La poussière après la tempête

lune 9 jour 12

Naturellement, Aymeric avait entendu parler du conflit à Bourg-Clocher. L’attaque des Yigas avait été brutale et soudaine. Les citoyens furent nombreux à tomber. S’ils perdirent certains de leurs soldats, ce ne fut qu’une maigre compensation pour le désastre évident ; ils avaient remporté la bataille.
Cirilla avait répété maintes fois à Aymeric de vivre pour lui, lui qui avait passé une bonne partie de sa vie à surveiller les autres, éduquer les autres, espérer pour les autres. Pour autant, lorsqu’il entendit parler de la bataille à Bourg-Clocher, des dégâts, des victimes, il ne put s’empêcher de vouloir se rendre sur place. Il voulait voir les dégâts.

Il devait voir l’héritage de son frère.

Jamais il n’aurait supposé que les Yigas puissent être connectés d’une manière ou d’une autre à Kevan. En réalité, il ne le savait pas encore. Il ne connaissait rien de ces histoires. Pour autant, la coïncidence était trop grande. La mort de Kevan, suivi si rapidement par un assaut sur les territoires d’Hébra par cette bande de… sauvages.
Aymeric n’avait aucune confirmation, mais il ne pouvait s’empêcher de chercher un lien, un indice, une connexion. Cela l’empêcha de dormir pendant de nombreuses nuits. Cette obstination, bien trop légendaire chez lui, le poussa à finalement se rendre sur les lieux, non pas sans quelques protestations de la mort de sa promise.

« Par Valoo… »
La vision qui s’étendait devant lui avait de quoi surprendre— choquer, peut-être. Aymeric n’était pas venu souvent à Bourg-Clocher, mais c’était un petit endroit qu’il aimait visiter de temps à autre. Aujourd’hui, il ne voyait qu’une ombre de détresse, un sombre voile, qui passait sur des rues autrefois animées de marchés, de l’écho du rire des enfants, et de passants qui discutaient. Le visage des citoyens était sombre, voilé d’une peur, d’une inquiétude, du deuil. Aymeric n’existait même pas pour eux : il n’était qu’un voyageur de passage. Ils ne levaient pas la tête. Ils avançaient ; emprisonnés dans leur chagrin et l’inquiétude de demain.

Sans doute que des demeures avaient été pillées ou saccagées, car voilà que des gens longeaient les rues, attendant une pièce ou autre action charitable. Touché par une dame entourée de ses deux enfants, qu’elle protégeait de ses ailes blessées, Aymeric approcha et offrit volontiers une poignée de rubis, loin d’être aussi égocentrique que l’on pourrait imaginer les nobles de son titre.
La pauvre hocha de la tête, serrant prudemment mais sûrement la bourse contre sa poitrine. Aymeric lui adressa un sourire qui se voulait encourageant, mais aucune lumière ne subsistait dans son regard.

Enténébré par l’atmosphère post-chaotique qui régnait, Aymeric se tenait un peu bêtement sur la place centrale de la bourgade, observant le triste décor qui l’entourait. Il voulait tant aider tous ces gens… néanmoins, la vérité était bien là ; quelque soit sa volonté, il ne pourrait pas sauver tout le monde.

BY PHANTASMAGORIA

La poussière après la tempête

lune 9 jour 12

Parmi les nombreuses âmes qui erraient dans ce qu’il restait de Bourg-Clocher, Aymeric s’aperçu d’un garçon – un jeune homme, un adolescent tout au plus – qui semblait être embêté par un sans-abri affamé, certainement. Si Aymeric pouvait comprendre l’insistance de l’homme (la faim rendait parfois réellement fou, et faisait oublier les bonnes manières ou les façons de parler aux autres) il ne pouvait s’empêcher de penser au mal-être du petit.
Surtout lorsqu’il commença à s’en prendre physiquement à lui.

Fronçant les sourcils, le Cantell s’approcha prudemment, entendant l’étranger dire qu’il avait besoin de son sac et qu’il ne pouvait pas le donner. L’homme ne voulait pas forcément le sac en lui-même mais bien ce qu’il contenait. La faim lui avait fait perdre tous ses moyens. Les drames de la guerre.
En dépit d’une évidente empathie, Aymeric ne pouvait pas rester à ne rien faire.

Il s’approcha d’un pas vif. « Hé ! Laissez ce garçon en paix. » L’homme dévisagea Aymeric comme on reluquerait un moins que rien. Il se fichait pas mal de son interruption, mais lorsqu’il prit un instant pour l’observer, il constata la propreté de ses habits ainsi que leur décor. Cela lui rappela la noblesse, et il changea de cible.
« Et toi t’as des rubis le grand ? Je partirai pas sans un sou. »
En toute évidence, songea Aymeric. Il avait une sainte horreur des confrontations. Il soupira, puis extirpa de sa poche quelques rubis d’une teinte rougeoyante qui contrastait grandement avec les environs ternes et poussiéreux. L’inconnu attrapa les pierres comme si sa vie en dépendait et détala dans une ruelle adjacente.

Aymeric ne le quitta pas des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse, avant de s’intéresser au jeune homme à qui il s’en était pris.
« Tout va bien ? » Il avait constaté qu’il lui avait donné quelque chose à manger (il suffisait de voir la vieille barbe hirsute du sans-abri pour constater les miettes de biscuits dévorés à la hâte) et supposa que, peut-être, il n’avait plus rien pour lui. « Cet homme ne t’a pas blessé ? »
Il jeta un coup d’œil prudent aux alentours, au cas où l’individu reviendrait. Il semblait bienheureux avec ses quelques rubis rouges – qui grimpaient à une somme de soixante – aussi ne reviendrait-il pas.

BY PHANTASMAGORIA