There is fleeting beauty in the twilight | PV Midona

— An 1000, Lune 7, Jour 24
@Robyn Patel

Son départ approchait. Bientôt, elle prendrait la route pour rejoindre son Royaume, celui du crépuscule. Elle abandonnerait la lumière chaude du Royaume d’Hyrule pour retrouver la tiédeur de l’ombre. Sa quête pour ranimer sa couronne était loin d’être terminée. Elle était bredouille et ce sentiment d’échec était particulièrement frustrant pour la jeune femme. Huit longues lunes à traverser Hyrule et elle n’avait pas réussi à trouver un fragment d’Ombre. Elle commençait à même douter de leur existence et à se dire que sa couronne ne pourrait jamais retrouver de sa superbe. Alors qu’elle aurait tant aimée rejoindre Metzli avec une couronne de nouveau opérationnelle, pour mettre cet incident de côté, et montrer à tous qu’elle était toujours légitime.

Bientôt, elle ferait face au peuple Twili à nouveau. Midona était incapable de savoir si elle en était excitée ou angoissée. Probablement les deux, car ses émotions se mêlaient l’une à l’autre sans qu’elle ne puisse les discerner individuellement. Elle avait tant envie de retrouver son Royaume et son peuple, les visages connus qu’elle côtoyait tous les jours, son château et les souvenirs attachés à celui-ci. Tout ce qu’elle avait laissé derrière elle, elle aurait aimé les retrouver comme à son départ. Mais la jeune femme savait que c’était impossible. Cela faisait trop longtemps qu’elle était partie. Beaucoup de choses pouvait évoluer en huit lunes. Assez pour que ce soit difficile pour elle de reprendre entièrement possession des lieux tout de suite. Éloigné de son pays par la force des choses, elle se languissait de le rejoindre et de vivre à nouveau auprès des siens, qu’importe s’il lui faudrait un temps d’adaptation. Il était certain que vivre sur les routes avait changé sa vision de la vie et l’avait permis de voir autre chose que la noblesse.

L’excitation donc, se mêlait à l’angoisse qui l’étreignait également lorsque ses pensées divaguaient sur ce qui l’attendrait à Itzal. Cela faisait si longtemps qu’elle était partie, qu’elle en venait à craindre l’accueil qu’elle recevrait à son retour. En sa place de régente, elle ne faisait pas l’unanimité et Metzli était particulièrement renommée pour ses conflits internes et ses tentatives d’assassinat. Elle avait appris des choses dans la missive reçu quelques temps plus tôt, mais tout ne pouvait pas être écrit sur un bout de papier. Il devait forcément y avoir autre chose. Mais comment pourrait-elle s’imaginer l’ampleur de la trahison qu’elle s’apprêtait à vivre ? C’était impossible, elle ne pouvait tout simplement pas. Et pourtant, une boule était logée dans le creux de son estomac depuis qu’elle avait pris la décision de rentrer chez elle.

Incapable de fermer l’œil depuis plusieurs nuits, elle s’efforçait de s’épuiser pour réussir à grapiller quelques heures de sommeil. Depuis qu’elle était bloquée à Hyrule, elle n’avait jamais réellement bien dormi et elle avait pris l’habitude de passer des nuits courtes et de ruminer une bonne partie de celles-ci. Elle avait commencé à écrire lors de ses insomnies, écrivant ses pensées, ses recherches et ses questionnements. Mais aujourd’hui, puisqu’elle se trouvait dans le château d’Hyrule, elle avait le loisir de se balader dans l’enceinte de celui-ci pour se changer les idées et dévier son attention sur autre chose. Midona s’était donc habillée simplement d’une robe noire qui moulait élégamment les formes de son corps, et dont le col remontait jusque que sur sa gorge en l’habillant d’une fine dentelle. Elle avait dénoué ses cheveux pour une fois, les laissant tomber en cascade sur ses épaules et son dos.

Une fois dans le jardin royal, elle se sentit mieux. Prenant une grande inspiration, elle apprécia le calme qui régnait dans les environs et le savoura un instant. Cela l’aidait à se détendre et à s’aérer l’esprit. Le garde qui se tenait là posa sur elle un regard interrogateur mais détourna bien vite son attention pour s’éloigner d’elle. Ils la laissaient tranquille la plupart du temps, comme s’ils craignaient ses réactions ou que le passé entre les Hyliens et les Twilis les marquait encore. Cela l’arrangeait bien, car elle n’avait aucune envie de sentir leur regard sur elle. Cela la mettait mal à l’aise à certains moments, alors qu’elle cherchait la solitude. Elle s’enfonça silencieusement dans le jardin, longeant les haies, telle une ombre parcourant les allées si fleuries la journée, et si ternes une fois le crépuscule tombé. Elle voyait parfaitement bien dans l’obscurité naissante de la soirée.

Avoir une bonne vision ne l’aida pas à anticiper ce qui lui tomba dessus, au sens propre. Il arriva si vite et si brusquement qu’elle n’eut pas le loisir de l’éviter, ne serait-ce que de réagir. Alors que tout lui semblait si calme, elle ne s’était pas imaginée se faire percuter par un individu. Son corps réagi aussitôt et elle se crispa si fort qu’elle s’en mordit la langue. La première pensée qui traversa son cerveau fut de se penser attaquer par Ganondorf lui-même, s’imaginant qu’il venait finir le travail et qu’il commencerait par la tuer, elle, avant de s’en prendre à Zelda. La surprise fit donc rapidement place à l’angoisse, la terreur également, de se retrouver dans une situation pour laquelle elle n’était absolument pas prête. Mais alors qu’elle pensait à l’homme coupable de tous ses maux, elle se rendit bien vite compte que le corps qui l’avait percuté, n’était pas bâti comme celui qui avait essayé de lui ôter la vie plusieurs lunes plus tôt.

Midona perdit son équilibre et s’écroula en même temps que l’intrus. Celui-ci parvint à la ramener près de lui et à la faire passer au-dessus pour la protéger de la chute sur le dos qu’elle aurait fait sinon. Drôle de manière pour un assaillant que de la préserver d’éventuelles ecchymoses. Elle tomba sur lui sans pouvoir rien contrôler, essaya de se rattraper en prenant appui sur son torse mais parvint seulement à s’accrocher lamentablement à lui, enfonçant ses ongles dans les plumes. Immobile au-dessus de lui, crispée comme jamais, il eut de la chance qu’elle ne l’attaque pas directement et qu’elle ne le tue pas là, sans chercher d’autres réponses à ses questions.

D’un seul mouvement, elle se redressa et enleva les cheveux qui tombaient follement sur son visage et ses yeux, pour enfin discerner le visage de son assaillant. Si elle avait un don pour rester impassible en toute situation, son visage ne put pas masquer la surprise de poser à nouveau son regard sur l’homme en dessous d’elle.

« — Vous ! » Éructa-t-elle avec autant de surprise que de colère.

Il fit un brin d’humour, comme s’il était presque trop satisfait de se retrouver dans cette situation, si proche de la Reine du Crépuscule, alors que celle-ci ne laissait jamais personne ne s’approcher physiquement d’elle. Le contact de son corps contre le sien avait de quoi la perturber tant il était soudain et non désiré. Bien sûr, elle était embarrassée et, même si son visage n’arborait que surprise et colère d’une telle attaque, le rouge lui était monté aux joues bien malgré elle. À quoi jouait-il à s’infiltrer dans le château d’Hyrule à cette heure-ci ? Que lui voulait-il ? La surprise passée, elle le regarda incrédule alors qu’il lui tendait une fleur jaune, ne sachant pas s’il était stupide ou juste inconscient.

Agacée et à cran, la rousse l’attrapa brusquement par le col et fit apparaitre une petite boule d’ombre dans sa main libre, qu’elle lui mit sous le nez en signe de menace.

« — Vous êtes envoyé pour me tuer, c’est ça ?! » Susurra-t-elle à l’intrus, la mâchoire serrée.

Alors qu’elle reprenait conscience du monde autour d’elle, et de son état physique, le goût du sang lui vint et elle grimaça. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et fut surprise de n’entendre aucun pas précipité. Dans toute cette agitation, personne ne semblait les avoir entendus. Ce n’est pas pour autant qu’elle chercha à appeler de l’aide. Finalement, c’était bien commode qu’il lui soit tombé dessus. Elle avait des questions.

« — Qui vous envoie ? » Poursuivit-elle sans trop hausser la voix pour éviter qu’on ne les entende. « Vous avez trouvé ce que je vous ai demandé et vous voulez le garder pour vous ? Vous l’avez vendu à un autre plus offrant ? » Elle rapprocha son visage du sien, appuyant le poids de son corps sur son torse, ses prunelles de glace dans les siennes, leurs nez se touchant presque.

Avec tout ça, elle n’avait toujours pas son nom. Mais ce n’était pas la première question qui lui était venu, étant données les circonstances de leur réunion.

Même dans cette situation où il était directement menacé, que les doigts pâles de la jeune femme tenaient fermement leur prise autour de sa gorge, son air goguenard ne le quittait pas. Cela avait pour conséquence de l’agacer encore davantage. Leurs caractères n’étaient définitivement pas compatibles, et la communication se révélait être bien compliqué entre eux. Certainement que les réactions de défiance qu’elle avait toujours eue envers lui n’arrangeaient pas les choses. Ce n’était pas comme s’il lui permettait de croire en ses bonnes intentions. Elle ne le connaissait pas et il atterrissait brusquement sur elle comme un monstre sorti tout droit d’une Lune de Sang. S’il ne voulait pas finir par se faire poignarder, il lui faudrait faire un peu plus attention à sa façon d’aborder les inconnus, encore davantage quand ceux-ci avaient des tendances paranoïaques et un grand manque de confiance en autrui.

À la nouvelle touche d’humour du Piaf, elle ne montra aucunement que cela l’amusait, même s’il n’avait pas tort. Draguer un voleur croisé au bord d’une route n’était pas dans le tempérament de la Reine du Crépuscule, ni dans son idée immédiate. Après la missive qu’elle avait reçu peu de temps auparavant, elle s’était tout de suite imaginé qu’un assassin lui était tombé dessus. Et quoi de mieux que d’utiliser une personne qui l’avait déjà rencontré, pour lui ôter la vie plus facilement. Était-ce complètement délirant ? C’était tout à fait cohérent dans son schéma de pensées.

« — Si votre technique de drague consiste à vous jeter sur une femme et lui dire que vous ne comprenez pas pourquoi elle ne vous saute pas au cou en retour, alors je comprends pourquoi vous êtes toujours seul. » Retorqua-t-elle froidement.

La mâchoire de Midona était crispée, tout autant que ses doigts sur sa gorge, tenant sa pomme d’Adam en otage, tandis que la sphère d’ombre grésillait tout près de sa tempe. Elle le tenait en joug et prit le temps de le scruter intensément, puisqu’ils étaient si proche l’un de l’autre. Elle pouvait sentir l’odeur de transpiration émanant de lui, ainsi que la chaleur provenant de sa respiration lancinante. La Reine cherchait les réponses à ses questions dans son regard, s’il voulait vraiment la tuer ou s’il était tout simplement malchanceux. Il était absolument impossible qu’il soit tombé sur elle par hasard, elle ne pouvait pas se l’imaginer ainsi.

Il eut du mal à parler, ses mots sortaient difficilement, les uns après les autres, entre de longues respirations sifflantes. Elle le tenait fermement, resserrant sa prise autant qu’elle serrait inconsciemment sa mâchoire. Elle l’entendit parler de la façon dont elle traitait ses sujets. Cette phrase provoqua une réaction tout à fait paradoxale chez la jeune femme qui se mit à rire.

« — Je suis en train de vous étrangler et tout ce que vous trouvez à me dire… C’est que je suis une piètre Reine ? » Elle haussa les sourcils, la colère s’apaisa légèrement sur son visage, fit place à l'incrédulité. « Ne tenez-vous pas à la vie ? »

Sa prise se détendit d’abord doucement sur sa gorge, relâchant sa pomme d’Adam d’un même mouvement. La magie qu’elle avait invoqué dans sa main disparut en un léger froissement. Midona avait décidemment beaucoup de difficultés à lui attribuer sa confiance. Et cet incident n’allait pas l’aider à évoluer dans ce sens. Elle relâcha finalement complètement la gorge de son interlocuteur et se redressa d’un même mouvement, pour se tenir à bonne distance au cas où il déciderait de s’en prendre à elle.

« — La première fois, vous aviez dit ne pas savoir qui je suis. Mais vous le savez très bien, n’est-ce pas ? » Elle réfléchissait à leur première rencontre, aux mots échangés. « Et puisque vous savez qui je suis, vous devez également savoir que j’ai des raisons de me méfier d’une attaque soudaine alors que je suis seule. Les assassinats ont marqué le passé de mon Royaume. » Sa voix restait fébrile mais sa mâchoire commençait doucement à se détendre. « Qui me dit que vous n’êtes pas là pour me tuer et permettre à un opposant politique de se déclarer Roi à ma place ? En plus d’être un voleur, vous pourriez être un assassin, qu’en sais-je ? Je ne connais même pas votre nom ! »

Les muscles de Midona n’étaient pas détendus, elle conservait une certaine méfiance envers l’homme qui se tenait en face d’elle. C’était plus fort qu’elle. Il ne faisait pas d’effort pour la détendre non plus.

« — La façon dont je traite mes sujets… Ne vous concerne pas. » Sa voix était grinçante. Bien sûr que c’était un point sensible. « Et comment va votre mère ? Elle fait partie de mes sujets, je crois ? » Puisqu’il fallait évoquer les points sensibles, autant mettre cartes sur table.

Le fiel qui s’écoulait naturellement de ses lèvres se répandit sur le cœur de son assaillant, transformant le visage de ce dernier avec une expression de glace. Rappeler l’arrangement qu’il y avait eu entre eux, les mots échangés, le souvenir de sa mère dans la conversation, était une sorte de menace, de manipulation. Peut-être en avait-il trop dit lors de cette dernière rencontre. Peut-être aurait-il dû faire preuve de discrétion et ne pas lui confier la vérité dérangeante de sa famille, à demi-mots. Que pouvait-elle en faire, aujourd’hui, de ces informations ? Elles ne lui apporteraient rien de plus. La Reine se moquait bien du devenir d’une femme qu’elle ne connaissait guère, mère d’un simple voleur un peu trop volubile. Mais toutes les informations étaient bonnes à prendre pour s’en servir en temps voulu. Menacer comme elle l’était par l’assaut surprise du Piaf, elle avait vu le parfait moment de s’en servir.

L’effet escompté fut celui recueilli, au grand plaisir de la Reine rousse. Le visage du Piaf s’était modifié, il était devenu de glace, froid comme la pierre en hiver, et il dardait sur elle des pupilles tout aussi dures. C’était précisément la réaction qu’elle avait voulu provoquer et l’homme mordait directement dedans. Elle ne savait pas ce qui le liait à Metzli, pour quelle raison le sujet de sa mère était aussi épineux, mais elle n’en manquerait pas de s’en servir contre lui si elle devait se protéger. C’était une manière de lui rappeler qu’elle n’était pas sans défense et qu’elle mordait plus vite qu’elle ne grognait. Il lui répondit d’un ton qu’elle ne connaissait pas chez lui, et Midona marqua un silence avant de lui répondre, sur un ton presque égal.

« — Difficile à dire sachant que je suis si loin de chez moi. » Elle haussa ses épaules, désinvolte.

La jeune femme avait assez souffert ces derniers mois pour ne pas être décidée à tout mettre en œuvre pour protéger son retour et son royaume. Elle ne pouvait pas savoir que le Piaf qui lui faisait face n’avait rien d’un assassin, qu’il était simplement aussi obstiné qu’elle, et qu’ils ne savaient simplement pas communiquer. Pour Midona, il y avait certainement une raison à son irruption dans le château d’Hyrule et elle était bien décidée à en avoir le cœur net. L’homme reprit rapidement son air jovial, sa voix s’épanouissant à nouveau, comme il avait l’habitude de le faire. Devant ce changement rapide de comportement et d’humeur, la rousse resta incertaine. Elle le laissa donc parler, gardant ses distances, jusqu’à ce qui lui adresse un coup de coude, provoquant un sursaut chez la rousse. Elle fit un pas en arrière pour s’assurer qu’il ne la toucherait pas à nouveau, lui adressant un regard réprobateur.

« — M’escorter jusque Metzli ? » Elle le dévisagea avec un certain dédain. « Vous pensez que j’ai besoin d’un voleur pour m’emmener jusqu’au port ? Je sais me défendre. » Son regard restait méfiant. « Peut-être cherchez-vous juste un prétexte pour me poignarder dans le dos, mmh ? » Elle haussa les épaules. « Non, pas de carrosse. Est-ce ainsi que se déplace la Reine d’Hyrule ? » Demanda-t-elle, curieuse. Cela ne lui était jamais venu à l’idée de se déplacer en carrosse. La Reine de Metzli avait besoin d’être active lors de ses déplacements, elle montait toujours sur un cheval, escortée de sa Garde Pourpre.

Mais aujourd’hui, pas de Garde Pourpre, pas d’homme pour la défendre d’attaques surprises, juste elle-même et sa magie. Et pourquoi aurait-elle besoin d’être escortée par un oiseau ?

« — À moins que vous ne puissiez me porter jusqu’à Itzal… » Spécula-t-elle tout haut, puis secouant la tête : « …Quoi que vous pourriez également me lâcher une fois bien assez haut pour que je me brise le cou. » Elle croisa les bras. « Et admettons que j’accepte, comment vous y prendriez-vous ? Et que faites-vous ici si ce n’est pas pour m’assassiner ? Est-ce pour vous en prendre à Zelda ou ses proches ? »

Midona avait fait un pas en arrière mais voilà qu’elle diminuait la distance qu’elle avait mise entre eux pour se rapprocher comme pour le menacer de sa hauteur, mais également pour s’assurer qu’il ne cachait rien. Garder une proximité physique lui permettait également et surtout, d’assurer l’intimité de leurs échanges.

« — Vous n’êtes pas mon voleur préféré. Mon voleur préféré m’aurait déjà ramené ce que je lui ai demandé. Donnez-moi une bonne raison de vous faire confiance ? Qui êtes-vous ? » Une interrogation agrémentée d’une menace. « Dois-je vous faire arrêter par la garde pour en avoir le cœur net ? »

Peut-être allait-il enfin lui divulguer à qui elle avait réellement affaire. Une fois qu’elle aurait son nom, la rousse pourrait avoir plus d’informations sur le Piaf, et probablement sur sa mère ensuite. Mais l’homme ne lui répondit pas tout de suite, la faisant miroiter comme il avait l’habitude de le faire, armée de son sourire taquin et de ses prunelles rieuses. Pour le plus grand désespoir de la Reine Crépusculaire. Il s’approcha très près de son visage à nouveau, réduisant la distance entre eux à peau de chagrin, sans qu’elle ne fasse rien pour s’éloigner. Sa respiration lui caressait le visage tandis qu’elle ne le quittait pas de ses prunelles de glace. S’il n’était pas aussi insupportable, aussi exaspérant, elle aurait pu le trouver séduisant.

Entendre son nom de la bouche d’un homme duquel elle avait tenté de rester dissimulée fut une sensation désagréable à ses oreilles. Au moins maintenant, elle était certaine qu’il savait bien à qui il avait affaire. Probablement qu’il l’avait su dès le départ s’il l’avait déjà vu par le passé. Sa longue chevelure rousse avait été un problème, elle aurait certainement dû se teindre les cheveux pour passer réellement inaperçue. Oh, et porter du fond de teint en tout temps, et des tenues affriolantes pour faire contraste au noir qu’elle portait toujours. Cela serait une bonne idée pour un prochain exil. Sachant qu’elle ne savait pas dans quelles conditions elle retrouverait son royaume, peut-être aurait-elle besoin de cela plus vite qu’elle ne l’imaginait. Midona tenait bien sa besace sous son bras, elle savait qu’elle était là, si bien qu’elle ne baissa pas le regard pour s’assurer qu’il ne la lui avait subtilisée.

Finalement, il se présenta et ce nom ne lui apporta aucune réponse. Robyn Patel. Elle retiendrait ce nom. Le Piaf s’éloigna finalement et alla s’accrocher à une branche d’arbre tandis qu’il la toisait de toute sa hauteur désormais.

« — Eh bien Robyn, en avez-vous des informations ? » Lui demanda-t-elle, n’abandonnant pas ses propres desseins. « Cela fait plusieurs lunes que nous nous sommes croisés, surement vous devez avoir entendu des choses ? »  

Midona était décidée à rentrer à Metzli mais avoir des informations seraient toujours une bonne chose lorsqu’elle aurait besoin de se remettre en chasse d’un fragment. Elle espérait que ce Robyn l’aiderait. Sa langue était devenue plus acérée, montrant une facette certainement bien plus sombre que celle qu’il montrait aux autres. La rousse ne savait pas ce qu’il cachait, elle en était quelque peu curieuse mais n’avait plus assez de place dans son cerveau pour y mettre ce concernant un Piaf mystérieux.

« — Je ne crains pas mon ombre. Je vois d’ailleurs très bien dans le noir. » Lui dit-elle, d’une voix moins froide. « Je fais confiance aux personnes qui m’ont prouvé l’être digne. La Reine Zelda l’a été. » Mais ses gardes, pouvait-elle réellement avoir confiance en eux ? « Vous n’êtes pas un homme stupide, Robyn. Vous prétendez être un idiot avec une grande gueule mais je suis certaine, désormais, que vous ne l’êtes pas réellement. » Elle lui adressa un regard perçant puis haussa les épaules d’un air désinvolte. « Vous devez donc savoir comment est Metzli et son peuple. Je n’ai pas besoin d’expliquer ma façon d’être. Je n’ai pas besoin d’être entourée. » Si, elle en avait besoin, mais elle ne voulait pas se l’entendre dire. Pas face à un homme qu’elle ne connaissait pas.

Ce n’était pas de lui qu’elle voulait être entourée, mais des siens, de ses conseillers, des personnes qu’elle pensait aimer. Mais qui l’aimait, elle ? Alors que cela faisait huit lunes qu’elle vivait en Hyrule, Midona avait le désagréable sentiment d’avoir été oubliée, mise de côté, alors qu’on avait essayé de la tuer et que cela même, avait été une épreuve bien assez difficile à surmonter.  Bien sûr, il touchait une corde sensible car Midona était bien seule en Hyrule depuis tout ce temps. Xanto ne lui donnait plus de nouvelles et elle commençait à craindre ce qu’elle trouverait à son retour. Mais tout cela, elle ne pouvait pas lui en parler. Pas à lui. Alors qu’elle ne comprenait plus tout à fait qui se servait de qui.

« — Vous voulez savoir si je sais me défendre ? » Elle rit, se campa sur ses jambes. « Je peux vous montrer. »

Midona fit appel à sa magie, une boule d’ombre grandit dans sa main en un léger grésillement sinistre. Et avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, la rousse envoya la boule d’ombre s’écraser contre l’écorce de l’arbre. Ce ne fut pas assez fort pour le faire s’écrouler mais l’arbre s’ébranla dangereusement et elle entendit des bruits venant de plus loin mais ne vît personne s’approcher d’eux lorsqu’elle jeta un regard en arrière.

« — Je sais aussi utiliser mes poings. » À vrai dire, pas tellement. Midona avait l’habitude de combattre avec sa magie. Elle était très mauvaise au corps à corps. Mais ça, il ne pouvait pas le deviner. Elle avait simplement envie de se défouler.

« — Il y a quelqu’un ? » Entendit-elle à quelques parterres de fleurs de là. La rousse fut saisie sur place, pétrifiée, comme si elle était dans l’illégalité. Alors qu’elle avait tous les droits d’être ici ! Mais elle ne souhaitait pas être surprise avec cet homme.

Alors Midona fit un mouvement purement spontané et irréfléchi. Elle s’avança précipitamment vers Robyn tandis qu’elle entendait les pas se rapprocher dans son dos, et l’attrapa ou elle le pouvait. Était-ce la tête ou les pieds ? Une fois qu’elle fut certaine qu’elle le tenait fermement, elle le fit disparaitre de son arbre.

Pour le faire réapparaitre dans ses appartements dans le château d’Hyrule.

« — Oh, Majestée, c’est vous. Pardonnez-moi, j’ai cru entendre des voix, et du bruit. Vous… Allez bien ? » Le garde l’avait rejoint et semblait très embarrassé de l’avoir dérangé.

Midona se tourna vers lui, épousseta rapidement ses vêtements et lui adressa un sourire gêné qu’il ne verrait probablement pas dans l’obscurité.

« — Très bien, je parlais tout haut. Je vais rejoindre mes appartements désormais. » Elle lui signifia qu’il n’avait pas besoin de la suivre d’un bref mouvement et s’éloigna.

Dès qu’elle fut certaine qu’il ne la regardait plus, elle se précipita jusqu’à ses appartements en espérant que sa servante n’ait pas été présente lorsque l’homme était brutalement apparu. Elle aurait pu l’envoyer hors des murs du château mais non, le premier endroit qui lui avait semblé assez en sécurité pour pouvoir parler avait été ses appartements. Elle avait agi impulsivement et regrettait déjà sa décision. Elle avait enlevé quelqu'un !

Lancer de dés:

Le trajet jusqu’à ses appartements lui semblait brusquement très long alors qu’elle se hâtait de les rejoindre le plus vite possible. Elle n’avait pas réfléchi et avait agi d’instinct en se jetant sur le Piaf pour qu’il reste dissimulé aux yeux de la couronne de Lumière. Elle savait que si elle se faisait surprendre par un garde, la Reine Zelda l’apprendra bien vite. Pourquoi vouloir le dissimuler de la sorte ? Midona ne le savait pas. Elle ne comprenait pas ce qui l’avait fait agir ainsi, alors que l’homme la faisait sortir de ses gonds à chaque fois qu’elle le croisait. Il avait un don pour l’agacer et lui donner envie de lui faire manger ses plumes. Et pourtant, elle aurait pu s’en débarrasser une bonne fois pour toute en criant devant un garde. Il aurait alors rapidement été arrêté et elle aurait été tranquille ensuite.

Mais alors, pourquoi vouloir le protéger ? Était-ce devenu une habitude de protéger autrui ?

Elle évita la suspicion d’un second garde en le saluant poliment et s’efforçant de ralentir son pas pour avoir l’air naturel lorsqu’elle passa devant lui, simplement pour accélérer à nouveau jusqu’à ce qu’elle rejoigne enfin ses appartements. Essoufflée, c’est d’un mouvement brusque qu’elle ouvrit la porte de ses appartements, découvrant son prisonnier allongé sur son lit. La Twili serra les dents, contint son agacement car, après tout, il n’était pas là de son plein gré. Et maintenant qu’il se trouvait au sein du château d’Hyrule, ce serait probablement moins aisé de s'extirper de l’enceinte des murs en toute discrétion.

« — Je… ! » Sa bouche s’ouvrit et se referma aussitôt alors que son regard se figeait sur l’homme au milieu de ses coussins, juché sur son matelas de plumes.

Elle prit une grande respiration et se hâta de fermer la porte dans son dos avant de n’ajouter quoi que ce soit. La lumière de la lune baignait sa silhouette et Midona le percevait parfaitement grâce aux facultés visuelles des Twilis. Alors qu’il prit la parole pour se montrer toujours aussi agaçant et malin, la Reine balaya la pièce d’un regard suspicieux, à la recherche d’une présence non désirée. Visiblement, ils étaient seuls. Sa servante avait dû aller se coucher. Et ce n’était pas étonnant car la nuit commençait à être bien avancée. Certaine d’être seule en compagnie de l’emplumé, son corps sembla se détendre et ses épaules retombèrent quand elle relâcha un soupir de soulagement. Elle essuya la sueur qui perlait sur son front d’un revers de manche et reporta son attention sur le squatteur malgré-lui.

« — Je suis désolée, j’ai agi impulsivement. » Bredouilla-t-elle finalement.

Elle s’éloigna de la porte pour s’approcher de Robyn. Elle avait le sentiment d’être celle qui se retrouvait la plus prise au dépourvue alors qu’elle était l’instigatrice de ce malaise.

« — Descendez de mon lit, je ne voudrais pas que les draps portent votre odeur. En plus de ça, vous êtes sales. » Elle était embarrassée par la situation et peinait à le cacher. « Vous n’êtes pas mon prisonnier, Robyn. » Elle le dévisagea, hésitante.

Ses pas la conduisirent jusque sur un fauteuil moelleux dans lequel elle se laissa tomber. Son regard s’attarda un instant vers une petite bouteille qui lui semblait ne pas avoir été à cette place plus tôt, mais elle s’en désintéressa très vite, reportant toute son attention vers l’homme qui se tenait là.

« — Et pourquoi le seriez-vous ? La seule personne prisonnière ici, c’est moi. » Elle laissa tomber sa tête en arrière sur le fauteuil, ferma les paupières et inspira longuement.

Un silence s’installa. Dans l’intimité de ses appartements, elle n’avait que faire de la façon dont elle se tenait, l’image qu’elle pouvait renvoyer, encore moins à un homme tel que Robyn qu’elle ne parvenait pas à cerner, et qui lui semblait être le dernier de ses problèmes actuellement. Immobile, elle reprit la parole. Dans le noir ainsi, elle n’avait pas l’impression de parler à l’homme le plus agaçant de la terre.

« — C’est un échec. Je n’ai pas mis la main sur un fragment d’ombre, cela fait des lunes que j’erre en quête de réponses. Et rien. » Sa voix portait un peu plus dans l’obscurité, portant la colère, l’indignation et la frustration qui l’accompagnaient chaque jour depuis bientôt huit lunes. « Je dois pourtant retourner à Metzli. C’est un échec. Je rentre les mains vides. » Elle porta une main à son visage, se frotta les yeux.

Elle avait espéré que Robyn était apparu pour lui donner ce qu’elle cherchait depuis tout ce temps mais elle devait se rendre à l’évidence qu’il n’avait pas eu plus de réussite qu’elle. Midona était épuisée de devoir chercher l’introuvable. Elle allait rentrer les mains vides chez elle et cela l’angoissait terriblement. Finalement, elle rouvrit les paupières et son regard se posa sur le plafond.

L’échec était un sentiment difficile à accepter, difficile à supporter même sur les épaules les plus dures, et encore davantage sur celles qui n’en avaient pas connu beaucoup. Et pourtant, en l’espace de quelques lunes, elle en avait essuyé une belle accumulation dont elle peinait réellement à se décharger. Assise sur le fauteuil, le regard dans le vide, elle en venait à regretter ses choix alors qu’elle ne pouvait plus rien y faire. Et si elle remettait ces choix dans leurs contextes, elle savait qu’elle avait eu raison de les réaliser. L’aurait-elle fait, seulement, si elle avait su dans quel abysse ils la projetteraient ? Midona ne pouvait s’empêcher de ruminer sur tout cela, sur le passé et le présent, et encore davantage sur le futur qu’elle ne discernait que dans la brume.

Était-ce de la peur ? Était-ce donc cela l’angoisse qui étreignait ses tripes à chaque fois que ses pensées divaguaient en direction du Royaume du Crépuscule ?

Immobile, elle l’écoutait tandis qu’il lui parlait de son histoire, de ses propres choix qui l’avaient déchiré, de l’absence de ses proches et des fantômes du passé qui continuaient à le hanter. Elle l’écoutait mais peinait à l’entendre. Il était difficile de rapprocher les deux situations et les deux destins. Midona n’avait pas laissé qu’une seule personne derrière elle, mais bien tout un royaume qui comptait sur elle. Ses proches, ses amis et confidents, elle les avait mis de côté en s’interposant devant Ganondorf. Elle était l’instigatrice de sa propre déchéance, et c’était probablement cette prise de conscience qui lui faisait le plus mal. Cela ne l’empêchait tout de même pas de haïr, du plus profond de son être, l’homme qui lui avait transpercé le torse.

Elle l’écoutait mais peinait à l’entendre, assourdie et consumée par ses propres affres.

« — Qu’en savez-vous, Robyn, de ce que j’ai vécu pendant ces huit lunes ? » Sa voix fut beaucoup plus froide et cinglante qu’elle n’aurait voulu, aussi bien elle secoua la tête, avala sa salive. « Savez-vous ce que c’est que de vivre chaque jour à l’abri des regards, dans l’angoisse de ne plus jamais revenir chez soi ? De peur de ne plus être légitime à ma place. Place que j’ai ardemment combattue et gagnée. L’angoisse de retrouver son royaume à feu et à sang, aux mains d’un usurpateur et armé par la corruption. L’angoisse de ne plus jamais retrouver les personnes que j’ai quitté. Ne plus jamais les revoir, ou bien de ne plus jamais leur faire confiance. » Elle cligna des yeux, se redressa. « Je n’ai pas laissé quelques personnes derrières moi mais des milliers. C’est un peu présomptueux, certainement, car tout ne dépend pas de moi là-bas, mais tout de même. Je suis la Reine, ma place est avec eux, pas ici, cachée comme une chienne, à mendier des preuves de ce qui pourrait me rendre ma légitimité auprès des miens. » Pouvait-elle seulement s’arrêter ? « L’angoisse de devoir rester ici, à jamais, dans l’anonymat et l’oubli, à fuir quelque chose plus qu’à la recherche d’un autre. J’en ai assez de cette vie. J’en ai assez, et pourtant je suis tétanisée à l’idée de retourner à Metzli et d’y découvrir ce que mon absence a provoqué. Cela ne fait que huit lunes que je suis hors de mon royaume, il s’est passé beaucoup trop de choses ici alors je n’ose imaginer l’état de Metzli. »

Et de nouveau, il était si proche d’elle. Et Midona se perdit un instant dans ses prunelles, dans la sincérité de ce regard qu’elle redécouvrait. Qui était-il vraiment ? Il lui prit la main et la rousse eut un léger sursaut mais ne chercha pas à s’évader de sa légère emprise. Elle eut envie de l’emporter vers elle, plus près, jusqu’à ce qu’elle puisse le toucher. Ressentir le corps d’un autre être humain contre le sien, sa chaleur et sa douceur. Mais qui était-il ? Encore juste quelques temps auparavant, elle le menaçait de sa magie et le traitait d’assassin et de menteur. Alors pourquoi avait-elle envie de s’épancher auprès de lui. Était-elle devenue si faible ? Si désireuse de la confiance, de la reconnaissance d’un autre être humain ? Et pourtant, la vérité et la sincérité de ses paroles peinaient à franchir le seuil de sa souffrance.

Elle pensait à toutes les personnes qui comptaient pour elle. Elle pensait à Xanto Odair, son conseiller pour lequel elle éprouvait de forts sentiments mais dont le silence l’affligeait. Elle voyait également Talia et Zarg, ses cousins qui lui manquaient tant. Et il y avait Kayn et Remna, qu’elle appréciait également beaucoup mais elle ne pouvait s’empêcher de se culpabiliser face à la tâche qu’elle leur avait laissé entre les mains. Tant de visages sur lesquels elle n’avait pas été en mesure de poser son regard depuis tout ce temps. Ces gens qui lui manquaient et qui ne devaient pas se douter de tout ce qu’elle avait vécu en Hyrule.

Midona le dévisageait, en silence, face à ses dernières paroles. Elle se releva, lâcha sa main, et se mit à marcher dans la pièce, ses cheveux cascadant sur ses épaules, sans repos, à mesure qu’elle arpentait l’appartement, les sourcils froncés et le visage soucieux. La rousse s’en voulait de se déverser de la sorte dans l’oreille d’un homme qu’elle ne connaissait pratiquement pas. Un homme en qui elle n’était même pas certaine d’avoir confiance, ni de pouvoir le faire. Qui était-il réellement après tout ? Un voleur ou un honnête homme ? Un malin ou bien un manipulateur ? Si elle entendait qu’il avait souffert également, elle ne pouvait s’empêcher de se méfier. Tout son corps lui hurlait de ne pas s’approcher, de garder ses distances. De se protéger.

Mais à quoi bon se protéger ? Et se protéger de quoi ? De qui ? La seule chose qu’il aurait pu être en mesure de lui voler, elle ne l’avait plus.

Elle posa sa respiration, prit une grande inspiration et porta ses prunelles de nouveau sur l’homme ailé.

« — Je suis désolée pour ce que vous avez vécu, Robyn. Vraiment. » Elle essayait d’être sincère. « Vous n’avez pas de conseils à recevoir de ma part mais vous devriez tout faire pour retourner auprès des vôtres. Qu’est-ce que vous l’en empêche ? Qui ? Une magicienne de Metzli ? » Elle fit la moue.

Doucement, elle se rapprocha de Robyn qui était encore accroupi au sol, lui prit les deux mains qu’elle serra dans les siennes, et le releva pour qu’il soit désormais à sa hauteur.

« — Votre passé, aussi douloureux soit-il, fait de vous la personne que vous êtes aujourd’hui. Ne le rejetez pas. Qu’importe les choix que vous avez fait, il vous faut vivre avec et accepter que les choses changent, évoluent, que les gens vous oublient parfois. Mais si vous avez les moyens de savoir ce que votre mère est devenue, que faites-vous encore ici ? Êtes-vous certain qu’elle puisse avoir entièrement oublié sa mémoire, que revoir votre visage ne pourrait pas réactiver de vieux souvenirs ? Lui avez-vous demandé avant de lui faire subir une telle chose ? Surement, une mère ne choisirait pas d’oublier l’existence de son fils. » Ses lèvres s’étirèrent en un maigre sourire, sincère, bienveillant. « Je ne coupe pas les têtes de mes opposants, non. Cependant, si une telle magicienne vit dans mon Royaume et conserve votre mère comme otage de je-ne-sais-quoi, je n’hésiterai pas à m’y rendre. Je ne peux rien faire pour Bourg-Clocher, pour les douze ans laissés au regret, mais pour ce qui se passe à Metzli, je pense avoir encore les moyens d’agir. Enfin… » Enfin, il faudrait encore que cela se passe bien à son retour. Pour agir, il faudrait encore qu’elle en ait la possibilité. « Je suis sincèrement navré de ce que vous avez vécu. Ce que je sais, c’est que nous construisons notre futur et que s’il vous est capable de changer les choses, il vaut mieux mourir en ayant tout tenté que de vivre dévoré par les regrets. » Et c’est un peu ainsi qu’elle avait essayé d’avancer, sauf qu’elle avait toujours le sentiment de ne pas en avoir fait assez.

Ses mots lui allaient droit au cœur. Et si sa première réaction avait été de montrer les crocs, elle se radoucissait désormais. Elle tenait toujours ses mains dans les siennes et en prit conscience. Alors d’un geste doux et lent, Midona le ramena un peu plus vers elle, rapprochant son visage de son torse sans pour autant le toucher. Elle marqua un temps d’arrêt, ses prunelles de glace figées sur son visage. Après une légère hésitation, elle relâcha ses mains et enveloppa ses épaules de ses bras, le serrant très doucement contre elle. Les paupières presque closes, elle n’en avait que faire de son odeur corporelle, de la saleté qu’il pouvait bien porter sur ses vêtements. Cela n’avait pas d’importance.

Que penserait la noblesse de Metzli s’ils la voyaient accompagnée d’un roturier, l’approcher comme un ami. Que penserait ses parents qui avaient mis tant d’énergie à l’éduquer pour être la Reine qu’elle était aujourd’hui. Les épreuves l’avaient endurcie et adoucie toute à la fois. Elle était faible en ce moment hors du temps. Cette faiblesse qu’elle rejetait tant, elle l’embrassait juste un instant.

« — Merci. »

À défaut de lui avoir rapporté un fragment d’Ombre, il avait trouvé un fragment de son cœur de pierre.

Ils s’étreignirent un instant, peut-être quelques secondes, si peu de temps. Le geste était bien maladroit mais surtout sincère. Ces embrassades, elle ne les réservait qu’à sa famille proche. Et encore, Midona n’avait jamais été une femme particulièrement tactile. Le contact des autres, les rapprochements physiques, n’avaient jamais été sa tasse de thé. Elle ne savait pas tout à fait comment faire et s’en était toujours ardemment protégée. Probablement était-ce de la peur de s'attacher et de risquer d’être manipulée. Du temps où elle aurait pu se rapprocher d’un homme, la jeune femme était trop fixée sur son objectif de couronne, pour laisser quiconque la dévier son but. Il en résultait la solitude qu’elle vivait désormais. Elle n’en était pas entièrement consciente, de cette solitude et de ce manque. Il faisait partie de sa vie depuis qu’elle était enfant. Même son père ne la prenait jamais dans ses bras. Il avait toujours été un homme froid avec elle. Enfant, elle n’avait manqué de rien, rien excepté de contact charnel et de réassurance.

Les blessures se cicatrisaient mais restaient cuisantes sur la peau, tout comme les maux du cœur. Cette froideur, elle l’avait fait sienne, bien malgré elle. C’était son bouclier.

Midona le serra encore un petit instant supplémentaire. Elle sentait ses muscles sous ses vêtements. L’odeur de sueur qui aurait pu la gêner n’était pas une contrariété cette fois-là. Elle sentait son torse se lever sous sa respiration, et son cœur battre un peu vite. Quand avait-elle serré quelqu’un contre elle la dernière fois ? Avait-ce été Talia ?

« — C’est trop facile d’utiliser mes propres mots contre moi… » Maugréa-t-elle à voix basse, dissimulant un sourire.

Ils s’étaient relâchés. De nouveau chacun de leur côté, la Twili écouta l’homme poursuivre sur son histoire et sur celle de sa famille.

« — Bien sûr que vous en avez le droit. Une prison, même décorée de fleurs et d’or, en reste une. Vous êtes son fils. Votre mère a besoin de vous sentir près d’elle, d’être rassurée. » Elle pensait sincèrement qu’il devait faire quelque chose, plutôt que de vivre avec tant de remords.

Bien qu’elle ne le mentionnât pas, la curiosité de la rousse fut piquée à nouveau. Pourquoi envoyer des assassins après une femme aveugle ? Qu’avait-elle fait pour mériter cette volonté de tuer et de nuire ? Peut-être aurait-elle les réponses un jour à ce questionnement. En attendant, Robyn s’était déjà beaucoup confié à elle, et elle ressentait bien que ce fût déjà bien assez pour un homme aussi secret.

« — Si vous le souhaitez, si… Tout se passe bien à mon retour, je peux venir avec vous. Je parlerai à cette magicienne. Il y a toujours une solution. » Tenta-t-elle de le rassurer d’une voix plus douce.

Effectivement, la nuit était bien avancée et elle aurait également de la route à faire dans les prochains jours. Le Piaf lui proposa à nouveau de l’accompagner et de faire la route en sa compagnie. Midona ne répondit pas. Il n’attendit pas qu’elle le fasse, de toute manière. Il lâcha finalement sa main, l’affubla d’un sourire et parcourut le peu de mètres qui restait pour s’extirper de ses appartements.

Et juste comme ça, il avait filé.

La Reine Crépusculaire s’assit sur son lit, rebondissant mollement dessus. Son regard restait figé sur la fenêtre par laquelle il s’était envolé. Un peu hébétée, elle soupira finalement et se laissa tomber dans le lit, dans un appel de plumes et de draps.

« — Que je demande à le voir… Et à qui ? Je ne connais personne là-bas. » Elle ferma les paupières. « J’espère que personne ne l’a vu partir. » Murmura-t-elle tandis qu’elle sombrait doucement dans le sommeil.