[FB] A Hero’s Welcome | PV Nadë

Quelques gouttes rouges contrastaient sur l’herbe fraîche parmi la rosée, et sur les galets, pour ceux qui savaient faire suffisamment attention.

Avec un grognement de douleur, Zachary poussa la porte de la maison avec son épaule. Flamme avait retrouvé ces sentiers de forêt tortueux dont son maître connaissait tous les secrets pour le ramener à bon port, alors qu’il peinait à guider les rênes avec une seule main, les dents serrées. Brave bête. Il avait bien mérité de récupérer une pomme juteuse au sommet du grand pommier et de galoper librement sur leur domaine. Il ne s’éloignerait pas trop : il avait été bien dressé.

L’elfe avait insisté pour faire cavalier seul et il en avait payé le prix. Péché d’orgueil. Personne d’autre ne devrait être blessé parce qu’il avait été épris de nostalgie pour ses voyages au lieu de rester plus près de la Citadelle. On retrouvait bien là l’étoffe d’un prince. Il brillait ainsi dans quelques moments qui dévoilaient son héritage, même s’il faisait preuve de désinvolture lorsqu’on le soulignait. Telle est sa voie.

Il aurait pu aller trouver directement un médecin. Son nom suffisait à ouvrir toutes les portes, s’il le désirait, si c’était nécessaire. Cependant, ce serait aussi prendre le risque que la nouvelle se répande comme une poignée de poudre et qu’on remette en question sa place auprès de sa cousine. Pire, et si jamais il perdait l’équilibre ou conscience en chemin parce qu’il surestimait ses forces ? N’importe qui pourrait lui tomber dessus. Son ego avait déjà assez souffert. Il n’avait jamais aimé se montrer vulnérable. Ses ordres semblaient avoir été suffisants pour acheter le silence du vigile, pour le moment, au moins. Il préférait expliquer lui-même la situation, après avoir récupéré des forces.

Le jeune Nohansen n’enviait pas les caravanes de marchands aujourd’hui. C’était d’ailleurs en raccompagnant l’une d’elles qu’il s’était mis dans de beaux draps. Le goût poisseux du sang courait encore sur sa langue. L’entaille sur sa joue n’était pas très profonde, heureusement. Pour le reste, il avait surtout été sonné par le choc d’une lance, seul contre un petit groupe de goblins, mais le plastron de son armure de Garde royal devait avoir résorbé la majorité de l’impact pour ne lui laisser que quelques hématomes. Il y gardait tout de même une légère pression au cas où, et aussi pour se donner du soutien, ce n'était pas agréable. Dommage que cette fameuse magie ne lui permette pas de prodiguer des soins.

Il n’était pas étonné de trouver Eleanor dans la demeure, peut-être à broder, mais son soulagement ne dura que quelques secondes. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle soit en train de discuter avec l’ambassadrice de Lanelle autour d'une tasse de thé. Que faisait-elle ici ? Le regard fuyant, Zachary se sentait penaud, pris sur le fait, alors qu’il l’avait justement mise en garde de ne pas se mettre inutilement en danger, ou peut-être parce qu’il craignait qu’elle découvre un terrible secret dans cette demeure qui l’avait vu grandir. Il s’en voulait surtout d’être la cause d’autant d’inquiétude.

« Je vous jure que c’est moins grave que cela en a l’air. » marmonna-t-il dans sa barbe, croisant les bras. Mauvaise idée, cela le fit grimacer de plus belle, faisant de son mieux pour retenir une plainte de douleur ou encore un vocabulaire plus coloré. Malgré tout, il prit place sur le petit tabouret qu’on lui désignait avec autorité. Il ne s’en sortirait pas si facilement. Et puis, il devait se reposer, il devait bien l’avouer.

De quoi l’accusait-on au juste ? De s’être montré trop brave ou insouciant lors de ce duel à l’aube ? À moins que cette vision ravive celle du bien-aimé Joran Arlaeron qui n’avait pas eu la même chance de rentrer à bon port en un seul morceau, ni sa fille, à en croire les rumeurs. Mais ils la retrouveraient forcément, n’est-ce pas … ? Mysa était la plus forte d’entre eux tous et ils n’avaient pas encore trouvé son corps sans vie. Tous les espoirs étaient permis.

Zachary faillit relever les mains pour demander une trêve. L’énergie manquait au jeune homme pour se justifier, alors que certains de ses proches se seraient pourtant plu â dire en souriant qu’il en avait beaucoup trop à revendre en toutes circonstances. Dire qu’il s’attendait à trouver un peu de calme en évitant le château, c’était plutôt mal barré pour le moment, la chance ne lui aurait jamais tant fait défaut décidément.

« Eh bien … Je tenais encore debout, il y a quelques secondes, n’est-ce pas ? »

Tant qu’il était capable de faire de l’humour, c’est qu’il ne devait pas être en si piteux état, en oubliant sa respiration écourtée entre ses dents, mais cela se calmait peu à peu maintenant qu’il n’avait plus à supporter son propre poids en plus de celui de la gravité. Le champion d’Hyrule aurait voulu pouvoir effacer cette ligne d’angoisse qui barrait le front bordé de boucles d’or de leur invitée et s’excuser d’avoir troublé un moment paisible avec son arrivée. Cependant, il était mieux placé que quiconque pour savoir que ce n’était pas si simple.

« Pardonnez-moi. Ce n’était pas dans mes intentions de vous effrayer, ni effrayer mon peuple. »

Inutile de lui rappeler qui il était et pourquoi il aurait dû aller quérir des soins immédiatement, en effet. C’était pour la même raison qu’il s’y était refusé. Si leur prince perdait quelques plumes, c’est la nation toute entière qui tremblerait d’effroi devant les monstres qui étaient à leur porte. La situation était pire qu’ils l’avaient imaginé et son bouclier de lumière ne pouvait pas s’étendre suffisamment afin de protéger tout le monde. Il avait eu un choix à faire, et il ne s’excuserait pas pour son sacrifice.

Zachary portait le poids de son nom et de la bannière des Nohansen depuis le jour de sa naissance, et il lui faisait honneur dans sa façon d’agir chaque jour. Tel était son héritage. Était-ce pourtant suffisant ? Il se le demandait parfois, lui qui ferait sans doute un piètre époux, trop épris de liberté, tête brûlée, avec ses manières néanmoins modestes et mesurées derrière son physique de diamant brut et sa confiance inébranlable, ou tout simplement parce qu’il n’avait pas la couronne à offrir. Il ne ressemblait sans doute pas tout à fait à l’image qu’on pouvait se faire de la famille royale la mieux connue. Le seul trésor qu’il possédait était enfoui au fond de son grand cœur. Dans ce cas, chaque goutte de sang était peut-être bien une pièce d’or qui leur glissait entre les doigts.

« Il faudra attendre de croiser ton père si tu veux recevoir des félicitations, Zachary. »

Discrète et bienveillante, afin de les laisser s’exprimer en toute liberté, bien que suffisamment inquiète pour superviser l’état de son fils du coin de l’œil, Eleanor était revenue avec une petite bassine d’eau chaude et des bandages. Une chose qui pouvait être très puissante entre les mains de tout le Domaine Zora. Le patient adressa une prière silencieuse à Hylia afin qu’il réussisse à les convaincre de renoncer aux points de suture, son sourire pâlissant quelque peu, même si c’était parfaitement puéril. Chacun ses craintes et ses forces.

Il hocha donc la tête à la demande de Nadë. De l’aide, il en avait besoin, bien qu’il ne soit plus un petit garçon accablé par l’ennui et un peu perdu aujourd’hui. Ils ignoraient seulement tous encore à quel point. Il n’accepterait de mettre sa fierté de côté pour de bon et d’admettre la défaite que si ces dames jugeaient toujours que sa blessure était très grave. La dernière fois qu’il avait eu aussi mal, cela semblait remonter à une autre vie, pourtant on ne l’avait pas ménagé pendant son apprentissage de la survie ou encore pour manier une lame. Il avait chuté du haut d’une étagère quand il était gamin en tentant de récupérer un livre sur la faune et la flore de la région, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut. À cette époque, il préférait encore escalader les rayons que demander de l’aide ou un moyen de compenser sa petite taille. Il faut croire que certaines choses ne changent guère au fil du temps.

Zachary commença par défaire le noeud de sa cape. Ses doigts n’étaient pas si maladroits. Pour le reste … Il demeura immobile un instant, hésitant, la paume contre le haut de son torse. Cela allait être toute une épreuve de force de démonter les pièces de métal et de les soulever par-dessus sa tête, cela pesait une tonne, aussi préférait-il retarder encore un peu le moment fatidique. Ce n’est pas qu’il ait à avoir la moindre honte quant à son physique sculpté dans le roc mais… Sur le coup, il se trouvait quelque peu embarrassé par l’idée de devoir se dévêtir de la sorte devant son amie d’enfance. Maudit soit cet arrêt à Portua. Ne dit-on pas que la curiosité est parfois un terrible défaut ?

« Dites-moi la vérité, je vous en prie. Suis-je défiguré au point que personne ne souhaitera plus jamais poser les yeux sur moi ? Le reste ne sera peut-être pas beau à voir non plus… »

Il n’était pas homme à se soucier vraiment de l’opinion des autres, sauf en ce qui concerne sa famille, et pourtant. Il ne souhaitait pas imposer cette vision d’horreur à une douce enfant qui ignorait encore tant de choses sur la laideur qui pouvait se cacher dans le monde des chevaliers. Sa main alla soudain trouver les doigts tendus entre eux de la jolie naïade si soucieuse, se laissant aller à porter une main fine et douce à son visage blessé, comme si cela pouvait suffire à redessiner chacun de ses angles saillants et endurcis par les épreuves. Il ferma les paupières, juste quelques secondes. En cet instant, une caresse agréable valait mieux que tous les baumes du monde, à moins que ce soit cette présence qui lui apportait un peu de réconfort. N’a-t-elle pas été souvent tout près pendant les grands moments de sa vie, ou pour en égayer d’autres, sinon au moins par écrit ? Lady Belyrith le connaissait mieux que personne, à n’en pas douter. Il n’était donc pas mécontent de pouvoir compter sur son soutien, maintenant que l’étonnement était passé.

« Restez. »

Cette œillade partagée était plus limpide que les mots qui lui faisaient défaut. Il ne l’obligeait en rien. Il la laisserait même agir comme bon lui semble. Ce n’était qu’une simple requête. Un murmure du bout des lèvres, un aveu peut-être bien. Comment le rassurer autrement face à ses inquiétudes ? Il aurait pu trouver un meilleur prétexte de ne plus se présenter à toutes ses obligations barbantes à la Cour, tout de même…

Miséricorde. À voir les traits de cette chère Nadë, bien qu’elle ne fasse pas un nouveau commentaire inutile sur l’état lamentable de son ami, la langue du chevalier avait fourché et la plaisanterie s’était perdue entre les lignes de sa maladresse habituelle quand il était question d’exprimer ses sentiments profonds. Zachary se serait bien relevé aussitôt pour lui prouver qu’il allait bien et ne s’était que plié aux souhaits des dames, mais il doutait que cela passe comme de la poudre aux yeux, il était trop tard pour cela maintenant. Le mal était fait. Il avait montré des signes de faiblesse. Dans ce cas, pourquoi ne pas profiter de ces délicates attentions ? Après tout, il n’avait plus vraiment l’habitude que l’on prenne soin de lui, c’était plutôt l’inverse désormais, c’était sa tâche et son devoir de protéger les autres en tant que garde royal. Et ce serait peut-être suffisant pour calmer le petit cœur affolé qui se devinait sous ces longs cils qui battaient à la même allure que des ailes de colibri.

Perdu dans sa contemplation du visage angélique de la courtisane, en se demandant ce qu'il pouvait faire encore pour chasser pour de bon cette mine soucieuse, après avoir réussi à lui arracher enfin un petit rire, il n’avait pas remarqué tout de suite la main de la belle qui était revenue se porter près de son visage, avec un linge humide cette fois. Pas avant que la fameuse question ne lui soit posée. Un petit soupir passa ses lèvres ; il n’y échapperait pas, n'est-ce pas ? Pour certaines choses, Nadë pouvait se montrer aussi déterminée que lui. Voilà qui serait tout de même moins agréable que le son des clochettes d'argent qui accompagnaient le sourire de la Zora ou même la douceur de ses paumes fraîches. Enfin. C’était lui qui avait parlé de cicatrice après tout, inquiet par cette possibilité de devoir finir ses vieux jours en nomade solitaire si la vie n'était pas très clémente envers lui dans cette voie qu'il avait choisi de plein gré. C'était la première fois qu'il ramenait des traces visibles de son combat avec lui, mais tout portait à croire que ce ne serait malheureusement pas la dernière.

« Allez-y. » Pourtant, la blonde hésitait encore, soulignant bien qu'elle ne pourrait pas lui épargner quelques souffrances. Cela eut le don de lui faire froncer les sourcils et plisser le nez, si elle essayait de le rassurer, ce n'était pas très réussi, mais bon, elle avait sans doute besoin de voir ses craintes apaisées à son tour. « Je suis prêt. Je vous assure. Vous ne risquez pas d’envenimer la plaie, alors finissons-en. »

Bien sûr, cela n’empêcha pas le Nohansen de serrer des dents ou de retenir son souffle au fond de sa gorge lorsque la douleur venait se loger trop profondément sous sa peau. C'était un mal nécessaire. Était-il vraiment possible pour la dame de l’eau de le soigner davantage ? Dans son souvenir, Nadë n’avait pas les talents d’une guérisseuse comme certains membres de la famille suzeraine. L’eau brillait cependant, le laissant supposer que cela apaiserait la brûlure à tout le moins.

« Je vous fais confiance. »

Aussi vague l'un que l'autre. Oui, s’il le fallait … Il était prêt à remettre sa vie entre les mains de son amie aux écailles serties de perles. Il lui adressa un nouveau petit sourire : il savait qu’il pouvait compter sur elle, en toutes choses, envers et contre tout. Il était même plutôt impressionné. Lui-même n'aurait pas su par quoi commencer pour se soigner avec ce qui lui tombait sous la main. Qui sait, peut-être que cette rencontre d'infortune pousserait la jeune fille à s'intéresser de plus près à de maigres remèdes qu'elle pouvait prodiguer, au moins avec les ressources de leur nature abondante ?

« J'aurais préféré que nos retrouvailles se passent autrement. Ce n'est pas Lanelle mais ... Je crois que vous auriez aimé la proximité de l'océan, vous aussi, dans d'autres circonstances. » Zachary essayait de penser à autre chose en lançant une conversation qui se voulait légère de cette manière, en lui contant quelques bons moments de son périple. Le pire restait encore à venir. Il lui avait annoncé son départ, il avait même encore son petit baluchon défait dans ses affaires, touché par sa sollicitude et sa facilité déconcertante à trouver des petits fruits secs qui lui feraient plaisir. Connaissait-elle Portua ? Était-elle déjà allé plus loin encore, avant qu'il ne revienne en début d'année ? Décidément, il était toujours aussi curieux. Les lèvres pincées, le prince ailé essayait surtout de ne pas songer à la possibilité que les rôles soient inversés et que ce soit son corps sans vie à elle qui se retrouve au bord de la route, un jour prochain. Après tout, même lui n'était pas capable de sauver tout le monde. Cette image continuait donc à le hanter, peu importe tous ses efforts pour se concentrer sur leur conversation. La grande main puissante du soldat alla se resserrer étroitement sur celle de son amie, l'interrompant sans doute, prenant garde à ne pas lui faire mal, toutefois. « Promettez-moi d'être prudente si vous devez quitter la Citadelle. Ne répétez pas mon erreur. Je ... » Je ne supporterais pas de vous perdre. Les mots se coincèrent dans sa gorge, sous le poids de l’émotion. Il se sentirait réellement perdu si Hylia décidait d’arracher trop tôt la lumière qui brillait dans ces lacs sombres mais paisibles. « Vous êtes ... très importante, vous savez. » Importante à ses yeux ou en tant qu'ambassadrice ? Il se tut avant d'en dire plus, baissant le regard pour saisir le bout de tissu et éponger quelques gouttes de sueur sur son front, même s'il devait la laisser en proie au doute, la libérant par le fait même et lui retirant sa chaleur aussi brusquement qu’il pouvait la donner. Ce n'était pourtant pas de la fièvre qui le faisait parler autant, simplement cette piqûre de rappel que la vie était fragile. Ce n'était pas vraiment un secret de toute façon quant au fait qu'elle avait une place de choix dans son cœur et ses pensées, parfois les gestes sont plus forts que les mots, après tout. Un lien très fort semblait les unir depuis toujours. Zachary ne comptait plus le nombre de fois où il l'avait sortie du pétrin, et inversément, ou encore juste leurs moments tendres et tacites, à l’abri des regards et des langues importunes.

Il était grand temps d'enlever sa cuirasse à présent, car cela lui prendrait du temps. Et pas seulement au sens littéraire...

La pique était bien méritée, cela n’empêcha pas Zachary de souffler un peu, faussement vexé. Il ne cherchait pas toujours les ennuis, ils avaient juste tendance à lui tomber dessus. Et puis c’était du passé tout cela ! Depuis qu’il avait rejoint la Garde Blanche, il s’était tenu à carreau. Autant que faire se peut. Hum. Néanmoins, le beau prince était assez intelligent pour savoir lire entre les lignes de la plaisanterie. Il suffisait de voir ces yeux brillants de toute façon pour comprendre que les paroles de son amie étaient on ne peut plus sincères.

« Je ferai de mon mieux. »

L’Hylien était un homme d’honneur. Il préférait donc ne pas faire une promesse dont l’issue ne reposait pas entièrement entre ses mains. Il était un soldat avant tout et se devait d’obéir à ses supérieurs, en plus de souhaiter venir en aide à ceux qui ne partageaient pas sa force, physique ou caractérielle. Mais, plus important encore, il en allait de la sécurité de sa cousine. Nadë le connaissait assez pour savoir que la famille était sans doute la chose la plus sacrée à ses yeux, à l’exception de sa dévotion pour la déesse. Toutefois, ses amis n’étaient pas loin derrière et il était heureux de constater que, si l’on pouvait compter sur lui, l’inverse était vrai également, au moins dans le cas présent.

« Vous pouvez commencer par défaire tous les lacets. »

La tête légèrement penchée en arrière, Zachary acceptait l’aide de sa Dame de Lanelle pour le moment en lui indiquant quoi faire. Un halo de lumière semblait ainsi encadrer son visage avec ses longs cheveux en bataille. Pourtant, cette lumière aurait pu disparaître en un claquement de doigts, et pas seulement à l’issue des combats. Il avait poussé sur ses derniers retranchements en matière de magie divine contre ses adversaires et cela expliquait sa fatigue. Probablement.

La chaleur d’un bon lit et d’un repas devrait encore attendre. Pièce par pièce, le jeune apollon blond avait retiré les morceaux de sa prison d’acier. À part le dos, il ne s’en sortait pas trop mal et puis Eleanor avait choisi  ce moment pour revenir leur prêter main forte avec un sourire encourageant, demandant plutôt à l’ambassadrice d’aller préparer une nouvelle tasse de thé fumant maintenant qu’elle avait terminé sa tâche, à défaut de trouver une autre boisson chaude qui redonnerait quelques couleurs à cette joue nettoyée du sang versé. Inutile de prendre le risque d’abîmer ses mains élégantes, et elle était clairement hors de son élément, contrairement à une femme de soldat. Les deux Nohansen échangèrent un regard qui voulait tout dire une fois seuls, le blessé secouant la tête. Visiblement, aujourd’hui, tout le monde avait décidé de se liguer contre lui. Pour son propre bien. Tout de même, Zachary était reconnaissant qu’une série de suivantes ne soient pas venues à la suite de la maîtresse de la maison.

Maintenant que ses mouvements n’étaient plus entravés par quoi que ce soit, déboutonner sa chemise blanche ne posa aucune difficulté. La cotte de maille était salement abîmée, il lui faudrait repasser chez l’armurier dans quelques jours pour la faire réparer ou s’en procurer une nouvelle. Zachary leva les bras sans faire trop de chichis afin de la laisser glisser par dessus sa tête. En dessous, la peau était sensible et les lèvres pincées d’Eleanor laissaient supposer que cette contusion ne lui plaisait pas. Pendant qu’elle s’occupait de retirer les dernières plaques des jambières – se pencher aurait été atrocement pénible – le regard du prince capta un mouvement en périphérie de son champ de vision.

« Alors ? De quoi ai-je l’air ? » Voilà qui pouvait porter à confusion, s’il se fiait au regard que Nadë portait sur son torse dévoilé. « La plaie. » précisa-t-il tandis que son sourire moqueur s’étirait un peu plus, un rire menaçant de secouer ses abdominaux. Remettrait-il en question sa franchise ? Allons, il n’oserait pas. Le chevalier n’était visiblement pas le seul à ne pas savoir tout à fait comment agir dans cette situation, alors il faisait de son mieux pour la mettre à l’aise en faisant le pitre, cela l’aiderait lui-même tout autant. Il n’était pas le seul à subir des taquineries par le passé, après tout, et cette familiarité était apaisante. Il n’y avait pas besoin de le ménager. Au besoin, il n’était pas trop tard pour le traîner de force chez un guérisseur qui saurait mieux panser le tout ou du moins envoyer quelqu’un à une adresse en toute hâte, à dos d’étalon, ce serait une affaire vite réglée. Mais il lui avait fait une demande qui flottait encore en écho dans le silence … Restez.

Était-ce le soulagement ou la déception qui lui serrait la poitrine en constatant que cette deuxième blessure n’avait pas besoin d’être soignée ? Autant dire que celui qui avait pour réputation d’être inaccessible n’aurait pas laissé n’importe qui poser les mains sur lui de cette façon. Cela aurait alors été à son tour de frémir, pas de douleur, cependant, mais d’un poison tout aussi dangereux. Cette faiblesse en présence de la blonde était désarmante. Pourtant, il ne parvenait pas à se résoudre à refuser sa gentillesse et à rétablir ses limites. Loin des yeux, loin du cœur ? Rien n’était moins sûr.

Pensif, Zachary allait porter la tasse encore chaude à ses lèvres lorsqu’une question l’interrompit dans son mouvement, mal à l’aise, ses prunelles fixées sur le liquide ambré. La question était légitime. À son retour à la citadelle, le chevalier n’était pas aussi amoché, pourtant il en avait vu du paysage, après trois années d’absence. Bien des choses avaient changé depuis que le ciel avait pris cette teinte rouge. Dire que ce n’était même pas sa décision de partir, mais que pouvait-il refuser au sang de son sang ?

« Vous allez vous moquer. » soupira-t-il en secouant la tête.

Ce n’était franchement pas son meilleur moment. Le protecteur de la princesse était loin d’être aussi parfait que la petite sirène pouvait le croire. Faute d’en parler de lui-même, mais il n’avait pas vraiment le choix devant le fait accompli. Zachary choisit donc d’affronter ce regard insondable afin de lui raconter ses dernières péripéties.

Avant cela … Une chose était évidente, la demoiselle avait encore les joues roses et évitait de le regarder directement. Il reprit donc sa chemise, passant les bras dans les manches sans la moindre grimace d’inconfort cette fois, prenant son temps. Son patient ne la referma cependant pas complètement, pas encore, en attendant la glace qu’on lui avait promis. Avec de la chance, il restait peut-être même un peu d’onguent dans le fond d’une armoire, mais ils sauraient s’en passer dans le cas contraire.

« Des marchands m’ont offert le gîte et le couvert pour le chemin du retour en échange de ma protection. Mon visage a tendance à être reconnu, et puis cette armure au blason décoré ne trompe personne. » Il la gratifia d’un petit rire, avant de reprendre son sérieux. « Nous avons été encerclés par les monstres de la région. Je me suis assuré de tenir parole plutôt que d’utiliser mes dons pour me protéger moi-même, et comme vous pouvez le constater, j’en ai payé le prix. J’ai eu de la chance. Quelqu’un de moins entraîné ou avec un mauvais équipement n’aurait pas fait long feu, tout seul. Je suis … l’unique responsable. »

Ce n’était pas de la vantardise. Ce n’était que les faits. Il n’osait pas penser à ce qui se passerait si des enfants s’aventuraient au-delà des barrières de chaque village, ou s’ils manquaient de forces armées à envoyer en renfort.

« J’aimerais tant pouvoir en faire plus. »

Mais voilà, il était coincé ici, inquiet pour sa cousine également et soumis à la volonté de son suzerain, son oncle qu’il aimait tant. Ses mains se crispèrent de frustration contre la tasse en porcelaine, risquant de la briser entre ses doigts alors que les muscles de ses épaules tresssillaient. Il n’était pas seulement question de cette mésaventure. Il avait eu la chance de connaître une ère dorée de paix et désormais qu’elle leur était arrachée, il se demandait s’ils la récupèreraient un jour, avant que le beau royaume qui l’avait vu donner le jour ne soit jeté à feu et à sang. Il ne savait pas même soulager la Zora de ses tracas personnels, au contraire il ne faisait qu’en ajouter, alors qu’elle avait tant fait pour lui. À quoi servaient alors son titre et ses belles promesses ? Le prince lança la tasse contre le mur, amer, en colère, impuissant, désolé. Il ne méritait pas ces remèdes tandis que les moins bien lotis trouvaient le trépas et qu’ils n’avaient même pas tous suffisamment pour manger à leur faim.

Évidemment, ce n’est que trop tard que Zachary réalisa à quel point il s’était emporté, ses gestes reflétant parfaitement son état d’esprit chaotique. Un nouveau regret à ajouter à la liste. Il vaudrait mieux présenter ses excuses, en commençant par la Zora assise devant lui, puis tous ceux qui auraient pu avoir eu vent de l’incident. Il ne faisait que cela aujourd’hui décidément. Ce n’était pas un comportement digne d’un chevalier, encore moins digne de lui, Hylia le pardonne. Et puis, il devait s’assurer de ne pas lui avoir fait peur.

Cependant, Nadë le devança, la chaleur de cette main contre la sienne permettant au jeune homme de calmer cette agitation qui aurait pu aggraver ses blessures s’il n’était pas prudent. Par force de douceur, la naïade était parvenue à faire desserrer le poing à son ami. Ses sages paroles apaisaient les battements erratiques du cœur de la bête enragée. Le tutoiement soudain l’avait surpris, de sa part, mais cela faisait écho à d’autres précieux moments partagés. Pourtant, au début, la noble dame était beaucoup plus timide en sa présence. Le petit prince turbulent avait peut-être eu une mauvaise influence sur elle dans ce cas, mais pouvait-on dire que c’était vraiment une mauvaise chose en voyant à quel point elle s’était épanouie pour devenir une femme admirable et exceptionnelle au grand cœur ? Ils en avaient fait du chemin tous les deux.

Les encouragements provenaient du fond du cœur, cela était évident à sa voix claire, mais … Il n’était pas seulement question des marchands, et Nadë devait s’en douter un peu. Sa gentillesse et son innocence ne signifiaient pas qu’elle était idiote. Bien au contraire, elle savait comment déployer les pétales d’un cœur meurtri. Le problème, c’était que Zachary était coincé entre l’enclume et l’écorce : son désir de servir son royaume et son dédain pour la politique. Il ne croyait pas que cela le rattraperait ainsi un jour. S’il faut croire que l’apprentissage est une affaire de toute une vie pour celui qui tend l’oreille…

« Tu es trop bonne envers moi. Chère Nadë. »

Dans sa position au niveau des genoux de la Zora, il aurait suffi de quelques mouvements lents et délicats  pour se pencher vers la main blanche qui recouvrait la sienne et lui témoigner une fois de plus l’affection et la dévotion de celui qui se faisait son champion dès qu’elle osait appeler, que ce soit avec un sourire dans la voix ou une ombre de tristesse. Seulement, ce serait contraire aux convenances. Ce n’était pas sa place, il n’était qu’un pieux chevalier, pas son époux ni même son fiancé. D’où lui provenait donc cette impulsion saugrenue ? Était-il sous le charme ou avait-il pris un trop gros coup sur la tête malgré son heaume ? Cela ne se saurait. Alors, il détourna le regard en pinçant légèrement les lèvres à son tour et consentit enfin à récupérer une tasse au hasard pour boire quelques petites gorgées, lentement afin d’éviter de se brûler ou de crachoter le reste du thé. Oh, il était savoureux, là n’était pas la question, mais la douleur restait tapie sous la peau. Il ne manquait qu’un cookie aux noisettes à tremper pour que cet encas soit parfait.

« Si la proposition tient toujours, j’aimerais essayer de me relever un peu. »

Il se sentait maladroit, sur sa chaise trop basse pour sa carrure, et peu habitué à se faire servir. Ou plutôt, il n’en avait plus l’habitude. S’il était franc, il aurait préféré aller dormir quelques heures afin que ses muscles endoloris le fassent moins souffrir et pour méditer sur ce qui troublait son âme en toute conscience, mais il voulait profiter de la présence de Nadë autant que c’était possible. Qui sait ce que demain leur réservait…

Le rire cristallin proche de ses oreilles l’arrêta momentanément tandis que le prince s’apprêtait à tester son équilibre, épaulé de son amie. Littéralement. Au moins, sa respiration n’était plus aussi entrecoupée alors c’était plutôt encourageant, bien qu’il soit à présent incertain qu’une grimace ou une moue ne revienne pas chagriner son noble visage avant la fin de la journée ou que la chaleur de l’embarras ne pointe le bout de son nez si les choses continuaient ainsi, un pli menaçant déjà de se former sur son front revêche. Venait-il de se couvrir de ridicule en avouant qu’il était dérobé de sa force habituelle ? Voilà qui ne ressemblait guère à la Zora qu’il connaissait.

La lady le rassura bien assez vite, ainsi donc elle ne cherchait pas à se moquer. C’était plutôt un souvenir qui la faisait rire. Si le seul indice auquel il avait droit était un anniversaire, Zachary allait avoir du mal à replacer l’événement, après tout, il en défilait tellement dans une année, autant au château qu’à la citadelle. Quoique… Il était plutôt rare que Zachary ait besoin de soutien à ce point et encore moins qu’il affiche cela publiquement. En se creusant les méninges, il y avait bien un événement en particulier qui lui revenait en mémoire, car au cours des bals, il était de coutume de ne pas refuser la coupe tendue alors que le but était justement de festoyer. Et puisque, à une certaine époque, il n’aimait pas trop danser, il devait avouer qu’il préférait le buffet aux conversations qui ne tournaient souvent autour que d’un seul sujet pour les racailles aux habits pressés. Malgré tout, il n’avait pas bu suffisamment de vin pour qu’il ne lui en reste aucun souvenir. Certains auraient peut-être préféré que ce soit le cas, après avoir eu à subir ses applaudissements plus que tonitruants pour la première valse entamée par l’invité d’honneur.

« Comment pourrais-je oublier cette soirée ? J’ai fait un bien piètre cavalier en te marchant un peu sur les pieds. Ceci dit, je crois que tu t’es bien vengée. »

Il porta la main à son cœur, faussement blessé, avant de pouffer de rire à son tour en secouant la tête devant leur cas désespéré. Tant qu’il n’y mettait pas trop d’entrain, ce n’était pas douloureux. Ils étaient tous les deux restés plutôt discrets sur ces faux pas avant de quitter la salle et de s’esclaffer de plus belle sans retenue, mais le jeune homme s’était toujours demandé si d’autres convives avaient remarqué leur petit numéro. L’anniversaire en question n’était pas celui d’un proche cependant, il n’y avait rien à leur reprocher, si ce n’est par d’interminables cours de danse et de maintien.

Eh bien, que d’enthousiasme pour ses premiers pas ! Le sourire amusé toujours accroché aux lèvres, sa chemise de nouveau boutonnée pour dissimuler la peau violacée à d’éventuels curieux, Zachary s’efforça de quitter le tabouret, ne pouvant s’empêcher de prendre appui contre le bras et la taille de la demoiselle. Il s’étonnait encore maintenant de constater que son amie d’enfance ne ployait pas le coude ni le genou si facilement, pour les causes qui lui tenaient le plus à cœur, semblerait-il. Le garde rapproché de la princesse n’aurait probablement pas besoin d’une béquille, dans son cas. Après quelques secondes à l’observer battre des cils, il entama son premier pas avec la confiance qui était sienne.

C’était sans compter les obstacles du salon et le sort qui s’acharnait contre lui. Pourquoi avait-il fallu qu’ils parlent de ces pas ratés ? Le karma venait de rattraper Zachary qui avait habituellement une chance insolente, ou plutôt, une habileté qui semblait parfois à toute épreuve. Il trébucha. Un malheur n’attendant pas l’autre, il n’avait pas vraiment réfléchi en se cramponnant de toute ses forces à la présence salvatrice. De toute évidence, Nadë ne pouvait pas soutenir leur poids combiné et comme une brindille qui se fendit, ils se retrouvèrent bien vite tous les deux à perdre complètement leur équilibre.

« Décidément, je dois m’être levé de mauvais pied ce matin. Je ne t’ai pas fait de mal ? »

Pour sa part, comment dire que quelque chose, ou plutôt quelqu’un, avait amorti sa chute, une bonne chose puisqu’il en aurait fallu peu pour lui couper le souffle et couper court à leur après-midi. Ils avaient évité la table basse au moins, tout comme le vase en marbre au coin de la pièce. Voilà qui n’était pas très galant. Heureusement, avec elle, un sourire charmeur suffisait souvent à se faire pardonner. Ses pitreries avaient le don de la faire rire, alors il ne put retenir un petit commentaire en soufflant tout l’air dans ses poumons, et tant pis si cela lui enlevait le peu de dignité qu’il lui restait.

« J’ai toujours détesté ce tapis. »

Zachary resta quelques secondes ainsi penché sur le visage de la courtisane, une mèche suspendue entre eux, observant le moindre signe de douleur sans réaliser que cela la mettrait peut-être mal à l’aise. Sa robe ne portait quant à elle aucun signe de déchirure. Il lui tendit finalement la main, légèrement penaud, afin de l’aider à se relever à son tour au besoin, prêt pour une promenade plus tranquille afin de laisser tout cela derrière eux. Il faudrait aussi vérifier que son cheval ne soit pas en train de manger toutes les plus belles fleurs de ce jardin, d’ailleurs, sinon il faudrait prendre garde au courroux d’Eleanor. Un petit sourire vint tout de même naître sur son visage pour en adoucir les traits à une pensée plus agréable : l’une d’entre elles était en sécurité à son bras. Il était tout de même plus prudent de prendre la poudre d’escampette avant que toute la maison ne leur tombe dessus.

« As-tu fait quelques  progrès sur selle pendant mon absence ? » demanda-t-il dans la même veine tandis qu’ils passaient la porte, invitation ouverte à plaisanter sur le fait que cette créature était sans aucune doute moins obstinée que lui et donc de meilleure compagnie, en décidant de rester sur le tutoiement à moins que la naïade ne lui fasse signe que cela la mettait mal à l’aise, chose à laquelle on s’habitue assez vite en tant que jeune seigneur en devenir.

À ce propos, il se mit à chercher son propre familier du regard. C’était une tentative comme une autre de changer de sujet. Le grand homme pouvait ainsi profiter pendant quelques secondes de la chaleur du soleil sur son visage qui suffisait à lui redonner de l’énergie. Il y avait plusieurs bancs non loin de la roseraie où ils pourraient s’asseoir pour rattraper le temps perdu sans pour autant l’épuiser en faisant le tour du domaine. À moins de devoir aller récupérer le chenapan pour le ramener à l’ordre, même si aucun d’entre eux n’était garçon d’écurie ou vêtu pour l’occasion. Franchement, Nadë allait en avoir plein les bras. À charge de défense, elle devait commencer à en avoir l’habitude. En présence du prince ailé, on ne pouvait que s’attendre à l’inattendu. Sinon, il fallait le lui dire s’il abusait.

Un hochement de tête accompagna les mots calmes de Nadë, signe que son ami écoutait attentivement. Il devait sembler bien silencieux tout à coup, par rapport à son habitude d’avoir toujours le mot pour rire, mais une douce chaleur avait envahie son cœur devant le sourire rêveur de la Zora tandis qu’elle parlait du vieux frison qui semblait, lui aussi, se laisser attendrir par la volonté de la dame au cœur bon, afin de changer et de devenir meilleur. Zachary n’aurait pas voulu l’interrompre. Il en aurait été tout simplement incapable sans rougir et détourner le regard à son tour. La proposition était cependant tentante. Il avait toujours aimé les chevaux après tout, elle n’était certainement pas sans l’ignorer, et il lui tardait de constater par lui-même les progrès de Perle qui ne se laissait pratiquement approcher que par le jeune prince et sa patience, auparavant. Sans doute parce qu’il avait passé trop de temps à rêvasser aux écuries, quand il cherchait à fuir quelques instants ses responsabilités. Parfait, il ne l’était pas.

« C’est un rendez-vous. »

Le double sens ne lui échappait pas. Un autre jour, il se serait excusé de la taquiner de la sorte, encore, en pouffant de rire devant les expressions si tranches de la blonde. Si cette chère Nadë n’avait pas détourné la tête de cette façon, elle aurait pu voir qu’il n’avait pas de sourire mutin à lui offrir, cette fois. Il n’avait que sa sincérité et le baryton assuré de sa voix, donnant son accord pour la rencontrer au petit jour dans la clairière. Libre à elle d’interpréter ses mots de la manière qui lui plaisait. Cependant, puisque le Nohansen se faisait un point d’honneur à respecter ses promesses, elle pouvait se rassurer au moins sur ce point, il ne raterait pas cette promenade matinale, pour rien au monde. Il tenait trop à la jeune femme et à leur amitié pour la peiner sur ce point, en effet. Bien qu’ils semblent voués à souffrir sur d’autres points, tandis que la liberté échappait peu à peu à leurs doigts fins, et forts, s’ils ne faisaient rien pour reprendre leur destin en main. La solution à une de leur inquiétude partagée envers l'avenir se trouvait pourtant sous leurs yeux mais encore fallait-il oser faire le premier pas. Au péril de leur amitié, c'était impensable. Pour le moment, il ne pouvait que rester égal à lui-même.

« Mais que ferais-tu pour m’empêcher de partir si c’était le cas ? »

Chassez le naturel et il revient aussitôt au galop. En voilà le parfait exemple, tandis que sa voix prenait un ton plus léger et moqueur, tout son visage animé par sa joie de vivre. La curiosité était pourtant parfois un vilain défaut. Ce n’était certes pas au combat que son amie d’enfance pourrait le vaincre. La course promise lui laisserait une chance d’imposer ses conditions, peut-être bien, mais seulement au prix d’une distraction du côté de l’animal ou de son maître, sans quoi rien n'était assuré. Dans ce cas, ne valait-il pas mieux y réfléchir immédiatement, sous peine de mettre ses menaces à exécution ? Qu’est-ce qui l’empêcherait de repartir sitôt remis sur pied, en effet, pour aller célébrer le tournant des saisons après l'anniversaire de sa cousine ? Tout de même, une pointe de culpabilité surgit dans le cœur de l'enfant-soleil à l'idée d'ajouter un petit poids sur les épaules de la naïade. Elle avait déjà suffisamment de quoi lui préoccuper l'esprit, avec par exemple une crainte de devoir tourner la page sur ses nombreux voyages.

« Pour me faire pardonner, j’ai une surprise. Je l’avais presque oublié ... » Ses longs doigts plongèrent dans la poche avant de sa chemise, avant d’en ressortir le petit pendentif, triomphants. Zachary prit l’initiative de l’attacher autour du cou de la Zora avant de la laisser l’admirer un peu. Sur le coup, il était plus incertain, se mordant les lèvres, il aurait probablement dû choisir le grenat à la place de cet écrin en argent, ou bien elle aurait sans doute préféré un coquillage et quelques trésors marins qu’une gravure pareille, mais cela ne l’empêchait pas de croire que le bijou lui avait porté chance, ou plutôt Nadë et sa présence dans ses pensées, une raison de plus de continuer à se battre pour rentrer au bercail en un seul morceau. Ou presque. « Il te plaît ? » Si jamais ce n’était pas le cas … Saisissant une fleur au gré du vent, il la tendit vers elle, cela lui suffisait pour reprendre confiance et sourire. Il se demandait si elle se souvenait de la dernière fois où ils s’étaient échangés des fleurs, même s’il ne la glissa pas dans ses cheveux d’une grande douceur. Ils n’étaient alors que deux enfants innocents. D’un certain point de vue, les choses avaient peu changé, et pourtant. Tout était différent. Qu’ils s’en rendent compte ou non n’avait aucune importance.

Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Les sentiments en font partie, et cela est encore plus vrai lorsqu’il est question d’un jeune prince qui doit penser au bien du royaume avant le sien en toutes circonstances. Dans ce cas, qu’est-ce qui l’avait poussé à écouter son cœur pour une fois ? Était-ce ses années d’apprentissage loin du château qui lui avaient donné cet élan d’égoïsme ou la fatigue de son dernier combat ? Peut-être était-il simplement flatté de l’affection que lui portait la noble Zora, depuis toujours, lui semblait-il. Quelle folie. Quelle cruelle et doucereuse folie.

Zachary était ravi que son cadeau plaise à son amie d’enfance. Néanmoins, son sourire s’effaça aussitôt que les mots suivants passèrent les lèvres rosées. L’ombre qui s’était déposée sur les traits timides de la demoiselle s’étendît jusqu’au cœur de son très cher chevalier, un rire sans joie menaçant de lui échapper, tandis qu’il se détournait. Il n’aurait pas dû ? En effet, il avait sans doute tort de croire que sa position lui permettait de se laisser tenter par la convoitise, ou pour agir librement, par simple gentillesse, sans qu’on ne cherche à en analyser les moindres faits et gestes. Il retira sa main vivement, comme si ce simple toucher l’avait brûlé. Il n’en était rien, évidemment. Il n’y a que la vérité qui blesse.

« Je n’ai rien fait de mal. »

En quel honneur n’avait-il plus le droit d’offrir un cadeau à une amie, une amie de longue date qui plus est ? Alors, oui, il était légèrement sur la défensive. Il la défiait presque de le contredire. Ce n’était pas étonnant que quelques questions ou taquineries lui soient adressées, ils étaient très proches après tout, mais ce n’était pas supposé provenir de la principale intéressée. Zachary avait juste voulu lui offrir un objet discret qui lui ferait penser à lui de temps en temps, malgré la distance qui les séparait parfois. Évidemment, c’était le nœud du problème, mais elle n’était pas obligée d’accepter ce cadeau. Il ne s’était jamais accordé de privilèges particuliers à cause de ce sang qui coulait dans ses veines, bien qu’on continue à lui témoigner beaucoup de respect et de déférence pour cette même raison, et certainement pas avec l’ambassadrice.

Il aurait pu jouer la carte de la désinvolture pour prétendre qu'il n'était pas embarrassé, et un peu vexé aussi, pour être honnête. Après tout, il suffisait de revendre le bijou au marché ou de le donner, puisque suggérer que la provenance et la valeur véritable de ce présent demeurent un secret ne ferait que troubler davantage la fille des mers. On peut dire que ce n'était pas du tout la réaction à laquelle il s'attendait. Les remerciements habituels s'étaient envolés en fumée. Craignait-elle donc que cela lui fasse ombrage afin de trouver ce bonheur qui lui manquait depuis qu'elle avait perdu la trace de son frère ? Au contraire, cela ne ferait que briller un peu plus sa beauté, attirant le soleil vers son cou délicat, pour venir se perdre dans ses cheveux que le prince venait d'effleurer. Loin de lui l'idée d'utiliser son pouvoir dans ce but précis ... L'idée de devoir se tenir à l'écart à l'avenir lui plaisait encore moins, néanmoins devant les frissons de Nadë, et ses yeux remplis de doute, il ne pouvait que constater que ses attentions n'étaient pas les bienvenues. Il ne devrait pas la taquiner ou la tourmenter autant. Il ne voulait pas la faire pleurer.

« Je préfère quand tu souris. »

Il se gratta l'arrière de la nuque, en se demandant s'il était vraiment avisé de faire preuve d'un peu plus de franchise, bien que cette simplicité qui le caractérisait dans leurs échanges la rassurerait peut-être, sinon il devrait faire distraction avec l’aide de son familier qui allait commencer à se demander pourquoi il n’avait droit à aucune attention, même si ce n’était que pour se faire gratter entre les oreilles. Néanmoins, une grimace inopinée et un léger grognement les interrompit tous les deux. Cette fois, la souffrance ne provenait pas de l'amertume de la voir quitter ses côtés, un jour, pour partir loin de tout, mais bien de sa plaie. Dommage qu'il ne puisse pas esquisser un haussement d'épaules coupable, au risque de se fêler une côte pour de bon sans l’avis médical. Qui venait de sous-entendre qu'il en faisait parfois trop ? S'agiter de la sorte n'était pas bon pour son état, et le stress non plus. De toute façon, pour cette conversation, il n'était pas sûr d'en avoir jamais la force.