Where my demons hide (Sebastian)

Where my demons hide

Cela faisait longtemps que Sebastian ne s'était pas présenté à la Cour de Metzli. Les raisons de son absence étaient nombreuses, si la plus évidente et celle dont la plupart se contentait était certainement qu'il ne souhaitait pas porter ombrage à l'arrivée de Fallon dans cet univers. Pourtant, il se tenait bien là, la main levée vers le battant d'une porte de l'aile ouest, s'immisçant dans ces couloirs en toute discrétion pour suivre les indications d'une servante, alors qu'il cherchait l'endroit o­ù il pourrait trouver Talia Vajanská. Il avait appris que son amie avait été gravement blessée lors du soulèvement occasionné par l'héritier Odair. Il s'était donc fait un point d'honneur de venir à son chevet, même s'il ne pouvait pas exactement l'aider à aller mieux, sauf peut-être s'il était nécessaire de critiquer le travail d'autres guérisseurs incompétents. Il était soulagé d'apprendre qu'elle ne se trouvait plus entre la vie et la mort.

Il n'eut pas l'occasion de s'annoncer en toquant doucement, pour s'assurer de ne pas troubler son sommeil éventuel – dans ce cas, il se serait probablement contenté de replacer une couverture sur ses épaules et de lui laisser sa surprise dans un coin de la pièce avant de repartir sans un mot – que la cloison s'ouvrait déjà sous son poids sans lui opposer la moindre résistance. Voilà qui était bien imprudent. Avait-elle oublié de tirer le loquet ? Se sentait-elle vraiment encore en sécurité dans cet endroit ? Perplexe, peut-être également quelque peu inquiet qu'il puisse lui arriver malheur, Sebastian s'avança dans la pièce, bien qu'il n'y avait pas encore été invité. Il était étonné de la voir debout ; Talia sembla tout aussi étonnée de le voir puisque son équilibre vacilla.

« Bonjour, Talia. Je suis heureux de constater que tu reprends des forces. »

Sans doute n'était-ce qu'une formule de politesse. Peu importe. Son secret était en sécurité entre les mains du Twili. Il n'émit pas de commentaires particuliers sur son état ou sa tenue. Il n'était pas venu se moquer. Il n'était pas venu l'humilier davantage. Il ne l'obligea pas à prendre appui contre lui pour s'asseoir sur le bord du lit, comme une enfant, après tout. Son vieil ami était simplement venu la voir pour s'assurer qu'elle ne manquait de rien et qu'elle se portait bien, dans les circonstances. Il ne lui posa pas la question : cela aurait été idiot, et il ne l'était point. Pour sa part, il aimait croire qu'il était moins aisé de deviner qu'il n'était pas aussi inébranlable qu'il pouvait en donner l'impression. Il était habitué à peu de sommeil ; cependant, pas à peu de repos. Il avait perdu l'habitude de craindre pour la vie de ses proches, et donc de porter ce poids invisible, qui l'accompagnait dans chacun de ses pas et chaque souffle.

De sa démarche féline, l'aîné Hesediel s'invita à tirer les rideaux pour laisser pénétrer un peu de lumière et ouvrit la fenêtre près du visage de la cousine de Midona. Cela leur serait bénéfique à tous les deux. Que pouvait-elle vraiment faire pour s'y objecter de toute façon ? Depuis combien de temps au juste était-elle enfermée dans cette pièce lugubre ? Combien de temps comptait-elle encore se morfondre de la sorte ? Sebastian n'approuvait guère, fronçant même les sourcils, mais il garda ses questions et son opinion pour lui, pour le moment, notant cependant dans un coin de son esprit que la moindre des choses serait de lui offrir son bras en guise de soutien si l'occasion se présentait ou si elle exprimait le souhait de faire quelques pas. Pour l'heure, il se contenta de tapoter le dessus de son sac avant de dévoiler son contenu, espérant la faire sourire, juste un peu, en se montrant à la fois prévisible et prévenant. Il pouvait aussi lui offrir un châle, de l’eau rafraîchissante ou toute autre chose dont elle aurait besoin.

« Je t'ai apporté de la lecture. »

Trois ouvrages plus ou moins volumineux, pour être exact. Ce n'était pas grand-chose, mais de sa part, il s'agissait tout de même d'une délicate attention. Il se doutait que ceux du château n'avaient plus de secrets pour la rousse. Elle devait donc s'ennuyer terriblement. Ce serait tout de même une raison très bête de se laisser dépérir. Assis à ses côtés, sur un petit fauteuil, une touche profonde d'embarras dirigea son regard vers la couverture du premier qu'il ouvrit à une page choisie au hasard avant de le tendre à son amie, la laissant libre de tracer du bout des doigts quelques notes griffonnées dans les marges d'une main rapide, mais précise et élégante, tandis qu'il déposait les autres sur une petite table de chevet. La poésie l'intéresserait peut-être davantage. Sebastian aurait aimé pouvoir demander des conseils à sa sœur afin de trouver un cadeau plus approprié, plus original, aussi, peut-être. Elle lui aurait probablement posé beaucoup trop de questions quant à ses motivations exactes avant de lui recommander très fortement d'amener des fleurs ou au moins UN livre contenant des histoires plus légères que son répertoire habituel, faisant la moue parce qu'il en avait trop dit, ou pas assez, à son avis. Que de sottises. Ce n'était presque rien : un simple remerciement, pour avoir pris soin de Fallon, accompagné d'un souhait de prompt rétablissement.

Et pourtant, il avait bel et bien fait un effort, et ce geste si simple portait toute l'expression de sa confiance envers la jeune femme dont la compagnie ne lui était pas entièrement désagréable. Il ne se départissait pas si aisément de ses précieux bouquins. Ne le savait-elle pas mieux que quiconque ?

Where my demons hide

Son regard s'était fait presque distant tandis que Sebastian donnait des nouvelles de sa famille, ne s'attardant pas sur les détails inutilement. Fallon se portait bien, quoi qu'il en soit, assez bien pour fuir Metzli sans lui partager ses intentions. Il craignait plus les séquelles émotionnelles que l'événement laisserait dans son cœur de jeune fille. Elle ne devait pas finir comme lui. Quant à Aleksander ... Son père avait été blessé plus gravement, mais il avait vécu pire. Il s'en remettrait. Certainement.

Il l'avait laissé s'épancher librement à propos de sa cousine ou non. Sans doute aurait-il dû plutôt lui retourner directement la question à propos de Midona. Cependant, il ne faisait sûrement pas partie des personnes préférées de la reine en ce moment. Cela faisait trop longtemps qu'elle ne lui avait pas adressé la parole. Elle ne lui avait pas non plus demandé conseil afin de l'aider à remettre de l'ordre dans cette belle pagaille comme cela aurait peut-être pu être le cas par le passé. Il ne fallait pas être devin pour savoir que cette épreuve l'avait secouée. Talia ne serait sûrement pas dupe s'il commençait à lui poser des questions parfaitement innocentes à ce sujet. Est-ce qu'il prenait la situation de manière trop personnelle et un peu exagérée ? Sans doute. On ne refait pas un homme de la trempe de Sebastian.

Quoi qu'il en soit, il était satisfait que son cadeau soit apprécié à sa juste valeur, affichant un sourire à ses compliments. Il voulait que Talia sache que si elle en ressentait le besoin, elle pouvait compter sur lui, même si ce n'était que pour lui tenir compagnie. Il aurait aimé pouvoir en faire plus. Néanmoins, il craignait de la froisser s'il lui proposait de faire quelques pas avec son aide afin de quitter le lit. Il ne souhaitait nullement infantiliser la Twili ou encore lui donner l'impression d'être un poids. Sebastian n'était pas certain que l'aide dont elle ait besoin soit en son pouvoir, si son esprit s'empoisonnait lentement, sans pouvoir se confier à qui que ce soit. Était-il le mieux placé pour offrir des conseils en matière d'émotions ? Il pouvait surtout la mettre en garde contre ces mécanismes de défense parfois plus néfastes que bénéfiques, mais il ne pouvait pas le faire, tant qu'elle ne faisait pas le premier pas dans cette direction. Dans le cas contraire, cela risquait plutôt de mettre en péril la confiance qu'elle lui portait, car sa franchise la braquerait ou la choquerait. Il ne le savait que trop bien. Alors, il ne la jugeait pas. Il faisait mine de ne rien voir. Il ne lui en voudrait pas de croire que c'était le cas et qu'il ne se souciait guère des états d'âme d'autrui.

« C'est tout naturel. J'espère que cela te permettra de te changer un peu les idées. Je n'étais pas présent mais ... Si je pouvais mettre la main sur ces traîtres ... Je ne répondrais plus de rien, j'en ai bien peur, Talia. » avoua-t-il d'une voix basse et sombre. Mais ils étaient sûrement très loin d'ici maintenant. Elle lui reprocherait peut-être son excès de zèle. Il n'était pas un Garde Pourpre. De toute façon, cet honneur revenait à leur Reine avant toute chose, si c'était sa décision, qu'elle était la seule à pouvoir rendre. Toutefois, il ne fallait pas oublier que Fallon avait été trahie par cette vermine. Cela rendait son frère plus impitoyable que jamais. La conseillère saurait-elle le raisonner et chasser les ombres au fond de son regard dur ? En avait-elle seulement envie ?