I just wanna think straight, why can't I just think straight ? • Talia Vajanská

— An 1000, Lune 10, Jour 2.
@Talia Vajanská

Midona s’extirpa des geôles d’Itzal et inspira une grande bouffée d’air. La visite à son prisonnier avait été plus éprouvante que prévu. Elle se sentait un peu vidée de son énergie, maintenant qu’elle n’était plus dans la cellule, seule, avec lui. Faire en sorte de garder les épaules droites et de ne pas flancher face au regard de son ancien ami était difficile. Elle ne l’avait pas revu depuis sa condamnation, lorsqu’il avait été trainé jusqu’à Itzal, quinze jours plus tôt. Retourner le voir avait été une épreuve qu’elle avait dû bien affronter. Après tous les échanges qu’il y avait eu entre eux lors de son retour, Midona avait eu des difficultés à dormir. Et quand elle parvenait enfin à dormir, il n’était pas rare qu’elle fasse des cauchemars. Bien trop souvent, elle se réveillait brulante et crispée comme si elle venait d’exhaler son dernier soupir.

Elle n’avait pas tué son ancien ami, elle l’avait simplement emprisonné à vie. Est-ce qu’elle éprouvait des remords ? La jeune femme fronça le nez à cette pensée. Bien sûr que non ! Il méritait amplement son sort, cet imbécile. Alors pourquoi est-ce que cela la déstabilisait autant ?

« — Je veux voir Talia Vajanská. » Elle apostropha l’un de ses gardes pourpres tandis qu’elle traversait le château d’un pas rapide. « Dites-lui que je l’attends dans mes appartements. »

Le garde hocha la tête et s’éloigna d’elle aussitôt. Midona le regarda s’éloigner un instant avant de prendre le chemin vers ses appartements de l’aile ouest. Lorsqu’ils étaient trois, les conseils se déroulaient dans un petit salon mais la Reine ne voulait pas se rendre dans cette salle pour l’instant. Trop de souvenirs y était rattachés, peut-être, ou bien avait-elle peur de discuter de certaines informations dans cette salle. Ses appartements lui semblaient plus sûrs. Après tout, le sujet qui pendait au bout de ses lèvres n’était pas de ceux qui devaient tomber dans n’importe quelles oreilles. Seule Talia devait être dans la confidence.

Ses appartements étaient agréables. Elle pouvait être seule. Réellement seule. Une fois qu’elle fermait la porte, personne n’avait le droit d’entrer sans qu’elle ne l’accepte. C’était presque aussi bien que de partir en pleine forêt avec son cheval pour rejoindre Ombre. Si l’envie de s’extraire de cette situation et de ses responsabilités lui effleuraient parfois l’esprit, Midona en était bien incapable. Encore moins dans cette situation où elle devait prendre une décision.

« — Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » Murmura-t-elle à elle-même. « C’est de la folie. » Elle expira un long soupir par le nez et parcourut les quelques mètres qui la séparaient de sa fenêtre.

Elle sursauta brusquement lorsqu’elle vit le reflet de sa dame de compagnie dans les carreaux. La rousse se retourna vivement vers elle tandis que l’autre sursautait presque d’un même mouvement, confuse.

« — Pardonnez-moi, je vous ai simplement apporté de la boisson… » Expliqua-t-elle d’une petite voix.

Le regard de Midona tomba sur la carafe de vin et des coupes que la jeune femme lui avait apporté. Elle la remercia avec ce qui se voulait être un sourire.

« — Merci. Je veux être seule maintenant, à l’exception de ma conseillère. » Lui repondit-elle.

La jeune femme s’exécuta en silence et sortit de la pièce.

Midona était seule et avait désormais tout le loisir de ruminer les paroles du corbeau avant qu’elle ne soit rejointe par sa cousine.

Elle ne tenait pas en place. Marchant de long en large dans ses appartements, la rousse ne parvenait pas à calmer la tempête qui ravageait son esprit. Elle était perdue. Complètement déboussolée. Que devait-elle faire avec cet homme ? Était-elle obligée de prendre une décision ? N’y avait-il que la mort comme seule option ? Pouvait-elle lui créer une brèche qui lui serait aussi utile pour retrouver son précieux pouvoir ? Jamais Metzli ne lui pardonnerait de ne pas avoir abattu le traitre à la Couronne. Faible ou clémente, c’était la même chose. Elle ne pouvait pas aller au bout de la sentence. Il devait rester entravé si elle ne pouvait pas lui donner la mort. Mais même cela était difficile à concevoir. Elle n’arrivait toujours pas à accepter qu’elle puisse être responsable de sa déchéance. Elle ne l’était pourtant pas, pas tout à fait, car il l’avait trahi et qu’il méritait d’être puni pour ce qu’il lui avait fait.

Alors pourquoi est-ce qu’elle était aussi indécise ?!

À mesure que les minutes s’écoulaient, la colère grandissait en elle. Celle-ci se répandait dans ses veines, éclaboussait son esprit, assombrissait son âme. Elle ne pouvait pas le tuer. Elle ne pouvait pas le libérer. Mais pourrait-elle vivre en prétendant qu’il ne pourrissait pas sous ses pieds ? Par l’amour qu’elle lui avait porté et par leurs souvenirs en commun, elle peinait à s’y résoudre. Elle remarqua soudainement qu’elle n’était plus seule dans la pièce. Midona n’avait pas entendu la porte s’ouvrir, ni le garde parler. Elle peinait à garder les pieds sur terre, à ne pas être emportée par ses émotions qui se faisaient toujours plus violentes. Elle avait besoin d’aide. Les prunelles glacées de la Reine se figèrent sur le visage de la rouquine qui avait pénétré dans la pièce. Ses lèvres bougèrent, elle crut entendre quelques mots, le nom de Xanto. Son regard dur se figea dans les siens. Des traits similaires mais des caractères si différents.

Midona ne répondit pas tout de suite à la jeune femme, la scrutant intensément, comme si elle cherchait un réconfort pour ses terribles doutes, au fond de ses prunelles. Elle peinait à savoir à quel point Talia la soutenait dans ses récents choix. Que pensait-elle de sa décision ? Allait-elle lui dire, finalement, qu’elle était déçue de la faiblesse de sa Reine ? Qu’elle était responsable de tous ses malheurs et qu’elle devait faire payer à son ancien ami tous ses tourments ? La Reine avait repris sa place, près de la fenêtre, tournée vers sa cousine qui avait pénétré la pièce, immobile. Le silence devenait pesant. Elle devait le briser. Sa voix lui sembla étrangère.

« — Talia. » Aucune chaleur dans sa voix, Midona était tendue, anticipant déjà la suite de la conversation.

L’incertitude et l’appréhension se lisaient désormais sur son visage fatigué et tendu. Elle peinait à se concentrer sur le visage familier de la jeune femme. Celle-ci la soutenait, lui apportait tout ce qu’elle lui demandait. Leur relation était bien différente de celle qu’elle avait eu avec Xanto. Elle était moins volcanique, plus douce. Était-elle en train de prendre conscience que la présence de l’homme auprès d’elle lui manquait ? Midona manqua de se mordre la langue. Elle était si en colère face à ses sentiments qui ne cessaient de se mettre en travers de son chemin. Cela serait si simple, qu’elle ne puisse plus rien ressentir. Pour juste un moment, quelques temps, oublier.

« — Penses-tu que j’ai fait une erreur en ne condamnant pas Xanto à la mort ? » Éructa-t-elle presque un peu trop brusquement, comme si elle avait couvé ses mots trop longtemps pour qu’ils restent enfermés plus longtemps. « Penses-tu, toi aussi, que je suis trop faible pour assumer le pouvoir ? » L’interrogea-t-elle d’une voix forte, presque tremblante.

La jeune femme serrait les poings. Elle n’avait pas accepté d’entendre Talia lui dire quoi que ce soit depuis que Xanto avait été ramené à Itzal. La Reine se contentait d’éviter les confrontations directes sur ce sujet. Elle craignait d’entendre sa cousine lui rétorquer qu’elle était la dernière des imbéciles pour avoir cru les paroles de son ancien conseiller. Après tout, la jeune femme avait terriblement souffert des complots de l’héritier Odair et celui-ci méritait la mort également pour la souffrance qu’il avait engendré dans le cœur de la cousine de la Reine. Midona se persuadait qu’elle pouvait prendre les décisions qu’elle désirait, du fait de son statut, car elle avait toujours le dernier mot sur tout. Elle n’assumait pourtant pas ce plein-pouvoir. Pas dans cette situation en tout cas. Elle n’accepterait pas que l’on prenne une décision à sa place, pourtant.

Une soudaine colère la prit, qu’elle contint douloureusement en elle. Ses ongles pénétrèrent la chair de ses paumes, tandis que ses poings restaient douloureusement serrés. Contre qui était-elle en colère ? Elle se trouvait bien incapable de le savoir. Contre Xanto pour lui faire subir cela. Contre elle-même pour être trop faible pour faire face. Contre Metzli pour douter d’elle. Mais pas contre Talia. Elle n’était pas en colère contre la victime collatérale de sa faiblesse. Était-ce le regard soudain persécuteur de sa cousine qui lui fit reprendre la parole d’une voix rageuse ?

« — Je sais qu’il mérite la mort ! Et merde… Je voulais qu’il meure, qu’il disparaisse à jamais de ma vie. Je ne peux pas supporter de le regarder car je le revois toujours ce soir-là, quand il a juré de me hanter. J’ai alors juré de le tuer, de lui faire payer sa trahison et de lui renvoyer toute ma souffrance, au centuple. » Les mots sortaient difficilement de sa mâchoire crispée. « Je ne peux pas supporter de le voir comme ça, enchaîné. » Un rire s’extirpa de sa gorge, sans joie. « Regarde comme je suis faible, Talia ! Je ne peux même pas aller au bout de mes décisions, de la sentence que je lui ai balancé à mon retour. Il devait mourir ! Il m’a trahie, il nous a tous trahi. Et je suis incapable de le tuer. Je désire lui faire du mal. Pas le faire disparaitre. Pas de ma vie. »

Elle n’en pouvait plus de ruminer tout cela. Toutes les journées et toutes les nuits, son esprit finissait par se focaliser de nouveau sur ses choix et ses angoisses. Elle regrettait sans réellement regretter, incapable de prendre une décision qu’elle considérait être la bonne. Tuer Xanto n’était pas la solution. Il avait été son ami. Et puis, ce n’était pas l’image qu’elle voulait renvoyer d’elle. Tuer un opposant pour le faire taire à jamais, c’était la facilité. Elle voulait gagner car elle était légitime, pas parce qu’elle n’avait aucune voix face à elle. Midona aurait pu mentir et prétendre que c’était là, la raison principale de son absence de décision, mais elle n’avait pas la force de prétendre être quelqu’un d’autre.

« — Je ne peux pas le tuer. » Elle passa une main sur son visage, se soustrayant au regard de la rousse pendant un instant. « Certains appellent cela de la clémence, j’appelle cela de la faiblesse. » Un soupir. « Je l’aimais… » Sa voix se brisa. Elle avala sa salive, douloureusement, car ses angoissent lui enserraient douloureusement la gorge. « …J’ai aimé un étranger. »

Le silence l’enveloppa. Elle n’osait pas tellement croiser le regard de sa cousine et faire face à son jugement. Elle le devait pourtant. Elle était là pour ça, après tout, mais pas que.

« — Pire encore… » Midona ouvrit la bouche, hésita, se reprit plusieurs fois, avant d’extraire ses derniers mots. « J’aimerais pouvoir l’aider à se racheter. Je veux qu’il me ramène le Fragment d’Ombre. »