Rewrite the Stars | PV Nadë | + 18

Il y avait ce sentiment d’urgence qui battait dans ses veines et lui enserrait le cœur jusque dans ses tripes. Un sentiment qu’il arrivait à peine à identifier sous la fatigue, la fièvre, la douleur, la faim et la soif, mais pourtant bien présent, étouffant, étourdissant.

D’où cela lui provenait-il exactement ? Le prince d’Hyrule essaya de remonter le fil des derniers événements dans sa tête afin de mettre le doigt dessus. La seule chose qui lui revenait à l’esprit était la visite de ce petit homme qui avait mis son monde sens dessus dessous. L’absence prolongée de la chamane des Yigas avait enorgueilli leur invité royal et il commençait à le regretter amèrement, maintenant qu’on l’avait privé de ses dernières forces. Combien de temps son châtiment durerait-il encore ? Avant qu’il ne soit trop tard …

Et cette annonce de mariage … L’esprit de toute la Cour allait être préoccupé par l’événement pendant les prochains jours, les prochaines semaines, ou plus encore … Une autre lune entière allait probablement se passer sans la moindre lueur d’espoir à l’horizon pour lui. Il n’était pas mieux que mort. Cela valait sans doute mieux si tout le monde croyait que c’était bel et bien le cas, au lieu de s’aventurer jusqu’ici pour partager son tombeau. Le cœur de Zachary se décomposa un peu plus à cette sombre pensée. Et le doute venait de s’insinuer en lui pour la première fois, malgré tous ses efforts pour que cela ne se produise pas.

Il n'avait fermé les paupières que quelques secondes. Il n'était pas certain de ce qui l'avait poussé à rouvrir les yeux, d'ailleurs, au lieu de se laisser aller à l'épuisement et au simple néant, dusse-t-on en profiter pour mettre fin à sa misérable existence au lieu de lui redonner les vivres promis. Du moins, il n'avait pas l'impression de s'être assoupi, mais qui saurait se vanter que c’était toujours le cas, même sans les atroces conditions dans lesquelles Zachary se retrouvait ?

Peut-être était-ce une odeur ou juste le sentiment d’être observé. Dans tous les cas, le prince ailé ouvrit un œil qu’il faillit bien refermer aussitôt. Était-ce une hallucination ? Un rêve ? Peu importe. C’était Nadë. Et il ne ressentait plus cette pression douloureuse contre ses poignets, contre tout son corps, qui le maintenait habituellement en place, sauf lorsqu'on venait le tailler en petits morceaux. Il pouvait alors retrouver la douceur de ce visage qu'il reconnaîtrait entre mille, et la fraîcheur digne d’une Princesse de la sérénité cueillie dans sa paume brûlante, si près de la commissure de ses lèvres. Le sien était bien différent, encore tuméfié à certains endroits et sans doute plus rugueux que jamais puisqu’il n’avait pas eu le loisir de se raser depuis longtemps. Pourtant, ce contact suffisait à calmer un tant soit peu son cœur complètement déboussolé qui semblait être sur le point d’exploser. Pour le moment, il voulait juste qu’elle le serre dans ses bras et lui dise que tout irait bien. Le voyage touchait à sa fin. Il retrouverait les plaines verdoyantes qui s’étendaient à l’infini au cœur de son berceau. Pouvait-elle lui faire cette promesse ?

« Est-ce que je suis mort ? » Et oui, Zachary ne trouvait rien de mieux à faire que plaisanter en sa présence, même maintenant. Il tentait de masquer la peur qui le dévorait à la simple pensée qu'il ne lui inspire plus que de la pitié ou du dégoût, si pour une raison complètement folle, c'était bien réel et non pas battit de toutes pièces par son esprit malade, plus affecté par le climat du désert qu'il le croyait. Il fronça finalement un peu les sourcils, contrarié, préférant se concentrer sur autre chose que la part rationnelle de sa conscience. « Mais cela voudrait dire que tu es morte toi aussi. »

Le chevalier dévoué avait cessé de compter le nombre de fois où il avait été forcé de contempler ces images tourner en boucle sous ses yeux impuissants pour le priver de son repos et de sa détermination. Sa plus précieuse amie et sa cousine étaient celles qui étaient le plus souvent offertes aux pires scénarios imaginables dans ses terrifiants cauchemars. Ils n’avaient qu’une chose en commun. Leur visage terminait sans vie, tandis qu’il était enchaîné ici. Les premiers avaient été simples. Un ennemi sans visage leur tranchait la gorge dans un geste précis et rapide, ne laissant derrière qu'un pantin désarticulé offert à la poussière du désert ou aux flammes d’un immense brasier, ce qui n'était pas sans lui rappeler son propre sort aux mains des Yigas.

La chamane était suffisamment rusée pour lire entre les lignes et comprendre qu'il s'agissait de l'un des points faibles de son prisonnier, alors les rêves avaient changé, dans une escalade sans fin, à la poursuite de ce qui le toucherait au plus profond de son âme afin que Zachary s'avoue enfin vaincu devant la puissance de leur déité cruelle et de ses serviteurs. Parfois, cette sorcière poussait le vice jusqu’à lui faire croire qu’elle le libérerait aux derniers instants, pour laisser l’une d’elles se vider de son sang dans les bras de son esclave préféré, alors qu’il n’avait plus que des larmes et des prières inutiles à offrir. Et parfois … parfois il tenait encore le couteau entre des mains tremblantes. Ce serait suffisant pour faire sombrer n’importe qui dans la folie. Alors, peut-être venait-il d’atteindre son point de rupture, en effet, tandis qu'il se tenait lui-même juste au bord du gouffre qui séparait la vie de la mort.

Et le réveil ne serait donc qu’une amère déception de plus, s'il n'y avait personne à ses côtés, ou pire, si ces mèches blondes appartenaient à quelqu'un d'autre, ou encore si elles devenaient aussi sombres que le cœur noirci de sa tortionnaire, tandis que la honte continuait de le poursuivre comme son ombre pour le tuer à petit feu. Après tout, il ne fallait pas laisser le petit prince rebelle entre les mains de n’importe qui. Mais en attendant … En attendant, il espérait pouvoir oublier l’odieuse réalité qui était la sienne, juste quelques instants.

Zachary n’avait jamais aimé être seul, en vérité, même avant la naissance de sa cousine. Malgré les innombrables connaissances qu’on lui avait inculqué pour cette destinée qui aurait pu être la sienne, il restait souvent incertain, mais toujours sincère et à l’écoute des conseils ou de l’affection qu’on voulait bien lui donner, même si ce n’était que de banales politesses, comme il l’avait appris en grandissant. Et au cœur de ce désert où le danger et la mort le guettaient au moindre tournant, il ne s’était jamais senti aussi seul. Alors, chaque fibre de son être avait appelé, inconsciemment, cette lueur d’espoir qui lui faisait défaut, et la Zora avait répondu une fois de plus avec un tendre sourire à ce besoin qu’il avait enfoui au plus profond de lui, qu’il avait presque oublié, celui d’être un égal, libre de tout jugement, tout simplement. Alors que le monde lui tendait les bras, lui, le fils aîné, le fils adoré, il continuait de lui tourner le dos et à être misérable. Le poids de la couronne, il n’en voulait pas. Il ne serait pas ici, dans le cas contraire. Il serait mort sur le champ de bataille avec ses frères et le repos paisible du guerrier lui aurait été accordé, sous la bienveillance de sa déesse bien-aimée, ou bien il serait rentré à la maison pour soigner ses blessures. Il ne serait pas tourmenté à chaque souffle qui soulevait encore son torse presque douloureusement.

Zachary étouffa un hoquet étranglé contre l’épaule qui lui était offerte en trouvant la chaleur des bras de son amie d’enfance. La solitude du désert était effacée par les souvenirs des étés d’antan. Il se sentait à l’abri dans ses bras, dans ce cocon où elle lui promettait que rien ne pouvait plus l’atteindre. Il aurait pu y rester pour l’éternité. Ses mots devenaient sa vérité et il accueillait ses caresses réconfortantes contre sa joue, puis contre son dos, comme si elle pouvait faire disparaître ses vilaines cicatrices d’un simple toucher léger plutôt que raviver leur brûlure, au lieu de la repousser ou de simplement rentrer le menton contre le haut de son torse et de détourner la tête, incapable d’affronter son regard. Son preux chevalier a perdu son honneur depuis longtemps et sa fierté est blessée, elle aussi. Mais il a besoin d’être réconforté, cajolé, consolé, rassuré. Sa respiration se calme doucement sous les efforts enjôleurs de la jolie sirène et le Garde Blanc retrouve un sentiment qu’il avait presque oublié : il est en paix avec lui-même.

Il en irait jusqu’à oublier l’endroit où il se trouve, prêt à lui poser mille et une questions à propos de la vie à la Citadelle. Zachary a toujours été curieux après tout et le signe de son enthousiasme habituel semblait être sur le point de ressurgir sur les traits de son visage, d’abord par son regard brillant, comme les premiers rayons du soleil percent à l’aurore. Un sourire véritable menace de lui fendre les lèvres, cela faisait si longtemps qu’il n’en avait pas eu l’envie ni seulement l’énergie, il se débat quelques secondes avec ces émotions fortes qui le submergent les unes après les autres, mais comment ne pas ressentir ce léger picotement dans ses joues devant l’air bienveillant et contagieux de sa dame ? Et pourtant. Pourtant quelque chose le pousse à rester immobile devant l’intensité du regard de Nadë, aussi silencieuse que lui quand elle se hisse sur la pointe des pieds. Il ferme les yeux quand une main parcourt ses cheveux courts avec tendresse. Est-ce mieux ainsi ? Il ne peut pas laisser la confusion l’envahir pour lui retourner cette question qui lui avait été posée de nombreuses lunes auparavant, alors qu’ils en devinaient pourtant déjà la réponse. Que faisait-elle ?

Ses sentiments … ses désirs … Il les avait gardé précieusement sous clé, tout ce temps, mais voilà que Nadë venait de s’en emparer en même temps que ses lèvres pour ouvrir la porte sur ses pensées les plus secrètes, parfait reflet de ces regrets qu’il nourrissait en son cœur, celui de n’avoir jamais eu la liberté d’aimer une femme de son choix, prisonnier de son devoir et de son nom depuis bien plus longtemps qu’il avait été kidnappé à l’issue du Millénaire de l’Unification, mais ici, il n’était qu’un homme comme les autres, faible et impuissant, esclave de ses besoins les plus simples. Combien de fois avait-il imaginé ce que serait sa vie s’il était possible de changer son passé et son avenir par le fait même, même si c’était blasphème ? N’avait-il pas mérité le droit de saisir un maigre rêve paisible et doux pour lui-même, tout égoïste soit-il, depuis tout ce temps où il étouffait sous les mots qu’il ne pouvait pas dire, tant qu’il demeure une âme qui vive à la Cour et un morceau de paix à négocier ? Depuis quand ressent-il cette rancune ? Ces questions ne lui semblent plus si importantes tandis que brille tant d’amour dans le regard de la Zora, prête à l’accueillir même alors qu’il ne sait pas s’il sera capable de se relever un jour de ses blessures sans que ses mains ne tremblent.

Alors, il ne pouvait que succomber. Et cette fois, ce fut lui qui fit le premier pas, défait de son hésitation habituelle, prêt à se brûler les ailes si cela était péché. Une de ses mains alla se déposer contre son menton avant de se reposer sur sa nuque, glissant avec paresse dans ses cheveux soyeux, l’autre dans le creux du dos, possessif, à la recherche de ce contact offert librement et qu’il ignorait si agréable. Lorsque le manque d’air commença à lui brûler les poumons, il la quitta à regret, posant son front contre le sien, le souffle encore chaud, son index glissant négligemment contre le collier qu’il lui avait offert. Il a oublié toutes ses questions. C’est une autre sorte d’impatience qui l’envahît et le laisse plus perdu que jamais, maladroit, mais si le rire de Nadë l’embarrasse légèrement, il sait que ce n’est pas méchant et il grommelle plus pour la forme ou pour la faire rire à nouveau. Ce son lui a terriblement manqué et éveille un peu plus cette flamme délicate qui vient de se loger dans son cœur, et qui se dessine jusque dans son regard libéré de son chagrin, tandis qu’il noue leurs doigts ensemble, afin de sceller cette promesse, rien ne saura plus les séparer.

Peut-être est-ce à elle de poser une question pour briser cette dernière barrière qu’il s’est imposé trop longtemps, tandis qu’il reste pensif et distrait. Que veut-il ? Pourquoi se retient-il ? Peut-être craint-il tout simplement de regarder la vérité en face, car s’il perd ses derniers repères, Zachary ignore s’il sera capable de se reconnaître par la suite, mais il sera incapable de lui refuser une réponse, ou de démontrer ce qu’il désire ardemment une fois de plus, si seulement elle le guidait et l’encourageait à présent. Il ne lui demande qu‘encore un tout petit peu de patience, une dernière fois. Il saura se faire pardonner. Il y parvenait toujours, n’est-ce pas ?

« Depuis tout ce temps ? » murmure-t-il simplement, presque penaud. Quel idiot il faisait, parfois. En effet il n’y avait rien à craindre.

Depuis toujours. La vérité le heurte de plein fouet, lui réchauffe le cœur et ie fait frissonner dans un seul battement. C’était … étourdissant. L’amour était une chose étrange, complexe, et inconnue pour le prince ailé qui ne pouvait pas se vanter de connaître beaucoup de personnes qui pourraient lui faire ressentir quelque chose d’aussi intense, à la fois fort et doux. Du moins, il a peu souvent l’occasion d’être vraiment lui-même, encombré par les convenances et les murmures de la Cour. Il a toujours éprouvé beaucoup de tendresse envers Nadë. Il n’y a finalement parfois qu’un pas qui sépare l’amitié de l’amour ou encore de la simple attirance.

Dans ce cas, la noble ne pouvait pas lui en vouloir réellement s’il avait douté de ses propres sentiments, et de ceux de sa belle, malgré le sourire malicieux qu’elle lui adressait à l’instant. Leur paire des plus espiègle possédait quelques moments volés à l’intimité qui ne sied guère à un gentleman et à une ambassadrice, mais rien qui ne laissait présumer jusqu’à présent de la nature exacte des émotions si fortes qui étreignaient délicieusement la poitrine de la jeune fille. Rien de plus que d’agréables flatteries et plaisanteries, du moins, afin de se préserver.

« Tu portes encore le collier que je t’ai offert … » Sa voix est un murmure presque inaudible, comme s’il craignait d’attirer l’attention, ou que parler plus fort suffirait à briser la magie de cet instant qui n’appartenait qu’à eux. Ce moment que ces deux êtres semblaient attendre depuis le jour de leur naissance. « Mais nous n’en avons plus besoin à présent. »

Sa main se porte à la glissière pour lui retirer le collier insolent et le récupérer, en silence, dans un mouvement fluide, comme un lourd secret qui pourtant n’existe plus au milieu de leur parfaite harmonie. Ce n’est qu’une barrière inutile, désormais que le Prince et sa Dame se retrouvent.

La lueur des torches vacille. Zachary cache encore une fois son visage dans la douceur du cou de sa chère amie qu’il hume et embrasse délicatement avec un soupir bienheureux. Maintenant qu’il est départi de son chagrin, il souhaite simplement profiter de cette étreinte et tout découvrir de l’amour que Nadë est prête à lui offrir. Il veut oublier complètement cet endroit où elle ne devrait pas se trouver, jamais, la Zora ne méritait que des rires et des gouttes de rosée au coin de pétales de fleurs qui se mariaient parfaitement à la couleur bleu clair de sa robe légère, virevoltant autour d’elle. Il ignorait combien de temps cette vision de joie et de sérénité aurait survécu à la captivité, quand bien même une part de lui plus égoïste a souhaité recevoir sa compagnie, pour se sentir moins seul. Beaucoup moins longtemps que lui, sans doute.

Quand il relèvera la tête dans quelques secondes son souhait se verra peut-être exaucé une fois de plus ? Qui d’autre pourrait l’aider à tourner la page ?

Dans les ténèbres, il n’y avait plus un bruit pour venir les troubler. Les murs et la cellule avaient disparus tout autour d’eux comme le sol poussiéreux. Il ne restait plus que cet homme et cette femme enlacés sous le ciel étoilé. Deux souffles mêlés.

Le jeune Nohansen ignorait combien de temps s’écoula avant qu’un peu d’eau passe entre ses lèvres, ouvrant alors un œil pour vérifier l’identité de cette personne. Ce n’est pas comme s’il pouvait se défendre, mais il préférait mesurer l’étendue des dégâts. Du reste, il n’avait pas d’appétit malgré les petits fruits séchés qui lui étaient tendus. Cela lui donnait la nausée. Il aurait probablement dû se soucier de ce que l’esclave en question allait pouvoir raconter ou non à son sujet, mais cela ne lui faisait plus ni chaud ni froid. Il se sentait mort, à l’intérieur. Il ne lui restait plus de larmes. Il ne restait plus que des cendres là où une grande flamme brillante régnait autrefois pour s’élever contre ses ennemis.

Il ne faudrait pas moins d’un miracle, ou d’un signe, pour le tirer de sa torpeur.