Rencontre au sommet

An 1000, Lune 7, Jour 11.
@Naboris Dragmire

La Reine Crépusculaire était de nouveau près de la Citadelle d’Hyrule. Elle n’avait pas prévu de revenir tout de suite près de la demeure de la Reine de Lumière, mais elle avait reçu une missive, quelques jours plus tôt, qui avait attisé sa curiosité. Elle avait fait les cent pas en réfléchissant à la réponse qu’elle donnerait. Est-ce qu’elle irait rencontrer la fille de son persécuteur ? Lors de la fête du Millénaire, elle avait vu cette jeune femme se débattre avec son cimeterre, attaquer les Yigas pour défendre le Royaume de Lumière. Midona aussi, avait tenté d’aider le Roi mais elle n’avait pas connu la réussite espérée. À la place, elle était dans la situation d’aujourd’hui, une âme perdue en errance, n’osant pas retourner chez soi de peur de décevoir. Dans le fond, c’était son propre échec qu’elle percevait là-dedans, et elle ne souffrirait pas qu’on le lui reproche. Elle n’était pas encore prête à les regarder en face. Pourtant, il viendrait bien un jour où elle devrait faire face à la noblesse de Metzli et supporter leurs regards sur sa personne affaiblie.

Ses pas l’emmenèrent jusqu’au Temple d’Hyrule, comme un automate qui n’a guère besoin d’une âme pour évoluer dans son environnement. La curiosité semblait être l’essence qui la faisait avancer ces derniers temps. Que risquait-elle à rencontre cette princesse, après tout ? On lui avait dérobé son trône et elle était désormais en Hyrule, tapie dans l’ombre, attendant de pouvoir de nouveau reprendre ce qui lui revenait de droit. N’était-ce pas une situation similaire à la sienne ? Sauf que Midona pouvait se rendre à Metzli à n’importe quel moment, seule sa faiblesse et sa honte l’en empêchaient. Ce qui n’était pas le cas de la jeune Gerudo dont son Trône avait été subtilisé.

Midona leva les yeux sur la grande bâtisse, hésita à pénétrer par la grande porte. Son regard coula autour d’elle comme si elle craignait qu’on ne la suive. Elle continuait à porter les mêmes tenues sombres et sobres, cachant sa chevelure de feu sous un capuchon qu’elle n’enlevait pratiquement jamais de sa tête. Elle ne pouvait pas dire qu’elle avait pris goût à ce style de vie, mais elle tirait un certain plaisir à visiter toutes sortes de lieux. S’il n’y avait pas cette culpabilité tordue qui l’empêchait de profiter de cette aventure, elle aurait pu l’apprécier. Finalement, la Reine pénétra dans le temple d’Hyrule. La lumière à l’intérieur, tamisée par les couleurs des vitraux, la baignait avec une douce chaleur. Midona scruta les environs en s’avançant prudemment. Elle vit la grande statue de la déesse Hylia et marqua un temps d’arrêt tant elle était imposante. Les Twilis n’étaient pas croyant comme pouvaient l’être les Hyliens, ils avaient cessé de croire un Dieu quand ils avaient été exilés dans le crépuscule. Cependant, elle devait reconnaitre que le lieu semblait baigné de magie.

Son regard se détacha de la statue pour rencontrer celui d’une femme au teint hâlé et habillée de soieries légères, qui lui faisait signe. Naboris Dragmire. La femme qu’elle était venue voir. Le visage interdit, elle s’avança vers la jeune femme et lui rendit un léger salut quand la Gerudo la salua respectueusement.

« — Dame Dragmire. » Répondit-elle avec respect quand elle la remercia d’avoir répondu à son invitation.

Elle s’assit à côté de la princesse tandis que celle-ci poursuivait sur le même ton de voix. Midona la laissa poursuivre tandis que ses prunelles la scrutaient. Il n’y avait pas de jugement dans le fond de son regard, même s’il y avait bien de la perplexité quant à la véritable nature de la jeune femme. Elle grimaça, cependant, quand elle lui dit être en pèlerinage pour expier ses fautes.

« — Si les fautes qu’il me faut expier sont celles d’avoir voulu aider le Roi d’Hyrule face à l’attaque de votre père… Et de vouloir cacher à mon peuple certaine vérités… » Elle la scruta d’un regard glacial, piquée au vif. « …Alors vos Dieux sont bien injustes et cruels. »

Oh, elle n’y allait pas avec le dos de la cuillère mais Midona n’accordait pas sa confiance facilement. Pour autant, la jeune Naboris ne semblait pas vouloir faire de vagues. Elle lui parlait de façon à la mettre à l’aise, s’assurant un peu trop d’elle comme si elle était une enfant. Cela avait le don de l’agacer mais elle n’en fit pas mention. Il n’était pas question de provoquer des remous dans un lieu sacré, bien qu’elle ne soit pas croyante.

« — Me mettre mal à l’aise ? » Elle la jaugea d’un regard puis haussa les épaules, se forçant à se radoucir un peu alors qu’elle prenait conscience de la tension dans son corps. Était-ce ses yeux qui lui rappelaient tant ceux de son persécuteur ? « Non. C’est très bien ici. Je ne voue aucune croyance en la déesse Hylia, mais l’endroit est agréable et serein. » Elle avait baissé le ton de sa voix, histoire de ne pas courroucer des croyants qui l’entendraient clamer haut et fort son athéisme. Elle ne rejetait pourtant pas les croyances de chacun, et avait toujours fait preuve d’intérêt pour les différents cultes existants. Cela était singulièrement beau de croire en l’existence d’êtres puissants.

Quant à savoir de quelle manière cette jeune femme devait s’adresser à la Reine de Metzli, Midona avait bien une réponse mais elle ne voulait pas paraitre plus sèche qu’elle ne l’était déjà. Aussi, ne répondit-elle que simplement : « Je n’apprécie pas que l’on m’appelle par mon prénom, aussi j’apprécierais que vous ne le fassiez pas. » Elle avait pourtant pris l’habitude de vivre parmi les communs, mais elle n’avait jamais utilisé son prénom, se faisant passer pour une autre femme, du nom de Moïdan.

« — Pourquoi ce désir soudain de me rencontrer ? » L’interrogea-t-elle de façon un peu abrupte. Elle n’était pas réputée pour sa douceur, après tout, et ses mois d’exil n’avaient pas eu pour effet de l’adoucir davantage.

@Naboris Dragmire

Midona n’était pas spécialement tendre avec la jeune femme mais elle constata que celle-ci ne lui retorquait rien sous le coup de la colère. Ce qu’elle aurait imaginé, car elle n’avait pas mâché ses mots. Elle comprit assez rapidement qu’elle avait touché une corde sensible et que la parenté à son père semblait être un point particulièrement piquant pour la Princesse. Si Midona ne prévoyait pas de s’en servir comme d’un couteau à enfoncer dans la plaie, elle conserva cette information précieusement. Elle pouvait bien dire ce qu’elle voulait à propos de ce père, qu’il soit consumé par le Néant ou juste assujetti à des croyances hérétiques, l’homme était bel et bien vivant. Assez vivant pour la pourfendre de son trident et la laisser pour morte. Assez vivant pour chasser sa propre fille de son Trône pour ravir les Landes Sauvages. Elle rumina cette réponse sous sa langue, la laissant poursuivre.

La Twili écouta la jeune Gerudo avec intérêt tandis que celle-ci défendait bec et ongles sa réputation et sa différence avec son père. Une corde sensible, en effet. Midona aurait pu sourire si elle ne savait pas contrôler avec brio ses émotions et son masque facial. Ses prunelles bleues ne quittaient pas la jeune femme et elle ne sembla pas réagir devant cette détermination que la Princesse s’évertuait à lui démontrer. Les paroles n’étaient que du vent. Elle poursuivit en cherchant à établir une alliance avec le Royaume du Crépuscule. Et lui coupa l’herbe sous les pieds au cas où elle voudrait mettre en avant la parenté douteuse de la jeune femme. Cette fois-ci, Midona laissa échapper un léger sourire. D’amusement peut-être. Celui-ci se mua en un léger ricanement. Elle se pencha en arrière pour étirer son dos et secoua doucement la tête. Si Naboris n’avait aucune connaissance en diplomatie étrangère, Midona n’en avait pas davantage.

« — Si vous pensez que la famille est une force, vous devriez être plus prudente. » Répondit-elle d’une voix assez basse pour garder leurs échanges un secret. À ce propos, elle scruta les alentours d’un regard suspicieux. Des oreilles trainaient surement. Elles trainaient toujours. « Ce sont toujours les membres de votre propre famille qui sauront vous trahir en premier. Vos amis également. » Midona ne savait pas à quel point ces paroles s’exauceraient dans la lune à venir. « Comment auriez-vous pu lui ôter la vie ? L’homme est plus coriace qu’une tique. » Elle sera la mâchoire. « Je n’ai pas pu le tuer, et j’ai utilisé toutes les forces en mon pouvoir pour se faire. » Elle gronda. « Qui me dit que je peux vous faire confiance à vous, sa fille ? Qui me dit que vous n’irez pas le rejoindre dès qu’il vous appellera ? »

Midona secoua à nouveau la tête en réfléchissant à cette offre d’alliance. Elle avait le mérite d’aller droit au but sur ses intentions, et cela lui plaisait. La Reine Crépusculaire n’avait jamais été très douée pour les devinettes et les doubles sens.

« — Effectivement, je ne sais pas ce que vous pouvez faire, qui m’intéresserait pour que je m’allie à vous. Que pourriez-vous nous apporter ? Vous, dont le royaume est à l’exacte opposé du mien. » Grinça-t-elle. Elle ne pouvait pas lui dire qu’elle n’était pas en état de fonder une alliance tout de suite, alors que sa couronne était dénuée de toute puissance. « Et puisqu’une alliance va dans les deux sens, qu’attendez-vous de Metzli ? »

@Naboris Dragmire

Midona ne la contredit pas quand elle lui dit croire en la présence de ses amis. Peut-être avait-elle raison. Après tout, elle ne vivait pas dans un royaume tordu par la trahison et les mensonges depuis des décennies. Metzli était réputée pour être un royaume où il était difficile de faire confiance à quiconque tant les coups bas pleuvaient en permanence sur chacun. La jeune Reine espérait pouvoir briser ce cycle de haine et de trahison mais y arriverait-elle ? Vivre avec la peur d’être trahie et de faire face aux mensonges rendaient la vie si fade. À quoi bon s’accrocher à quiconque s’il n’était pas possible d’aimer véritablement avec tout son cœur ? Et aimer de tout son cœur était impossible si on doutait en tout et pour tout. Midona ne répondit pas, cependant, se contentant de ruminer sa réponse sous sa langue, sans jamais dire quoi que ce soit sur les bassesses de son peuple.

La Gerudo poursuivit en déclarant qu’elle pourrait le tuer en usant de poison, en se servant de son lien pour l’attirer dans un piège. Midona en doutait. Elle ne doutait pas de la force de la jeune femme, quoique. Mais elle doutait surtout de son jugement à propos de son géniteur. Il était puissant et ne reculait devant rien pour assouvir ses désirs. Il avait attaqué le Roi d’Hyrule de façon si spectaculaire. Comment pourrait-elle lui ôter simplement la vie avec une toute petite, si petite dague ?

La Twili prit conscience d’une chose. Le traumatisme qu’avait laissé Ganondorf était plus important qu’elle ne l’avait imaginé. Elle ressentait une puissante colère contre l’homme, mais également de la crainte. Et cette crainte, elle la niait encore car elle ne voulait pas la voir. Elle ne voulait pas prendre conscience que tomber face à cet être l’avait rendu craintive de tomber à nouveau, d’être humiliée et de mourir peut-être. Elle avait peur de ce qu’il pouvait faire, de la puissance dont il pouvait faire preuve. Mais elle ne devait pas le dire, personne ne devait le savoir. Une Reine ne devait, ne pouvait pas avoir peur.

« — La Reine Zelda est une âme pure, elle n’a pas connu tout ce que le peuple de Metzli a surpassé au fil des décennies. » Midona était désormais tournée vers la grande statue de la déesse Hylia. « Elle peut faire confiance à n’importe qui car elle n’a jamais eu à faire face à la trahison. » Elle darda un œil sur la jeune femme, comme pour l’interroger sur son propre vécu. « La méfiance fait partie de ma vie. »

Naboris était agacée par les doutes que lui renvoyait la reine et semblait mettre toutes ses forces en œuvre pour ne pas s’énerver. Elle ne se démonta pas, poursuivit son argumentaire sans faillir. Elle avait du mérite de tenir ainsi sa parole devant la langue de vipère de la Reine Crépusculaire. Mais il y avait de quoi être piquante, car la Gerudo demandait à la Twili une alliance durable et une aide dans le temps pour reprendre son Royaume. Serait-elle au moins capable d’engager son peuple en aide au sien ? Encore une fois, son peuple devait y gagner quelque chose, où il ne bougerait pas. Elle se défendit quant à ce qu’elle pouvait offrir à Metzli, et Midona écouta alors qu’elle avait reporté ses pupilles sur l’immense effigie.

Le soutien qu’elle avait déjà de la Reine d’Hyrule était un bon point. Midona était opportuniste, tout comme n’importe quel Twili qui se respectait. Elle n’irait pas se jeter dans une cause perdue une seconde fois. Elle ne doutait pas de la férocité des guerrières Gerudo même si elle n’avait jamais pu le constater de ses propres yeux. Ce qu’elle avait entendu sur ce peuple montrait un tempérament farouche mais elle doutât qu’elles viennent un jour en aide aux Twilis. Chacun se connaissait trop peu, et les différences éloignaient. Néanmoins, la Reine de Metzli écoutait patiemment ce qu’elle avait à lui dire. L’entendre dire qu’elle était proche de la Reine Zelda ne fit que la faire ricaner. La Reine de Lumière n’avait rien à dire à Midona car elle avait au moins eu le mérite d’essayer de sauver son père de l’attaque de celui de la Gerudo. Devait-elle le lui rappeler ? Craignant d’être trop piquante, elle s’abstint.

« — Je n’ai pas besoin de vous pour compter sur la Reine Zelda. Mes actes ont déjà démontré à tous les Hyliens que je me situais de leur côté. » Répondit-elle fièrement.

Midona connaissait assez peu les Gerudos et ne savait donc pas trop quelle était leur histoire. Mais si elle disait la vérité, alors le Royaume d’Hyrule avait une sacrée manie d’exiler tous les individus qui ne lui plaisaient guère. Un sourire apparut sur ses lèvres quand elle déclara lui faire profiter d’un tarif avantageux sur les produits venant de Metzli. Elle ne s’était pas attendue à cet argument qui, de manière très pragmatique, n’en était pas un mauvais. Finalement, elle tourna son visage sur celui de la jeune femme.

« — Je ne connais point votre peuple mais je dois reconnaitre que vous êtes entêtée. Je reconnais effectivement quelques traits avec nous autres, Twilis. J’ai du mal à croire que Metzli puisse tirer un seul profit d’une alliance telle que celle que vous me proposez aujourd’hui. » Elle la défigurait de son regard de glace et poursuivit avant qu’elle ne puisse répondre. « Votre pays est petit, et surtout il n’est plus entre vos mains aujourd’hui. » Pas plus que le sien l’était, mais soit. « Cependant, l’idée de laisser Ganondorf faire ce qu’il souhaite ne me plait pas. Je n’ai pas risqué ma vie et ma couronne pour que cet homme poursuive son fléau au sein d’Hyrule. Je suis intimement convaincue qu’il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas semé le chaos partout, et cela veut aussi dire dans mon royaume. » Et finir le travail. La tuer.

Risquer sa vie était une chose, risquer celle de son peuple en était une autre. Elle ne pouvait pas supporter l’idée que les Yigas puissent s’attaquer à Metzli. Elle devait absolument retrouver sa puissance avant que cela n’arrive. Et avoir les yeux de Naboris, en plus de ceux de ses propres espions pourraient l’aider à voir venir la conspiration.

« — Vous devez savoir qu’une alliance mise en place entre nous, ne sera pas tenue par un autre régent à Metzli. Si je tombe, l’alliance tombera également. Je ne dirai pas que mon peuple n’a pas d’honneur… Disons que chacun en fait un peu à sa tête. Vous avez donc tout intérêt à ce que je garde la mienne sur les épaules. » Si l’alliance se voyait conclue.

Acceptait-elle la proposition ? Midona restait interdite, tourmentée par ses réflexions. Metzli pouvait-il s’allier à autrui alors que les Twilis n’avaient toujours compté que sur eux-mêmes ?

@Naboris Dragmire

L’héritière des Landes Sauvages pouvait dire ce qu’elle voulait, penser ce qu’elle désirait, mais Midona était belle et bien persuadée que la Reine Zelda se serait faite dévorée si les Hyliens conspiraient autant que les Twilis. Bien sûr, elle le garda pour elle puisque la jeune femme était bien décidée à la défendre, et elle n’avait pas envie de se heurter à son obstination. Après tout, on ne pouvait pas s’imaginer ce que cela faisait sans l’avoir vécu. Vivre dans la peur de la trahison, dans un sentiment de persécution, dans le doute des agissements d’autrui, étaient le quotidien de la vie dans le Crépuscule. La Reine avait toujours vécu là-dedans et il lui arrivait encore de se faire piéger par le caractère opportuniste de ses sujets. Cela lui donnait le défaut d’être particulièrement méfiante et peu reconnaissante, car elle avait appris au fil des années qu’on ne lui donnait rien, sans attendre quelque chose en retour. Tout était manipulation. La Gerudo était têtue, elle continuait d’insister sur la bienveillance de ses amis, même si elle avouait à demi-mots avoir besoin de cette méfiance et en être dotée également. De toute évidence, la méfiance dont elle faisait preuve était moins dévorante que celle qui habitait la Twili.

« — On se remet, certes, si on a le loisir de voir le jour d’après. » Car quand Midona songeait à la trahison, c’était surtout à l’assassinat qu’elle faisait référence. C’était ainsi que le premier roi de Metzli était mort.

Loin dans l’idée de lui faire un cours d’histoire, Midona abandonna là l’entêtement de son interlocutrice car il voulait avoir raison et elle n’avait pas envie de s’épuiser à lui donner les raisons de son cheminement de pensées. Elle savait d’où elle venait, ce qu’elle avait traversé et ce qu’elle devrait encore franchir dans l’avenir. Si la Gerudo avait d’autres problèmes peu plaisants, elle ne pouvait pas se mettre à la place de Midona, qu’importe ce qu’elle en dise. Ses pensées étaient idéalistes et naïves. Quelque part, elle lui enviait cet état d’esprit. Elle n’en avait pas le loisir. Et après plusieurs lunes à parcourir les terres d’Hyrule, les pensées positives ne faisaient plus partie de son panel de réflexions. Elle était agacée et susceptible. La fatigue venait rajouter une couche d’irritabilité qui n’aidait pas à l’aider à s’apaiser. Cette conversation lui permettait de cracher un peu son venin et la pauvre demoiselle qui lui faisait face récoltait les pots cassés. En tant que fille de son persécuteur, elle était toute désignée.

À nouveau, elle discerna l’agacement dans le regard de la jeune femme, admirant sa volonté de se retenir à se montrer plus désagréable. Midona ne le faisait pas. Ce n’était pas elle qui quémandait une alliance, après tout. Cela ne lui servirait à rien dans le cas de son royaume et des conflits internes qui le bousculaient fréquemment. Quant à son trait d’humour, cela ne la fit pas sourire. Elle se contenta de décocher un regard à un homme qui passait dans l’allée du temple, à plusieurs mètres d’elle, le dévisageant froidement. L’homme coula un regard dans sa direction mais sembla hâter le pas quand il croisa les prunelles de glace de la Twili. Finalement, elle reporta son regard sur l’héritière, un regard toujours aussi déplaisant tant elle semblait sonder le fond de ses prunelles pour essayer d’y discerner la vérité de son âme. Elle avait, néanmoins, le mérite de soutenir ce regard-là. Ce qui n’était pas le cas de toutes les personnes qu’elle croisait. Cela aurait presque pu passer pour un affront.

« — Je vais devoir me fier à votre parole. » Répondit-elle dans un murmure.

Son sang ne fit qu’un tour quand son interlocutrice se qualifia d’amie et d’alliée si elle acceptait cette entente. Midona n’appréciait pas forcément que l’on se présente trop familièrement auprès d’elle quand elle ne connaissait guère la personne. Et d’ailleurs, même en la connaissant, la familiarité n’était pas facilement acquise. Elle était tendue par la situation, par ses paroles et son obstination. Et elle avait encore le choix de refuser et de ne pas se saisir de la main frêle qu’elle lui tendait en signe d’alliance. La Reine du Crépuscule baissa les yeux sur cette main, ses émotions ne trahissant pas la tourmente de ses réflexions et les doutes liées à une telle alliance. Pouvait-elle s’allier avec l’héritière alors qu’elle n’avait pas été auprès de son peuple depuis si longtemps ? Était-elle légitime dans cette décision, alors qu’elle n’avait discuté de cela avec personne et qu’elle se sentait livrée à elle-même, dénuée du pouvoir de sa couronne ? Pouvait-elle faire comme si tout allait bien et espérer que tout rentrerait dans l’ordre ? Et si elle donnait sa parole et qu’elle ne pouvait pas la tenir ? Midona était une femme orgueilleuse et fière, la parole qu’elle donnait n’était jamais donnée en l’air.

Peut-être devrait-elle avouer que sa couronne était au cœur d’un puissant tumulte, depuis l’attaque du père de la Gerudo. Peut-être devrait-elle lui dire qu’elle n’était pas en si bonne posture pour conclure une alliance. Elle était Reine, mais sa couronne ne portait plus le pouvoir si cher aux Twilis et à leur histoire ancestrale. Peut-être était-il temps d’être honnête avec la jeune femme, lui avouer la peine qu’elle avait, les angoisses qui la taraudaient.

Après une longue hésitation, les mots ne traversèrent pas ses lèvres. Elle ne pouvait s’y résoudre. La Twili décida de ne rien avouer et de faire comme si de rien n’était. Naboris n’avait pas besoin de savoir dans quel pétrin elle était actuellement et ce que cela remettait en question dans le jeu du pouvoir du Royaume du Crépuscule. Il était trop tôt pour qu’elle lui fasse pleinement confiance et qu’elle lui avoue son état de faiblesse. L’espérant passager, elle décida d’ignorer le besoin d’être entièrement honnête avec elle. La démarche d’une telle alliance restait néanmoins cohérente à la suite des évènements passés. Elle l’espérait.

Les secondes semblaient lentes. Elle savait ce que cela pourrait engendrer pour son peuple dans les lunes à venir et elle le craignait. Après la perte de la couronne, ils se trouveraient probablement moins enclin à chasser Ganondorf et à risquer une nouvelle fois la couronne. Soit elle vivrait dans les remords, soit dans les regrets. Mais du moment qu’elle vivait.

« — Entendu. Je compte sur vous pour honorer votre part de ce pacte. Et j’attends de voir cet honneur que vous me vantez tant, à l’œuvre. » D’un geste presque timide, la main pâle de Midona rejoignit celle de l’héritière. Sa main était chaude contre la sienne, sa poigne plus forte qu’elle n’en avait l’air. « Metzli saura honorer le sien. » Espérons-le.

L’avenir serait sombre dans tous les cas, accompagnée ou non.

@Naboris Dragmire

Évidemment, la discussion entre les deux femmes avait été plutôt houleuse. Midona n’avait pas pour habitude d’accepter quelque chose sans réflexion derrière. Elle avait à cœur d’offrir la paix à son pays et, bien que l’optique de se lancer dans une guerre contre le persécuteur pouvait avoir l’air d’être contre-productif, elle espérait que cela serait utile sur du long terme. Naboris ne semblait pas une être femme prête à la trahir. Elle semblait fière mais loyale à sa parole. Ce n'était que des impressions, le temps lui dirait si elle avait eu raison de se lier avec le peuple Gerudo. L’héritière répondit à ses piques, toujours agacée mais gardant son sang-froid jusqu’au bout. Les mains jointes se séparèrent tandis qu’elle poursuivait, lui signifiant qu’elle lui enverrait des comptes-rendus d’espionnage dès le lendemain. À ceci, Midona acquiesça.

« — Merci. » Répondit-elle simplement d’une voix plus douce. « À bientôt. » Souffla-t-elle d’une voix presque inaudible alors que la Gerudo se levait pour s’en aller.

La Twili la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière des fidèles puis reporta son attention sur la grande égérie du temps d’Hylia. Elle espérait sincèrement que tous ses problèmes se résoudraient bientôt, et qu’elle pourrait enfin retourner dans son royaume crépusculaire. Le temple était un endroit calme, parfait pour mettre ses idées en ordre et les ranger dans un coin de sa tête. Midona resta encore quelques minutes, assise, comme si elle était en méditation Elle ferma ses paupières et inspira longuement. La patience commençait sérieusement à lui manquer.

{Clôture}