Pale eyes full of pain
Haunted by shattered dreams
Crashing down in flames
All around himRobyn ouvrit légèrement les paupières. Son corps était secoué de sueurs froides. Bizarre. Il ne se souvenait pas de la dernière fois où cela lui était arrivé. Il remonta la couverture sur ses épaules sans se concentrer sur ce détail et il se retourna sur son côté gauche pour refermer les yeux loin de la lumière du petit jour. Il tenta de marmonner qu'il voulait encore dormir dix minutes, mais il n'en avait pas la force, un vague grognement étranglé étant la seule chose qu'il parvint à produire du bout des lèvres. Qu'est-ce qui lui était arrivé ? Et où diable étaient passés ses vêtements ?
« Mademoiselle Fallon ! Il a bougé ! »
« Le patron résiste jamais longtemps à l'odeur des noisettes grillées. »
« Faut dire qu'il fait la paire. »
Un léger bruit dans l'air lui fit comprendre que la blague était mal passée. Ça aurait pu lui arracher l'ombre d'un sourire.
« Hé ! »
« Dis pas de conneries Bertie ! »
« Laissez-lui un peu de temps les p'tits gars ... Laissez-le respirer. »
Le silence se fit graduellement autour de lui, réprimandés et chassés à voix basse par son meilleur ami et la jeune fille qui revint rapidement à ses côtés pour lui offrir la fraîcheur de sa main douce contre ses doigts fiévreux et douloureux, sans ajouter un mot, juste pour lui offrir le soutien d'une amie. Ah ... Ça lui revenait maintenant, par bribes, comme dans un rêve, mais ce n'en était pas un, hélas. La vague d'émotions menaça de le submerger à nouveau, et il serra sa main tremblante tout contre celle de la Twili, qui l'aida à se redresser sur le petit canapé de fortune, cherchant à y puiser une goutte de courage avant d'accepter le verre d'eau qui lui était tendu, prenant juste de petites gorgées difficiles à avaler sans le faire toussoter, au début.
Il était encore en train de rire avec ses amis de leur dernière affaire rondement menée quand la nouvelle leur avait été annoncée : Melka était la cible d'une attaque ! Rien n'aurait pu empêcher Robyn de reprendre la route aussitôt en trombe, malgré les protestations de certains. Toute sa vie était là-bas. Il ne savait pas franchement ce qu'il espérait pouvoir faire ou trouver, une fois sur place, mais il ne pouvait pas rester les bras croisés. Il était allé directement chez lui.
Il se souvenait de la chaleur des flammes. Il la sentait presque encore sur sa peau, léchant son bras droit. La fumée lui avait pas mal piqué les yeux, en plus de l'étouffer à moitié, ça devait être pour ça qu'il avait encore un peu de mal à les ouvrir. Il avait essayé de braver l'incendie même si c'était de la folie. Il devait trouver son père ! Fallon avait fini par le rattraper pour l'arrêter et avait secoué la tête avec tristesse. Il le savait, au fond de lui, n'est-ce pas ? Il n'y avait rien à faire pour sauver la ferme. Il était arrivé trop tard.
Il se souvenait vaguement avoir hurlé quelque chose, maudit les dieux de sa mère, alors que le sol semblait se fendre en un gouffre béant à ses pieds, prêt à l'avaler, à l'image de son monde qui s'effondrait tout autour de lui, son équilibre se faisant chancelant. Et Robyn s'était juste écroulé dans ses bras en sanglotant violemment, tandis qu'elle les menait en lieu sûr, tant bien que mal. Loin des clameurs au nom de l'Avatar du Néant. Il devait s'être laissé glisser vers l'inconscience quelque part en chemin ou à leur arrivée à la planque. C'était trop dur à encaisser d'un coup pour un seul petit homme avec un si grand cœur ...
Sa mère. Sa meilleure amie. Son père. Sa maison ... Sa raison. Tout était parti en fumée. Il ne lui restait plus rien. Tous ces gens qu'il connaissait ... morts ... Il avait été odieux dans certains de ses derniers échanges. Il aurait tellement voulu pouvoir s'excuser. Il pressa le dos de sa main contre sa bouche pour s'empêcher de recracher le peu qu'il y avait dans son estomac, reconnaissant envers Fallon qui faisait des petits cercles hésitants contre son dos, puisqu'il était impossible de le consoler avec des mots. Cela ne pouvait pas être réel. Il voulait se réveiller.
« Combien de temps ? » demanda-t-il sans affronter encore son regard.
« Quelques heures. Il est tard en fin de journée. Le pire est passé. »« Le pire est passé ? » répéta-t-il, un rire jaune secouant son torse.
« Robyn ... » commença-t-elle, sûrement pour s'excuser.
« Est-ce que tout cela est en partie ma faute ? À vouloir rêver trop grand, j'ai fini par attirer l'attention vers Melka ... »Sa voix était blanche. De nouvelles larmes menaçaient de couler sur son visage tout aussi blafard. Il n'avait plus l'énergie ni l'envie de les retenir. D'une simple pression de la main, il attira la Twili tout contre lui, même s'il se doutait que ça allait la mettre un peu mal à l'aise, mais il y avait encore la couverture en place et son caleçon, pas de quoi faire tout un drame quoi. Il avait besoin de ça. Besoin d'une étreinte, d'un peu de réconfort, d'un peu de douceur, d'un peu de chaleur, d'un peu de tendresse, d'un peu d'amour. Il murmura :
« Promets-moi que tu retrouveras ma mère, Fallon. Quoi qu'il arrive. Bon sang ... Ça va lui briser le cœur ... Je suis le pire fils au monde. »Son sourire était pâle et éteint. Il tremblotait encore comme une feuille d'ailleurs. Il avait peur. Il était triste. Il était fatigué. Il avait disparu, le voyou arrogant et sans gêne, laissant toute la place à cette autre facette de lui, bien plus fragile. Il posa sa tête dans le creux du cou de la brune, bien au chaud, il se sentait en sécurité, dans ses bras. Il s'en fichait un peu de ce qu'on pourrait penser. Il n'était plus à ça près. Sa respiration semblait s'apaiser lentement, suivant le rythme de celle de la Twili, car il savait alors qu'il n'était pas tout seul.
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Le temps était passé, et la pluie semblait avoir effacé la trace de toute tragédie. Une petite rangée de tombes avait été creusée au village. Il était prévu d'y planter des roseraies lorsque le temps serait plus clément. S'il y avait l'ombre des troupes d'Hyrule à l'horizon, au cours des jours qui suivirent, elles ne furent sûrement pas exactement accueillies à bras ouverts, entre méfiance et colère, tristesse et amertume. Il y aurait du temps plus tard pour se soucier des moyens de nourrir tout le monde. Melka était en deuil et pleurait ses pertes.
Robyn était resté plutôt silencieux, tout ce temps, bien trop silencieux pour un homme qui rayonnait de joie de vivre. Ses réponses étaient courtes et se limitaient souvent à un mot ou deux. Avec une aile hors service, il ne pouvait pas beaucoup aider les efforts de reconstruction, sauf avec un soupçon de magie, restant légèrement en retrait, même si tout le monde savait, au fond, ayant du mal à accepter la compagnie de qui que ce soit, à l'exception de Ronan et de Fallon. Il suffisait de poser des mains sur les siennes lorsqu'il jouait avec le feu, avant que cela n'affecte trop sa santé, pour qu'il accepte de rendre les armes.
À quoi bon continuer de se cacher ?
Robyn avait l'impression de nager dans un épais brouillard. Il pouvait parfois passer des heures, le regard perdu dans le vide, jusqu'à ce que quelqu'un dise son nom ou vienne le trouver, lorsqu'il n'était pas assis tout seul dans son coin avec un agneau sur les genoux, la main presque absente contre son pelage. Personne n'osait vraiment le secouer davantage. Pas même les autres membres de sa famille qui se demandaient sûrement où il était encore passé cette nuit-là, du moins, c'est ce qu'imaginait sans mal le Piaf qui n'aurait jamais dû se trouver dans ce village. Quelques animaux avaient réussi à survivre. La barrière n'avait pas tenu très longtemps contre les cornes d'un groupe de chèvres en panique. Il avait encore un toit sur sa tête, même lorsque c'était juste à l'auberge, et des amis sur qui il pouvait compter, grâce au ciel. Mais cela n'effaçait pas son sentiment d'être complètement perdu. Cela ne lui ressemblait pas. Cela ne pouvait pas durer éternellement. Il devait trouver un moyen de relever la tête et d'avancer. C'était à cela qu'il avait réfléchi, entre autres, tout ce temps, et comment faire amende honorable.
« Fallon ... Je peux te demander quelque chose, s'il te plait ? » Sa petite voix sonnait si timide à ses propres oreilles. Elle lui adressa un sourire espiègle en soulignant qu'il venait justement de le faire, avant de retrouver son sérieux. De quoi avait-il besoin ? Elle ferait tout son possible, si cela pouvait le soulager, un tant soit peu. Le voleur hésita encore quelques secondes avant de se lancer, prenant ses mains entre les siennes, pour s'ancrer dans le moment présent, sans s'attarder ni sur le passé, ni sur le futur.
« Je veux aller à Metzli. J'en peux plus ... J'étouffe ici ... C'est trop récent ... Et je m'en remettrai pas si j'arrive trop tard pour ma mère quand j'arrêterai enfin d'avoir peur des conséquences. J'espère juste que Midona Vajanská tiendra sa promesse. »Il baissa le regard. Les autres allaient lui reprocher de disparaître au moment où on avait le plus besoin de lui. Il ne voulait pas se remettre à pleurer. Mais il ne risquait pas d'être capable de voyager de sitôt par ses propres moyens dans son état, autant physique que mental, alors c'était maintenant ou jamais, avant qu'il change d'avis. Une main soucieuse contre sa joue lui fit relever la tête, et il fit de son mieux pour lui adresser un tout petit sourire, en guise de merci, même si ce n'était pas nécessaire. Ce soir-là, Robyn ferma doucement les paupières, et ce fut la première fois qu'il réussit à dormir un peu, depuis cette nuit terrible, en paix avec lui-même.
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Tout était prêt pour le voyage, même si personne ne l'avait laissé aider dans cette tâche, prétextant qu'il avait encore besoin de repos. Ce qui était vrai. Toutefois, il restait une dernière chose à faire, qu'il était le seul à pouvoir faire, au prix d'un long soupir. Robyn enroula une feuille de papier autour de la patte du pigeon sur laquelle il avait tracé quelques lettres à l'encre de son écriture maladroite : « Salut Jo ... Je ne suis pas mort dans l'incendie ... Je suis désolé qu'il ne reste pas de porte et personne non plus pour t'accueillir comme prévu ... Enfin, j'espère que tu recevras mon message. Je m'accroche à cet espoir fou pour tenir bon. Tu me manques tant ... Je vais voir ma mère. J'en ai besoin. Mais je reviendrai. Promis. » Il aurait voulu pouvoir tout lui raconter, mais ce n'était pas des choses qui se disaient par écrit. De toute façon, les nouvelles devaient s'être rendues jusqu'à la Citadelle, aux oreilles du père de la Goron qui était chère à son cœur, et elles n'étaient pas bonnes. Ses
collègues se vanteraient probablement de leurs exploits bien avant cela. Jodariel était assez intelligente pour comprendre qu'il ne partirait pas pour Metzli à moins qu'il ne lui soit arrivé quelque chose de bien plus grave que perdre les champs. En supposant que sa lettre arrive intacte à destination. Qui sait ? Il reviendrait peut-être avant elle.
« Désolé, RrrouRrrou. Tu ne peux pas me suivre. C'est trop dangereux. Retourne à la Citadelle. Retourne auprès de son père. »Il déposa le pigeon à terre. Celui-ci fit quelques pas avant de revenir aussitôt dans sa direction. Il s'était habitué au piaf.
« Non. Ne rends pas les choses encore plus difficiles. Je t'en supplie. »Ce n'était pas un oiseau très intelligent selon les dires de Jodariel mais pourtant il devait comprendre deux trois choses s'il secouait la tête ou s'il haussait un peu le ton ? Robyn aurait préféré qu'il en soit autrement, lui aussi. C'était tout ce qu'il lui restait de sa meilleure amie, sa complice, son rayon de soleil. Cela lui brisait le cœur, un peu plus, mais c'était nécessaire. Il observa l'oiseau qui prit son envol, serrant légèrement le poing, malgré lui. Qui sait combien de temps cela allait prendre avant qu'il soit capable d'en faire de même. Au moins, ce n'était plus douloureux. Moins douloureux que son cœur brisé.
« Allons-y. »An 1000, Lune 8, Jour 25.