Voyager…

Depuis qu’il avait tenté l’expérience en compagnie de Shorean il y avait de cela plusieurs lunes dans l’objectif d’emmener une lettre à la famille de son amie Nadë, Aymeric n’avait jamais essayé de voler de ses propres ailes à nouveau. Naturellement, cela avait été une aventure grisante, haute en couleurs et en émotions, de laquelle il n’oublierait rien de sitôt ! Mais la culpabilité qui l’avait hanté à l’idée d’abandonner Hébra à Kevan fut alors bien trop lourde.
Une culpabilité bien inutile, à présent, quoi que même autrefois. Sa présence n’empêchait pas Kevan d’être… Kevan. Il se fourvoyait en s’imaginant pouvoir faire quoi que ce soit, et aujourd’hui, Aymeric le comprenait enfin.

L’épisode de l’île du Dragon était encore profondément écrit dans l’esprit du précepteur. Il lui arrivait parfois de se réveiller pendant la nuit, le souffle bref, le front humide, juste alors que l’image de son frère, empalé par des épées ébènes, magiques et fatales, lui revenait. Cette image qu’il espérait tant oublier, mais qui ne disparaîtrait jamais vraiment de ses souvenirs.
Il n’avait pas pu sauver Kevan. Il n’aurait jamais pu, maintenant, il l’acceptait. Cirilla l’avait beaucoup aidé à accueillir la réalité telle qu’elle était et à vivre un peu plus sereinement, du moins, autant qu’il le pouvait.
Avec le temps qui passait, sa jambe alla mieux et bientôt, il fut de nouveau en état de se déplacer sans l’aide d’une canne. Il ne devait pas trop forcer, mais un peu d’équitation ne lui ferait pas de mal. Aussi, il s’exerça sur les sentiers enneigés d’Hébra, se rappelant de quelques conseils offerts par Shorean lors de leur voyage jusqu’à Lanelle.

C’est un beau jour où un oiseau lui apporta une missive d’un lointain nom familier : Ejo, le jeune zora qu’il avait rencontré lors du conflit sur l’île. Il avait été témoin non seulement de sa volonté à arrêter Kevan, mais aussi des traitements qu’Azriel lui avait fait subir (une histoire pas tout à fait encore pardonnée, pour être honnête, mais que Aymeric préférait délaisser pour son propre bien).
Sa lettre soulignait une inquiétude pour lui. Il voulait s’assurer qu’il était bien rentré au bercail. Plutôt que de simplement échanger quelques lointaines correspondances, Aymeric décida de rejoindre ce nouvel ami. En dépit d’une anxiété secrète, il brava l’inconnu et annonça à sa bien-aimée qu’il souhaitait visiter le Berceau des Etoiles— la guilde des magiciens. Un endroit qui l’avait souvent intrigué.
C’était l’occasion.

Après avoir convenu d’un rendez-vous avec Ejo, Aymeric quitta ses terres froides pour rejoindre les volcaniques plateaux d’Ordinn. Cela lui demanda plusieurs jours et beaucoup de courage. Ce premier voyage en solitaire lui permit d’observer des contrées jamais visitées auparavant, et de discuter avec des nomades et marchands qui partagèrent volontiers leurs connaissances et leurs histoires avec lui. C’est le regard scintillant et le cœur conquis que le troubadour rejoignit enfin sa destination.

Le pas timide, il approcha le grand pont menant à la guilde des magiciens sans trop savoir s’il avait l’autorisation de s’y aventurer. Il n’était pas membre, après tout. La bride de son cheval en main, il fit quelques pas en regardant tout autour de lui, cherchant une présence familière ou un signe qu’il avait bel et bien le droit d’être ici.
« Par Valoo… » Soupira-t-il en levant la tête pour constater la hauteur de la forteresse. « Je crois que je ne me suis jamais sentit aussi loin de chez moi, Brindille. » Il tourna le regard vers sa monture, une jument caramel empruntée à un brave fermier d’Hébra. Celle-ci hennit en réponse, approuvant. Il sourit en la gratifiant d’une caresse sur sa crinière, avant de reprendre le pas.

« Viens. Trouvons Ejo. »

Cela faisait un peu plus d'une semaine que le Zora était arrivé à la Guilde des Magiciens, se dévouant corps et âmes à son entrainement pour progresser dans le maniement de l'épée mais aussi dans ses pouvoirs. Il était étrangement un élève très sérieux même si parfois il aimait aussi rigoler avec les autres apprentis. Sa vie à la citadelle lui manquait mais il avait ses amis pour le consoler quand il avait un coup de mou, notamment son renard et le chien-loup d'Eardan. Il avait profité de son séjour ici pour enfin prendre le temps d'écrire à un pif qu'il avait dû laisser derrière lui à contrecœur. Ejo n'avait jamais réussi à en vouloir à Aymeric d'avoir caché son identité lors de la bataille de l'Île du Dragon. Sans cela, surement qu'il se serait fait transpercer par une flèche alors qu'en vérité il ne voulait pas de cette guerre. Ejo avait tout fait pour convaincre le pirate de l'innocence du Piaf mais il était resté sourd à cela et avait failli être jeté par-dessus bord. Le Zora s'était senti impuissant durant tout son séjour sur le bateau, s'en voulant de laisser Aymeric entre les mains de ce fou furieux. Azriel lui avait toujours fait peur depuis qu'il le connaissait. Il avait été soulagé lorsqu'enfin ce dernier s'était rendu compte de son erreur, laissant le frère du défunt roi rentrer chez lui. Depuis ce jour-là, Ejo n'avait pas eu de nouvelles, ne sachant pas vraiment comment aborder ce sujet et si le Piaf n'allait pas le pointer en tant que responsable des tortures qu'il avait subi.

Le Zora avait fini par trouver le courage et établi sur du papier son questionnement sur l'état de santé de son ami ailés, s'il était bien rentré chez lui, espérant que ce dernier allait lui répondre. Lui confiant par la même occasion où il se trouvait actuellement et la raison si jamais Aymeric souhaitait le voir ou bien qu'ils se rejoignent quelque part. Quelques jours plus tard, son oiseau était de retour avec un message. Ejo fût soulagé de savoir que Aymeric allait bien et aussi heureux d'apprendre qu'il venait le rencontrer à la Guilde. De ce qu'il avait compris, il n'avait jamais vraiment voyagé très loin. Ejo avait prié Jabu de protéger son ami durant son voyage pour qui ne lui arrive rien. Les routes d'Hyrule n'était pas sûr du tout, au même détriment que les fleuves et les rivières qui grouillaient aussi de monstres. Le Zora déplorait le fait de ne pas pouvoir se baigner tranquillement.

Le jour J était enfin arrivé, Ejo s'était levé tôt pour s'entrainer comme d'habitude jusqu'à l'arrivé de Aymeric. Le Zora s'était installé près d'un point d'eau pour essayer de se concentrer sur son don et maitriser l'eau sans avoir besoin de la musique pour l'aider. Les résultats n'avaient jamais été très concluants pour lui. Souvent l'eau retournait d'où elle venait ou bien partait s'éclater sur un mur ou par terre. Il avait finit par abandonner, sentant une migraine venir. Récupérant son épée au cas où, le Zora avait décidé de sortir en compagnie de son chien-loup pour aller attendre son ami à l'extérieur de la Guilde. Alors qu'il marchait sur le grand pont, il avait reconnu au loin un visage familier.

- Aymeric !

Le Zora se mit à courir vers le susnommé et se jeta dans ses bras une fois arrivé à sa hauteur.

- Je suis tellement content de te voir. Je me suis tellement inquiété par Jabu.

Il se sépara doucement de son interlocuteur, son regard embué par les larmes inspectant l'autre homme pour s'assurer qu'il n'avait pas menti sur son état dans sa lettre.

Aymeric était fier, mine de rien. Fier d’être parvenu jusqu’ici en un seul morceau, d’avoir voyagé en solitaire, rencontré de braves âmes nomades et expérimenté le bonheur du monde pour la première fois. Il fut un temps où il se serait contenté de lire quelques ouvrages et de s’imaginer ce que le monde extérieur lui promettait, et voilà qu’aujourd’hui, il était là, si loin de chez lui, à sentir la chaleur des volcans environnants venir se mêler à l’iode de la mer à proximité.
Une grande chaleur lui remplissait la poitrine dès qu’il y pensait. C’était avec un sourire aux lèvres qu’il avançait sur le pont, déterminé à trouver Ejo et à poursuivre ce voyage initiatique vers une éventuelle nouvelle vie pour lui.

Des pas précipités se firent entendre, poussant Aymeric à s’immobiliser. Il rêvassait, observant les alentours, à tel point qu’il n’avait même pas remarqué la silhouette du zora qui se profilait à l’horizon ! Le son de course poussa le piaf à ramener le regard vers l’avant, et c’est à cet instant qu’il repéra le jeune zora qui se précipitait dans sa direction, appelant son nom avec soulagement.
« Ejo ! Te voilà. » Il l’accueillit dans son étreinte sans tellement réfléchir. Il ne s’attendait sûrement pas à un accueil tel que celui-ci, mais c’était charmant et réconfortant. Cela lui rappelait Aslath lorsqu’il était tout jeune et qu’il trouvait si plaisant de retrouver son oncle.
Où pouvait bien être son neveu, maintenant ?

Le jeune homme recula en partageant son inquiétude. Aymeric sourit.
« Je suis toujours en un seul morceau, comme tu peux le voir. » Il ouvrit les bras pour l’intimer à l’observer. « Ma jambe est presque complètement rétablie. » S’il avait pu chevaucher jusqu’ici, c’était bien qu’il était suffisamment en forme pour le faire. Il camouflait bien, cependant, une certaine gêne à l’appui sur sa jambe, mais cela ne disparaitrait peut-être jamais vraiment. Il s’y était fait.

Il leva le regard pour contempler l’immensité du Berceau des Étoiles. Ejo semblait à l’aise ici. Sans doute faisait-il partie de cette guilde depuis un certain temps.
Ramenant son attention vers le jeune zora, il posa une main affectueuse sur son épaule.

« Et toi comment vas-tu ? Je me suis demandé comment tu vivais les choses après… » Son regard se voila un instant, et son sourire perdit de son éclat. Mais il tâcha de rapidement retrouver la face. « …après le conflit. » Son sourire était un peu plus mélancolique, toutefois toujours honnête.

Ejo avait été frustré de ne pas avoir pu venir en aide au Piaf lorsqu'il s'était retrouvé prisonnier dans le bateau. Mais le pirate aurait été capable de le jeter par-dessus bord s'il insistait trop. Le Zora avait donc pu rester sur le navire et s'assurer de loin qu'il ne comptait pas faire sauter Aymeric de la planche. Il avait tout de même appris que son ami était tombé gravement malade après son tête à tête avec Azriel. Déjà qu'Ejo n'appréciait pas spécialement celui-ci, là ça avait été le pompom. Cet abruti avait tout de même fini par comprendre que le piaf était innocent dans cette histoire. Ëtre le frère d'une personne ne ne voulait pas dire pour autant que l'on était pareil. Evidemment, Ejo avait été aussi choqué que les autres en apprenant l'identité de l'homme qu'il avait protégé depuis le début. Savoir qu'il s'était remis de ses blessures et le voir de ses yeux, avait fait plaisir au jeune Zora. Il restait toutefois inquiet, car des plaies pouvaient ne pas disparaître totalement. C'était ce qui s'était passé pour son ami Talirian d'ailleurs. Ejo avait pu le soigner un peu mais pas totalement. Il se demandait d'ailleurs si tout allait bien pour lui, il ne s'était pas revu depuis cette fois. Est-ce qu'il avait bien fait attention à sa jambe ?

- Oh, est-ce qu'elle te fait encore mal ? Tu veux que je regarde ?

Ejo avait déjà usé de sa magie sur son nez durant la bataille lorsqu'il avait été frappé à cet endroit. Rien de bien grave alors cela ne lui avait pas demandé beaucoup d'énergie. Peut-être qu'à la Guilde il y avait des mages plus expérimentés dans les soins que lui. Le Zora aimait beaucoup ce lieu et surtout il apprenait pleins de choses aussi.

- Je...

Son regard s'était fait plus sombre à la suite de la question d'Aymeric. Il n'aimait pas parler de ce sujet-là en vérité, il vivait encore mal son incompétence et la mort de Nivan était encore bien présente dans son esprit malgré le temps écoulé. Aymeric de son côté avait perdu son frère avant de perdre son suzerain ou son roi, peu importe.

- J'essaye de m'en remettre...C'est pour cette raison que je suis ici, pour ne plus voir mes amis souffrir par ma faute...

Il était convaincu d'être responsable de la mort de ses camarades et de l'état dans lequel Mélody s'était retrouvé.

- Et je voulais te dire aussi...je suis désolé...pour ton frère...

Il savait aussi ce que cela faisait de perdre un parent.

Ejo était adorable. Pour autant, en dépit de ses bonnes intentions, Aymeric refusa chaleureusement ses propositions pour regarder sa jambe et le soigner. Il avait déjà eu l’attention nécessaire sur cette jambe et même s’il ne pouvait pas forcément courir un marathon ou faire de grands sauts, mais… Il pouvait marcher et sa jambe n’était pas perdue ; c’était l’essentiel pour lui.

C’est lorsqu’il parla du conflit qu’Ejo sembla perturbé. Le sourire, jusqu’alors rayonnant, d’Aymeric, s’effaça légèrement. Il savait que c’était un sujet houleux : personne ne voulait se souvenir de cette guerre qui avait vu beaucoup trop de morts, de tragédie et de dégâts. Aymeric lui-même préférait ne pas en parler, cependant, la réalité était là : Ejo et Aymeric étaient amis grâce à cette altercation, d’une certaine manière. Une amitié née sur le champ de bataille.
Une vraie amitié, quoi qu’il en soit.

Ejo se sentait coupable, et s’était isolé à la Guilde des Magiciens pour ne plus voir les siens souffrir… par sa faute. Aymeric entrouvrit la bouche, soucieux de le voir prendre autant de responsabilité, mais le zora le prit de court en s’excusant pour son frère.
« Oh, cela… » Il eut envie de lui dire de ne pas faire semblant. Personne n’était triste de la mort de Kevan, sauf lui, et peut-être Emma. Il avait remarqué que Aslath était surtout troublé par les responsabilités qui l’attendaient, et Meerie était juste satisfaite de ne plus avoir son horrible père sur le dos. Aymeric secoua la tête, un sourire triste sur le visage. Il était inutile de dire cela à Ejo. « Nous faisons tous nos choix, Ejo, et nous devons les assumer. Kevan a fait ses choix. » Il laissa une pause, son regard scrutant le vide, comme s’il cherchait une réponse adéquate à lui donner.
Mais il n’y en avait pas vraiment.

« Et il a payé les conséquences de ses choix. » Il hocha de la tête, plantant ses yeux dans ceux d’Ejo avec un sourire entendu. Il leva une main et la posa sur l’épaule du zora, la pressant avec affection. Puis, il leva la tête vers la grande tour magique derrière lui. « Tu me fais visiter ? Cet endroit m’a toujours tellement intrigué… C’est l’occasion. » Peut-être se laisserait-il aller à rejoindre cette fameuse Guilde. Après tout, il n’avait plus aucune raison de rester coincé à Hébra.
Autant vivre un peu pour lui, non ?

Cirilla lui avait demandé de penser un peu à lui.

« Mais tu sais, Ejo… » Commença Aymeric tandis qu’ils commençaient à marcher pour se rendre vers le bâtiment servant de quartier général à la guilde des magiciens. « Rien de ce qui s’est passé n’est ta faute. Lors d’une guerre… Les gens meurent, se blessent… C’est ainsi que sont les choses. » Un raisonnement qu’il s’était obligé à accepter. Et même encore aujourd’hui, c’était difficile.