En ce deuxième matin, Xanto se réveilla le premier, toujours aussi surpris de revoir les couleurs maussades de son adorable Metzli. Bienveillante, sombre et scintillante Metzli. Il ne se laissait point de voir ce somptueux décor tout autour de lui, ses quartiers habituels, le parfum qui l’entourait… Tout ceci le ramenait à une époque chaleureuse, même si alors, la trahison de Midona voguait au-dessus de son esprit comme un oiseau de mauvais augure. Mais soit ! Ce n’était qu’un vilain souvenir à présent, car bientôt, il le savait, il le sentait, il récupérerait sa couronne adorée.

Abandonnant son épouse à ses draps, il alla se purifier d’eau chaude et de parfum avant d’être importuné par l’arrivée d’un visage familier à sa fenêtre : Askaladd. Son sublime corbeau n’aimait pas tant Hyrule et n’y rôdait pas plus que cela lorsqu’il y résidait. Celui-ci n’était pas seul ; il transportait un message, semblerait-il, à en juger par le rouleau de papier attaché à ses serres noires.
Xanto comprit rapidement qu’il s’agissait de quelque chose d’important en voyant le cigle royal dessus, preuve étant que cette missive avait été rédigée au sein du château. Sachant bien qu’il ne pouvait s’agir de Midona, il n’y avait pas trente-six possibilités. C’est avec un sourire presque amusé et hautain qu’il ouvrit le mot pour y découvrir une invitation de la part de Talia Vajanska.

Rivale de toujours, prête à défendre sa cousine envers et contre tout, Talia était un obstacle incroyablement important à ce qu’il avait l’intention de faire. Il ne pourrait faire chuter la reine crépusculaire sans se défaire de cette rouquine… Elle était maligne et vive d’esprit néanmoins, et Xanto savait qu’il ne pourrait pas se débarrasser d’elle si simplement. Quoi que la chute de Midona pourrait peut-être l’encourager à simplement… disparaître.
Il n’était pas encore certain de la marche à suivre avec la conseillère aux cheveux de feu.

Quoi qu’il en soit, accompagné d’Askaladd sagement posé sur son épaule, Xanto se rendit jusqu’au château de Metzli. Il n’y avait pas remis les pieds depuis son retour au pays. Il s’autorisa un moment, où il admira l’architecture familière, ses grands pics dominants, ses grilles noirâtres, protégées par des Gardes Pourpres qui lui adressèrent juste un regard, sans plus. Il passa comme s’il entrait chez lui.
Il avait délibérément décidé de ne pas prendre le gît au château en revenant au bercail. Il avait préféré rester dans sa demeure familiale avec sa promise, jugeant cela plus sécuritaire. Il ne voulait pas risquer ni sa santé, ni encore moins sa vie en la laissant loger au palais crépusculaire. Ainsi était-ce pourquoi il franchissait cette porte pour la première fois depuis de trop nombreuses lunes.

Ses pas résonnèrent dans le grand hall vide. Il sentit un réel plaisir à pénétrer dans ces couloirs à nouveau, si bien qu’il prit son temps, jusqu’à rejoindre enfin la salle d’audience, où la reine régente aurait dû être, où il serait, un jour. Il était trop tôt ; sans doute mangeait-elle son petit déjeuner à cette heure. Xanto passa son chemin, et bifurqua derrière le trône, où une plus petite pièce se cachait. Il s’agissait de la chambre des conseillers, où lui et Talia se réunissaient, autrefois, pour discuter avec Midona de diverses affaires politiques.

Ici, il ne trouva que la rousse, seule et méfiante. Il sourit en la voyant.
« Talia, ma chère collègue et amie, c’est un immense plaisir de constater que tu es saine et sauve. » Il avait entendu parler de l’assaut des nobles au cœur du château, sans parler de ces histoires d’assassinat et de tentative de meurtre sur Remna. « Décidément, les choses dégringolent lorsque je m’absente. » Dit-il sur un ton rieur, levant les yeux vers le ciel et la main dans un geste théâtral. « Je t’aurais pourtant cru apte à gérer les choses seules pendant que Midona et moi étions en Hyrule. Que s’est-il passé ? » Il posa un regard intrigué sur elle. Clairement, il s’amusait déjà de l’imaginer chercher à s’expliquer. A cet instant, Askaladd quitta son épaule pour aller se percher sur un chandelier non loin, observant Talia de ses billes ébènes avec curiosité.

Blackened souls

Xanto sentit que Talia était tendue. En soit, ce n’était pas surprenant ; il oserait même penser qu’il s’y attendait ; aussi ne se sentit-il aucunement intimidée par son attitude. Elle tentait de paraître détendue, mais c’était raté ! Surtout pour un œil aussi perspicace que Xanto qui ne ratait pas une occasion d’analyser et juger ses interlocuteurs.

En soit, il décida de ne pas spécialement jouer là-dessus. Il se contenta de l’observer tandis qu’elle allait s’installer à la table de réunion, vide de monde, mais déjà décoré de deux verres et d’une carafe d’eau pour qu’ils puissent se servir.
Xanto suivit l’invitation et s’installa sans quitter la rousse des yeux. Elle ressemblait beaucoup à Midona mine de rien, sans le côté volcanique qui ressortait des yeux de la reine. Midona avait une aura plus sauvage que Talia, qui faisait davantage ombre observatrice que ténèbres ravageuses. Ce n’était pas une mauvaise chose ; cela lui donnait un charme calme, taciturne, qui plaisait à Xanto ; mais en soit, elle manquait trop de mordant à son goût.

Elle expliqua pourquoi elle avait voulu le voir et Xanto sourit à ses interrogations.
« J’imagine que c’est la question qui est sur toutes les lèvres. » Il était vrai qu’en tant que fier metzlien, il était difficile d’imaginer Xanto épouser autre chose qu’une femme originaire du crépuscule. Sans doute que cela aurait été le cas, autrefois. D’ailleurs, il s’autorisa une plaisanterie. « Je savais que tu me refuserais, Talia, aussi ai-je été chercher au-delà des frontières de notre merveilleuse contrée. » Il ouvrit les bras en haussant les épaules, banalisant grandement la situation, avant de rire légèrement en secouant la tête de gauche à droite.

« Il s’agit d’un mariage arrangé. A défaut de préparer les épousailles d’un prince et d’une princesse pour unifier deux royaumes, l'on a jugé judicieux d’unir deux conseillers de pays différents afin d’atteindre le même objectif. A bien y réfléchir, ce n’est pas si idiot, n’est-ce pas ? » Il attrapa la carafe pour se servir un verre d’eau, qu’il cueillit ensuite afin de prendre une bonne gorgée. « J’ai accepté pour l’avenir de Metzli. J’estimais préférable qu’Hyrule et Metzli soient durablement alliés. Tout est une question de stratégie, chère collègue. » Il croisa les jambes, lui décocha un clin d’œil et reprit une gorgée d’eau. En toute évidence, il était sûr de lui.

« Quoi, aurais-tu préféré être à ma place, et être envoyé à quelque noble d’Hyrule aux intentions douteuses ? Le choix aurait pu tomber sur l’autre conseiller de Metzli, après tout. » Naturellement, les circonstances de ce mariage n’étaient pas exactement telles qu’il le disait, et non, Talia n’aurait jamais pu être un second choix, mais il aimait la taquiner… juste un peu.

Blackened souls

Talia avait beau être calme et posé, Xanto n’était pas dupe. Il devinait, derrière ses faux sourires, qu’elle ne le croyait absolument pas. Elle était méfiante, et avec raison ! Il fallait dire que sa réputation le précédait et ses longs mois loin de Metzli poussaient à s’interroger sur ses véritables intentions. Sa collègue n’était pas stupide – et jusqu’à un certain degré, Xanto pouvait même dire qu’il l’appréciait et la respectait pour cela – et sans non plus prétendre qu’elle voyait clair dans son jeu, elle y voyait certainement… quelque chose.

Toujours à penser à Midona, toujours à s’inquiéter pour elle, Talia demanda ce qu’elle pensait de cette union. Xanto haussa les sourcils avec un grand sourire avant de hausser les épaules.
« D’un certain point de vue, chère Talia, je n’ai pas besoin de l’autorisation de Sa Majesté pour passer la bague au doigt de la femme que je souhaite épouser, si je ne m’abuse. » C’était hautain et décidément effronté, mais c’était tout là Xanto. Il n’avait cure des conséquences, présumant avoir Midona dans sa poche depuis le départ de toute façon. Une pensée qui allait bientôt lui coûter cher – si seulement il savait.

Il se détourna pour passer son doigt sur quelques décorations argentées qui longeaient le mur, désintéressé de ce que Talia pouvait bien lui dire. Il regarda le bout de son index, légèrement poussiéreux, et fronça le nez, faussement dérangé, tandis qu’elle supposa que lui et sa compagne pourraient bien avoir de sombres intentions.

Il sourit. Un sourire vexé.
« Tu as de ces idées. Pourquoi moi ? Parce que j’étais en Hyrule depuis quelques temps. J’ai sauvé le feu roi d’une attaque de bandits et me suis rapproché de la cour. J’ai bonne réputation là-bas, tu sauras. » Le twili se tourna vers elle en soupirant, une main sur le front. « Franchement Talia, tu devrais voyager un peu. Les plaines enténébrées de Metzli te jouent des tours. » Tout pour détourner le sujet. Mais si elle voulait jouer à le piquer de la sorte, il pouvait aussi jouer à ce petit jeu.

« Sauf si c’est là de la jalousie mal placée ? » Sourit-il, mauvais, en se rapprochant lentement d’elle. Il baissa d’un ton, plus provocateur et sombre, juste alors que son visage était si près du sien. « Ta solitude est-elle si dévorante que tu viendrais douter de mon union sous l’Arbre Obscur, chère amie ? »

Blackened souls

Xanto dodelina de la tête. Il ignorait si vraiment le fait qu’il épouse une femme de son choix soit du ressort de sa chère Majesté du Crépuscule, mais soit ! Peu importe ce que pensait Talia de toute façon, c’était chose faite à présent et Midona n’aurait pas son mot à dire.
Il se retint, honnêtement, de lui mentionner que son existence toute entière ne tournait pas autour de leur reine bien-aimée. Il lui vouait toute son attention (pour de nombreuses raisons, dont la majorité était bien entendu secrète) mais il n’irait pas supporter qu’elle maîtrise tous les aspects de sa vie, surtout sa vie intime pour tout dire.

Toujours avec ce même répondant confiant, Talia affirma que le roi d’Hyrule était mort et que de ce fait, il avait échoué à lui sauver la vie. L’homme ricana légèrement. Elle était amusante, cette chère… amie.
« Je ne l’ai pas tué, et il n’est pas mort sous ma protection. » C’était si facile de lui jeter la pierre sans connaître le contexte ! Xanto était bel et bien présent lors de l’attaque des Yigas, bien sûr. Il avait même sauvé Jacerys et Zelda d’une morte quasi-certaine, bien qu’aujourd’hui encore, il ignorait trop pourquoi. Peut-être qu’il pressentait qu’il aurait besoin de leur intervention pour ses plans futurs.

Cet échange promettait d’être fatiguant et clairement peu fructueux. Xanto sentait déjà son erreur en étant venu ici. Néanmoins, il devait jouer le jeu. Il devait faire semblant de s’intéresser à ce qu’elle disait…

Elle poursuivit en déclarant ne pas être du genre jalouse. Elle n’était pas comme lui après tout. Elle ne jalousait pas si simplement. Xanto afficha un grand sourire, clairement amusé par son comportement. Cette attitude lui allait si bien. Sa voix froide, distante et indifférente, pourtant mordante, sous-entendait beaucoup de sentiments qu’elle étouffait. Notamment du dédain à son propos. Il n’était pas sot ; il savait que Talia se méfiait énormément de lui.
« Ouh ! Tu mords Talia. Tu me fais si mal, pourquoi tant de froideur à mon égard ? » Le twili ouvrit les bras, pseudo-preuve de son innocence, comme s’il la laissait le lire comme un livre ouvert. Bien entendu, il ne la laisserait lire que ce qu’il voulait. « Non, en effet, je n’ai aucun secret pour Metzli. Je ne suis ici que dans le bon intérêt de notre bien-aimée patrie— ainsi que notre reine, évidemment. » Toutefois, elle avait bien raison de se méfier.

D’ailleurs, il faisait attention à ce qu’elle ne le touche pas. Il connaissait son pouvoir. Normalement, sa capacité à bloquer autrui à pénétrer son esprit suffirait à la repousser, mais… qui sait. Un moment d’inattention, et tout arriverait aux oreilles de Midona.
C’était surtout lui qui se méfiait d’elle, du coup.

« Plutôt que de me jeter des pierres, parlons d’autres choses, veux-tu ? Comment va notre petite reine régente ? Supporte-t-elle bien ses nouvelles responsabilités ? J’ai ouï-dire que sa vie fut récemment menacée. » Il adopta un masque inquiet, soucieux pour Remna. Masque savamment préparé pour cette occasion, complètement faux toutefois crédible.

Blackened souls

Quiconque vivant dans la tête de Xanto n’aurait aucune surprise à s’apercevoir du dédain qu’il ressentait vis-à-vis de Remna Merlyn. Petite princesse trop inexpérimentée, perdue dans un siège trop grand pour elle. Il n’avait aucun respect pour elle, et estimait qu’elle était trop faible pour accomplir ce que l’on attendait d’un individu de son rang. Il avait délibérément proposé Remna à Midona en tant que reine régente pour la simple et unique raison que cela viendrait tarir la réputation de la rousse, mettant en doute sa capacité à prendre des décisions importantes pour l’avenir de Metzli.
A en juger par la tentative d’assassinat sur Remna, il avait plus ou moins réussi.

Naturellement, comme l’indiqua Talia, la reine régente avait été affecté par cette atteinte à sa vie. Xanto afficha un masque presque rieur. Evidemment ! Qui ne le serait pas ? Une flèche avait manqué de se planter dans sa jolie tête ! Il y avait de quoi se sentir un tantinet bouleversé.

Cependant, ce n’était pas ce qui inquiétait Talia. Elle voulait en apprendre davantage sur Midona. Elle voulait savoir où était sa précieuse cousine. Ses yeux se plantèrent dans le regard éclatant de céruléen du conseiller corbeau, l’interrogeant sur la chose. Sur leur précieuse, si adorable reine. Il étira un sourire… indescriptible. Un brin hautain peut-être. Il camouflait bien son jeu.
Comme toujours. Comme d’habitude.

« Oh, notre reine, tu la connais si bien, Talia. Elle se sort de tous les mauvais pas. » L’on noterait presque un éclat de sarcasme. « Elle est sous la protection d’Hyrule. La charmante reine des lieux a consenti à lui accorder l’asile, le temps de sa convalescence. Aux dernières nouvelles, elle était entièrement remise. J’en déduis qu’elle a été retenue. » C’était presque une façon détournée d’indiquer qu’elle préférait se lambiner au soleil d’Hyrule plutôt que de revenir sur ses terres crépusculaires natales. Xanto souligna le tout avec un profond soupir, détournant le regard avec ses mains dans le dos, songeur – faussement songeur.

Il dodelina de la tête, dérangé par une pensée.
« Je dois admettre avoir été… perturbé par sa manière de s’acoquiner avec la royauté des lieux. Cela dit, j’imagine que c’est sa manière d’essayer d’entretenir de bons liens politiques. » Il haussa les épaules. « Chacun sa façon de procéder. J’ai épousé une conseillère, elle boit le thé avec la reine. » Déclara-t-il avec plus de légèreté, un grand sourire aux lèvres, en levant la main d’une manière théâtrale.

Le corbeau tourna le dos à la jeune femme, se dirigeant vers la sortie. Il sentait que la conversation s’alourdissait et qu’il ne servirait à rien d’insister davantage. Il avait eu les informations qu’il voulait : la situation n’était pas au plus beau, et cela lui convenait absolument.
« Bien, ma chère Talia, ce fut un plaisir de te revoir. Même marqué par l’inquiétude et l‘envie, ton faciès est toujours une réjouissance à admirer. » Il ne disait cela que pour la provoquer et l’enquiquiner. Typique, oserait-on dire. « J’imagine que nous nous reverrons bientôt. »