Le tintement des rubis dans la bourse en tissu arracha un sourire au capitaine du navire. Très bien, dit-il, vous pouvez monter.
Xanto grimpa comme passager pseudo-clandestin sur ce bateau en direction d’Abyssal. Cela faisait plusieurs jours qu’il avait été obligé de fuir Metzli, mais tout en lui hurlait d’y retourner. Il avait toujours considéré sa terre natale comme si précieuse et chérie, lui étant obligatoirement et funestement destinée. Elle était son foyer, son berceau ; son précieux, là où reposait son trône légitime, dorénavant ruiné par une intervention mystique de quelque nature étrangère.
Au diable les conséquences. Il devait y retourner.

En dépit des avertissements et arguments de son seul et unique ami, son frère de toujours et à jamais, Xanto franchit la distance entre leur refuge et Portia, en Hyrule. Là-bas, baigné dans une lumière devenue malheureusement familière, le twili décida de dénicher une embarcation à direction de Metzli. Celles-ci n’étaient pas nombreuses, surtout depuis cette manifestation magique qui avait ébranlé les terres alentours.
La nouvelle avait rapidement fait le tour des terres avoisinantes : le tremblement de terre avait secoué les montagnes et alerté les villages aux abords de Metzli. De nombreux marchands se gardaient bien de s’y faufiler, même pour y vendre quoi que ce soit. Heureusement, Xanto trouva un gaillard suffisamment brave pour faire la route – ou suffisamment cupide pour se laisser tenter par un millier de rubis bien gras.

Solitaire, le cœur bercé d’ombre, l’ancien conseiller, dorénavant déchu et paria à sa patrie, passa outre les frontières de lueur pour se retrouver, bientôt, dans la pénombre habituelle de son pays d’origine. Il avait troqué ses vêtements chics de cuir onéreux et de tissus brodés pour une tenue plus modeste et légère, qui camouflait bien sa silhouette. Une cape de piètre facture lui couvrait les épaules. La capuche, spacieuse, tombait suffisamment au-devant pour camoufler la majorité de son faciès, sans pour autant l’aveugler. Le camouflage parfait pour se faufiler en Metzli ; car c’était là la tenue de la majorité de la populace ici, toujours pressée à se cacher, à passer inaperçu, à disparaître.

Les yeux bleus du twili se dirigèrent vers l’immense forteresse qui gouvernait Abyssal. Ici, il ne pouvait pas être plus éloigné d’Itzal. En théorie, du moins en Metzli, c’était l’endroit le plus sûr pour lui. Ou du moins le pensait-il…
C’est en passant près de la porte entrouverte d’une auberge bruyante que Xanto constata que Midona était on ne peut plus déterminée à le retrouver : son image était placardée partout. Il était considéré comme un traître à la couronne et une seule chose l’attendait pour cela : la peine de mort. Il se stoppa devant ce dessin ô combien ressemblant, qui l’exigeait non pas mort ou vif, mais bien vivant.
Midona voulait donc le tuer de ses propres mains.
Un hiver se mit à naître dans sa poitrine. Comment en était-il arrivé là ? Il se rappelait tout. Il avait été si imprudent. Son amour pour Pavetta avait-il été l’élément déclencheur de sa faiblesse ? Tout allait si bien, jusque là. Tout allait dans son sens, puis, la blonde était apparue, brouillant sa vision d’un éclat solaire bien trop lumineux. Il s’était laissé avoir. Cette idée lui voila le regard d’une ombre de regret, et de colère.

Entrer dans la taverne était hors de question. Il passa son chemin sans retirer l’affiche. L’enlever attirerait les soupçons ; il ne devait pas se faire remarquer. Traversant la basse-ville, le twili traça son chemin sans rien demander à personne, jusqu’à soudainement s’immobiliser. Du coin de l’œil, il avait cru voir une silhouette familière.
L’hiver continuait de grandir en lui. Ses racines, profondes et acérées, creusaient leur chemin. Il serra la mâchoire. Ce n’était que son imagination ; rien de plus.
Reprenant le pas, Xanto s’engagea sur le chemin montagneux qui permettait d’accéder à la ville haute. Ses bottes glissaient sur la terre humide, témoignant d’une pluie récente. En rejoignant la cité là-haut, il pourrait sans doute dénicher un cheval et poursuivre sa route vers Itzal, à ses risques et périls.
Mais voilà que ce sentiment étrange revint. L’impression d’être observé ; suivi. Inconfortable, le corbeau s’immobilisa sur une corniche donnant une vue imprenable sur la Mer des Cieux. Faisant mine d’observer le paysage, il écoutait, en réalité, les sons derrière lui, une main sur l’épée bien camouflée sous sa cape. Il se tenait prêt à frapper. Il ne ferait plus confiance. Plus jamais.

L’hiver était là, devenu toundra.

Bien entendu que Xanto savait que quelqu’un le suivait. L’hiver – toundra – en lui s’agitait déjà, convaincu que tous les signes ne mentaient pas ; on le suivait, on l’observait, diantre ! On se préparait même à l’assassiner. Les intentions étaient sombres, évidentes et peut-être méritées. Xanto ne saurait pas dire s’il méritait de mourir, d’être assassiné tel un vulgaire porc à l’abattoir pour ses crimes…
Mais une chose était sûre ; il n’avait pas l’intention de rendre l’âme aujourd’hui.

L’homme qui le suivait – oh quelle surprise, il s’agissait de Trascer, qui l’avait tant aidé et qui, soudain, se retournait contre lui pour mériter sa liberté et protéger sa chère Anju – se positionna à ses côtés, observant le même horizon que lui, l’œil doux-amer, sans doute attristé de devoir en venir là. Et où donc ? Aux armes. Il eut beau parler, exprimer ses sentiments et s’estimer navré, Xanto n’était pas dupe ; bientôt, sa lame serait dégainée et Xanto devrait se défendre contre ce qui avait été, peut-être, un ami.

Il se rappelait de Pavetta. Cet été qui avait tenté de s’immiscer dans l’automne qu’il était. Il avait été si naïf, si sot de se laisser ainsi transporter… Pour une raison obscure, il avait cru, si brièvement, que Pavetta pourrait le rendre heureux. Que, qui sait, elle pourrait lui faire oublier ses problèmes. Comment une femme si faible et insignifiante pourrait éclipser le trône sombre de Metzli de son esprit ?
Il avait été stupide, et s’était égaré. Y penser suscitait une réelle frustration en lui.
Aujourd’hui, il se sentait bien plus hivernal que jamais – son cœur fermé à tout, outre à son seul et unique frère d’arme qui en valait la peine, et ceci était Cardan. Il refusait dorénavant d’accorder ni confiance ni promesse à qui que ce soit. Personne n’aurait plus ce privilège. Plus jamais.

Ses oreilles sillèrent. Trascer s’était tourné vers lui. Xanto, le visage fermé et grave, daigna tourner ses yeux céruléens vers le twili qui avait sortit son épée. Il devinait déjà que l’ancien conseiller ne daignerait pas se laisser si bêtement assassiner.
« Tu me déçois, Trascer. Midona a su s’immiscer sous ta peau ; et tu l’as laissé faire. » Le dégoût se notait dans la voix de Xanto. Il en avait assez de faire des sentiments, des histoires, des hésitations. Trascer avait été un acolyte digne de ce nom, un fidèle limier qui avait fait son lot de travail. Dorénavant, il était le chien de garde de Midona. Soit ! C’était son choix. Un choix qu’il allait regretter. « Ainsi, tu te rabaisses à te retourner contre ton maître. Pathétique. » Il fit quelques pas en arrière, dégainant sa propre épée, prêt à l’utiliser.

« Prends garde aux ennemis que tu te fais, Trascer ! » Lança-t-il en contournant le Citeri de sorte à ne plus se tenir si près de la corniche – supposant que le twili pourrait si simplement le pousser s’il était imprudent. Il leva son épée, brandissant la lame vers son ancien allié. « Je te l’accorde ; j’ai mes défauts. Cependant, j’avais bel et bien protégé le lieu de repos de tes parents. » Il fronça les sourcils, sincèrement outré par la tournure des événements. « Toutefois, j’ai aussi pris mes précautions. Si tu oses dresser ta lame contre moi, je m’assurerai que leurs tombeaux soient profanés. » Il leva le menton sans le quitter du regard. Il voulait un ennemi ? Oh, il l’aurait. Il ne fallait pas le chercher.

« Tu me rappelles un chiot. Incapable de rester loyal à une cause. Tu oscilles entre deux, ignorant trop où est ta voie ; alors tu prends la plus sûre des deux, mais pas la plus juste. » Il eut une pensée pour Anju. Est-ce que l’intervention de Trascer, prêt à l’abattre, signifiait que Anju lui tournait également le dos ? Difficile à dire. Il devrait rester prudent à ce sujet. « Néanmoins, si tel est ton choix, alors je n’hésiterai pas à croiser le fer. »
Aucune belle parole ; seulement une promesse.