraises. « Tiens, elles vont perdre sinon. Tu peux les prendre. » Éberluée, la rousse lui adressa un regard stupéfait.

« — Vraiment ? » Et la dame de hocher vivement la tête, visiblement heureuse.

Elle sembla prendre pitié de Midona et de sa difficulté à parler. Peut-être avait-elle l’impression que la pauvre petite était très timide. La rousse se trouva surtout embarrassée par cet élan de gentillesse. Elle emmena Midona jusqu’à son étalage de fruits et de légumes et lui proposa des carottes fanées et des pommes de terre, avant que celle-ci n’ait eu le temps de protester.

« — Non attendez, c’est trop… » Commença-t-elle, remplie de culpabilité, pendant que l’autre lui remplissait un panier avec ce qu’elle pensait périssable à courte échéance, et peu vendeur. La dame ne l’écouta pas ou fit mine de ne pas l’entendre. Elle s’éloigna pour rejoindre le boucher qui avait désormais presque entièrement rangé ses vivres. Une négociation sembla se faire entre les deux marchands puis elle revint en sa direction, quelques minutes plus tard, le lapin qui avait servis d’arme plus tôt, entre les mains.

« — Tiens, et n’en parlons plus. » Fit-elle en lui donnant le cadavre de l’animal.

La rousse secoua vivement la tête et prit sa besace pour en chercher quelques rubis. Du bout des doigts elle savait à peu près combien il lui en restait. Elle les présenta à la dame d’une main fébrile.

« — C’est peu mais j’espère que je pourrais un jour vous rembourser entièrement… » Marmonna-t-elle, honteuse.

La femme repoussa sa main en secouant vivement la tête.

« — Prends donc et file ! » Le ton sur lequel elle lui répondit fut sans équivoque : aucune négociation ne serait acceptable.

Midona la remercia plusieurs fois, mêlée d’embarras et de reconnaissance envers la dame -et un peu envers l’homme à moustache-. Elle fila comme si elle s’attendait à ce que la marchande change d’avis et lui reprenne tout. Chargée de son butin, elle rejoignit le chariot qui l’attendait et rangea les victuailles à l’arrière. Elle n’avait plus qu’à patienter le retour de l’emplumé et elle redoutait un peu qu’il lui revienne acculé par des individus en colère.

Le visage de la surprise accueillit le Piaf lorsqu’elle le vit arriver, au loin, dans un drôle d’accoutrements de couleur et de linges, portant dans ses bras une poulette bienheureuse. Incertaine quant à sa réaction, elle le suivit du regard jusqu’à ce qu’il se plantât devant elle et lui tendit la bête à plumes. Par réflexe, et parce qu’elle n’avait pas tout à fait le choix, les bras pâles de la rousse accueillirent l’animal et celui-ci sembla tout à son aise, pour son plus grand étonnement. Midona la regarda avec curiosité un peu de travers, posant une main sur le dos de la poulette pour sentir les petites plumes entre ses doigts. C’était si doux, si agréable. Cette sensation lui arracha un sourire de contentement inconscient.

La jeune femme reporta bien vite son attention sur le grand emplumé qui la félicita. Accoutré de la sorte, elle ne put réprimer un sourire amusé. Il n’en manquait pas une. À chaque fois, il lui arrivait quelque chose. À ce niveau, il avait un don. Midona fit mine de ne pas le montrer mais elle était assez fière d’elle. Ce n’était pas pourtant pour son éloquence qu’elle avait réussi à aller au bout de sa mission, mais davantage grâce à la générosité des gens d’Hyrule. Elle était une bien piètre paysanne, elle le voyait bien. Elle n’avait plus qu’à être une bonne Reine, puisque cela semblait être son destin. Elle lui rendit finalement son sourire lorsqu’il montra, d’une façon qu’elle trouva un peu exagérée, son contentement. La main caressant la poulette machinalement, elle s’illumina un peu, d’un sourire satisfait.

« — Et moi de même, pour votre habileté à toujours finir dans de beaux draps. » Littéralement. Elle était impressionnée.

Ils remontèrent tous les deux dans le chariot et Midona conserva la poulette sur ses genoux, ne préférant pas la laisser au renard, de peur qu’elle se fasse dévorer. Elle la borda avec douceur pendant le trajet qu’ils poursuivirent pendant quelques kilomètres. La rousse hocha simplement la tête à sa proposition de faire appel à ses connaissances pour leurs prochains arrêts. Elle ne dirait pas non à dormir dans un minimum de confort. Quant aux courbatures, cela restait à voir.

L’obscurité tombait lorsqu’ils trouvèrent un endroit où passer la nuit. Son compagnon de voyage s’affaira rapidement à faire prendre un feu après avoir attaché son cheval. Alors que les étincelles surgissaient dans la pénombre, la rousse le rejoignit. Il fredonnait doucement, d’une voix un peu grave qui lui allait bien. Elle resta silencieuse car elle n’avait jamais vraiment chanté. S’était-elle sentit un jour assez en paix avec elle-même pour se laisser aller à fredonner librement comme si toutes les difficultés du monde s’étaient envolées ?

Elle s’affaira finalement pour lui donner un coup de main, lorsqu’il entreprit de faire cuire la viande et peut-être de faire un ragoût de leurs victuailles. Midona ne savait pas cuisiner. Elle avait déjà touché un peu à la cuisine lorsqu’elle vivait dans son domaine mais son père lui avait rappelé plusieurs fois que ce n’était pas à elle de faire le travail d’un larbin. Elle avait toujours été servie. Jadis comme une Héritière de Metzli, considérée avec beaucoup de respect par ses semblables. Et aujourd’hui comme la Reine Crépusculaire, le plus haut dignitaire de la Couronne de Metzli.

Un sentiment de paix l’enveloppa. Entourée par sa grosse écharpe, les paupières lourdes de fatigue et de voyage, elle se sentait bien. La poulette qu’elle n’avait pas lâchée, s’était finalement lovée dans ses bras et roucoulait docilement, toute recroquevillée dans son giron. Sa respiration calme et régulière avait un effet apaisant sur le tumulte qui vivait le plus souvent dans l’esprit de la Reine. Elle ferma les paupières un instant, expira un long soupir de contentement.

La nuit les baignait tous les deux d’un silence apaisant. C’était dans cet élément que Midona se sentait le plus paisible. La nuit était une accalmie à ses terreurs. À chaque fois qu’elle avait eu du mal à s’endormir, une marche nocturne l’avait aidé à calmer le bruit de ses angoisses. Elle avait le sentiment d’être un peu chez elle. Le monde s’était arrêté. Leur campement bordait une petite forêt dont les quelques bruits de feuillages leur rappelaient que des animaux devaient y vivre. Les odeurs agréables des arbres et de la nature lui chatouillaient les narines, se mêlant à celles de la nourriture concoctée.

Elle hésita un peu lorsqu’elle reprit la parole, incertaine de vouloir briser le silence qu’elle appréciait tant. Robyn était calme, auprès d’elle il était doux et attentionné. Elle aurait pu en oublier momentanément la destination de ce voyage. Dès qu’elle y pensait un peu trop, son cœur se pinçait douloureusement.

« — Je ne regrette pas de faire le voyage avec vous. » Souffla-t-elle, portant ses mains à l’écharpe qui l’entourait confortablement. La rousse parlait peu mais elle faisait son possible pour ne pas être un poids et être une compagnie agréable à Robyn.

Il lui montra les constellations et Midona écouta d’une oreille un peu distraite l’appellation des différents regroupements d’étoiles. Elle écoutait mais doutait qu’elle retienne réellement toutes ces informations données tandis qu’elle se trouvait dans un état crépusculaire. Le feu mourut doucement, au bout de quelques heures et le Piaf finit probablement par s’endormir car son souffle se fit plus régulier et que ses paupières s’étaient closes. Midona le regardait, de temps en temps, dotée de prunelles à l’aise dans l’obscurité. Le sommeil tardait à la cueillir. Elle avait essayé de dormir dans les draps qu’il avait pris dans son carrosse mais elle ne parvenait pas à se laisser prendre par le monde des songes.

C’était plus fort qu’elle. Alors qu’il se tenait si proche d’elle et que l’obscurité l’avait rendu aveugle. Elle aurait peut-être l’impression que ce serait moins un péché que d’y gouter si elle n’était pas vu. Son visage se rapprocha du sien et elle marqua une pause. Si proche. Elle pouvait sentir sa respiration régulière sur son nez. Il était si proche qu’elle n’aurait eu qu’à s’avancer encore un peu, pour enfin être en mesure de goûter ses lèvres. Mais elle n’y arrivait pas. Sa raison l’empêchait de braver le seuil de cette indécence. Enchaînée à ses devoirs et ses principes, elle ne voyait pas comment elle pouvait s’en dépêtrer cette fois-ci.

Et puis quoi ? Elle était Reine. Ne pouvait-elle pas prendre ce qu’elle désirait, quand elle le désirait ? Devait-elle toujours se plier aux bons vouloirs de chacun ? Agir comme si elle était emprisonnée par ses propres devoirs alors qu’elle était, peut-être, la seule en mesure de les faire évoluer ? Et même sans cela, que lui coûterait un simple petit baiser ? Dire que plusieurs années auparavant, cela avait été un geste si grave pour elle. Voilà, qu’elle était au bord du craquage, en face d’un parfait innocent qu’elle s’interdisait de trop désirer.

Un hurlement macabre, au loin se fit entendre. Tournant son regard vers le bruit et abandonnant momentanément son désir, Midona discerna deux grands yeux jaunes qui la fixaient à quelques mètres, baignés d’obscurité. L’ombre se rapprochait. Un frisson dégringola de sa colonne vertébrale.

« — Robyn ! Réveille-toi ! » Elle le secoua vivement en saisissant ses épaules, et l’entoura de ses bras avant que le monstre à la silhouette bestiale se jette sur eux dans un concert de grognement. Sa magie se répandit autour d’eux, de petites sphères de magie d’ombre, qui arrêtèrent net l’attaque du monstre quand il les heurta.