Heatstroke ― Midona Vajanská

C’était terrible. Cette chaleur. Quelle idée de s’être approchée du Mont du Péril pour rejoindre la Cité d’Ordinn. Quelle stupidité d’avoir décidé de prendre de la hauteur. Quelle chaleur. Sa peau allait se décrocher de ses os et elle allait se mettre à cuire comme un agneau rôti, il ne lui manquait plus que la broche. Tout son corps suintait de sueur et elle sentait bien qu’elle peinait de plus en plus à retrouver son souffle. Ses poumons brulaient à chacune de ses respirations, comme s’ils allaient s’enflammer à tout moment. Elle n’aurait pas été étonnée d’avoir été en mesure de cracher du feu quand elle soufflait. Ses pas lourds et accablés l’avaient trainé jusqu’à l’entrée béante d’une mine. Déshydratée et brulée, elle s’était écroulée près de l’entrée et avait senti sa conscience faiblir jusqu’à ce qu’elle tombe dans le néant.

Avant que cela n’arrive, de nombreuses pensées lui étaient passées par l’esprit. La principale : Est-ce qu’elle allait mourir ? Cela n’avait pas l’air d’être si douloureux de partir. Elle avait le sentiment de s’endormir peu à peu, et la sensation de chaleur faisait désormais partie de son être. Elle était le feu et la flamme vivait dans ses entrailles. Que deviendrait son peuple s’il ne la voyait jamais revenir ? Comment pourraient-ils jamais se douter qu’elle serait crevée dans le pays des Gorons, dans sa quête de recherche de fragment ? Ils auraient au moins pu dire d’elle qu’elle s’était tuée à la tâche.

Le néant accompagna ce trait d’humour.

Quand ses paupières papillonnèrent à nouveau, ils se posèrent sur le visage à la peau sombre d’une imposante dame. Des mineurs, désemparés et inquiets, essayaient de lui donner un peu d’eau mais la jeune reine avait bien du mal à se redresser tant son corps tout entier la lancinait. Est-ce qu’elle avait pris feu ? Quand elle tendit un bras pour prendre une coupe qu’on lui tendait, elle eut l’impression que ses vêtements sombres étaient collés à sa peau, probablement due à la sueur. Elle ne pouvait cependant pas se déshabiller ou n’importe qui pourrait constater les écailles à certains endroits de sa peau, et les marques si caractéristiques que les Twilis portaient sur leurs corps, bleues cyan étaient les siennes. Elle entendit cette même dame vociférer quelque chose aux hommes qui tentaient de lui donner secours. Ses lèvres s’entrouvrirent pour répondre à la dame, mais sa voix se mua dans sa gorge et elle se ravisa. C’était trop fatiguant de parler. Et puis, une boule de feu ne parlait pas.

Le néant, à nouveau, l’embrasa.

Ses paupières s’ouvrirent à nouveau mais elle était désormais dans un lit de plumes et au-dessus d’elle se trouvait un plafond. Bien que ses neurones soient assez peu connectés après qu’elle se fut grillée la cervelle avec la chaleur, elle parvint à réaliser qu’elle devait être à l’intérieur d’une maison. Elle n’était plus une flamme mais de nouveau une Twili qui avait cependant très chaud. Même à l’intérieur, la température de la chambre était élevée. Mais pourquoi n’avait-elle pas poursuivi sa quête du côté de la région de Lanelle ou de Firone ? Quelle idée de se rendre dans la région la plus chaude alors qu’elle vivait dans des températures modérées voire froide à Metzli. La réalité c’est qu’elle ne s’était pas imaginée qu’il puisse faire si chaud. En levant une main sur son visage, elle remarqua brusquement qu’elle n’avait plus ses vêtements sur elle. C’est à ce moment uniquement qu’elle prit conscience que la dame à la peau noire était auprès d’elle, soufflant un vent très agréable contre sa peau nue et moite. Elle hoqueta de surprise et eut un vif mouvement de recul, couvrant sa peau.

« — Que… » Cela lui demanda un certain effort, de reprendre la parole après avoir eu les poumons enflammés puis desséchés. « Qui êtes-vous ? » Midona passa sa langue sur ses lèvres. Elles étaient craquelées par la chaleur qu’elle avait dû supporter. Et elle avait effroyablement soif.

Sa sauveuse lui tendit une coupe que Midona prit aussitôt entre ses mains tremblantes, les portant à ses lèvres craquelées. L’eau, aussi tiède soit-elle, envahissait sa bouche, coulant le long de son menton et sur sa gorge, fut reçue telle une bénédiction. Elle avala le contenu de la coupe d’une seule traite, soulagée de pouvoir remplir son estomac et ses veines de l’eau de vie. Elle ne chercha pas à essuyer l’eau qui avait coulé sur sa peau en buvant, et à la place, rendit simplement la coupe à la dame qui continuait de lui parler. Bien qu’elle eût l’air bienveillante et généreuse, cette dame parlait beaucoup et la migraine qui enserrait la tête de la jeune reine n’allait pas être soulagée par le discours logorrhéique de sa compagne du jour. Elle écoutait néanmoins ce qu’elle lui disait en la regardant d’un air quelque peu hagard, se demandant toujours ce qu’elle faisait là.

« — Je… » Elle s’apprêtait à accepter poliment une coupelle de fruits, car la perspective de se gaver de fruits juteux lui donna l’eau à la bouche. Mais elle n’en eut pas le temps que déjà sa compagne s’éloignait d’elle et vociférait à un dénommé Rochel de lui ramener tout cela à travers la porte de la chambre. Quand elle revint vers elle, Midona lui adressa un hochement de tête. « Merci, ce sera volontiers. » Dit-elle alors qu’elle n’avait pas eu tant de choix en la matière.

La Twili prit le foulard et s’entortilla dedans. Sa longue chevelure rousse qu’elle avait pris soin d’attacher, retombait désormais sur ses épaules et jusque sur sa poitrine. Elle avait dû perdre l’élastique qui les avait tenus sur sa nuque. Elle les attrapa et les entortilla soigneusement pour en faire un chignon naturel qui retombait sur ses épaules. Elle aurait moins chaud comme ça. Pendant ce temps, sa sauveuse continuait de parler. Elle avait une voix douce compte tenu de sa prestance, et était-ce le fait qu’elle l’ait tirée des flammes des enfers, mais Midona lui trouvait un air rassurant. Elle se présenta finalement et lui donna un détail important : elle était dans son manoir. Zarina Hema. Ce nom ne lui disait rien. Elle ne se souvenait pas non plus l’avoir déjà vu.

« — Merci, Dame Hema. » Répondit-elle d’une voix lasse. « Je suis… » Elle marqua un temps de pause. Qui était-elle ? Une Vajanska avec une couronne inanimée ? Ou une dame au destin commun ? « …Reconnaissante envers vous de m’avoir tirée de cette fournaise qu’est votre montagne. » Se résigna-t-elle à dire, en prenant la liberté de ne pas se présenter tout de suite.

Ses idées étaient encore floues et la chaleur planait toujours dans la pièce et sur sa peau. Ce n’était rien en comparaison à la fournaise dans laquelle elle avait baigné quelques temps plus tôt. Ce Lord Koda, elle ne le connaissait pas mais elle ne tenait pas vraiment à faire sa connaissance. Il fallait qu’elle reste discrète sur ses desseins. Cela n’amènerait rien de bon de venir en parler à tout le monde comme s’il s’agissait d’un savoir commun. Aussi, elle secoua doucement la tête pour signifier son refus de rencontrer cet homme. Mais peut-être pourrait-elle obtenir des informations de cette Zarina.

« — C’est aimable de votre part mais ce ne sera pas nécessaire. » Son interlocutrice réitéra son souhait d’aider au mieux la jeune femme. À cela, Midona échappa un léger sourire. « Je me sens mieux. Merci. » À sa question, elle secoua à nouveau la tête. « Je suis seule. C’est la première fois que je viens en région d’Ordinn et j’ai été prise au dépourvue par la chaleur qui y règne. Sans votre aide… » Elle se souvenait vaguement d’autres hommes essayant de l’abreuver et de la porter. « …J’aurai probablement fini aussi desséchée que mon arrière-grand-mère au fond de sa tombe. » Elle haussa les épaules. « Comment faites-vous pour supporter cette chaleur ? » La questionna-t-elle, curieuse.

Un bruit léger de vaisselle et de bois se fit entendre derrière la porte, signe de son festin de jus et de fraicheur à venir. Son dernier repas datait de quelques temps, elle avait pris l’habitude de grignoter plus que de réellement manger, trop absorbée par ses recherches, trop angoissée pour avaler plus qu’une assiette. Dès qu’elle avait envie de manger un peu plus, des nausées lui prenaient et elle n’arrivait pas toujours à garder ce qu’elle avait dans l’estomac, si bien que son corps s’était considérablement amaigri. Elle n’avait pas tout à fait récupéré tout le poids qu’elle avait perdu lors de son coma non plus, si bien que son visage avait un peu changé. Il était un peu plus émacié et ses yeux étaient cernés par la fatigue et le manque de protéines. Ce n’était pas avec les fruits qu’elle aurait ces dernières, mais cela lui remplirait le ventre de vitamines, ce qui l’aiderait probablement à retrouver son énergie.

Sa sauveuse se dirigea jusqu’à la porte pour récupérer le plateau tandis qu’elle parlait d’une voix guillerette en évoque sa race. Une femme goron. Bien sûr, c’était logique vu la corpulence de Zarina. Et elle savait que les gorons peuplaient la région d’Ordinn car ils étaient faits pour supporter la chaleur du Mont du Péril. Elle en avait croisé quelques fois, mais jamais d’aussi près, d’où sa surprise et sa curiosité. Zarina poursuivit, expliquant que son corps était fait d’écailles pour supporter la chaleur, et qu’ils descendaient de la pierre. La jeune reine avait peine à y croire. Était-ce possible de devenir un être humain en partant d’une chose inanimée ? Elle ne cacha pas sa surprise quant aux paroles de son hôte.

« — Cela doit être bien pratique. » Répondit-elle avec un léger sourire. « Avez-vous déjà fait l’ascension jusqu’au Mont du Péril ? » Questionna-t-elle alors que la question lui venait naturellement, toujours par curiosité.

Midona se redressa un peu quand le plateau fut posé à ses côtés. Elle baissa les yeux sur les melons coupés lamelles, qui y trônaient. Alors que sa compagne reprenait à nouveau la parole et lui demandait s’il y avait des volcans chez elle, la jeune reine manqua un battement de cœur quand celle-ci évoqua Metzli. Elle ne le montra pas, son visage resta impassible tandis qu’elle tendait sa main pour attraper une lamelle qu’elle porta à sa bouche. Si Zarina évoquait Metzli, c’est qu’elle s’était rendue compte qu’elle était Twili et qu’elle devait donc connaitre un minimum les particularités de son peuple. À vrai dire, les tatouages sur son corps laissait peu de places au doute, elle ne pouvait pas cacher sa race. Quant à son identité, se pouvait-elle qu’elle l’eût devinée ?

« — Il y a bien la région de Labrynna, mais ce ne sont que des montagnes et du vent à vous pétrifier les os. Il ne fait pas chaud à Metzli comme ici. » Expliqua-t-elle en retour. « La région est belle cependant, et pleine de légendes. » Le Royaume de Metzli en était fourni, de légendes en tout genre, souvent liées à la mort, aux damnés d’antan. Ordinn possédait-elle des légendes aussi ? Des histoires qui pourraient la diriger vers une piste ? Même pas un petit os à ronger ? « Êtes-vous sensible au froid ? » Questionna-t-elle subitement, armée de curiosité. Elle mordit goulument dans le melon tiède puis fit descendre le tout avec une lampée de café.

Elle acquiesça quand Zarina lui expliqua l’alchimie et l’existence d’ingrédient pour supporter la chaleur. Effectivement, Midona avait croisé sur son chemin de petites échoppes où les vendeurs l’avaient hélé pour lui vendre ce genre de potions. Mais la jeune reine ne s’en était pas approchée. Elle ne s’était pas imaginée que la chaleur puisse être si déroutante, et elle avait également craint d’être reconnue par le regard trop curieux d’un marchand itinérant.

« — Vous m’avez appelé ‘votre majesté’… » Prit-elle soudainement conscience.

La jeune reine darda ses prunelles bleues sur la figure de son hôte. Elle l’avait reconnue et elle venait de se vendre sans en prendre conscience. Bien sûr, elle aurait pu faire mine de rien et démentir son identité, mais elle passerait forcément davantage pour une imbécile. Ce serait ridicule. Elle aurait également pu s’emporter, vociférer et s’extirper du manoir avant que Zarina ait eu le temps de réagir, mais à quoi bon ? Cela ne servait à rien de se débattre quand la bête était acculée. Midona avala ce qui lui restait en bouche et se redressa un peu, jetant un coup d’œil autour d’elle pour s’assurer que ses affaires n’étaient pas loin. Avait-elle des raisons de se méfier de cette femme ? Oui, elle en avait toujours. La méfiance était un trait naturel chez un Twili. Vigilance constante.

« — J’imagine que je vous ai donc déjà croisée. » Souffla-t-elle finalement après un temps de silence pendant lequel elle n’avait cessé de la regarder, figée. « Où était-ce ? » Son ton s’était quelque peu raffermi. Elle reprenait peu à peu ses esprits, aidée par les fruits, le café, et la prise de conscience du dévoilement de son identité. « Qui d’autres ? » Qui d’autres la connaissaient ici ?

Son hôte tenta de la rassurer rapidement tandis que tout cela tournait dans sa boite crânienne. Plus elle essayait de se faire discrète et moins elle semblait réellement l’être. Était-elle une si piètre espionne ? En tant que Reine, elle avait l’habitude qu’on lui rapporte directement les informations plutôt que d’être à la recherche de celles-ci par elle-même. C’était une autre façon de vivre qui lui aurait probablement plu si elle n’avait pas été contrainte. Si Midona s’était roidie, elle ne pouvait pas obliger la femme à l’oublier, autant qu’elle ne pouvait oublier qu’elle l’avait sorti d’un pétrin peu agréable. Si elle ne l’avait pas aidé, elle aurait pu être reconnue par des ouvriers, ou par des passants. C’était un risque. Elle n’en était pas sûre mais elle ne serait pas étonnée que des Twilis peu attentionnés souhaitent se débarrasser de leur Reine et mettre un nouveau régent sur le trône d’Ombre. Rien de plus facile que de la laisser rôtir, laissant passer cela pour un accident.

Elle avala sa salive quand Zarina évoqua la fête du millénaire. Le traumatisme vécu brulait encore dans son âme et dans sa chair. Elle avait parfois encore l’impression de ressentir le métal froid du trident dans sa poitrine, planté profondément dans sa carcasse tandis qu’elle perdait connaissance. Des flashs lui revenaient de temps à autre, des sensations et des odeurs qui s’imposaient à son cerveau comme si elle revivait à nouveau la scène. Elle devait alors à nouveau se recentrer sur le moment présent pour passer à autre chose. Parfois encore, elle se questionnait la stupidité de son geste, son excès de bravoure qui l’avait précipité dans les limbes.

« — Je vois. » Répondit-elle simplement, son corps sembla se détendre d’un seul mouvement. « Je ne me souviens pas de vous. » À dire vrai, elle ne se souvenait surtout de la violence du combat, de la douleur, et du goût du sang dans la bouche. Et aussi de la lumière s’échappant de sa couronne, vide désormais.

Zarina lui promit qu’elle prendrait garde à conserver son anonymat et, bien que Midona puisse difficilement faire confiance à une personne qu’elle ne connaissait que depuis une heure environ, l’intention n’en fut pas moins louable. Elle hocha doucement la tête et prit une lampée de café avant de se lécher les lèvres. Son hôte la questionna alors et Midona lui adressa un regard interrogateur. Une interrogation concernant son besoin de savoir couplée à l’interrogation sur les informations qu’elle pourrait lui donner. Midona se pensait assez bonne pour savoir si une personne se jouait d’elle mais elle commençait à fortement en douter. Si bien qu’à mesure que les lunes passaient, et plus elle devenait méfiante. Parfois, elle avait même la sensation de développer des idées paranoïaques tant elle était certaine qu’on lui en voulait. Mais peut-être était-ce normal après ce qu’elle avait vécu.

« — Je me rendais vers le village de Cocorico pour rencontrer les Sheikas. » Elle marqua une pause, soupira. « Depuis l’affrontement, il s’est passé quelque chose que je ne saurai pas expliquer. Je dois retrouver un fragment d’ombre, c’est ce qui octroie le pouvoir à la couronne d’Ombre, la couronne du régent du Royaume de Metzli. » Elle en disait beaucoup, trop, et elle sentait sa gorge se serrer à mesure que les mots sortaient de sa bouche. « Des légendes content qu’il en existe plusieurs mais je cherche des informations précises pour mettre la main sur l’un. Après seulement je pourrais retourner chez moi. » Elle secoua doucement la tête. Parler de cela lui avait creusé douloureusement le ventre. « Je ne sais pas si Lord Koda pourra m’aider mais j’aimerais que cela ne s’ébruite pas. » Les murs avaient des oreilles. Mais si elle refusait de faire confiance à quiconque, elle n’avancerait jamais dans sa quête.

Peut-être était-elle sotte de lui avoir tout dit de la sorte. Et si cette femme l’avait-elle aidée pour rentrer dans ses bonnes grâces ? À moins qu’elle ne puisse prévenir des personnes qui lui voulaient du mal, maintenant qu’elle était chez elle ? Un éclat d’inquiétude traversa les prunelles de la jeune reine. Rester une nuit ici ? Dans un manoir qu’elle ne connaissait guère, auprès des personnes dont elle ne percevait pas les desseins ? Alors qu’elle venait de parler du fragment d’ombre à la dame goronne et qu’elle venait de se mettre un peu à nue devant elle. Midona prit une grande goulée d’air, essayant de ne pas montrer l’angoisse qui étreignait ses muscles et étouffait les battements de son cœur, tant qu’ils en devenaient douloureux. Elle ne devait jamais montrer ses faiblesses, c’était ce que sa mère lui avait toujours enseignée : « Jamais, ô grand jamais, tu ne montreras à autrui une faiblesse. Sache que s’ils sentent une quelconque faiblesse, ils en feront leur arme. Une héritière ne montre pas d’émotions, n’oublie pas. » Lui répétait-elle souvent quand la petite fille se montrait émotive ou colérique.

« — J’imagine que ce serait plus sage de faire comme vous dites. » Car elle ne dormait jamais vraiment sur ses deux oreilles, même sur un oreiller en plumes ou bien devrait-elle dire, encore plus sur un oreiller en plumes.

Elle pouvait aisément discerner, dans les prunelles de son interlocutrice, qu’elle se questionnait sur la logique de cette histoire de fragment d’Ombre. Midona ne pouvait pas lui en vouloir, c’était un véritable choc des coutumes entre les deux femmes. L’une vivait dans les ténèbres alors que l’autre vivait au creux d’un cratère fumant. Si la reine crépusculaire trouvait cela bien étonnant que Zarina ne connaisse pas l’existence du joyau célèbre pour donner son pouvoir à sa couronne, cette dernière devait la trouver bien stupide de ne pas savoir qu’elle finirait ébouillanter dans un volcan.

« — Je vous remercie pour votre aide. » Répondit-elle doucement, son cœur avait repris un rythme régulier, lui sembla-t-elle. « Je connais assez peu de choses sur vous, sur les Gorons je veux dire, mais j’ai cru comprendre que les gemmes, pierres précieuses ou autres cailloux que l’on trouve dans les montagnes, sont votre spécialité. » Midona réfléchit un moment mais ne semblait pas croire qu’un Goron puisse l’aider dans sa quête. « Un fragment d’Ombre ressemble à une petite gemme d’un noir profond. Si vous deviez en trouver un, vous auriez l’impression de tenir la nuit dans le creux de votre paume. » C’était la sensation qu’elle avait eu en posant la première fois ses prunelles sur le fragment de sa courrone. « D’après l’histoire de mon royaume, il y en aurait trois restants dans le monde. » Jadis, quatre.

Midona se rappela qu’elle était peu vêtue et elle balaya donc la pièce du regard, à la recherche de sa besace qui contenait sa précieuse couronne éteinte. L’angoisse remonta brusquement quand elle ne la vit pas tout de suite. La localisant enfin au pied du lit, Midona se redressa pour l’attraper et fourrager à l’intérieur. Elle en sortit la précieuse relique dont le fragment d’ombre luisait d’un éclat froid et si terne. Elle posa un regard fébrile sur son joyau, le joyau de tout un peuple, et s’abima dans ses pensées en silence.

Si Midona voyait l’hospitalité de son hôte, tant de bienveillance lui semblait surtout trop louche pour être véritable. Il était impensable qu’on puisse se comporter de la sorte avec elle sans avoir une idée derrière la tête, sans avoir préparé un coup monté dans son dos pour lui faire du mal. Au-delà du fait que la méfiance était culturelle chez les Twilis, elle était encore plus présente face au peuple d’Hyrule. À vrai dire, si la Reine s’était comportée comme le Twili lambda, elle n'aurait jamais quitté son Royaume et encore moins cherchée à adresser la parole au peuple de lumière car celui-ci était considéré comme fourbe et accusateur. Mais Midona avait dans l’idée de se détacher de ce stéréotype depuis que le voile s’était levé. Même si la curiosité l’animait, le naturel revenait toujours rapidement au galop.

La gentillesse et la bienveillance de son hôte, cependant, ne semblaient pas être surjouées. Son visage au trait doux posait sur elle des prunelles inquiètes, presque désolés. Midona ne voulait surtout pas qu’on s’apitoie sur son sort, mais elle discernait bien dans le regard de la Goronne qu’il n’était pas question de cela. Son interlocutrice poursuivit, évoquant les onyx quand elle lui décrivit le fragment d’ombre. Ce n’était pas ce que Midona cherchait, elle n’était pas à la recherche d’un vulgaire caillou. Et alors que la Reine Crépusculaire tenait entre ses doigts sa chère couronne, elle vit le comportement de son hôte changer. Elle avait soudain l’air de ne plus savoir où se mettre, d’être embarrassée. La rousse leva sur Zarina un regard interrogateur, l’invitant à s’expliquer, ce qu’elle fit.

Elle avait déjà vu un fragment d’ombre. Le sang de Midona ne fit qu’un tour, elle se redressa brusquement, sa poigne vissée sur son bien.

« — Pardon ?! » S’exclama-t-elle d’un même mouvement.

Elle semblait incertaine mais pouvait-elle réellement se tromper alors que son travail consistait à faire fourrager ses hommes dans les mines ? Elle devait s’y connaitre en cailloux. Ce nouvel espoir insufflait de la vie dans la poitrine de la jeune femme. Ses prunelles bleues se ravivèrent et son cœur battait à tout rompre sous sa cage thoracique. Il était hors de question qu’elle la laisse changer de sujet alors qu’elle semblait toucher du doigt son but. Elle avait soudain l’impression d’être si proche.

« — Que… ? » Elle avala bruyamment sa salive. « Vous connaissez bien les mines, je ne crois pas que vous ayez pu vous tromper. » Elle était désormais très proche de Zarina. « Je le vois dans vos yeux. » Murmura-t-elle en la scrutant intensément.

Il y avait, dans le regard de la Baronne, un éclat d’effroi. Seuls les fragments d’ombres pouvaient provoquer un tel sentiment chez un être. La folie guettait quiconque oserait poser les mains sur la pierre. De nombreux individus avaient tentés de s’en emparer et l’histoire ne s’en souvenait que comme de pauvres âmes terrorisées par la puissance de l’obsidienne.

« — Qu’en avez-vous fait ? Se peut-il qu’il soit toujours dans la Montagne ? » Une possibilité lui traversa l’esprit, horrifiée. « L’auriez-vous vendue ?! » Éructa-t-elle douloureusement.

Midona tenait toujours dans le creux de sa main, sa chère couronne dont les gravures lui rentraient dans la peau, tant sa poigne était ferme autour du bijou.

« — Ces Sheikas… C’est eux qui l’ont récupéré ? » La questionna-t-elle.

Elle ne l’avait pas vendu. C’était à la fois un soulagement et une très mauvaise nouvelle. Si elle avait vendu le fragment, Midona aurait pu rendre visite à l’acheteur, le harceler jusqu’à ce qu’il lui dise ce qu’il aurait fait de la pierre, et peut-être aurait-il été plus aisé de retrouver son précieux de cette manière. À la place de ce petit espoir, elle apprenait que le tunnel avait simplement été condamné et que la pierre était restée enfouie profondément dans le Mont du Péril.

La Reine s’imagina un instant recruter des Gorons pour aller à la recherche du fragment, ou même creuser à mains nues, car elle devait absolument mettre ses mains sur la pierre. C’était une idée stupide, elle le savait. Mais elle ne pouvait s’imaginer qu’elle puisse être si proche de son but, et que celui-ci soit tout à la fois si inatteignable. La rousse fit la moue, avachit un peu ses épaules sous le coup de la déception et de la perte momentanément d’espoir. Cela aurait été trop facile. Midona n’était pas croyante mais elle avait parfois le sentiment qu’une entité toute puissante s’amusait de ses déboires.

Son interlocutrice était mal à l’aise, elle cherchait ses mots et son regard lui semblait fuyant. Pourtant, elle eut l’impression qu’elle lui disait la vérité. La Reine la scruta intensément puis hocha doucement la tête. Que pouvait-elle faire dans de telles circonstances ? Zarina n’y était pour rien et elle ne méritait pas d’être le réceptacle de sa frustration et de sa colère.

« — Merci. »

Midona se redressa finalement et chercha du regard ses vêtements. Elle n’était pas en grande forme, l’insolation lui avait tapé sur le cerveau, mais elle devait avancer. Sa prochaine étape serait le village Sheikas.

« — Au moins maintenant je suis certaine qu’il faut que je rejoigne le Village Cocorico pour rencontrer les Sheikas. Si vous voulez bien m’indiquer le chemin à prendre afin que je ne me perde pas. Et si je peux abuser de votre hospitalité, je prendrais de quoi survivre dans votre pays de braise : Une potion peut-être, pour éviter que je ne finisse en feu à nouveau. » Demanda-t-elle d’une voix plus calme.

Elle lui adressa un fin sourire. En dépit de la frustration, elle était reconnaissante pour ces informations.

« — Si vous tombiez à nouveau sur cette pierre, ou s’il vous venait à l’idée de creuser à nouveau pour la ramasser, j’exige de le savoir dans les plus brefs délais. Les fragments d’Ombres font partie de l’histoire de Metzli, ils n’ont rien à faire en Hyrule. » Elle était plus rigide cette fois-ci, ce n’était pas une demande mais bien un ordre. Il était hors de question qu’une autre personne que la Reine de Metzli soit en possession d’un fragment d’Ombre.

« — Encore merci, Dame Hema, pour votre hospitalité et votre aide. »

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