思い切る [Luna]

@Samaël Rozenthal

Deux heures plus tard, le crépuscule tombait et la neige virevoltait de nouveau sur Célestia. Luna s’extirpa de la sortie des serviteurs, emmitouflée dans son grand manteau de fourrure. Elle devait se hâter de rentrer chez elle avant que Samaël ne l’attende et qu’il se plaigne de l’heure à laquelle elle rentrait. Alors qu’elle prenait la route vers la maison, elle prit conscience qu’elle oubliait quelque chose et se rappela soudainement la promesse qu’elle avait faite au dénommé Shin. La rousse s’arrêta, regarda autour d’elle, et mit un peu de temps avant de reconnaitre l’homme qui se tenait dans un recoin, à moitié assoupi eut-elle l’impression. De quelques battements d’ailes, Luna était près de lui. Elle lui saisit le bras et le secoua doucement.

« — Monsieur Shin ? Est-ce que vous dormez ? » Lorsqu’il bougea enfin, elle le tira vers elle. « Excusez-moi, j’aurais dû vous préciser que ça prendrait surement du temps. J’avais encore pas mal de choses à faire. » Elle lui offrit un sourire embarrassé. « Et encore, j’ai insisté pour partir plus vite, parce que je l’ai promis à Samaël. » Elle s’était un peu évadée dès qu’on avait commencé à lui donner une porte de sortie. « Allez, venez, c’est par là ! »

Elle s’élança, plutôt guillerette d’être enfin sorti de la forteresse royale. S’assurant que l’homme la suivait bien d’un regard en arrière, la rousse prit le pas en s’efforçant de ne pas s’envoler. Ses ailes lui démangeaient, elle avait l’habitude de rejoindre leur maison rapidement dès qu’elle sortait de son travail. Mais puisqu’elle était accompagnée, elle ne pouvait pas partir comme une furie.

« — Avant qu’on arrive, je dois vous dire que Samaël est un homme un peu… Mmmh… » Comment pouvait-elle le décrire pour ne pas lui faire peur ? « …Franc. » Son compagnon aurait probablement été mieux accueilli s’il était en danger de mort. « Il est très gentil ! Mais juste… peut-être que vous pourriez essayer d’éviter le sujet de mes origines ? » Elle lui lança un sourire un peu grimaçant. « …Et peut-être vaudrait-il mieux aussi ne pas parler de vos différends avec la justice. » Des conseils, simplement, qu’il était libre ou pas de suivre.

Luna ne savait pas tellement la façon qu’aurait son père face à ce genre de conversations. Ils ne parlaient pas tant que cela, tous les deux. Ce n’était pas un homme très loquace mais elle s’y était faite, au fond. Sa seule présence était hautement rassurante pour la rousse, ainsi que la façon qu’il avait de la regarder. Ils mirent quelques minutes à rejoindre la maison. Les fenêtres étaient teintées d’un halo orangé, signe qu’un bon feu vivait à l’intérieur et qu’il devait y faire bien chaud. La Piaf s’avança et toqua à la porte pour avertir sa présence avant d’entrer.

« — Samaël ? » Appela-t-elle doucement au début. « Je suis rentrée ! » Elle entendit des pas et se dépêcha d’ajouter. « J’ai ramené quelqu’un avec moi, il s’appelle Shin et il n’avait nulle part où aller ce soir. Tu ne refuserais pas l’hospitalité à quelqu’un, hein ? » Maintenant qu’il était mis devant le fait accompli, pouvait-il seulement le rabrouer ?

Elle attendit la réponse de son paternel et glissa un regard à son compagnon.

La réaction de son paternel ne la surprit pas. Elle baissa les yeux lorsque le poids de son regard s’abattit sur elle et sur son compagnon. Il n’était pas particulièrement accueillant ni agréable avec ce dernier, et bien que la rousse l’ait prévenu de la probabilité d’un accueil tel que celui-ci, elle fut embarrassée d’y faire réellement face. Son père pouvait être un homme très méfiant et encore plus quand elle se retrouvait dans l’équation. Ou plutôt, surtout, lorsqu’elle s’y trouvait. La jeune femme échappa un rire gêné quand il compara leur maison à une auberge et s'approcha doucement de son père pour lui prendre le bras tandis que l’une de ses ailes entourait ses épaules. S’il attendait des explications, elle était bien décidée à lui en donner et avoir le dernier mot dans cette histoire.

« — Oh, allez ! Ne fais pas l’ours. » Elle sentit alors le regard réprobateur de son père et comprit que l’apparition d’un homme inconnu à la porte pouvait également signifier autre chose, au moins pour l’homme protecteur qu’il était. Le visage de la rousse vira au cramoisi et elle mit ses mains sur ses joues en signe d’embarras, détournant furieusement son regard, clairement gênée qu’il puisse s’imaginer une telle chose. « C’est pas ce que tu crois ! »

Elle se retourna vivement vers Shin lorsqu’il expliqua qu’il l’avait aidé. Luna hocha la tête. En voilà une bonne idée ! Si son père pensait que l’étranger lui avait apporté son aide et qu’il avait même sauvé sa propre fille, alors il l’accepterait probablement sans s’en plaindre ! Ce n’était pas comme si elle lui mentait, après tout, car Shin lui avait réellement apporté une certaine aide. Elle ne devrait peut-être pas lui dire qu’il l’avait fait pleurer. Ce serait un détail qu’elle ferait mieux de conserver pour elle.

« — Il m’a vraiment beaucoup aidé cet après-midi ! C’est toi qui m’as appris à être reconnaissante envers les gens qui prennent du temps pour les autres, et qui sont généreux. Alors voilà ! Je lui ai proposé notre hospitalité pour cette nuit. » Elle offrit à son père un sourire parfaitement innocent. « Tu ne vas quand même pas refuser l’hospitalité à un homme qui a aidé ta fille ?! » Elle aurait presque eu l’air outrée.

Luna attrapa fermement le bras de Shin alors qu’il semblait prêt à faire demi-tour devant le comportement antipathique de son paternel. Il était absolument hors de question qu’il se défausse. Déterminée et têtue, la rousse comptait bien aller au bout de son idée. Son père était un altruiste et elle était persuadée que lorsqu’il aura compris la raison de l’invitation de sa fille, il accepterait lui-aussi l’étranger dans leur humble demeure.  

« — Ce n’est pas comme s’il était un meurtrier ! Il n’est pas d’ici, certes, mais il est très serviable. » Elle marqua une pause avant d’en dire trop. « Et puis, je me suis dit que tu pourrais peut-être l’aider un peu, parce que tu es plus vieux et que tu connais beaucoup de choses ! » Un sourire à nouveau. Elle s’efforçait à le caresser dans le sens du poil. « Mais on pourra en parler autour d’un bon repas bien chaud, hein ? »

Alors que la jeune femme tenait les deux hommes à bout de bras, elle sentit Éclipse se glisser entre ses jambes et se frotter doucement à elle. La rousse attrapa l’animal dans ses bras, frottant ses joues à sa douce fourrure. Comment avait-elle négocié la présence du petit chat ? Probablement d’une manière un peu similaire. Usant de ses grands yeux et de son sourire ravageur. Pouvait-il résister à son charme ?

« — Je te demande simplement une nuit, s’il te plait ? » L’implora-t-elle de ses grands yeux bleus. Il ne pouvait pas y résister.  

Il n’avait pas résisté aux arguments imparables de la rousse. Elle loucha un instant sur le doigt qu’il lui présentait, un rictus amusé sur les lèvres. La mine victorieuse, la jeune femme arbora un sourire et relâcha son chat pour prendre Samaël dans ses bras et le remercier, bien qu’elle n’ait jamais réellement doutée qu’il puisse refuser entièrement l’hospitalité à un étranger. Elle était à peu près certaine qu’il avait fait mine de refuser par simple principe. Il était bien moins bourru qu’il n’en avait l’air. Luna se tourna et adressa un regard satisfait et toujours aussi victorieux à Shin quand il put enfin faire un pas dans leur modeste maison. Il y régnait une douce chaleur et Luna se débarrassa rapidement de son manteau de fourrure, l’accrochant négligemment où elle pouvait tandis qu’elle laissait Shin s’asseoir à table. Elle hésita à proposer son aide à Samaël dans la préparation du repas, mais préféra s’abstenir. Les mélanges qu’elle faisait était toujours un peu douteux, sous couvert de la liberté culinaire. S’ils voulaient manger correctement, mieux valait que son père se charge entièrement de la cuisine.

Elle entendit Samaël questionner Shin et entreprit d’aller chercher des verres et de rajouter une place à la table sommaire que son paternel avait déjà dressé en anticipation de son arrivée. Elle prit de l’eau qu’elle mélangea avec un peu de jus de myrtille puis la versa dans trois verres qu’elle présenta sur la table. Le Sheikah reprenait son histoire en donnant bien plus de détails que la première fois qu’elle l’avait entendu, et la rousse l’écouta attentivement bien qu’elle ait eu l’air un peu plus distraite. Simple défense pour éviter de succomber à nouveau aux émotions, encore davantage quand le sujet de la sœur de Shin revint sur le tapis. Elle devait éviter de pleurer à nouveau. Son père n’aimait pas voir les larmes sur ses joues alors elle se devait d’être irréprochable. La rousse inspira profondément quand Shin eut fini de raconter son histoire, s’asseyant à côté de lui.

« — Vous venez d’Ordinn ? » Cette seule information ne devrait pourtant pas l’étonner, il était un Sheikah après tout. « Ça ne m’étonne pas que vous ayez aussi froid ! » Elle réfléchit un instant. « Mais… Pourquoi partir ? » Ce village au nom d’oiseau n’était-il pas le refuge des Sheikahs ? Elle était persuadée d’avoir lu cela quelque part. « Vous n’avez pas de père ? » Questionna-t-elle innocemment en réfléchissant à voix haute.

Qu’importe, il y en avait peut-être un peu partout, de ces villages. Ce n’était probablement pas le plus important pour l’instant. Elle scruta Shin un moment avec une certaine curiosité, puis se tourna vers Samaël.

« — Je me disais que tu aurais peut-être une piste pour sa sœur ? Tu entends beaucoup de choses à ton travail, après tout, et tu connais beaucoup de monde ! » Fit-elle avec espoir.  

Luna n’avait aucune information sur cette tragédie et ne serait d’aucune aide à Shin. Elle pourrait cependant l’aider à retrouver sa sœur, peut-être, s’il l’aidait à connaitre la vérité sur ses origines à elle, en retour. C’était un détail qu’elle ferait mieux de ne pas donner à son père.

Peut-être était-elle trop curieuse ? Elle n’en prit conscience que lorsque son père lui attrapa une joue pour la pincer en signe de réprimande. La rousse fit une grimace et le repoussa doucement en maugréant une sorte d’excuse à son endroit, se frottant la joue ensuite. Elle n’était plus une enfant ! Il continuait à s’occuper d’elle comme si toutes ses réactions étaient celles d’une petite fille qu’il fallait éduquer convenablement pour éviter qu’elle ne finisse par le couvrir de honte. Luna fronça les sourcils à Samaël et prit son verre qu’elle s’entêta à finir pour avoir la bouche occupée et ne pas interrompre à nouveau le jeune homme, écoutant toujours attentivement tout de même. Son père connaissait l’histoire de ce village qui avait brulé et qui n’avait laissé aucun survivant, à priori. À moins que personne n’ait souhaité être retrouvé par la suite. Il était toujours possible de fuir face aux flammes, pensa Luna, si l’on ne se rendait pas compte trop tard que la maison était en train de bruler comme du petit bois. Elle prit une cuillère de son assiette et avala un peu bruyamment. Quelle terrible façon de mourir que de bruler vif.

Luna resta silencieuse lorsque son père ramena le sujet du banneret sur la table, manquant de s’étouffer en avalant de travers. Elle toussa un peu et porta une main à sa bouche, glissant un regard à Shin comme si elle s’attendait à ce qu’il n’explose. Il ne fit rien de ce genre mais évoqua tout de même un procès. Ce n’était pas un meurtrier, et il avait payé pour son crime, même si ce dernier n’avait été que de vouloir protéger sa sœur des pattes d’un homme qui pensait avoir le droit de tout s’octroyer.

« — Il est hors de question que vous alliez voir cet homme, seul. » Rétorqua-t-elle à Shin.

Elle craignait qu’il se fasse accuser, ou bien qu’il cherche à achever ce qu’il avait tenté de faire, jadis. La vengeance pouvait pousser des personnes à bien des atrocités, et elle refusait que cet homme en vienne à de telles extrémités. Rendre visite au banneret, pourtant, n’était pas une si mauvaise idée. Si sa sœur avait réellement désiré se venger, peut-être était-elle déjà allée le voir pour le menacer. Luna prit une nouvelle cuillère qu’elle macha un peu distraitement, son regard perdu sur le visage du Sheikah. À la dernière question de ce dernier, la rousse secoua lentement la tête de gauche à droite. Elle ne se souvenait pas d’histoire dans ce sens-là, mais elle avait été préoccupée par bien d’autres choses pour s’y intéresser.

« — Est-ce que ça pourrait être les bandits, les Yigas ? » Interrogea-t-elle. « Ils ont attaqué Bourg-Clocher la lune dernière, ça ressemble à leur façon de faire. Ça pourrait aussi être une piste, non ? »

Il y en avait bien peu, des pistes. Elle n’était pas persuadée d’avoir été une grande aide à Shin, en fin de compte. Et elle en était désolée.