Voilà une lune qu’elle n’avait pas eue de nouvelles de Trascer, ni de Xanto ou de ses suppos. Elle ne s’attendait pas à en avoir tout de suite car une traque prenait toujours du temps Son ex-conseiller devait être occupé à se terrer dans un trou à rats, le temps que la tension ne retombe et qu’il puisse de nouveau comploter pour la faire abdiquer. Il n’y avait plus de couronne à voler, plus de fragment à désirer. Elle gardait sa place de régente de Metzli même si elle ne faisait pas l’unanimité. Il fallait que Trascer se débrouille particulièrement bien pour lui mettre la main dessus. Elle espérait tout de même ne pas avoir trop à attendre. Il lui faudrait prendre une décision bien assez tôt. Elle avait donné sa sentence lors de ce funeste retour. Pouvait-elle revenir sur ce dernier ? Décider de le garder en vie malgré tout ce qu’il avait fait ? Malgré les mots qui la scarifiait encore et qui continuaient de la hanter dès qu’elle fermait les paupières avant de s’endormir et de revivre ce moment dans ses cauchemars. Il devait mourir. C’était le prix de sa trahison.

« — Votre Majesté. » La voix d’un homme la tira de ses pensées. « Les préparatifs avancent bon train pour déblayer la salle du trône. » L’informa-t-elle d’une voix calme.

Midona ne réagit pas tout de suite. Le corps tourné vers la grande fenêtre de la salle qui lui servait de salle du trône désormais, elle gardait son regard tourné vers le reste du château, et sur les ruines qu’elle n’apercevait pas entièrement de son point de vue. Ses paupières papillonnèrent un instant tandis qu’elle revenait dans le moment présent et qu’elle prenait conscience à nouveau de toutes les réparations que les éboulements avaient nécessité dans son Royaume. Elle avait entendu que des bâtiments s’étaient élevés de certains éboulements, ces derniers s’étaient déroulés dans tout Hyrule. Ce ne pouvait pas être l’œuvre de Xanto, mais y avait-il quelqu’un derrière cette puissante magie ? Et si cela avait un lien avec la salle qu’ils avaient découvert sous le château d’Itzal ? Les interrogations s’amoncelaient et ne faiblissaient guère. Il était plus que temps qu’elle se rende en expédition dans cette étrange cave.

« — C’est trop lent ! Il faut impérativement que la voie soit libre dans les prochains jours. » Répondit-elle d’une voix autoritaire sans se tourner vers l’architecte.

Elle vit la silhouette de l’homme faiblir un peu, surpris par le ton de la Reine, mais il ne s’éloigna pas pour autant, signe qu’il avait autre chose à lui dire. Midona tourna la tête un peu, toujours sans lui adresser de regard.

« — La reconstruction du port d’Abyssal a débuté également. Nous espérons pouvoir revenir à un fonctionnement normal avec tous les quais opérationnels dans quelques lunes. » Poursuivit-il d’une voix qui se voulait rassurante.

À cela, Midona éructa un soupir et le ton de sa voix se radoucit. Il était hors de question que le port de Metzli ne fonctionne qu’à bas régime alors que son peuple souffrait des ravages de son absence. Les vivres et marchandises devaient pouvoir être affrétées efficacement si elle voulait que son pays puisse se relever de cette épreuve.

« — Le plus rapidement possible. Engagez autant d’ouvriers que nécessaire pour être plus rapide. Qu’ils travaillent de nuit si nécessaire. » Ordonna-t-elle en réponse.

Il acquiesça puis fit une courbette avant de s’effacer rapidement pour retourner à ses affaires de bâtiment et de reconstruction. Elle pivota sur elle-même pour regarder l’homme sortir de la pièce puis retourna s’asseoir dans son siège pour recevoir le prochain plaignant, ou les prochaines informations. La journée était un peu lente et elle avait hâte de prendre congé pour aller se dégourdir les jambes en extérieur. Elle entendait la pluie taper contre les vitres des fenêtres, lui signifiant qu’il ne faudrait pas qu’elle craigne d’être mouillée si elle se décidait à sortir. La fin de l’année 1000 approchait, et avec celle-ci, l’hiver pointait doucement son nez. La saison des tempêtes revenait sur les terres de Metzli, ce qui n’arrangerait pas les semences et les récoltes. La salle était particulièrement froide en ce jour sombre et elle fit signe à l’un des servants de rajouter des buches dans la grande cheminée afin que la chaleur se répande davantage dans la pièce. Habillée d’une longue robe d’ébène au col de fourrure de renard argenté, elle ressentait le froid qui venait lui bruler les mains et raviver le rose sur ses joues pâles.

Une tempête se préparait en extérieur. Le vent se levait et frappait les vitres en bourrasques de plus en plus fortes. Ce n’était pas la dernière, ni serait la dernière. L’hiver apportait toujours son lot d’intempéries.

Soudain, la porte s’entrouvrit sur un garde pourpre dont les vêtements étaient sales, signe qu’ils étaient encore dehors peu de temps auparavant. Il se présenta à elle, s’agenouilla, et le cœur de Midona sembla s’arrêter lorsqu’il prit la parole, tant les mots énoncés avaient été désirés cette dernière lune.

« — Votre Altesse, Trascer Citeri a capturé le renégat Xanto Odair. » L’entendit-elle lui dire. « Comme convenu, nous vous l’avons ramené vivant. »

Midona se leva brusquement de son siège, se désintéressa du garde pour braquer son regard sur la grande porte qui allait faire entrer le traitre. Elle avait tant attendu que ce jour arrive, espérant chaque jour que ce soit le bon. Elle avait expressément ordonné à Trascer et aux gardes de ne pas la prévenir en amont pour ne pas risquer que le message soit intercepté.

« — Où est Trascer Citeri ? » Questionna-t-elle le garde avant de faire pénétrer le corbeau, puis elle se ravisa. « Peu importe, je verrai cela plus tard. Faites entrer le traitre ! » Exigea-t-elle d’une voix forte.

La grande porte en bois massif s’ébranla de nouveau et entièrement, laissant pénétrer dans la salle plusieurs gardes pourpres qui tenaient fermement dans leurs chaines, un homme amaigri et terne, aux cheveux sales et aux habits boueux. Alors qu’il était trainé devant elle, la Reine prit conscience qu’il était l’heure de prendre une décision. Il devait mourir pour ce qu’il avait fait. Il le devait. La rousse ne savait pas réellement quel sentiment elle éprouvait désormais. La colère était toujours bien présente, elle alimentait ses veines de ce même poison qui ne la quittait plus. Il y avait également du chagrin. Celui de devoir devenir le bourreau de l’homme qu’elle avait aimé.  

Les gardes autour d’elle se tendirent, ils hésitèrent à sortir leurs armes de leurs fourreaux, alors que le traitre était étroitement enchainé. Le voir ainsi acculé, affaibli, avait quelque chose de grisant. Il ne méritait que cela. C’était sa faute et uniquement la sienne s’il se retrouvait dans cette situation de soumission. Il avait tout tenté et il avait perdu. Il était un traitre, un odieux monstre qui l’avait humilié devant toute la cour de Metzli. Il méritait cette sentence. Il méritait de mourir comme un animal.

La Reine descendit les quelques marches d’où son siège se tenait pour marcher vers Xanto. Les gardes autour d’elle se rapprochèrent en anticipation. D’un geste de la main, elle leur intima de ne pas bouger. Son visage trahissait l’exultation du retour du traitre entre les murs du château d’Itzal. Dans un silence de mort, la Reine Crépusculaire fit le tour de Xanto tandis qu’il était toujours tenu par les gardes qui l’avaient emmené. Elle le dévisagea sans un mot, scruta ses habits, cherchant ses blessures. Il était en piteux état mais en un seul morceau.

Quand elle eut fini son tour, elle se posa en face de lui, à une certaine distance tout de même, plongeant ses prunelles de glace dans celle de son ancien ami.

« — Trascer a été bien clément, je t’aurais écrasé les membres un par un pour m’assurer que tu ne t’enfuies pas et que tu souffres le martyr au passage. » Cracha-t-elle. « En voilà au moins un qui ne finira pas dans la fosse commune. »

Le revoir provoqua une irrémédiable fureur et, sans parvenir à se contrôler, Midona réduisit la distance qui les séparait d’un pas rapide et le gifla. Si fort que le bruit résonna dans la pièce. Elle grimaça un instant, sentant sa propre main bruler.

« — Est-ce le retour que tu espérais, traitre ? » Le ton était glacial, comme l’étaient ses prunelles qui ne le quittaient plus désormais. « Est-ce de cette manière que tu comptes me hanter ? »

Le reste du château d’Itzal aurait bien pu finir de s’écrouler que Midona ne l’aurait pas vu, absorbée par les deux prunelles sombres de son ancien ami. Elle y voyait tant de sentiments nouveaux pour elle, des émotions qu’elle avait vu pour la première fois sur ce visage, lors de son retour un peu plus d’une lune plus tôt. Même acculé de la sorte, retenu par deux gardes, tandis que le dernier se tenait prêt à réagir au besoin, il gardait la tête haute. La rousse ne voyait plus les gardes. Du moment où il était entré dans la pièce, elle n’avait pas pu décrocher ses prunelles bouleversées de la silhouette claudicante qui avait marché vers elle. La rousse n’avait d’yeux que pour l’homme qui se tenait là, aux cheveux hirsutes et aux vêtements recouverts de sang séché et de boue. Elle ne voyait que cette âme en peine qui avait été ramenée de force vers son maitre pour en connaitre le jugement définitif de sa sentence. Il n’y avait plus rien qu’il ne puisse faire, ou qu’il ne puisse dire, car ce jugement était déjà scellé. Il l’avait été depuis qu’il avait retiré son masque.

Le visage du traitre s’était lentement retourné vers elle après la soudaine gifle. L’échange de regards fut glacial. Elle put lire dans celui-ci, et son langage non verbal, toute l’humiliation et la colère que cela engendra chez le Twili. La Reine Crépusculaire resta droite, se tenant inébranlable devant lui pour lui montrer à quel point elle était plus forte que ce qu’il imaginait. Pourquoi ne mériterait-elle pas d’être Reine ? Qu’avait-elle fait de mal, si ce n’était de ne pas avoir cru en sa réussite ? Midona soutint ce regard, peu impressionnée par la haine qui en transparaissait. Elle avait su à quoi s’attendre. Ce regard, elle l’avait déjà croisé à son retour d’Hyrule, lorsqu’elle avait cru retrouver un ami de confiance. Il l’avait alors hanté car jamais la jeune femme n’aurait pu imaginer pareille trahison de la part de son ami d’enfance.

L’homme, qui était face à elle, était un étranger. Étroitement et lourdement enchaîné, il conservait un air dédaigneux dégoulinant d’amertume. La dernière lune à se cacher comm un fugitif n’avait probablement rien arrangé à cela. Cet homme avait tout perdu. Qu’avait-il encore à perdre aujourd’hui ?

« — Il y a erreur ? » Elle rit. Un rire spontané, incontrôlable. Quel culot ! Elle n’avait qu’un geste à faire, qu’un mot à prononcer, pour qu’il se noie dans son propre sang.

Elle continua de rire, devant le regard circonspect des gardes qui s’observaient en s’interrogeant sur ce qu’ils devaient faire. La rousse ne s’en intéressa pas, elle passa une main sur son visage, sentant le froid de celle-ci sur ses joues désormais brulantes. Elle trouvait cela particulièrement drôle qu’il se permette de se comporter de la sorte alors qu’elle le tenait sous son joug. Il était entièrement à sa merci quoiqu’il puisse en dire.

« — Je crois que je ne t’aurais pas donné tort quelques lunes auparavant. » Répondit-elle avec un sourire triste. « Nous savons tous les deux que je ne me voyais pas gagner l’Épreuve des Héritiers. Et pourtant, c’est sur moi que la Couronne s’est posée, et c’est moi qui l’aie supportée. » Elle croisa ses bras. « Après tout ce temps, tu n’arrives toujours pas à accepter ta défaite. » Midona fronça le nez. « Il était hors de question que je ne combatte pas. Ce n’est pas ma faute si j’ai été plus forte que toi. Tu n’avais qu’à être plus fort. »

L’homme qui se tenait là, était tout à la fois un étranger, qu’un ami cher. Il utilisait des mots qu’elle connaissait, l’appelait comme elle avait été jadis surnommée. Mais ce n’était pas la personne qui les avait utilisés en ce temps-là. Cela avait alors été un jeune homme plein de promesse, fier et orgueilleux, qui avait hâte d’en découdre. Un jeune homme qu’elle avait chérie auprès d’elle mais qu’elle n’avait jamais aimée comme il aurait voulu l’être. Des sentiments, elle en avait eu, mais avaient-ils été suffisants ? Probablement pas. Elle n’était pas certaine d’avoir un jour ressenti de l’amour pour lui. Les choses auraient-elle été plus simples si cela avait été ?

« — Peut-être ne devrais-je pas en avoir, de la pitié, après la façon dont tu m’as humiliée. Mais oui, tu as raison, j’ai pitié de l’homme que tu es devenu. » Toute hilarité l’avait désormais quittée, et elle le fixait d’un visage qui n’exprimait aucune expression. Elle était à l’image de ce qu’elle ressentait en ce moment : elle se sentait vide. « J’ai pitié que ton orgueil et ta fierté se soit toujours trouvés entre nous. »

Elle ne releva pas son attaque sur ses cheveux de feu. Elle se souvenait bien de ses mots qu’il prononçait quand ils étaient jeunes. Elle avait tant aimé qu’il l’appelle comme ça, en ce temps. Ce n’était qu’une fenêtre vers le passé, un temps révolu qui n’existerait plus jamais. Pas après ce qu’il s’était passé. Pas après qu’il eut essayé de la poignarder dans le dos.  

« — J’ai compris, lors de mon retour, que tu avais toujours joué un acte depuis mon couronnement. J’imagine que les seules fois où tu fus honnête avec moi, furent lorsque nous étions plus jeunes, quand il n’y avait pas encore d’enjeux imminents, lorsque nous parlions comme si nous pouvions décider de notre destin. » C’était une autre époque, un autre monde presque, tant la réalité était toute différente. « Tu n’as jamais accepté que Midona, l’héritière qui rêvait plus d’aventure que de palais, te ravisse tes espoirs de royauté. »

Elle marcha un peu sur le côté, les bras toujours croisés, tandis que ses gardes le tenaient étroitement dans ses fers. Il était plus vulnérable qu’il ne l’avait été. Cela ne serait pas difficile de lui ôter la vie, juste comme ça, comme si c’était facile. Comme s’il n’y avait jamais eu aucun lien entre eux. Elle n’aurait qu’à prendre une lame, n’importe laquelle, une épée ou une dague, et lui trancher nette la gorge. Bien qu’elle ne soit pas une bonne combattante en corps à corps, elle savait où était la jugulaire. C’était à cet endroit que l’on égorgeait les bêtes pour qu’elles se vident de leur sang.

Il était bien un animal. Son regard n’avait plus rien d’humain. Elle n’y discernait que de la bestialité dans ses prunelles obscures. Malgré tout, méritait-il de mourir comme un chien ?

« — Que ferais-tu, à ma place, Xanto ? »