Un océan de pages et d'encre [FB] • Robyn Patel

Flashback — An 1000, Lune 2 Jour 10
@Robyn Patel

Des livres, des livres et toujours des livres. L’océan de pages et d’encre dans lequel elle se noyait à chaque fois qu’elle ouvrait la porte d’une nouvelle bibliothèque n’en finissait pas de grandir. Elle ne s’était pas attendue à faire face à un tel tsunami de connaissances et de futilités quand elle s’était lancée dans sa quête de recherche d’informations sur les fragments de sa couronne. Cela ne pouvait pas être facile, bien sûr, mais fallait-il que cela soit ardu à ce point ? Chaque jour, elle essayait d’en lire davantage, se demandant si quelque chose avait pu lui passer sous le nez, si une information résidait, cachée, dans le texte qu’elle lisait. Mais elle ne trouvait rien. C’était le néant. Et cette absence de réussite commençait sérieusement à atteindre son optimisme et sa volonté d’avancer. À l’allure à laquelle elle allait, le Royaume de Metzli n’était pas près de la revoir tout de suite. Cette pensée l’angoissait alors elle la cachait rapidement dans les étagères de son cerveau et revenait à sa quête actuelle.

Les informations de son conseiller, Xanto, n’arrivait pas. Elle ne savait pas où il en était et elle avait franchement le sentiment qu’il n’était pas tellement pressé de trouver des réponses à ses questions. Après tout, il n’avait pas de couronne à défendre, et il ne se privait pas non plus de retourner au château d’Itzal alors qu’elle, Reine de Metzli, se retrouvait dans des auberges miteuses au fin fond du Royaume d’Hyrule, à vivre comme une aventurière. Cette vie qui l’avait tant fait rêvée quand elle était enfant, n’était plus du tout un plaisir actuellement. Elle était blasée de devoir couvrir ses cheveux flamboyants pour éviter que leur couleur de feu attise la suspicion chez les citoyens du royaume. Assez de vivre avec des vêtements simples dans lesquels elle n’était même pas à l’aise. Assez de passer son temps au milieu des bouquins à dévorer les pages et les chapitres, zyeutée suspicieusement par les gérants. Assez de se cacher comme un cafard qui risquerait de se faire écraser sous la semelle d’une chaussure s’il tentait de montrer le bout d’une antenne. Il y avait toutefois une chose positive : la nourriture était bonne. Non pas qu’elle soit mauvaise à Metzli, mais Midona aimait les nouvelles saveurs qu’elle découvrait au sein du Royaume d’Hyrule.

Encore une fois, la jeune femme tenait dans ses bras, une pile de livres aux couvertures plus ou moins chatoyantes, avec des titres peu évocateurs, dans lesquels elle espérait trouver un indice pour trouver ce précieux fragment. Agacée de devoir vivre dans l’obscurité des bibliothèques, elle était sortie et lisait en extérieur, affalée dans l’herbe et contre le tronc d’un arbre un peu fatigué dont certaines fines branches mortes risquaient de lui tomber dessus à tout moment. Couverte d’une cape noire pour cacher ses cheveux, ainsi que de vêtement sombre tout ce qu’il y avait de plus commun, elle espérait se faire la plus discrète possible. Peu de personnes aurait pu réellement la reconnaitre car elle maquillait un peu son teint pour avoir l’air moins pâle et pour ressembler davantage à une Hylienne en vadrouille.

Célesbourg était un joli village vivant qu’elle aurait pu apprécier si les gens n’étaient pas aussi volubiles. Un peu de calme et de sérénité étaient plus que bienvenue. Même si cela la ramenait irrémédiablement auprès de ses amants forcés qu’étaient les livres.

Un soupire s’extirpa de ses lèvres alors qu’elle rejetait la tête en arrière, contre le tronc rugueux sur lequel elle était adossée. Levant les yeux au ciel, elle aperçut soudainement une masse descendre dans sa direction. De grandes ailes brunes étaient attachées à un être humain, et ce dernier abordait son atterrissage auprès d’elle. Avec la surprise, la fascination d’observer un Piaf en plein vol. Elle admirait ces êtres dont les ailes dépassaient toujours de leur dos, qu’elle avait croisé à certains moments à Hyrule, couvant sur eux un regard curieux. Un regard envieux surtout. Si elle avait eu des ailes, sa quête aurait été plus aisée. Elle aurait pu se déplacer où elle le souhaitait à tout moment. Usant de ses plumes pour aller rapidement d’un lieu à un autre et se poser hors d’atteinte le soir venu. Quoi de mieux pour pouvoir s’éclipser rapidement.

L’homme, quand il toucha terre, posa sur elle un regard qu’elle ne parvint pas tout à fait décrypter. Était-ce du soulagement ? Il s’exclama d’un ton joyeux et amical envers elle, et cela n’eut comme effet que de la renfrogner davantage. La capuche de sa cape sur la tête, il pouvait difficilement voir ses pupilles bleues si elle ne levait pas le menton vers lui. Celui-ci la dominait de sa hauteur tandis qu’elle restait adossée à l’arbre. Derrière une apparente détente, ses muscles étaient tendus, elle était prête à se défendre s’il lui prenait l’idée de l’attaquer.

L’oiseau fit une remarque sur l’imprudence de son égarement hors du village. Pour qui se prenait-il pour lui adresser la parole de la sorte ? Il parlait à une reine, la reine de Metzli, et celle-ci n’appréciait guère la familiarité venant d’un illustre inconnu à plumes. La première réaction qu’elle eut fut de rire. Un rire qui ressemblait davantage à un ricanement, tant il était nerveux.

« — C’est aimable à vous de vous enquérir de mon sort. » Retorqua-t-elle d’un ton piquant. « J’imagine que vous êtes le preux chevalier que l’on m’a envoyé ? » Elle prit son temps pour le toiser de haut en bas d’un regard dédaigneux, un sourire léger mais moqueur aux lèvres. Elle n’ajouta rien.

L’homme piaf attisa sa curiosité en lui expliquant qu’il avait une « babiole » pour elle. Savait-il donc qui elle était ? Était-il encore plus stupide qu’il ne le paraissait ? S’adresser de cette manière à la Reine de Metzli et espérer ne pas y perdre des plumes. Sa fierté piquée, elle sortait facilement les crocs. Midona porta par réflexe la main à sa besace dans laquelle était cachée sa couronne d’ombre. Elle sentit la protubérance rassurante de l’objet et se détendit presque aussitôt, bien que la situation la tendît tout de même. Elle n’appréciait pas être prise de haut de la sorte.

Il lui tendit l’objet tout en prenant soin de le garder à bonne distance d’une main rapide pour subtiliser son butin. Midona se releva, épousseta l’herbe qui collait à ses chausses, pour prendre un peu de hauteur, laissant de côté sa lecture infructueuse. Le piaf était toujours plus grand qu’elle mais elle ne s’en formalisa pas. Elle plissa les yeux pour voir quelle était ladite babiole qu’il tenait entre ses doigts. C’était un collier fait de pierres sombres, ressemblant fortement aux gemmes nox car il brillait d’un éclat sombre sous les rayons solaires. Des lueurs cyan vivaient à l’intérieur, tel un fantôme dans une forêt de jais, prêtes à s’épanouir la nuit venue. Elle reconnut la babiole : Son père lui avait jadis offert ce collier quand elle s’était présentée à l’épreuve de la couronne. Il lui avait dit qu’il lui porterait chance. L’avait-il vraiment fait ? N’était-ce pas ses propres compétences qui l’avaient propulsé où elle était aujourd’hui ? À la place de la chance, c’était le mépris qu’elle avait récolté.

« — Pourquoi la tenez-vous si loin ? Avez-vous peur que je vous vole ? » Elle soupira. « Je ne sais pas si vous avez remarqué mais je n’ai pas d’ailes. Il vous faudra donc espérer que je ne sache pas me téléporter. » Heureusement pour lui, ce n’était pas le cas. Mais ça, il ne le savait pas.

Cela n’enlevait pas l’aspect émotionnel qui était attaché à la babiole. Elle avait perdu le collier à la suite de son affrontement contre Ganondorf et cela n’avait pas été au cœur de ses réflexions. Elle avait presque oublié son existence jusqu’à ce qu’elle pose les yeux dessus.

« — Où l’avez-vous trouvé ? Qui vous a demandé de me le ramener ? » Demanda-t-elle d’une voix assez froide, sans appel quant aux réponses qu’elle attendait.

Quel toupet ! Son arrogance n’avait d’égal que son ignorance. Était-ce un délire de Piaf que de faire confiance au premier venu ? Fallait-elle qu’elle lui fasse des courbettes et qu’elle l’inonde de remerciement pour qu’il se sente assez valorisé pour accepter de lui rendre SON bien ? En plus d’être un voleur, l’homme était un brigand. Ce n’était pas des manières d’honnêtes gens, si ? Midona ne savait plus tellement ce qu’était l’honnêteté, ni la bienveillance. L’avait-elle su ? Les évènements n’avaient cessé de la briser depuis qu’on avait posé la couronne d’ombre sur sa tête. Et ce n’était pas terminé. Elle laissa échapper un long soupir et s’adossa à l’arbre, croisant ses bras en toisant l’homme d’un regard agacé.

« — Qu’est-ce que vous voulez en échange ? » Demanda-t-elle en levant les yeux au ciel.

Et voilà qu’il rangeait le collier dans une de ses poches, lui adressant un sourire goguenard, visiblement satisfait de son forfait. Cela eu le don d’agacer encore davantage Midona. Mais que pouvait-elle faire ? Elle n’était pas Reine ici. Seulement une Twili un peu trop agacée de devoir se comporter comme le commun des mortels, et qui devait supporter les humeurs d’un Piaf postal. Impossible donc de le forcer à faire quoi que ce soit, et elle serait rapidement embêté par les gardes locaux si elle commençait à étrangler de colères certains individus. Elle n’avait pas besoin de se faire remarquer de la sorte.

« — Vivez-vous à ce point dans l’insouciance ? » Lui répondit-elle d’un ton agacé. « Vous arrivez de nulle part en me tendant un bijou que j’ai perdu dans de fâcheuse circonstance et vous vous attendez à ce que je vous saute au cou en vous embrassant ? » Elle pivota la tête sur le côté, sans jamais le quitter des yeux. « Je n’ai pas perdu ce collier à l’auberge, je l’ai perdu avant que je vienne ici, il y a deux lunes de ça, d’où ma méfiance. »

L’homme semblait nerveux. Il observait les alentours par de petits coups d’œil, à la recherche visiblement d’une trace alentours à l’horizon. Était-il en cavale ? Peut-être était-il réellement un voleur qui était recherché par les autorités ? Midona n’en avait que faire. Aider les autres ne lui avait apporté que des ennuis. À commencer par aider le Roi d’Hyrule en sacrifiant sa propre couronne. Peut-être était-elle morte ce jour-là ? Et qu’elle vivait désormais dans une sorte de purgatoire où elle était condamnée à supporter les simagrées d’autrui. Elle se portait bien mieux quand elle était égoïste et qu’elle ne se centrait que sur ses préoccupations du moment, c’est-à-dire sa couronne.

« — Quelque part, je vous envierais presque. » Elle fit la moue. « Car ne pas faire preuve de méfiance est soit une marque de bravoure ou de stupidité. Êtes-vous un homme brave ? » Car sinon cela fait de vous un homme stupide.

La jeune femme se baissa et attrapa un livre sur l’ancienne histoire d’Hyrule qu’elle n’avait pas encore terminé.

Son collier ne valait pas plus que sa tête. De ça, au moins, elle en était sûre. Metzli avait toujours été un royaume avide de sang et où la vilenie battait toujours son train. Il y avait peu à parier que des espions la traquaient et peut-être bien que des assassins cherchassent à lui couper la tête. De tout temps, les tentatives d’assassinat avaient marqué les différents rois et reines. Elle n’y ferait pas exception. Mais jusqu’à maintenant, elle n’avait pas encore eu à faire ça à de tels actes. Cela ne l’empêchait pas d’aimer son peuple et d’avoir envie de le retrouver le plus vite possible. C’est ce qu’elle espérait mais elle ne pouvait se résoudre à retourner sur les terres de ses ancêtres sans la magie de sa précieuse couronne. Quelle piètre souveraine faisait-elle. L’homme, en tout cas, s’il avait bien compris que la jeune femme voulait être anonyme, ne semblait pas la connaitre ou même la reconnaitre. Il n’avait donc pas été présent à la fête du Millénaire et ne savait pas qui elle était réellement. Peut-être était-il assez intelligent pour coller les pièces du puzzle ensemble afin de découvrir sa véritable identité.

Elle se renfrogna encore davantage quand il lui déclara souhaiter un sourire. Avait-il décidé de gâcher sa journée en étant le plus insupportable possible avec elle ? Était-ce une façon de draguer qu’avaient les Piafs ? La naïveté de sa demande l’exaspéra mais cela avait également pour conséquence de l’amuser un minimum. Probablement que le plumé avait reconnu le caractère récalcitrant de la jeune femme et qu’il avait envie de l’agacer encore davantage. C’était chose faite, il était bon dans son domaine, celui d’agacer autrui. Midona conservait un air pincé et méfiant car elle n’avait aucune confiance en cet homme à plumes. Elle n’avait guère envie de lui offrir un sourire. Les sourires francs et doux étaient une denrée rare chez la jeune femme. Il n’y avait que peu d’individus qui pouvaient en être les témoins, et elle ne souhaitait pas que cela change. Car un sourire n’était pas quelque chose que l’on offrait à regarder à n’importe qui. C’était une marque de confiance et d’affection aux yeux de la jeune femme. Aussi, les paroles toujours aussi piquantes de son interlocuteur n’eurent pas d’effet apaisant sur elle.

« — Je n’ai aucune raison de sourire à un inconnu. » Répondit-elle d’une voix un peu pinçante mais nullement agressive. C’était un simple fait. « Et si moi, je suis sérieuse, alors vous, vous êtes buté. » Ça aussi, c’était un fait.

À sa grande surprise, il s’assit à côté d’elle et Midona resta un instant immobile en le fixant, un regard incrédule dardé sur le jeune homme. En plus d’être borné, il était sans gêne. Elle n’avait montré à aucun moment qu’elle désirait sa présence auprès d’elle. Qu’allait-elle faire ? Le laisser en plan ici et tant pis pour le collier ? Ou bien abandonner la partie et laisser le temps passer.

« — Ils ont raison de craindre les Twilis, certains auraient peut-être envie de se venger pour la damnation de jadis. C’est un peuple rancunier un peu trop prompt à tuer. » Elle haussa les épaules. Elle avait beau aimer son peuple, elle était consciente de ses défauts. « Qu’en savez-vous ? Y êtes-vous déjà allé ? » Sa voix froide était teintée de curiosité. Elle marqua un temps de pause, le considéra de ses prunelles de glace. « Apprend-on aux jeunes l’histoire de la création du Royaume de Metzli ? L’exil des Hommes qui deviendront pas la suite les Twilis ? » L’interrogea-t-elle d’une voix un peu moins certaine. Midona avait toujours été curieuse sur les sujets d’histoire.

La jeune femme était restée debout, presque adossée contre l’arbre tandis que le Piaf s’était assis non loin d’elle, presque à ses pieds. Un renard vint se coller contre lui au bout de quelques minutes et l’homme-oiseau eut pour réflexe de faire courir ses doigts dans le pelage roux du mammifère. Cela lui rappela son propre compagnon à fourrure, un canidé également mais bien plus gros que celui qui se tenait dans les bras de cet homme. Ombre n’était pas du genre à venir chercher les caresses, il était beaucoup trop fier. Même s’il arrivât qu’il accepte les caresses de la souveraine, cela ne durait jamais longtemps. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas senti le poil de l’animal contre sa peau, ou même sa présence auprès d’elle. Elle en vint à se demander ce qu’il avait pu advenir du loup gris, s’il était encore vivant, s’il lui manquait. Depuis le temps qu’elle connaissait son loup, un lien puissant s’était noué entre la bête et la Reine. Elle espérait qu’il comprendrait, qu’il ne lui en voudrait pas, car c’était elle qui avait refusé de le prendre avec elle lors de son voyage en Hyrule. Midona avait craint que la taille de l’animal fasse peur aux citoyens ou à la cour. Et puis, elle avait trouvé cela cruel de lui imposer tant de déplacement, pour son bon plaisir.

L’oiseau répondit à sa question sans faire preuve d’arrogance à nouveau, ni la défier par son humour douteux. Il évoqua la lune de sang et le fait de vivre l’histoire. La jeune Reine laissa échapper un léger rictus de sarcasme. Pour vivre l’histoire, elle l’avait bien vécu et la douleur de son passé cuisait encore sur sa poitrine. Elle comprit que, comme elle, le Piaf souhaitait éviter quelques sujets, et ne pas tergiverser davantage sur son passé. Elle choisit de respecter cela, gardant le silence. Quand il prit à nouveau la parole, il lui fit remarquer son instinct et qu’elle se souciait davantage des autres qu’elle ne voulait bien le laisser prétendre. Midona hocha doucement la tête. Sur un fond d’égoïsme, elle se souciait d’autrui. Peut-être même un peu trop, si bien qu’elle apprenait à nouveau à mettre de la distance, à lâcher-prise, et à ne pas se sentir concernée par les problèmes d’autrui. Difficile à dire, cependant, alors qu’elle foulait les terres d’un autre souverain, déguisée comme un nomade.

Puis il se releva, le collier à la main. Midona resta immobile, ne sachant pas réellement comment réagir. Elle le laissa s’approcher en s’efforçant de garder son calme. Elle n’avait jamais eu trop l’habitude des rapprochements en tout genre, c’était la raison pour laquelle son affilié lui allait aussi bien. En quelques instants, le lourd collier se retrouvait à nouveau pendant à son cou, brillant d’un éclat ténébreux, ressortant allègrement sur sa peau laiteuse. La jeune Twili remarqua la sensation rassurante qu’avait le joyau au contact de sa peau.

« — Merci. » Souffla-t-elle simplement. Ses mains rejoignirent le bijou, le touchèrent de la pulpe de ses doigts, sentant la douce tiédeur des pierres contre sa peau. Elle leva de nouveau ses prunelles sur l’oiseau, visiblement apaisée, moins sur la défensive.

Il y eut un petit instant de flottement puis soudain l’homme tenait une pomme dans sa main. Midona leva les yeux sur l’arbre et ses feuillages, puis adressa un regard circonspect au Piaf, visiblement méfiante. Elle prit la pomme dans sa main, la soupesa et haussa les épaules. Elle avait tout de même le sentiment qu’il venait de la faire apparaitre mais elle n’en était pas réellement sure, et devant cette incertitude, elle garda d’abord le silence.

« — Si vous faites apparaitre les pommes, vous feriez un carton comme marchand de fruits. » Elle lui adressa un léger rictus qui ressemblait un peu à un sourire.

Prenant la pomme à deux mains, elle enfonça ses ongles dans la chair juteuse du fruit pour y forcer et la scinder en deux parts égales. Elle proposa à l’homme-oiseau la moitié tandis qu’elle croquait à pleine dent dans l’autre. Elle n’imagina pas qu’il puisse l’empoisonner, encore davantage avec une pomme car cela ressemblait à de vieux contes enfantins qu’elle ne saurait plus nommer. De plus, le poison n’était pas l’arme de prédilection des assassins qu’elle connaissait.

« — Connaissez-vous bien Hyrule ? » Lui demanda-t-elle après un léger silence. « Car je suis à la recherche d’un butin qui pourrait bien intéresser un voleur. » Elle adressa un regard à l’homme.

À ses mots, elle s’accroupit, tendant la main vers le renard pour que l’animal sente son odeur alors qu’elle continuait à ronger la moitié de pomme de l’autre.

Il y avait des choses que chacun se plaisait à cacher à autrui. Par crainte ou par orgueil, avoir son jardin secret permettait de ne pas se dévoiler entièrement à autrui. Il y avait toujours un crépuscule, une zone d’ombre à toute lumière. Les êtres étaient si complexes. Peut-être était-ce la raison pour laquelle la trahison semblait si aisée pour certains. Midona n’avait jamais user de trahison même si elle avait pu utiliser son pouvoir pour manipuler les esprits un peu faibles. Mais la trahison, elle la débèquetait. Exhalant un soupir, elle se redressa.

Elle sentit comme un embarras chez l’oiseau quand elle fit état de sa magie, comme s’il voulait garder quelque chose cachée dans le fond de son jardin secret. Si cela attisa la curiosité de la jeune femme, elle choisit de ne rien ajouter, conservant ses prunelles de glace sur le visage de son interlocuteur à plumes. Celui-ci se leva, manqua de s’étendre à ses pieds en lui réalisant une courbette déséquilibrée qu’il rattrapa avec ses ailes, envoyant une petite brise sur les joues roses de Midona. Elle mit la main à sa capuche pour éviter que celle-ci ne s’enlève.

L’oiseau reprit de plus belle, d’un éclat de rire et d’une voix pleine d’orgueil, sur sa connaissance des terres de lumière. Bien sûr, c’était la réponse que la jeune femme espérait. Elle n’était pas certaine de pouvoir le croire cependant, car la confiance était un bien précieux pour un Twili, et il était bien rare de le trouver. Cet homme en faisait trop, il était volubile et bruyant. Comment pouvait-elle le mettre sur la piste d’un joyau le plus convoitée de son royaume ? Mais s’il mettait autant de volonté à le chercher qu’il cachait ses propres casseroles, elle pourrait peut-être en faire quelque chose.

Midona le toisa encore un instant, se mordant la lèvre inférieure d’une façon distraite, quand il évoqua tout de suite le paiement et les bénéfices qu’il pourrait tirer de la recherche d’un tel butin. La reine termina le morceau de pomme et jeta le demi trognon un peu plus loin. Elle était au moins satisfaite d’avoir attisé sa curiosité et son intérêt. Midona avait horreur de ne pas savoir où elle mettait les pieds à chaque fois qu’elle confiait ses secrets à un étranger. Elle avait toujours été entourée d’hommes et de femmes avec un regard intéressé sur ce qu’elle pouvait leur apporter, en tant qu’héritière, et maintenant en tant que Reine. Contrairement à la cour royale, ici elle ne savait jamais à qui elle avait réellement à faire… À moins que ce soit identique, après tout ? À qui avait-elle réellement pu faire confiance, finalement ? Ses conseillers ? Si elle les avait placés auprès d’elle, c’est bien qu’elle espérait pouvoir leur attribuer pleinement sa confiance. Mais l’avenir validerait ou pas ceci. En y réfléchissant, les personnes sur lesquelles elle pensait pouvoir compter ne se comptait que sur les doigts d’une main.

« — Mon éternelle reconnaissance, bien sûr… » Commença-t-elle en essuyant doucement ses mains sur sa robe sombre. « …Davantage si je peux vous faire confiance. » Elle marqua une pause. « Je ne sais pas qu’elle est votre histoire avec Metzli, mais je peux faire en sorte de vous aider sur ce point. Les dettes peuvent être levées. » Elle ne savait pas dans quel bourbier elle pourrait être en train de patauger, mais la quête était trop importante pour faire preuve de fierté. « C’est un butin que je devrais retrouver moi-même… » Seuls les héritiers pouvaient poser la main sur les fragments d’ombre. « …mais j’ai besoin d’un homme qui connait bien le royaume et ses environs, pour m’aider à mettre la main dessus. J’ai besoin d’une piste véritable. »

Allait-elle en dire davantage ? Serait-il capable de tenir sa langue ?

Pouvait-elle encore perdre davantage ? On lui avait déjà tant pris.

« — La récompense sera à la hauteur de la valeur du butin recherché. Mais pour ça, j’ai besoin d’être certaine de votre loyauté. » S’il on peut réellement faire confiance à un voleur, pensa-t-elle. « Car ce que je cherche est précieux et qu’il vous faudra être discret pour ne pas éveiller les soupçons. Le devenir d’un royaume est en jeu. » Et le devenir d’une reine.

Elle avala sa salive, incertaine quant à la suite. Si elle prenait le risque de le mettre sur la piste de son précieux joyau, ou si elle trouverait un autre pisteur.

« — En seriez-vous capable ? » L’interrogea-t-elle.

Elle le sentait dubitatif et hésitant. Ce n’était pas étonnant car la tâche qu’elle lui proposait n’avait rien d’une promenade de santé, même pour un Piaf doué de ses farces pour parvenir à ses fins. Le silence s’était installé entre eux et le regard de l’homme à plumes trahissait les vagues de son esprit, les doutes et les inquiétudes quant à la mission de la rousse. Il est certain qu’elle avait plus à gagner du Piaf que du contraire, car ce qu’elle cherchait n’avait pas réellement de prix tant il était précieux. N’importe qui pouvait le savoir et elle serait bien incapable de le cacher. S’il était vilain, il pourrait tenter de s’en débarrasser en le vendant à un argenté intéressé. C’était un risque qu’elle était bien forcée de prendre. À situation désespérée, mesure désespérée.

Le plumé reprit la parole, évoquant à demi-mot le lien qui l’unissait au Royaume du Crépuscule. Midona écoutait attentivement afin d’étancher sa soif de curiosité. Mieux valait avoir toutes les cartes en main, au cas où.

« — L’argent ne règle pas tout, mais il y a bien des choses que la Couronne de Metzli peut régler en usant d’influence et de pouvoir. » Répondit-elle d’une voix plus douce.

Le comportement du Piaf avait changé, il était devenu sérieux et fermé quand il avait évoqué ce qui le rapprochait de son royaume, et du devenir de sa mère. Midona avait toujours trop peu d’informations quant aux difficultés que le jeune homme avait pu vivre avec sa génitrice. Il s’agissait de sang et de magie, mais en quoi cela pouvait-il était insolvable ? La rousse n’était certainement pas du même avis, mais elle n’était pas au courant de tout. Certes, elle devrait se contenter de cela pour le moment. Si elle rencontrait des difficultés à faire confiance, il était évident qu’il souffrait de la même maladie qu’elle.

« — Dans ce cas, je peux m’engager à la protéger. Et également à vous apporter mon aide à propos de cette histoire de sang et de magie. Un jour, peut-être, pourrez-vous m’en dire plus. » Le ton de la voix de la jeune reine avait également changé. Son ton si froid et sec au premier abord était devenu plus doux et sincère. Elle n’avait pas de raison de mentir au Piaf puisqu’il avait su se dévoiler un minimum avec elle. Peut-être arriveraient-ils à communiquer un jour ?

Il claqua ses mains l’une contre l’autre et se redressa comme pour chasser le chagrin et ne plus s’apitoyer sur son sort et sur son passé morose. Midona haussa les épaules et fit la moue au sujet de ce qu’elle avait à perdre. Elle ne répondit rien, ses gestes se suffisaient à eux-mêmes. Et quand il poursuivit sur le pouvoir qu’elle avait en elle, la reine rétorqua avec une légère grimace qui aurait pu s’apparenter à un sourire.

« — L’avenir nous le dira. » Conclut-elle simplement.

Elle prit la main qu’il lui tendait dans la sienne, la serrant un bref instant, surprise par sa poigne, avant de le laisser partir. Elle n’était pas mécontente de cette rencontre finalement, il était bien plus intéressant qu’elle ne l’avait imaginé au premier regard.

« — J’attendrai de vos nouvelles… » Le timbre de sa voix baissa.

Si le pouvoir était déjà en elle, tout cela serait bien plus simple. Elle n’aurait pas à pleurer la perte du fragment des ombres. Et son exil dans les terres de la lumière n’aurait pas été nécessaire. Si seulement il pouvait avoir raison.

Et dans tout ça, il ne lui avait pas donné son nom.