Living off that prayer we never spoke • Samaël Rozenthal

— An 1000, Lune 8, Jour 24
@Samaël Rozenthal

La journée avait été longue et fatigante à la Citadelle Blanche, les nobles de la Cour d’Hébra n’en finissaient pas de lui demander des choses à faire, si bien qu’elle prit la route du retour plus tard que d’habitude. Elle en avait parfois marre de faire office de larbin pour la famille royale mais elle n’avait pas le courage d’élever la voix. Pas face à eux et sachant les répercussions qu’elle pouvait encourir. Pour elle, et peut-être un peu pour son père adoptif qui se rapprochait de plus en plus de la Cour depuis qu’il avait été enrôlé sur l’île du Dragon. Sa magie de soins lui avait permis de connaitre une certaine notoriété auprès des Cantell, ce qui n’était pas vu qu’un bon œil de la part de la rousse. Elle ne désirait pas qu’il se rapproche d’eux car elle craignait qu’il puisse s’éloigner d’elle en retour. La jalousie l’empêchait de voir les choses sous une autre perspective.

Il neigeait doucement en cette soirée froide. Luna prit un pas rapide après avoir enlevé ses vêtements de service et remit les siens, surtout pratiques et confortables, pour reprendre le chemin vers l’habitation qu’elle partageait avec Samaël. Elle était un peu plus loin dans Célestia et il fallait marcher quelques minutes pour l’atteindre. Assez rapide mais toutefois assez de temps pour penser à certaines choses, aux mots qu’elle avait surpris entre les différentes personnes qu’elle rencontrait dans la journée, aux murmures et aux regards. Cela ferait bientôt trois ans qu’elle y travaillait et elle avait toujours l’impression d’être aussi invisible à leurs yeux. Pas étonnant puisqu’elle n’était qu’un serviteur parmi tant d’autres. Mais ce n’était peut-être pas la vie qu’elle désirait vivre, pour toujours. Pouvait-elle seulement se plaindre ? Elle n’avait pas d’autres choix que d’assumer ce travail si elle voulait vivre, et surtout en apprendre davantage sur ses origines.

La question de sa naissance restait au centre ses pensées lorsqu’elle scrutait les visages des Cantell. Elle cherchait toujours des ressemblances, notamment dans les personnes plus âgées, à la recherche d’un père ou d’une mère. C’était sans espoir, et parfois même un peu délirant, cependant elle ne parvenait pas à se sortir cela de la tête. Elle voulait et devait en savoir plus. Ce n’était pas un sujet qu’elle abordait avec son père adoptif, elle n’osait pas le faire de peur qu’il ne s’éloigne d’elle, qui la prenne pour une jeune femme idiote et ingrate.

Quand elle pénétra dans la petite maison, Luna fut tout de suite frappée par le froid qui y régnait. Un frisson lui parcourut la peau et elle eut le réflexe de se rendre directement à la cheminée pour y rajouter une buche. Le feu n’était plus fait que de braises et se mourrait doucement. Personne ne l’avait attisé depuis un moment, pourtant Samaël devait être rentré depuis bien longtemps, à moins qu’il n’ait été retenu plus longtemps à la forge où qu’il n’ait fait un détour pour aider quelqu’un. Ces derniers temps, l’homme passait beaucoup de temps à user de sa magie pour soigner les personnes qui arrivaient de Bourg-Clocher après l’attaque des Yigas.

« — Samaël ?! » Appela-t-elle, hésitante. « Tu as laissé mourir le feu ! Ça va prendre des lunes de le relancer ! » Pesta-t-elle en s’affairant près de la cheminée, secouant les braises, maugréant dans son menton.

Elle n’avait pas eu le temps de faire le tour de la maison. Celle-ci était baignée dans l’obscurité car seulement quelques bougies étaient allumées et le feu était bien trop penaud pour baigner la pièce principale de chaude lumière.

« — C’est pas possible ça. Il ne s’occupe plus jamais de moi. Même pas capable de faire le feu pour quand je rentre. C’est moi qui fais tout ! » Geignit-elle, concentrée sur sa tâche, agacée par le froid qui lui léchait les doigts et les joues.

Elle devrait attendre un peu avant de pouvoir se poser tranquillement face à un doux feu. Et où était-il ?!

La rousse sursauta brusquement lorsqu’elle entendit une voix rauque lui parvenir par-dessus son épaule. Elle fit volte-face d’un même mouvement, tenant fermement le tisonnier dans sa main en cas de nécessité de se défendre. Ses prunelles tombèrent sur son paternel recroquevillé dans un coin de la pièce. Un silence s’en suivit, incertaine quant à la raison de son absence de réaction à son arrivée dans la maison, un sentiment d’inquiétante étrangeté dans son esprit car la voix qu’elle avait entendue lui semblait étrangère. Pourtant, le visage qu’elle discernait à peine grâce à la lumière du feu, était bien celui barbu de l’homme avec qui elle partageait sa vie depuis son enfance. La jeune femme posa le tisonnier à côté du feu de façon distraite et celui-ci s’écroula sur le sol dans un carillon de ferraille.

« — Qu’est-ce que tu fais à attendre, là, comme un fantôme ?! Tu sais l’heure qu’il est, au moins ? Depuis quand es-tu là ? Tu n’as pas remarqué que le feu s’éteignait ? » Les questions plurent à mesure qu’elle s’approchait. « C’est pas drôle de me faire peur comme ça… » Elle était agacée mais pas en colère. Son père était occupé, c’était un homme qui ne se posait jamais vraiment. Il pouvait très bien s’être assoupi un peu. Mais cela ne faisait pas partie de ses habitudes.

Luna fronça les sourcils en réponse à ses mots. En y repensant, elle eut l’étrange impression que l’homme ne s’était pas adressé directement à elle. Lui avait-il répété cela ? Elle ne s’en souvenait pas. Samaël avait toujours fait en sorte d’anticiper ses besoins et ses envies, même quand il ne pouvait pas beaucoup lui donner. Elle avait au moins conscience de cela, même si elle était parfois la petite fille ingrate qui était beaucoup trop concentrée sur son propre malheur pour voir celui des autres. D’un regard sur la pièce, elle s’assura qu’ils étaient bien seuls et qu’il n’y avait pas eu une autre personne de dissimulée dans les ombres. Personne. Un frisson parcourut de nouveau le corps de la jeune femme, mais le froid n’était pas à incriminer cette fois-ci.

« — Samaël ? » Sa voix était teintée d’inquiétude, cette fois-ci. Elle parcourut prudemment les derniers centimètres pour le rejoindre car il était évident qu’il n’allait pas se lever. Ce n’était pas son comportement normal. Il était différent.

Elle approcha son visage du sien et s’accroupit pour être à sa hauteur. Sa main rejoignit avec douceur la joue de son paternel, sentant la naissance des poils de sa barbe sur sa paume. Il dégageait de sa peau une chaleur étonnante, qui arracha un petit souffle de surprise à la rousse. Puisque la pièce était si froide, elle s’était attendue à sentir sa peau glacée contre sa main toute aussi froide. Au contraire, la chaleur de sa joue irradia sur sa main, et cela aurait pu lui procurer un certain plaisir si elle n’avait pas été aussi étrange. En plus d’être brulant, sa peau était moite, couverte de transpiration. C’était de la fièvre !

« — Mais ! Tu es brulant ! » S’exclama-t-elle, son autre main rejoignant l’autre joue, comme pour s’assurer que les deux côtés étaient bien à la même température. « Qu’est-ce que tu as ? »

Il leva le visage un peu vers elle sous le contact de sa main contre sa peau et Luna plongea son regard dans le sien. Elle eut la désagréable impression qu’il ne la voyait pas. Ses prunelles étaient différentes, il était dans un état qu’elle ne connaissait pas. Lui, l’homme d’habitude si féroce et si fort, intangible face aux tempêtes, rassurant dans toutes les circonstances. Il semblait étrangement distant, étrangement différent et mélancolique. Les mains de la rousse relâchèrent le visage de son paternel et attrapa l’une de ses mains, brulante elle-aussi, et la tira vers elle en faisant levier avec le poids de son corps, pour l’encourager à se lever.

« — Allez, debout ! Tu as mangé quelque chose ? » Le repas n’était pas fait mais il devait y avoir des restes de potages de la veille. Rien d’insurmontable pour la rousse une fois que le feu aura repris correctement. « Viens, allez lève-toi ! » À mesure qu’elle l’encourageait, la jeune femme continuait de tirer énergiquement son bras vers elle, pour qu’il se mette sur ses pieds et lui signifient que ce n’était qu’une blague. Et à mesure qu’elle s’entêtait à le faire bouger, l’anxiété grimpait dans sa voix, la rendant un peu plus aiguë, un peu plus pressante. Le corps de son paternel ne semblait même pas tressaillir sous ses assauts.

Et s’il arrivait quelque chose à Samaël ? Comment pourrait-elle vivre sans lui ? À cet instant, elle ne se souvenait plus que des histoires de personnes emportées par une fièvre fulgurante ou une maladie soudaine. Il représentait tant de choses pour la rousse. Il était le père qu’elle ne se souvenait plus avoir, le protecteur qu’elle avait toujours eu du plus longtemps qu’elle se souvenait, le seul homme qui comptait réellement dans sa vie. La seule personne qu’elle aimait. Son père. L’idée de le perdre lui provoqua une telle angoisse qu’elle retint inconsciemment sa respiration, ses poils se hérissèrent sous cette terrible angoisse qui lui remplissait le corps et l’étreignait douloureusement. L’homme semblait avoir des difficultés à contenir son attention sur elle et la rousse posa de nouveau une main sur sa joue pour être en mesure de soutenir son regard. Elle était effrayée de le voir aussi faible, aussi confus et n’avait aucun moyen de cacher sa terreur.

Il avait encore assez d’énergie pour se moquer, un peu, d’elle et de son absence de talent à la cuisine. À cela, la petite Piaf plissa le nez et secoua un peu la tête, à la fois rassurée et agacée d’avoir une réaction pour cette chose-là. Elle avait bien essayé de l’encourager à se mettre debout mais l’homme ne s’ébranlait pas tant qu’il n’était pas décidé à se mettre sur ses pieds. Bien qu’il ne soit pas dans le pire des états, voir le Piaf, habituellement une force de la nature, être aussi affaibli et épuisé, faisait graduellement monter l’angoisse en elle. Alimentée par ses pires craintes, elle était bien incapable de la taire.

« — Parle-moi, parle-moi… Papa ? » Ses yeux s’embuèrent de larmes.

Il articula son nom et la rousse ravala ses larmes. Ce n’était pas le moment de se faire emporter par une vague d’émotions. Elle tenta de la combattre, se renfrognant un peu puis attrapant de nouveau son père par le poignet, le tirant vers elle en faisant levier, grognant sous l’effort. Encore un peu et son corps la suivrait en avant, lui donnant la propulsion nécessaire pour se mettre sur ses jambes.

« — Allez viens ! …Te coucher… » L’urgea-t-elle à nouveau. Il allait bien finir par l’écouter !

Finalement, le grand Piaf se leva et tituba un instant. Luna prit son bras sur ses épaules pour le soutenir, bien qu’elle se sente bien frêle à côté de son paternel, et le porta tant bien que mal jusqu’à son lit où il pourrait se reposer en paix. Ou presque, car l’angoisse de la rousse n’était pas près de s’apaiser, ou pas assez pour qu’elle ne le laisse tranquille. Il s’écroula dans son lit et Luna remarqua alors un détail, au niveau de l’un de ses bras, qu’elle remit à plus tard pour le moment. Elle entendait le crépitement du feu dans son dos et devait aller s’assurer que tout allait bien. Il lui en voudrait si elle mettait le feu à la maison. Une fois qu’il fut dans son lit, elle l’emmitoufla dans les couvertures pour qu’il n’ait pas froid, allant cherchant les siennes en plus pour être vraiment certaine qu’il serait confortablement installé.

« — Attends-moi… Là… Bouge pas ! » Lui ordonna-t-elle de façon un peu autoritaire, même s’il ne pouvait probablement pas beaucoup bouger dans son état actuel.

Elle retourna voir le feu pour finir de l’alimenter et souffla avec soulagement lorsqu’elle vit que les flammes léchaient de nouveau les buches. Une fois que le potage fut mis à chauffer dans le feu, elle alla chercher un petit linge qu’elle trempa un peu puis retourna auprès de son paternel pour lui éponger le front. Alors qu’elle se penchait sur lui, elle s’appuya un peu sur son bras et en profita pour jeter un œil au bandage souillé qui cerclait ce dernier. Curieuse et anxieuse, elle attrapa fermement le bras de Samaël et tira un peu sur ce bandage. Elle sentit la chair résister tout d’abord puis vit, dans la lumière de la bougie la plus proche, que la chair saignait et suintait sous le linge sale. La rousse marqua un temps d’arrêt, sentit son estomac se retourner dans son ventre. Était-ce toujours de l’angoisse ou du dégout face à une plaie sanguinolente ?

Luna n’était pas une guérisseuse. Elle ne connaissait pratiquement rien à l’art médicinale, aux plantes et elle n’aimait pas tellement poser son regard sur les plaies. C’était son père qui s’occupait de ça en général et elle n’avait pas besoin de se faire violence pour supporter la vue de telles entailles. L’homme l’avait probablement trop couvée mais ce n’est pas comme si elle pouvait lui en vouloir, elle avait été une petite fille difficile et rebelle. La rousse détourna ses prunelles de la plaie pour adresser un regard sévère à son paternel.

« — Qui a fait ça ?! Quelqu’un t’a attaqué ? » Elle était à côté de la plaque mais elle ne pouvait pas se douter qu’il se faisait du mal à lui-même en voulant aider les autres. C’était la première fois qu’elle s’en rendait compte, elle avait été aveugle à tant de choses. Elle réfléchit, hésita, toucha du bout des doigts le bord de l’entaille, grimaça. « …Je fais quoi… » Elle se parlait davantage à elle-même qu’elle ne lui parlait.

La rousse s’éloigna un moment de Samaël, rejoignit la cuisine et chercha frénétiquement dans les différents tiroirs. Elle en ressortit différentes plantes et un mortier qu’elle ramena au chevet de son père. Concentrée à se rappeler des leçons de ce dernier, elle prit un peu de lavande et de plantain, qu’elle entreprit de broyer dans le mortier. Elle n’était même pas certaine de l’efficacité d’un tel onguent mais ce serait toujours mieux que de ne rien faire ! Et puis pour la fièvre ? Oh ! Une chose à la fois ! Et le potage qui allait bruler !

Il parlait d’un contrat et le visage de la rousse se ferma un peu. De quel contrat parlait-il ? Et celui qu’il avait envers elle, alors ? Il ne devait pas la laisser, l’abandonner, ou mourir. Elle ne pourrait probablement pas survivre à la perte d’un autre de ses parents. C’était grâce à lui qu’elle avait survécu, qu’elle avait guéri un petit peu et que la vie ne s’était pas arrêtée pour elle. Il représentait la personne qui comptait le plus pour elle. Luna ne répondit rien et se contenta de le considérer d’un regard presque accusateur. Il était évident que ce n’était pas le moment de discuter de cela, mais elle gardait ce sujet dans un coin de sa tête pour en rediscuter plus tard, quand il se sentira de nouveau lui-même.

Le bruit régulier des plantes écrasées dans le mortier la rassura un peu et elle sentit ses épaules s’affaisser. Assise en tailleur sur le sol, elle s’appliquait à créer une bouillie qu’elle pourrait ensuite utiliser pour recouvrir la plaie. La voix de Samaël, rauque et faible, la guida dans certains de ses gestes et de ses choix d’ingrédients. Elle étala ensuite la mixture sur la plaie. Si elle l’avait réalisé correctement, les propriétés antiseptiques et cicatrisantes permettraient à la plaie de s’assainir. Elle alla ensuite chercher le potage qui n’avait pas brulé et des bandages propres. Précautionneusement, elle emmaillota son bras dans ce bandage et lui proposa un peu de soupe, qu’il but, davantage pour lui faire plaisir que par réelle faim.

Luna se redressa, avec dans l’idée d’aller se chercher une petite couverture puisqu’elle n’en avait plus. Il devait bien en rester une près du feu puisqu’elle appréciait particulièrement se poser là. Elle n’en eut pas le loisir, rattrapée par une grande main qui l’empêcha de s’évader. La prise de Samaël l’attrapa par surprise et elle n’eut pas la force de la combattre, ni même l’envie d’y résister. Ses doigts s’agrippèrent à elle et Luna ne put que céder devant cet appel de détresse. La plainte feutrée de son père trouva un douloureux écho en elle et ses propres angoisses. Obnubilée par l’abandon des autres, elle n’avait jamais pris conscience des terreurs de son propre père. Est-ce que lui aussi craignait qu’elle ne parte ? Devant les sanglots du grand Piaf, la rousse se retrouva complètement désarmée et incapable de réagir. Les larmes se mirent à ruisseler sur ses propres joues. C’était plus fort qu’elle.

« — Je suis là… » Murmura-t-elle en se collant à lui. « Papa… Je suis là. » Sa voix se voulait rassurante, douce et calme, mais elle ne pouvait pas cacher le trémolo qui résidait dans sa gorge. Elle était horrifiée face à cet homme qu’elle avait cru infatigable. Il était mortel, finalement, et cette réalisation lui provoqua de terribles affres.

Elle se pencha sur lui, l’enveloppa de ses grandes ailes tricolores, prit son autre main dans les siennes et se concentra pour essayer de lui retirer cette peine qui l’affligeait. Les larmes ne cessèrent pas. Une vague de détresse la terrassa alors et elle sentit son corps tout entier, en proie à une terrible angoisse, qu’elle fut incapable de contenir. Elle le sentit perdre conscience et ne sut pas tellement si cela était de son fait. Luna avait parfois cet effet apaisant sur autrui bien qu’elle ne sache pas d’où cela lui venait. La finalité fut la même, son père sombrait doucement dans l’inconscience, murmurant cette même prière mélancolique tandis que la prise qu’il avait sur la rousse se faisait de plus en plus faible. Lorsque les doigts de Samaël la relâchèrent, sa première réaction fut de retenir sa respiration et de s’assurer qu’il respirait encore. Elle approcha son visage du sien et sentit son souffle contre son nez, vit son torse se soulever doucement. Une fois qu’elle fut certaine qu’il était bien vivant, elle se redressa et essuya vivement ses joues d’un revers de manche. Comment faire pour ne pas céder à la panique ? Luna ne pensa même pas à appeler de l’aide. Et appeler qui ? Elle ne pouvait pas le laisser, elle le lui avait promis ! Et s’il lui arrivait quelque chose pendant qu’elle était absente ? Non, impossible qu’elle le quitte.

La rousse garda la main de Samaël dans la sienne, pour la rassurer autant que pour le rassurer lui. Elle s’interdit de s’endormir une bonne partie de la nuit, veillant à la respiration de son père, lui épongeant le front à certains moments tant que la fièvre le tourmentait toujours, s’assurant qu’il était confortable et bien emmitouflé dans toutes ces couvertures. Elle était épuisée et les larmes coulaient de temps à autre sur son visage, lorsqu’elle se perdait dans ses terribles angoisses et qu’elle imaginait qu’il puisse ne jamais rouvrir les paupières. Plusieurs fois, elle eut envie de le secouer pour qu’il se réveille et qu’il la prenne de nouveau dans ses grands bras en lui disant que tout irait bien, qu’il allait bien. Mais elle n’en fit rien. Il devait dormir, c’était le seul moyen qu’il récupère son énergie.

La nuit était bien avancée lorsqu’elle se sentit un peu piquer du nez. Ses paupières étaient lourdes, la fatigue la tirait de plus en plus vers le bas, contre lui. Elle essayait d’y résister, ses prunelles luttant pour rester focalisées sur son visage endormi. Il aurait presque eu l’air paisible. Une ombre féline s’approcha d’elle et vint se frotter à son bras avant de se lover contre ses jambes. La rousse échappa un léger soupir de contentement à la vue de son compagnon à poils.

« — Oh, Éclipse… » Chuchota-t-elle en caressant doucement la fourrure noire de l’animal d’une main tandis qu’elle ne lâchait pas l’autre main de son père. « Je suis tellement inutile. Je ne sais rien faire d’autre qu’attendre. J’aimerais aussi avoir de la magie pour soigner les autres, je pourrais le soigner, lui. » Seul le ronronnement doux et régulier du chat lui répondit. Elle sentit le retour de ses larmes et ne chercha pas à les combattre. Elles coulèrent sur la main qu’elle tenait. « Samaël… Tu n’as pas le droit de m’abandonner. Tu as promis que tu ne me quitterais pas. » Elle était comme une petite fille à qui on avait fait une promesse et qui faisait un caprice. « Ne disparais pas, toi aussi. »

Luna baissa la tête, sentit sa conscience s’étioler tant la fatigue lui embrumait l’esprit. Elle porta la main de Samaël à ses lèvres, gouta le sel sur ses doigts. Son propre visage était brulant et humide par les larmes qui ne cessaient de rouler sur ses joues. Elle était épuisée, mais elle ne pouvait pas le laisser seul.

Le sommeil était finalement venu la cueillir lorsque le ciel nocturne s’était peint d’orange. Recroquevillée contre le corps de son paternel, elle n’avait plus été en mesure de combattre bien longtemps le désir impérieux de fermer les paupières et de couler dans le sommeil. Elle ne dormit pas bien longtemps, pas assez pour se reposer, et pas de façon récupérateur. Elle ne sentit pas tout de suite que son père avait bougé, qu’il s’était levé et l’avait bordé de ses couvertures. Elle avait continué à dormir presque paisiblement, l’anxiété toujours marquée par ses sourcils froncés sur son visage presque angélique. Quelques minutes de plus jusqu’à ce qu’elle entende comme un feulement puis une voix rauque, et un tintement léger de carillons.

Sa voix la tira de son sommeil, ainsi que la caresse de la fourrure du chat contre sa joue lorsqu’il se lova contre elle. Luna ouvrit un œil et se réveilla en sursaut, s’agrippant à la couverture, puis au matelas, paniquée par la soudaine absence dans les draps. Elle regarda tout autour d’elle pour chercher l’homme qu’elle avait veillé toute la nuit, une expression de panique sur le visage, jusqu’à ce qu’elle le voie de dos. Il tenait le carillon presque religieusement mais elle l’aurait probablement jeté au feu pour qu’il se tourne vers elle et la regarde. Luna se releva d’un bond, tituba un instant puis rejoignit son père en deux grands pas, les couvertures glissant de son dos et de ses ailes. Son visage heurta le dos de Samaël, le nez dans les plumes, ses bras l’enserrèrent avec une telle force qu’il en aurait le souffle coupé. Elle marmonna dans son dos, à la fois en colère et soulagée de poser ses yeux sur l’homme, qu’elle avait cru voir mourir la nuit plus tôt, bien en vie. À moins qu’elle ne soit en train de rêver ?!

Il l’avait inquiété, et plus que cela. S’en était-il seulement rendu compte ? Elle n’en était pas certaine et comptait bien l’aider à en prendre conscience.

« — Désolé de t’avoir inquiété ! » Répéta-t-elle avec une soudaine colère quand elle eut fini de marmonner dans ses plumes. « J’ai cru que tu allais mourir ! Que tu étais mort ! » Les larmes explosèrent à nouveau. Pourquoi fallait-elle toujours qu’elle pleure si facilement ? Elle essuya son visage pour la énième fois, d’un geste rageur. « Je t’interdis… Je t’interdis de risquer ta vie ! » Elle s’était déjà vue orpheline de nouveau, abandonnée dans le froid, livrée à elle-même. « Tu as des responsabilités, un contrat envers moi ! Est-ce que ça a si peu d’importance à tes yeux ? Les autres comptent plus que moi ?! » Plus que ta fille. Cela resta sur le bout de sa langue.  

Son désir de le garder pour elle était certainement bien égoïste mais elle n’en avait que faire. Luna ne voulait pas que son père ne la quitte. Elle voulait cet homme pour elle toute seule. Et elle le voulait vivant. Hors de question qu’il se mette en danger pour des étrangers. N’était-elle pas plus importante que tous ces gens ? Pourquoi devait-il s’occuper d’eux et risquer d’abandonner sa fille pour ces gens ?! Est-ce qu’ils se sacrifieraient pour un inconnu, eux ?! Luna prit une grande inspiration pour tenter de calmer ses émotions qui tourbillonnaient de nouveau dans son cœur meurtri et son esprit fatigué. La jeune femme rougit quand Samaël l’interrogea sur ses mots, sur ce mot, le plus important. Papa. Elle hésita, relâcha l’étreinte qu’elle avait sur le Piaf et fit un pas en arrière. Elle aurait pu démentir, mais à quoi bon cacher ce qu’elle ressentait pour cet homme ? Devait-elle continuer à dissimuler à quel point il était important pour elle ? N’était-ce pas déjà assez évident ? Elle chérissait tant sa présence réconfortante auprès d’elle. Ses prunelles bleues tombèrent sur les plumes de son paternel, caressant du bout des doigts celles-ci, distraitement.

« — Oui. » Marmonna-t-elle. « C’est la seule chose que tu as retenu ? » Ajouta-t-elle, une mine boudeuse sur le visage.

Maintenant que les émotions retombaient doucement, la jeune femme se frotta les yeux et secoua un peu la tête, comme pour chasser le sommeil qui la menaçait toujours. Était-elle censée aller travailler bientôt ? Elle allait dormir debout. Luna attendit qu’il se mette face à elle, prit l’une de ses grandes mains dans la sienne, presque timidement. Il y avait quelque chose dont elle voulait lui parler. Un sentiment, une impression, qui la taraudait. Le sujet lui semblait difficile à emmener. Accepterait-il de lui parler de lui et de son passé ? Son père était un homme secret, d’apparence intouchable. Mais après la nuit dernière, elle n’était plus sûre de rien. C’était probablement le moment où jamais de chercher des réponses à ses interrogations.

« — J’ai eu l’impression… » Elle ne savait pas comment formuler ce qu’elle allait lui dire. « …Que tu ne me voyais pas. Que tu voyais quelqu’un d’autre. » Luna le scruta intensément, curieuse. « J’ai d’abord cru qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce. Tu étais… Bizarre. » Était-ce un banal délire alimenté par la fièvre ? « C’était comme si tu cherchais une autre personne, que tu la voyais à ma place. » Elle hésita. Jamais elle n’avait posé de question. Ou peut-être que si ? Samaël n’y avait jamais répondu dans tous les cas. Et elle avait accepté ce silence du moment qu’il restait près d’elle.

Elle était nerveuse à l’idée de se lancer sur ce chemin. Anxieuse quant à ce qu’elle allait trouver, et sur ce qu’elle allait faire remonter. Luna ne désirait pas blesser son père. Elle voulait comprendre.

« — Pourquoi tu ne me parles jamais d’eux ? » Elle avait pensé à un certain nombre de questions différentes, mais ce fut celle-ci qui s’extirpa des lèvres roses de la jeune femme en première. « Est-ce la raison pour laquelle tu m’as accepté ? » Un silence. « J’ai besoin de savoir. »

Elle remarqua sur ses joues le tracé brillant qu’avaient laissé les larmes dans leur sillage et cette réalisation la figea. Samaël n’était pas un homme à pleurer facilement, contrairement à elle. La rousse avait parfois l’impression de s’émouvoir pour deux, mais ce n’était pas le cas cette fois-ci. Ses questions firent mouche, le vieux Piaf avait probablement beaucoup de choses sur le cœur qu’il contenait depuis déjà bien assez longtemps, surement trop, pour que cela puisse rester plus longtemps contenu. À moins que ce ne soit les mots de la rousse, ou ses grands yeux bleus qui le dévisageaient durement. Elle était agacée et déçue que son père ait donné de l’importance à d’autres personnes qu’elle. Égoïste comme l’enfant d’autrefois, elle ne désirait son père que pour elle-même. Ses bras étaient les seuls à pouvoir la consoler, sa voix à l’apaiser, sa présence à la sécuriser. Luna se trouvait bien incapable de se passer de lui, et cette certitude était plus angoissante que rassurante. Alors qu’elle avait cru utiliser Samaël à ses propres fins, voilà qu’elle était embourbée dans tout son amour et sa bienveillance.

Un léger sourire habilla ses lèvres roses lorsqu’il fit remonter les souvenirs de ce temps-là. Luna était jeune au moment où elle avait rencontré le grand Piaf pour la première fois, elle en gardait pourtant un souvenir très précis et clair dans sa mémoire. Le froid et la solitude la terrassaient et son cœur lui avaient semblé si vide, déserté de toute chaleur. Jusqu’à ce qu’elle croise cet homme qui semblait errer, le regard hagard, froid comme la glace, lui aussi. Si elle n’avait pas compris pourquoi elle s’était dirigée vers lui à ce moment, elle s’en rendait maintenant compte. Il avait arboré le même regard qu’elle, inhabité par l’amour, vide. Immensément vide. Comme elle.

Luna resta silencieuse et le laissa parler, de crainte qu’il ne se taise et qu’elle ne parvienne plus jamais à relancer cette conversation. Le Piaf sembla chercher ses mots un instant avant de poursuivre. Elle avala sa salive lorsqu’il continua son récit, expliquant la perte de la femme qu’il avait aimé et des promesses d’avenir qu’ils avaient eu ensemble. La jeune femme s’était attendue à des révélations émouvantes et contenait ses propres émotions pour ne pas rajouter de difficultés au conteur. Son empathie lui faisait vivre un calvaire tandis qu’elle imaginait la détresse chez son père lorsqu’il avait accompagné la mort de sa bien-aimée, terriblement impuissant à l’en préserver. Sa main chercha la sienne, ses doigts serrant ceux de Samaël avec réassurance et douceur. Elle avait bien discerné l’épouvante dans le fond de ses iris la veille et ne pouvait qu’entendre le chagrin qui avait dû le foudroyer quand cette femme disparut de sa vie.

« — Elle a dû être soulagée de t’avoir près d’elle à la fin. » Murmura-t-elle.

Une seconde chance… En avait-elle eu une également, lorsque leurs chemins s’étaient croisés et qu’elle s’était rapprochée de lui ? C’était elle, et elle seule, qui avait fait ce pas. Elle ne mettrait certainement pas cette providence sur le dos d’un éventuel dieu. Elle accueillait néanmoins cette seconde chance auprès d’un homme qui lui prouvait chaque jour qu’il tenait à elle et qu’il chérissait la femme qu’elle était devenue. Son cœur s’emplit de chaleur aux mots du Piaf. Il était fier. Elle ferma les paupières lorsqu’il se pencha vers elle pour lui embrasser le front et ses joues se teintèrent de rouge. Ses yeux se mirent de nouveau à briller. Pour une fois, ce n’était pas la tristesse qui alimentait les émotions qui apparaissaient pleinement sur son visage fatigué.

Je t’aime.

Le silence accompagna ses mots qui ricochaient dans son esprit. À nouveau, ses bras l’attrapèrent fermement pour le serrer contre elle. Luna n’avait jamais prononcé ces mots bien qu’elle ait montré, à plus d’une reprise, à quel point le Piaf était important dans sa vie. Ces mots la terrifiaient. Elle craignait, plus que tout, qu’il s’éloigne. Elle ne pouvait pas l’aimer, pas trop fort, pour qu’elle soit en mesure de guérir si jamais il devait tourner les talons. Elle ne savait pas comment calmer les affres de son cœur, comment apaiser les palpitations qu’elle ressentait dans son torse à mesure que le silence s’installait et qu’elle s’arrimait profondément à l’homme qui l’avait protégé depuis tout ce temps. Ne rien dire et elle prendrait le risque qu’il ne s’éloigne à jamais. C’était si difficile, pourtant. Ces simples petits mots. Il n’était même pas question de mensonge. Pas cette fois-ci. Ce n’était pas une chose à prendre à la légère, que l’amour familial, d’un père pour sa fille, d’une fille pour son père. Est-ce que cela apaiserait ses désirs de connaissance sur ses origines ? Cela restait à prouver.

« — Je t’aime… Papa. » Chuchota-t-elle sans le regarder, presque honteuse ou timide de se laisser aller à délivrer les sentiments dissimulés dans son cœur.

Luna s’emmitoufla du silence rassurant qui les enveloppa temporairement. Comblée par la présence du Piaf auprès d’elle, la jeune femme frotta doucement ses joues humides sur son torse. Sa gorge serrée entrava toute autre parole de sa bouche, alors elle se tût pour cette fois-ci mais elle saurait lui rappeler qu’il ne devait pas la faire passer en second dans ses priorités ! La jeune Piaf releva finalement son visage et se mit sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue, avec douceur et affection.

@Samaël Rozenthal

Gênée de se laisser aller à verbaliser ses sentiments, elle releva les yeux lorsque les bras de son père l’attrapèrent fermement autour de la taille et qu’il la souleva comme si elle avait été plus légère qu’une seule de ses plumes. Son rire franc et éclatant résonna dans ses oreilles et elle ne put pas s’empêcher de ressentir un puissant soulagement à ce son qu’elle avait cru ne plus jamais entendre la veille. C’était comme si plus rien ne comptait en cet instant précis. Il n’y avait plus que cet homme qu’elle aimait tant, et ses grands bras qui la contenaient férocement contre son torse. Ce cocon sécurisant qu’elle ne voudrait jamais quitter, et qu’importe s’il devait perdre l’équilibre et manquer de tomber en arrière. Elle essayerait d’adoucir la chute si celle-ci devait arriver. Mais cela ne fut pas nécessaire car Samaël parvint à conserver son équilibre, maugréant dans sa barbe qu’il était trop vieux. À cela, la rousse échappa un rire plus doux mais sincère.

« — Un vieux schnok, oui ! » Rétorqua-t-elle en lui tirant brièvement la langue.

Si elle n’avait pas l’habitude qu’il use de ces mots-là avec la jeune femme, cela faisait bien longtemps qu’elle n’y faisait plus attention, ou alors seulement pour s’en moquer. Mais ce n’étaient pas tout à fait des conneries cette fois-ci, sinon elle ne se serait pas inquiétée à ce point de la santé de son sauveur. Elle ne le laisserait pas la quitter de cette façon. Elle était bien trop déterminée et têtue pour l’abandonner. Même si elle n’y connaissait pas grand-chose en remèdes et qu’elle était certainement très mauvaise à les confectionner, puisqu’elle oubliait toujours un ingrédient. Elle n’était jamais assez attentive, trop distraite qu’elle était. La rousse était au moins soulagée d’avoir pu aider son père quand il avait le plus besoin d’elle. C’était le plus important, à ses yeux, que son père soit vivant. Qu’il puisse la prendre dans ses bras encore. Qu’elle puisse être témoin de son rire qu’elle avait le sentiment de ne pas avoir assez entendu ces derniers temps.

La jeune femme secoua un peu la tête, une mine un peu boudeuse sur les joues, à sa remarque sur le fait qu’elle était plus bavarde quand il était malade. Fronçant les sourcils en signe de négation, elle lui attrapa une joue entre deux doigts et la pinça. Son but n’était pas de lui faire mal, seulement de lui faire comprendre qu’il était hors de question qu’il lui fasse vivre cela de nouveau ! Irait-il risquer sa vie pour entendre ces mots de la bouche de Luna ? Jamais de la vie !

« — Non. » Grommela-t-elle en secouant vivement la tête à nouveau. « Même si ça me permet d’en apprendre plus sur toi, je veux pas prendre le risque de me retrouver seule… Et de te perdre. » Elle se mordilla l’intérieur des joues, jetant un regard autour d’elle. « Je m’empoisonnerais en moins d’une semaine avec de la nourriture mal cuite. » Ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie, un sourire en coin.

Il allait pourtant devoir prendre le risque de survivre à la cuisine de la rousse puisqu’il devrait rester alité pendant quelques jours encore. Peut-être pourrait-elle ne pas aller travailler afin de s’occuper de lui. Elle n’avait aucune envie d’aller à la forteresse blanche aujourd’hui. C’était comme si elle craignait que tout ceci ne soit qu’une illusion de son esprit et qu’elle soit témoin d’une horrible scène en rentrant du travail. Elle ne pouvait pas le laisser seul et prendre un quelconque risque. Non, aucune chance qu’elle le laisse maintenant ! Luna recula d’un pas lorsqu’il la reposa sur le sol pour s’asseoir sur une chaise. Elle fit la moue quand il reprit la parole.

« — Un vieux schnok sage, on dirait. » Ajouta-t-elle d’un air un peu malicieux.

Du dos de sa main, elle essuya le reste des émotions qui s’agrippait encore à ses cils. Toutes les actions entrainaient des conséquences. Elle le savait. C’était bien la raison pour laquelle la rousse était aussi prudente. Elle craignait trop de perdre ce qu’elle avait obtenu, en commençant par celui qui se tenait, en piteux état, devant elle.

« — Mais je n’ai pas de magie. » Répondit-elle d’une voix d’où transparaissait toute sa déception.

Ses prunelles s’égarèrent sur le chat qui ronronnait mollement sous les caresses de Samaël puis sur la paume de sa main. Elle était pensive car il ne lui semblait pas avoir jamais ressentis autre chose que les émotions des autres, parfois de manière particulièrement amplifiée quand elle était témoin de leur détresse, sans jamais pouvoir réellement l’expliquer. Ce n’était que dans sa tête, ça ne pouvait pas être autrement.

« — Si je n’avais pas l’arc que tu m’as offert, je n’aurais même pas de quoi me défendre ! » Se lamenta-t-elle, la mine toujours boudeuse. « Et je ne peux pas soigner, non plus. Alors je ne vois pas… À moins que… » Elle secoua la tête, hésitante. « …Je me demande parfois si c’est normal que je sois aussi émotive. Je pleure pour un rien. C’est énervant ! Même encore hier… Je veux dire… Je me suis sentie si mal quand je te tenais… C’est difficile à expliquer. Comme si je ressentais ton malheur au plus profond de moi. Comme s’il était mien. » Luna reporta son regard sur lui. « C’est ça l’empathie ? Je n’en veux plus ! » Lança-t-elle à la manière d’une enfant capricieuse.