Par Jabu, qu’avait-elle fait pour mériter cela ?
Les dents serrées, Rebecca maudissait le monde entier. Elle avait mal, terriblement mal. Cette enflure était parvenue à lui planter une épée en plein flanc, ratant ses organes vitaux de peu. Un peu plus à droite, et il plantait sa colonne vertébrale. Un centimètre de trop et c’était la mort assurée, ou au moins une paralysie digne des pires tortures. Elle aurait été à la merci de ses adversaires, là, comme ça, sur le pont du navire.
Jamais elle n’aurait pu… et pourtant… à un centimètre près…

Y penser la rendait anxieuse – et bien vite, colérique. Elle détestait ressentir de l’angoisse. C’était une forme de faiblesse ; une pression interne, puissante, incontrôlable ; qu’elle ne supportait pas. Elle préférait la remplacer par une frustration palpable et gueulante, bien digne d’elle.

Toujours vivante pourtant, Rebecca était obligée de laisser cette infirmière panser ses blessures. Elle avait horreur de laisser quelqu’un la toucher de la sorte, mais soit ! La pirate était capable de comprendre quand elle n’avait pas le choix.
Chose faite, boudeuse, la sueur au front et la fatigue au corps, elle fixa le plafond jusqu’à l’arrivée de Zucco. Une bouteille à la main, il la lui tendit, supposant que cela lui ferait plaisir. Luttant contre la douleur, Rebecca se posa sur son coude, de sorte à suffisamment se redresser pour attraper la bouteille et avaler de grosses gorgées directement – de quoi engourdir le mal.

« Tsch… C’qui me ferait du bien… Ce s’rait d’égorger ta gourgandine de cousine ! » Venimeuse, elle lui rendit sa bouteille juste alors qu’il rétorquait qu’elle devrait rester en convalescence pendant un moment. Elle siffla entre ses dents, agacée. « Je sais ! Et j’m’en fou. » Au moins comme ça, c’était clair. « Tu penses vraiment que j’vais juste rester couchée comme ça pendant des jours ? Tu parles. »
Une plainte la quitta, juste alors qu’elle se retrouvait obligée à se poser sur le dos, une main sur sa blessure encore vive. Outre le tissu qui cachait sa poitrine, il n’y avait rien de plus qu’un épais bandage qui entourait son ventre, un rouge écarlate bien vif sur la droite symbolisant l’emplacement de la blessure.
L’arrière de sa tête creusa l’oreiller tandis qu’elle levait les yeux vers le ciel, exaspérée de sa piètre situation.

« Je. Te. Jure. » Fit-elle entre ses dents. « Si j’mets la main… sur n’importe quel clampin de Verona… J’donne pas cher de sa misérable peau. »

Inutile de dire que Rebecca était particulièrement aigrie et frustrée de devoir rester immobile. Zucco avait raison ; elle ne pourrait pas aller bien loin comme ça, qu’elle le veuille ou non ! N’importe qui lui aurait apporté cette nouvelle (cette réalité en fait) et se serait fait cracher à la figure. Pas métaphoriquement, hein. Elle aurait littéralement craché sur la personne en face d’elle. Mais comme c’était Zucco, il avait de la chance. Elle garda sa salive.
Elle se contenta de tirer la gueule en roulant les yeux vers le ciel, agacée mais résignée.

Comme pour lui remonter le moral, son capitaine lui donna au moins une bonne nouvelle, voire deux. Le roi des piafs était mort. Il avait été tué, peu importe comment, malheureusement pas par une de leur lame, sinon Zucco l’aurait certainement mentionné.
Mais qui plus était ! Il avait propagé la vérité ; que Verona était mêlée à tout ça. Beck haussa les sourcils, non pas étonnée mais ravie d’entendre que son imbécile de cousine allait certainement en subir lourdement les conséquences. Elle étira un sourire satisfait.

« Tant mieux. Qu’cette gredin tombe de haut, ça lui fera pas de mal de goûter l’sol. » Néanmoins, n’en déplaise à Zucco, elle avait bel et bien l’intention de se venger sitôt l’opportunité présente. Quiconque avait bossé sur le bateau de Verona goutterait à sa lame. Elle n’aurait aucune pitié pour ces rats de bas étage. Ils retourneraient en fond de cale ! Coûte que coûte, vivant ou pas.

Maintenant qu’ils n’étaient qu’eux deux, Rebecca poussa un profond soupir, laissant partir la pression et s’abandonnant à la situation. Jamais elle ne verserait une larme, mais son impuissance la frustrait à un plus haut point ! Elle se sentait inutile, et surtout inapte à cogner qui ou quoi que ce soit. Si quelqu’un décidait de les attaquer maintenant, elle ne pourrait rien y faire. Cette idée la torturait.
« Aide-moi. » Devant le regard interloqué de son mari (oui rappelons-le, ils étaient mariés), elle claqua de la langue avec agacement. « T’as vu ma gueule ? J’suis à sueur et à sang, aide-moi un peu. » Elle tendit le bras pour qu’il l’aide à se redresser. D’un mouvement du menton, elle avait indiqué un seau avec un linge. Rien de compliqué ; juste l’aider à se débarbouiller un peu de tout ça. Elle était soignée, mais même si, en tant que bon pirate, la sueur et le sang faisaient partit de son tumultueux quotidien, il valait mieux nettoyer un peu pour éviter d’éventuelles infections…

« Par contre j’te jure que si tu racontes ça à quelqu’un, je te la coupe. » Siffla-t-elle, désormais assise sur le bord du lit, le regard piquant. Oh, la fierté ! Il valait mieux ne pas l’abimer.

Oui, oui, la grande Rebecca Aveil demandait de l’aide. Voilà qui surprenait, étonnait, peut-être ! Mais une seule et unique personne pouvait prétendre à ce privilège. Qu’il s’estime heureux et chanceux.
C’était la première fois en vérité que Beck demandait de l’aide à Zucco. Il avait toujours été celui sur lequel elle se posait en cas de besoin, mais jamais elle n’avait eu vraiment le besoin de tendre la main pour attendre qu’il vienne la chercher. Elle était indépendante et se débrouillait toute seule, cependant… A l’heure actuelle, si elle ne voulait pas bêtement crever d’une plaie infectée, elle n’aurait pas le choix que de plier l’échine et accepter que son capitaine l’aide. Têtue peut-être, mais s’il y avait une chose que Rebecca ne voulait pas, c’était mourir.
Oserait-on même prétendre que c’était la seule chose qui lui faisait peur.

Mais ça, personne ne le savait.

Rebecca garda le regard obstinément détourné tandis que Zucco lui essuyait doucement le visage avec le linge, plaisantant qu’elle n’oserait pas la lui couper parce qu’elle l’aimait trop ! Elle roula ses yeux dans leurs orbites, agacée par son humour lourd (même si oui, d’accord, il n’avait pas tort). Elle prenait énormément sur elle, luttant contre l’envie de lui arracher ce bout de tissu mouillé pour l’utiliser elle-même. L’unique raison qui l’empêchait de le faire… c’était qu’elle avait trop mal pour nettoyer ses blessures adéquatement.

Décidément porté par l’émotion, Zucco s’autorisa de lui partager une peur de la perdre, ignorant ce qu’il ferait si elle venait à mourir. Elle était la boussole du Black Wind, mais aussi la sienne.
Beck baissa le regard, moins obstinée à se détourner, et peu à peu, tourna la tête de sorte à le regarder. Elle n’était pas douée en ce qui concernait toutes ces émotions… Son père, un grand navigateur chevronné, avait toujours été très silencieux de ce côté, et sa mère, une véritable pelote émotionnelle, n’avait pas tellement déteint sur Beck.
Cela ne voulait pas dire que la pirate était insensible, cela dit.
La goron leva une main et l’apposa sur sa joue, la laissant glisser, longeant sa barbe, puis esquissa un sourire que l’on devinerait presque comme étant doux. Et c’est sur un ton tout aussi calme et affectueux qu’elle lâcha une réplique bien digne d’elle.
« Arrête donc de chialer… J’suis pas morte. » Non, mais tu aurais pu mourir, qu’elle devinait déjà. Elle le lisait dans ses yeux sombres, dans ses mimiques, dans son souffle. Il avait eu peur pour elle et c’était une notion très… étrangère pour elle, encore. Elle savait que Zucco l’aimait, mais de là à vraiment comprendre l’attachement que l’on éprouvait à l’idée de perdre un tier… C’était encore très étranger pour elle.

Pour autant, cela ne voulait pas dire qu’elle ne craignait pas de le voir mourir. Simplement, Beck réalisait qu’elle avait toujours vu Zucco comme une figure presque invincible. Il avait noyé le Fury et l’avait sauvé des ténèbres aquatiques dans lesquelles elle s’enfonçait volontiers avec son propre navire. Aussi, à ses yeux… pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas…
Ce ne serait pas lui qui mourrait en premier.

« C’est pas un microbe de Verona qui va me tuer. » Dit-elle avec assurance, alors que pourtant, elle avait sacrément mal. Elle faisait la fière, mais le dos vouté, la sueur à la peau, on devinait bien qu’elle en bavait sérieusement. « J’les tuerai tous avant de clampser, tu peux en être sûr. »
Elle détourna le regard pour fixer un point imaginaire sur le sol, un certain feu dans les yeux.
Puis elle ajouta tout bas :
« Et elle aussi, pour ce qu’elle t’a fait. »

Rebecca savait très bien que tuer Verona ne ramènerait certainement pas les ailes de Zucco. Rien ne pourrait ; aucune intervention médicale, magique ou miraculeuse ne pourrait les ramener. C’était une réalité à laquelle Beck devait se confronter chaque fois qu’on lui rappelait que la vengeance n’apportait rien.
Non, mais cela la soulagerait au moins. Savoir que Verona avait souffert et était morte lui apporterait le plus grand bien. Elle n’était pas de ceux qui regretterait de soustraire la vie à quelqu’un… et sûrement pas celle de Verona Narlarys.
Pour autant, quand Zucco essayait de lui faire entendre raison, elle devait toujours lutter entre l’envie de l’envoyer paître ou d’acquiescer. Jamais elle n’avait hoché de la tête cela dit ; elle était trop obstinée pour laisser tomber.

Les mains de son mari – si, si, le mariage était bien effectif, rappelons-le – se posèrent sur sa joue, une main, un linge humide, elle grimaça. Elle détestait quand il se permettait d’enfermer son visage comme ça pour l’obliger à le regarder. Il le faisait souvent (surtout parce que Beck détestait fixer quelqu’un dans les yeux quand il s’agissait d’une conversation à cœur ouvert, par contre, si elle insultait un adversaire, elle le ferait joyeusement et en toute joie et plaisir) et honnêtement ? Elle se retenait de simplement lui mordre lui doigts pour qu’il arrête.
C’était insupportable. Mais elle tenait le coup. Pour lui. Par respect, et amour.

Elle planta son regard dans le sien, s’obstinant à fixer entre ses yeux plutôt que son regard directement, alors qu’il lui rappelait que la vengeance ne ramènerait pas ses ailes. Même s’il avait sûrement raison de supposer que Verona aurait bien assez vite la monnaie de sa pièce, Beck siffla entre ses dents.
« Non, ça ramènera pas tes ailes. Mais si je peux lui arracher ses précieuses nageoires, ce sera que partie remise. » Dit-elle sèchement, laissant entendre sa détermination à lui faire payer le prix. Beck avait un feu dans le cœur et il était absolument impossible de l’éteindre. Même Zucco ne le pouvait pas. Même s’il le lui demandait, même s’il la suppliait… C’était bien là un défaut de Beck ; elle ne lâchait jamais le morceau.

Jamais.

« Les insectes dans son genre méritent de se faire arracher les pattes. Une par une. » Elle scruta son regard, avant de froncer le nez, et de faire un mouvement sec qui libéra sa mâchoire de l’emprise délicate du pirate. La seconde du Black Wind garda obstinément le visage détourné du sien. « C’est ma lame qui va couper sa gorge. Tu pourras rien dire pour m’faire changer d’avis. » Elle n’aimait pas spécialement lui parler de cette manière. Elle savait qu’il avait raison…
Mais sa fierté prenait trop de place. Immuable, et indéfectible.
Même par amour.