For the lost and the broken ↬ PV Migaro

For the lost and the broken

An 1000, Lune 7, Jour 25

Des jours plongés dans le noir. Des jours, peut-être, mais cela ne semblait pas faire des jours pour Mélody. Un instant, peut-être, un soupir, un souffle, un battement de cœur qui s’esquive, qui lui échappe. Un sursaut. Le bruit tonitruant de la foudre, encore dans ses oreilles, le curieux et terrible crépitement, omniprésent dans son esprit, comme un rappel de ce qui l’avait brutalement frappé avant que tout ne devienne que ténèbres.
Devait-elle remercier les Déesses d’être encore en vie ? Oh, si elle savait…

Lorsqu’elle revint à elle, Mélody n’arriva pas à comprendre ce qu’il se passait. L’endroit où elle était, l’odeur qu’elle sentait, les sensations de son corps ; de multiples fourmillements déplaisants, inconfortables et piquants ; lui semblaient étrangères. Elle essaya de bouger les jambes, les bras, mais rien n’y fit. Elle tressaillit simplement, allongée sur le dos, dans ce lit lui semblant presque trop confortable pour être réel. Le parfum qu’elle sentait lui était méconnu… Elle n’était pas chez elle… Où était-elle, et pourquoi était-elle ici ? Où étaient les autres ? Son mari, son fils ?

Petit à petit, son cerveau commençait à remettre les éléments dans leurs places. Le puzzle prenait forme. Ses yeux s’ouvrirent, puis se refermèrent… puis se rouvrirent, et se refermèrent à nouveau. Elle ne devinait que des formes brouillées, des silhouettes imprécises, elle pouvait entendre quelqu’un essayer de lui parler, mais en vain : les mots n’étaient qu’un amas de sons dans ses oreilles.
« Que… Colin… » Parvint-elle à articuler, sa bouche étant si sèche et douloureuse qu’elle peinait à dire quoi que ce soit. On sembla lui répondre, elle ignorait qui, d’où, quoi. Encore une fois, les mots étaient difficiles à assimiler. Elle grimaça, synonyme de douleur et d’inconfort. On la toucha, comme si on essayait de s’assurer qu’elle ne cherche pas à se redresser. La main sur son épaule était stricte et ferme. C’était une vieille piaf qui s’était assuré de ses soins. Elle voulait être certaine que la cheffe de l’île ne cherche pas bêtement à se déplacer, vu son état.

Incapable de bouger de toute façon, Mélody laissa s’échapper un soupir. Son corps s’alourdit. Une envie de dormir pesait sur son crâne. Combien de temps s’était-il passé ? Elle voulait tant le demander, mais elle était incapable de le faire. Comme elle cherchait à parler, agitant les lèvres sans le faire, on tenta de lui donner lentement à boire, mais si cela fut bienvenue, elle eu du mal à avaler et toussota sur une gorgée. On la laissa tranquille ensuite ; au moins était-elle hydratée, ne serait-ce qu’un peu.

Une nouvelle pensée germa dans son esprit : étaient-ils toujours en guerre ? Elle n’entendait pas de combat, au dehors. Certes, elle n’entendait pas grand-chose… Mais tout de même, la question la pesa. Elle chercha des yeux une fenêtre, sans en trouver. Elle grimaça à nouveau, l’impuissance lui pesant sur la conscience. L’inconnu, le manque de contrôle… Tout cela avait un poids terrible sur la psyché de la piaf.

Sans le vouloir, elle se rendormit l’instant d’après, une petite heure de plus… Curieux d’avoir ainsi envie de dormir après avoir passé quatre jours dans le coma. Non pas qu’elle en soit consciente en cet instant !
Lorsqu’elle émergea à nouveau, il faisait presque nuit. Il y avait moins de bruits que plus tôt. Sa vue devint un peu plus claire que précédemment, lui permettant de voir qu’une personne était encore à son chevet. Elle mit quelques instants à deviner ses traits, à la lueur d’une bougie, laissée près de son lit. Un visage bien amoché par la bataille, mais familier. Elle s’attendait à voir Johan, honnêtement, mais non : il s’agissait de Migaro. Il serait mentir de dire que sa présence ne la réconforta pas.

« Mig… » Elle n’arriva même pas à dire son nom en entier. Prendre une inspiration pour parler était difficile, mais elle lutta quand même, jugeant important de terminer sa pensée. « …C’est fini… ? » Ses yeux voguèrent autour de lui. Elle ne voyait pas son garçon. « Colin… ?! » Parvint-elle à articuler, comme si sa vie en dépendait.

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@Mélody Mallery

« Ile du Dragon | An 1000 - lune 7 - jour 25 »

Pleuré, il avait pleuré à chaudes larmes en retrouvant le cadavre inanimé de son ami Balgor : le goron à qui il avait promis une belle retraite après cette bataille. Une existence paisible où il aurait pu retrouver sa famille à Ordinn. Malheureusement, ce conflit fut le dernier pour lui, la vie arrachait une âme profondément bonne à laquelle s'était attachée le mercenaire. S'ils n'avaient pas vécu des années, les quelques lunes passées ensemble suffisaient à créer une profonde amitié. Le piaf sombra dans l'inconscience, ayant usé de ses dernières forces pour le rejoindre une dernière fois.

Il aurait aimé le protéger, comme tous les autres.

Ils avaient repoussé l'assaut du Roi d'Hébra, mais à quel prix ? Tant de vies brisées, sacrifiées pour y parvenir. Des jeunes et des moins jeunes arrachées injustement. L'île du dragon ressortait victorieuse certes mais profondément marquée, à l'image des survivants. Plongé dans un profond sommeil, il entendit des gens s'affairer autour de lui : tant des mots apaisants, tant encourageants. "Mélody...Mélody ?" Avait-il chuchoté au bord du réveil, aussitôt rassuré par un guérisseur, mettant fin à ses tourments. Elle avait survécu. Il entendit ses mots et les accueillit avec un profond soulagement, et il abdiqua, se laissant volontiers perdre dans les bras de Morphée.

Un jour plus tard, le guerrier ouvrit les yeux, dans sa tente, d'imposants bandages recouvrant son torse et sa cuisse, là où ses plaies béantes continuaient de le tirer, la souffrance n'était plus aussi intense qu'auparavant tout de même. Non sans mal, il venait s'asseoir sur le rebord de son lit de fortune, tâchant de remettre en ordre ses derniers souvenirs. Kevan tué, Colin confié à Helios. Johan assassiné par les élites du Roi de pacotille. Les flashs lui parvenaient violemment, désordonnés, douloureux. Tête entre ses mains, il resta ainsi prostré de longues minutes, perdu, égaré, il n'avait alors qu'une idée : retrouver Mélody. S'assurer qu'elle était saine et sauve. Attrapant une chemise à la volée, il quitta son petit cocon. Le village s'était transformé en hôpital de fortune : l'on traitait les blessés les plus graves. Aucune fête, aucun banquet pour l'occasion. "Mélody, où est-elle ?!" Demandait-il sans plus de cérémonie, on lui indiqua où se trouvait la cheffe de l'île, mal en point. Encore plongée dans un coma, elle avait subit les affres d'un mage, subissant une attaque foudroyante.

Allongée ainsi, elle semblait presque sereine, le coeur du piaf se serrait. Comment allait-il lui annoncer que son mari n'était plus et que son fils avait disparu avec le pirate ? Comment lui annoncer la fin de son monde qui lui briserait le coeur ? Il manqua de défaillir et blêmit subitement, se laissant choir sur la chaise la plus proche. Et il resta là, à son chevet des heures durant, veillant à ce qu'elle ne manque de rien, à la rassurer lorsqu'elle paniquait, sans savoir si ses mots étaient audibles. Sans savoir si dans son coma, elle ressentait sa présence.

Doucement, il sentait le sommeil le happer, à l'orée de la nuit, ses paupières se faisaient lourdes. Mais soudain, il entendit du mouvement et sa voix fluette lui parvenir, le sortant de sa torpeur. Aussitôt, il se redressait pour glisser sa main dans la sienne. "Mélody..Doucement, tu es encore faible." Disait-il, inquiet qu'elle n'use de trop d'énergie pour parler. Son état était critique, même après plusieurs jours de repos. Lui aussi n'en menait pas large, il fallait l'avouer, encore amoché par les combats. Tout comme elle, son visage était marqué par la fatigue. Pourtant, il osa un sourire triste. "Nous avons gagné contre Kevan."Il commençait d'abord par la bonne nouvelle. Lui qui voulait qu'elle se ménage, ce qui l'attendait ne l'y aiderait pas, assurément. Mais c'était probablement pour le mieux, au moins elle ne l'apprendrait pas de la bouche d'un inconnu.

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An 1000, Lune 7, Jour 25

Mélody voulait absolument savoir où était son fils. En tant que mère, n’était-ce pas normal ? Et où était-il ? Personne ne le lui disait. Ses derniers souvenirs remontaient à un foudroyant éclat de lumière, un bruit sourd, puis, le noir… Il n’y avait rien, absolument rien qui lui donnait le sentiment que les choses s’étaient bien passées. Avaient-ils gagné la guerre ? Avaient-ils vaincu l’ennemi ?

Migaro n’était pas prêt de lui répondre : il voulait, d’abord, qu’elle se calme. Elle était faible et devait se reposer. Mélody sentit une pointe d’agacement. Elle fronça les sourcils, bougeant la tête de gauche à droite avec confusion et colère. Elle voulait des réponses ! Même si elle avait la nausée, même si une migraine lui martelait le crâne, elle voulait savoir ! Colin, et Johan ? Et qu’en était-il de l’île, allait-elle bien ? Son peuple, comment se portait-il ? Avait-il quelqu’un pour le guider ?

La piaf soupira. Son corps entier était douloureux. Elle sentait ses lèvres sèches, un goût ferreux dans la gorge, ses yeux brûlaient. Il n’y avait rien qui allait, rien. Elle voulait une bonne nouvelle.
« Migaro… Dis-moi… La guerre… ? L’île… ? » Au travers le brouillard de son regard, elle commençait à deviner qu’il était dans un sale état. Il semblait avoir été blessé également ; plusieurs bandages et blessures, des ecchymoses et une faiblesse dans le regard, tout soulignait que le combat l’avait éreinté. Elle s’en voulu de ne pas lui avoir demandé comment il allait…

Au final, son ami lui répondit : ils avaient vaincu Kevan. Son sourire semblait triste. La victoire était douce-amère ; elle le devinait. L’air était lourd, les gens n’étaient pas aussi heureux qu’ils auraient dû l’être vis-à-vis d’une telle victoire. Mélody resta muette, son regard se perdit. Ils avaient donc gagné. La bouche entrouverte, elle se perdit dans le vague avant de ramener son attention vers Migaro.
« Nous avons gagné… » Répéta-t-elle, comme pour enregistrer l’information. « L’île… l’île est saine et sauve… » Le soulagement qui l’enveloppa était sans pareil. Elle prit une profonde inspiration, qui lui fit mal aux poumons, comme un picotement dans le ventre la fit grimacer. Elle n’était pas prête d’être remise sur pied, mais ce n’était pas grave : son peuple était protégé.

« Où sont Johan et Colin… ? J’aimerais… Je veux les voir… » Sa main se serra sur celle de Migaro, comme pour appuyer sa demande. « …Johan doit s’occuper de tout… des dégâts… » Elle détourna le regard. Elle ignorait encore que plusieurs jours s’étaient écoulés, bien qu’elle était suffisamment intelligente pour deviner que plusieurs heures, sinon au moins un jour, s’étaient écoulées, car les choses étaient trop calmes pour que le conflit soit tout juste achevé. « Mon fils, où est-il… ? Mig… ? »
Elle avait déjà posé cette question. Pourquoi n’avait-il pas répondu ?

Elle le dévisagea, peu à peu, avec inquiétude et insistance. Un sentiment creux commençait à lui mordre la poitrine. Un mauvais pressentiment qui, bientôt, s’avérerait réel, à son plus grand chagrin.

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« Ile du Dragon | An 1000 - lune 7 - jour 25 »

Le mercenaire n'en menait pas large à présent qu'il se trouvait face à l'inévitable : il avait souhaité que la nouvelle soit annoncée par lui et non par un inconnu. Une tare et un fardeau à porter car il savait que cela risquait de la mettre à genou, de la plonger dans les abysses du deuil dans lequel il ne pouvait la suivre, à défaut de se montrer présent et rassurant, rien ne ramènerait son époux à la vie. La victoire était donc bien plus amère qu'il n'aurait pu l'imaginer, mais quelle guerre ne l'était pas, que vous soyez victorieux ou perdant ? Tant de vies gâchées, tant de sang qui avait souillé la terre si pure de l'île du dragon. Migaro n'avait jamais connu de telle violence : il s'en rendait compte à présent, personne ne sortait de là grandit. Il avait dû lui aussi tuer pour survivre. Pour sûr que cette journée allait le marquer pour le restant de ses jours, comme tous ceux qui en étaient sortis vivants. Esprit éprouvé, corps abîmé, il ne s'en préoccupait guère présentement. Il n'y avait que Mélody qui importait.

Il pourrait aisément lui donner sa vie si cela lui permettait de sourire à nouveau. Malheureusement, il n'avait pas ce pouvoir.

Aussi blême que les linges de son lit, le piaf tâchait de commencer par la bonne nouvelle : ils avaient gagné, ils étaient parvenus à repousser les assauts de l'ennemi. Alors que la jeune femme digérait l'information, il hocha la tête, l'île était sauvée. "Nous n'aurons pas à nous soumettre à qui que ce soit. Ce chien est mort." Dit-il avec une pointe de colère dans la voix. Après tout, Kevan était le responsable de toute cette folie, ayant lancé cet assaut seulement pour la gloire. Sans son égo surdimensionné, rien ne serait advenu. Personne n'aurait connu le deuil.

Le calme avant la tempête car les questions fusaient. Rien d'anormal, mais cela ne fit que renforcer le malêtre du guerrier qui sentit la poigne de la cheffe se resserrer sur la sienne. Par quoi commencer ? La gorge serrée, le regard fuyant, Migaro prenait une grande inspiration avant de briser le silence. "Colin est en sécurité sur le Sunspear auprès d'Hélios comme tu l'avais demandé, nous irons le chercher dès que possible." Le petit était en sécurité, c'était là le principal. Il n'avait su qu'après coup la promesse faite par le capitaine Zarim, celle-ci avait été tenue. Un soulagement certain pour elle mais qui n'était qu'un avant goût du couperet qui allait tomber.

Son visage se ferma alors, ses yeux rougis par la fatigue se détournaient. "Des soldats de Kevan ont tenté de s'en prendre aux enfants cachés dans la grotte, ces enfoirés n'ont aucun honneur." Une nouvelle fois, il ressentait une vive haine gronder en lui. Son regard fixa finalement le sien, dans lequel elle put lire une profonde tristesse. "Johan les a protégé fièrement. Je suis désolé Mélody, il...." Il fut incapable d'en dire plus mais son expression parlait d'elle-même. Les mots restaient coincés dans sa gorge serrée, à tel point qu'il avait la sensation d'étouffer. Jamais le Tanel ne s'était senti aussi impuissant que maintenant. Pire encore, il était celui qui anéantirait tous ses espoirs.

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An 1000, Lune 7, Jour 25

Migaro insistait beaucoup sur le bon côté des choses. Il disait qu’ils avaient gagnés, qu’ils n’avaient pas eu à ployer le genou. Ils avaient gagné contre Kevan, contre ce chien, ce roi de pacotilles. Mais quelque chose n’allait pas. Elle pouvait le sentir… et c’est bien pourquoi elle décida de revenir à ses premières questions. Où était son fils ? Colin, son petit trésor, son miracle, où était-il ? Et Johan ? Elle était persuadée que s’il n’était pas à son chevet, c’était qu’il devait avoir une excellente raison. Sans doute cherchait-il à soutenir les habitants de l’île, à réparer les dégâts, à s’assurer que tout le monde allait bien…

Le fait était que son ami fuyait son regard. Il cherchait ses mots, il déglutissait. Elle regardait sa gorge, ses yeux, cherchait son regard, une précision, un mot ! Elle voulait des réponses ! Son cœur commençait à accélérer, son cerveau s’imaginait des choses… Non, Colin allait bien, n’est-ce pas ? Elle le saurait, dans son cœur de mère, s’il lui était arrivé quelque chose. Elle ne serait pas passé à côté de ça, n’est-ce pas ? Elle le saurait, elle le sentirait, non ?
Heureusement, Migaro ne lui annonça pas la mort de son fils. Cependant, il mentionna qu’il était sur le navire d’Helios, comme promis par le pirate, il avait emporté son fils avec lui pour assurer sa sécurité. Cela voulait donc dire que le danger avait été bien plus omniprésent qu’elle ne l’avait anticipé… Nerveuse, Mélody détourna le regard, cherchant à comprendre jusqu’à quel point les choses avaient dégringolées pendant son coma.

« …alors il est sain et sauf… c’est le principal. » Elle hocha de la tête, cherchant à timidement se convaincre que c’était une bonne chose. Evidemment, Mélody aurait préféré avoir son fils à ses côtés, le serrer dans ses bras, caresser ses belles boucles et admirer son visage, encore intact malgré les dégâts provoqués par la guerre dans son petit esprit fragile, mais… Tant qu’il était en sécurité.
C’était l’essentiel.

A nouveau, elle chercha le regard de Migaro pour connaître la suite. Ne l’avait-elle pas interrogé sur Johan également ? Il fuyait encore son regard. Un certain agacement la gagna. Elle tira un peu sur sa main, cherchant à l’obliger à la regarder, mais il ne fit rien. Il n’osait pas plonger son regard dans le sien. Et pourquoi ? Son esprit refusait d’accepter cette potentielle noire et lugubre réalité qui se profilait. Pourquoi ne voulait-il pas la regarder ? Pourquoi fuyait-il ?
Johan était simplement dehors, là, jalousant leur proximité, mais prêt à venir vers son épouse, n’est-ce pas ? Il était juste là, dehors… Il attendait son tour, attendait qu’elle aille mieux… Il était juste là… Non ?

Il avait protégé les enfants dans la grotte. Oui, elle se rappelait. Elle le lui avait demandé. Mais et alors ? Il ? Quoi ? Migaro était désolé. La fatigue lui embrumait la tête. La piaf devinait que son ami d’enfance était épuisé aussi, la rougeur de ses yeux, la raideur de ses traits, sa gorge, elle la devinait presque étranglée par des mains invisibles. Son regard dévisagea longuement Migaro qui, pas une seule fois, ne la regarda.
« Quoi ? Il quoi ? Pourquoi tu es désolé, il est juste là, dehors, en train… en train d’aider les… » Elle tourna les yeux vers un passage qui menait vers l’extérieur. La porte, grande ouverte, ne laissait entrevoir personne. Et sûrement pas Johan. « Il… Il devrait être juste… là… »
La nouvelle se faufila finalement jusqu’à son cerveau, creusant suffisamment sa trace pour qu’elle comprenne. Son visage, déjà pâle, devint plus blême encore, lui donnant des allures fantomatiques. Ses lèvres tremblèrent, sa gorge se serra, son monde s’effondra. Tout autour d’elle ne semblait être que du papier qui s’émiettait sitôt qu’elle posait les yeux dessus. Tout s’effritait, comme une vieille feuille d’arbre desséchée. Elle lâcha la main de Migaro alors qu’elle était prise de violents tremblements. Ses doigts passèrent sur son visage tandis que celui-ci se muait dans une horrible expression de chagrin, de deuil et d’un torrent de larmes incontrôlables, sans parler des spasmes d’émotions qui la défigurait.

« N-non !! Non, non… Non, par les Déesses… !! Johan… !! » Elle peinait à respirer, comme si une main squelettique, glacée et indifférence, lui serrait le cœur, étouffant sa poitrine. Bientôt, Mélody sentit un puissant tournis lui prendre la tête tant le souffle lui manquait, sa respiration, haletante et émotive, n’arrangeait rien. Son visage, aussi blanc par endroit que rougit par les larmes, restait obstinément logé contre ses mains.
Un lourd silence était tombé dans la pièce tandis qu’elle hurlait – littéralement – ses pleurs. On l’observait avec peine ; tous étant gardiens de ce secret, jusqu’à ce que Migaro n’ouvre la boîte de Pandore en annonçant la terrible nouvelle.

Plus rien n’existait autour d’elle. Elle oublia les mages, là pour soigner, les blessés, qui cherchaient à se reposer, les visiteurs, là pour soutenir. Elle oublia tout, elle oublia Migaro. Il n’y avait plus que du noir, que ses larmes, qu’un bourdonnement dans ses oreilles, que le tambour de son cœur dans sa poitrine, que la sécheresse de sa bouche et le tremblement de son corps tout entier. Une petite feuille, chiffonnée, blessée, un moineau, esseulé, abandonné, tué à petits feux. Chaque inspiration invitait un cri, chaque cri invitait les larmes.
Et chaque larme lui rappelait combien elle pouvait souffrir, là, maintenant.

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@Mélody Mallery

« Ile du Dragon | An 1000 - lune 7 - jour 25 »

D'ici quelques secondes, le monde de son amie allait s'effondrer sous ses pieds, dont il en serait l'annonciateur. Même si la tâche s'avérait ardue et particulièrement ingrate, il ne regrettait rien, refusant qu'un inconnu en soit responsable. Pourtant, sa résignation ne rendait pas ce moment plus facile à supporter, il marchait sur des œufs, pour l'instant, préférant se focaliser sur le positif. Colin se portait bien même s'il se trouvait sur le bateau de Hélios, le pirate ne tarderait pas à le ramener ici. Et surtout, ils avaient gagné et évité la soumission totale, Kevan n'avait pu mettre en œuvre ses espoirs fous. Mieux encore, ce roi autoproclamé avait succombé, sonnant le glas d'une ère et l'avènement d'une autre pour Hébra. Des deux côtés, il fallait panser les plaies et pleurer les morts. Un lourd tribut avait été payé pour l'emporter - à l'image de leur adversaire.

Une certaine déception fut palpable lorsqu'il lui annonça que son fils n'était pas là. Probablement qu'elle aurait souhaité s'assurer de sa bonne santé en le prenant dans ses bras. Migaro n'était pas père mais comprenait plus que jamais l'amour maternel qu'elle lui portait. Après tout, il avait vécu sur l'île un long mois avant que les armées de Cantell ne débarquent. Il avait pu admirer la complicité de la petite famille, tout ce qu'il n'avait pas et n'aura jamais. La rivalité puérile qu'il partageait avec Johan avait disparu dès lors qu'il avait appris sa mort.

Gorge serrée, sèche à l'extrême, le voilà au pied du mur. Il ne pouvait plus se dérober, lui qui était coutumier du fait jadis ne se détournait plus de ses responsabilités. Mêmes si les mots demeuraient coincés, il savait qu'elle ferait bien vite le cheminement dans son esprit, cet air désolé, aucun doute sur la terrible finalité. Johan n'était plus et lorsqu'elle regarda derrière lui, pensant voir sa silhouette, il baissa les yeux. En cet instant, il aurait préféré mourir à la place de son époux. Lui épargner pareilles souffrances alors qu'il assistait impuissant à sa chute. Elle avait compris l'impensable, l'inattendu, l'intolérable. Elle lâcha sa main, comme pour se détacher du monde des vivants, comme incapable de prendre conscience du monde qui l'entoure car celui-ci s'écroulait. Une accablante nouvelle qui venait briser le coeur du guerrier. Que pouvait-il faire à présent ? Elle allait là où il ne pouvait la rejoindre : dans les tréfonds de la souffrance. Il avait déjà connu la douleur du deuil, mais pas celui d'un amour. Pas celui de la femme de ses enfants. Ses cris faisaient écho à sa détresse tandis que dans la tente, tous se fondaient dans un mutisme latent face à la souffrance de leur cheffe.

Quelque peu décontenancé par tout cela, le mercenaire demeurait interdit, prostré face à tant d'émotions qui traversaient le corps frêle de Mélody. Victime de tremblements, elle était secouée telle une misérable feuille. Une poupée maltraitée par la vie. Par l'odieuse réalité. Alors, dans ce tumulte, Migaro ne put que lui offrir une étreinte forte, l'entourant de ses bras pour qu'elle puisse s'y réfugier. A défaut d'avoir le pouvoir de le ressusciter, il lui offrait une épaule sur laquelle se reposer, sur laquelle pleurer.

Il ne sut combien de minutes ou d'heures s'écoulèrent durant lesquelles elle pleura encore et encore, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau dans son corps. La nuit tombée, le camp de fortune s'était calmé, les sanglots s'étant tarit. Mais la souffrance elle, non.

L'épuisement avait emporté Migaro dans les bras de Morphée, loin d'être apaisant, comment pouvait-il l'être ?

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An 1000, Lune 7, Jour 25

La souffrance de Melody n’avait pas de mot, de son, d’image. C’était un tout, des piques, du froid, du brûlant, du transperçant, du poids… Il y avait tout, en même temps, et rien, à la fois. C’était inexplicable, et tenter de mettre les mots dessus serait presque une insulte à la douleur qui empalait littéralement la cheffe de l’île du Dragon.
Elle avait perdue son mari. Il était mort, tué au combat, en protégeant les innocents.
Les bras de Migaro ne furent pas bienvenus, cela dit, en même temps… A quoi pouvait-elle se raccrocher ? Elle avait soudainement le sentiment de s’effondrer, de disparaître, de tomber dans l’abime. Migaro était sa seule lumière, même si une partie d’elle se refusait à l’accepter. Son mari était mort, son fils, présumément en santé, était partit avec un pirate, avec son frère, l’espérait-elle, toujours sur le navire d’Helios. Elle était seule, seule ici, sur cette île, qui lui semblait soudainement trop grande et trop importante pour elle. Tout était trop, tout était lourd.
Rien ne semblait pouvoir apaiser sa douleur. Rien. Tout faisait mal. Absolument tout.

Les bras de Migaro, d’abord des épines gelées, devinrent peu à peu une étreinte réconfortante. A force de pleurer et de hurler son mal, Mélody ne se rendit même pas compte qu’elle s’endormit. Son corps ne suivait en aucun cas sa douleur psychologique, et son cœur finit par ensevelir tout. Le visage encore rougit par les pleurs, le souffle bref, hoquetant, les yeux scintillants, elle cessa soudainement de pleurer après des heures de complainte, emportée par morphée qui, enfin, lui accorda un brin de repos.

Elle émergea d’un sommeil sans rêve. Tout n’avait été que noirceur et silence. L’espace d’un instant, Mélody mit quelques minutes à réaliser où elle était. Lorsqu’elle comprit, tout lui revint en tête et il lui fut difficile de ne pas se remettre à pleurer. La piaf porta une main à ses lèvres, ravalant bravement ses larmes, difficilement toutefois. Elle était seule.
Voilà la réalité qui pesait sur ses épaules.
Le silence pesa longtemps. C’était en plein cœur de la nuit. Tout le monde se reposait et Mélody ne voulait pas déranger. Ils avaient, eux aussi, perdus des proches… Eux aussi, souffraient. Elle ne pouvait pas se contenter de se lamenter. Combien de fils, combien de maris avaient été tués pendant cette guerre ? Il n’y avait pas qu’elle. Son peuple, lui aussi, pleurait.

Profondément déprimée malgré tout, Mélody fixa un point imaginaire sur le plafond, blanche, vide, inerte. Elle pensa énormément à son époux, à son fils, à ces bons moments. Elle sentait le sillon des larmes séchées, pleura à nouveau, fixa à nouveau un point imaginaire. Tout était sens dessus-dessous. Rien n’allait. Tout était mélangé, rien ne faisait sens.

Au matin, une infirmière timide lui apporta de quoi manger. Elle semblait assez en forme, disait-elle, pour manger par elle-même, mais elle devait y aller lentement… Cela faisait plusieurs jours depuis son dernier repas après tout. Mélody jeta un regard oblique à ce qui semblait être des céréales dans du lait chaud et quelques fruits prédécoupés.
Elle n’avait absolument pas faim.
Incapable d’avaler quoi que ce soit, Mélody, posée dorénavant sur son séant, fixait la couverture qui couvrait ses jambes, faisant tourner et retourner son alliance sur son annulaire gauche avec ses doigts de la main droite. Elle osa même… penser que c’était là l’opportunité pour Migaro de venir vers elle sans aucune conséquence, une pensée qui la fâcha. Comment osait-elle… !? Décidément… le cœur était bien étrange, ayant une pensée qui lui était trop souvent propre, et contradictoire avec la bienséance.

Après quelques heures de solitude, elle remarqua que Migaro se réveillait. Son regard, creux et sans émotion, se tourna vers son ami d’enfance et porteur de cette terrible douleur qu’elle avait en elle depuis de trop longues heures. Elle le considéra non pas avec haine, ni mépris, ni regret, ni chagrin.
Rien. Juste… lassitude. Ses émotions pesaient lourds. Elle en avait assez.
« Mig. » Articula-t-elle d’une voix plate et faible. « …Ce n’est pas… ce n’est pas de ta faute… » Elle détourna son regard à mi-chemin de cette phrase. Elle ne voulait pas qu’il s’inquiète, qu’il prenne le blâme. Johan n’était pas mort à cause de lui. Il n’était même pas sur place… autant qu’elle sache. « Je suis désolée… » Souffla-t-elle en serrant entre son index et son pouce droit l’alliance qui entourait son annulaire gauche. « Cela n’a pas dû être aisé pour toi. De me… de me dire ceci. » En réalité, Mélody ne voulait pas tant revenir sur le sujet. Elle avait suffisamment pleuré… comme en témoignaient ses yeux creusés par la fatigue, les larmes et le deuil.

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@Mélody Mallery

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Il ne saurait dire combien de temps il avait dormi sur cette foutue chaise de bois pourrie, ayant lacéré son dos. Il ne saurait dire si ce sommeil avait été bénéfique pour son corps comme pour son esprit. Que faire face à la détresse de la cheffe de l'île ? Le mercenaire s'était contentée de la prendre dans ses bras jusqu'à ce que l'épuisement ne le cueille, l'obligeant à s'en éloigner. Que pouvait-il faire de plus ? Il n'avait pas le pouvoir de ramener Johan à la vie - bien que leur relation n'avait jamais été des plus cordiales, au contraire. Inconsciemment, il avait toujours maudit cet homme qui avait obtenu ce qu'il n'avait pu espérer. Désormais, ses ressentiments paraissaient si puérils, futiles maintenant que Mélody était plongée dans la détresse du deuil, là où il ne pouvait la rejoindre, là où il ne pouvait rien faire d'autre que de la soutenir par sa présence.

S'éveillant d'une nuit sans rêve ni cauchemar, ou il n'y avait que le néant et la douleur des pertes subies, Migaro découvrit une Mélody livide, dénuée d'émotions, une coquille vidée par les malheurs de la vie. Cette vision lui serra le coeur au-delà de ce qu'il était possible, par réflexe, il posa sa main sur sa poitrine douloureuse. Que faire face à sa souffrance ? Que faire si ce n'est de l'accompagner ? Cette impuissance le frustrait, lui faisait serrer la mâchoire alors qu'il tâchait de reprendre ses esprits. La douleur de sa poitrine faisait écho à celui de son dos endoloris par sa position inconfortable, mais aussi celle de sa blessure qui menaçait de se rouvrir à la moindre occasion. A l'image de son esprit abîmé, cette bataille n'avait laissé personne indemne. Tout comme la cheffe, il était épuisé, tant physiquement que mentalement par toutes ces épreuves. Tout était si lourd, l'air, son corps, l'existence même.

Il aurait aimé prendre sa souffrance à sa place, pour la revoir sourire, rien qu'une fois.

Ce n'est pas de ta faute... dit-elle d'une voix monotone, aussi vide que ses yeux taris par les nombreuses larmes. Le Tanel baissa instantanément le regard, évidemment qu'il se blâmait pour tout cela, même s'il ne se trouvait pas aux côtés de Johan et qu'il était arrivé trop tard. Déglutissant, le mercenaire sentait ses mains trembler. "J'aurais dû rester à ses côtés....Je n'ai même pas été capable de sauver Balgor...C'est..." Les mots ne purent sortir, bloqués au fond de sa gorge. L'émotion lui serrait la gorge alors qu'il secouait la tête, Mélody dont le monde s'était effondré n'avait pas à entendre ses états d'âmes. Alors, il refoula ses émotions, redressant le visage, les opales brillantes, de quoi s'excusait elle ? Ce n'était pas de sa faute, aucunement. "Ne t'en fais pas pour moi. Je n'allais pas laisser un inconnu te l'annoncer." Cela aurait rendu l'instant plus terrible encore. Au moins pouvait-elle compter sur lui, pleurer dans ses bras. Même si elle demeurait seule face au deuil, il espérait au moins que son soutien l'aidait un peu, à défaut d'apaiser sa douleur. Plongée dans les ténèbres du deuil, Migaro voulait l'aider à garder la tête hors de l'eau, il était sa bouée autant qu'elle était la sienne.

Quittant douloureusement sa chaise pour se mettre à genou afin d'être au niveau de son lit de fortune, il la regardait avec détermination, tâchant de faire fi de l'abattement qui l'étreignait. "Je serais toujours là pour toi et l'île, alors ne t'excuse pas." Il avait fait son choix, aussi difficile fut-il. Se reculant, il grimaça en sentant sa blessure sur l'abdomen le tirer, et aussitôt, son pansement devint rouge carmin. "Hé merde, j'avais oublié ça."

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For the lost and the broken

An 1000, Lune 7, Jour 25

Mélody détourna légèrement le regard en fermant les yeux lorsque Migaro indiqua qu’il aurait dû rester aux côtés de Johan. Allons bon ! Elle n’était pas sotte. Si elle se doutait qu’il ne fut pas forcément heureux du décès du piaf, elle n’était pas sans savoir que c’était son rival. Rival en amour, porteur du cœur de celle qu’il chérissait.
Migaro n’était pas un monstre ; il ne s’était certainement pas réjouit du décès de Johan en s’imaginant que cela lui ouvrait la porte vers les bras de Mélody. Elle le savait. Elle savait aussi qu’il n’était en aucun cas sa priorité. Pourquoi serait-il resté à ses côtés ? C’était idiot.

Il parla de Balgor. Mélody se souvenait de lui. Ils avaient échangé quelques mots ce soir-là, près du feu…
Et il avait été tué pendant la bataille.
Elle sentit sa gorge se serrer à nouveau. Tant de vies avaient été perdues. Jetées à la mer, laissées là, sanguinolentes, seules ou accompagnées, elles s’étaient dorénavant envolées. Sans connaître l’homme, elle avait plus ou moins compris que c’était un ami de Migaro. Il avait perdu un fidèle compagnon… Il souffrait comme elle.
L’espace d’un instant, Mélody se sentit terriblement égoïste.

Le piaf s’approcha d’elle, et une fois à sa hauteur, déclara qu’il serait toujours là pour la protéger, elle et l’île. Il ne voulait pas qu’elle soit désolée. Son regard dirigé vers son ami, Mélody l’observa longtemps. Assez pour ne pas répondre à temps, et le voir se plaindre d’une blessure. Son regard changea du tout au tout ; de la lassitude à une inquiétude palpable.
« Par les Déesses, Mig, pourquoi tu ne m’as rien dis ? » Elle avait déjà perdu son mari, son fils s’était envolé quelque part en mer, de nombreux amis avaient été tués ou blessés… Elle ne voulait certainement pas perdre Migaro en plus ! C’était hors de question !
Ses mains se posèrent sur les bras du piaf, tandis qu’elle cherchait à lui faire face.
« Ne bouge pas… Ne fait rien de brusque. » Mélody tourna la tête, cherchant quelqu’un du regard. « J’ai besoin de soin par ici, s’il vous plait. Maintenant. » Ses yeux attrapèrent ceux d’un autre qui s’approcha à pas vif pour constater le problème. « Non, pas moi… » Elle fit un geste de la tête vers Migaro. « Il a besoin d’aide. »
Peut-être exagérait-elle. C’était bien possible. Mais si tôt après le décès de Johan… La panique prenait rapidement son cœur. Aussi, sous l’insistance de Mélody, il s’approcha de Migaro pour l’ausculter.

« Vous devriez rester allongé. Nous avons un lit, là-b— »
« Je préférerais qu’il reste à mes côtés. » Le garçon la dévisagea avec confusion. « Je… Je ne souhaite pas rester seule. » C’était difficilement articulé – difficile à accepter, à dire – mais c’était la vérité. Après quelques secondes de silence, le médecin acquiesça et alla chercher de quoi faire une couchette tout près. Mélody soupira, elle-même confuse de sa réaction si spontanée.
Ses émotions étaient dans un tel chamboulement…

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Il n'avait pu sauver tout le monde, son ami Balgor, Johan - bien qu'il ne le tenait pas particulièrement dans son coeur. Cette rivalité puérile paraissait si loin à présent que son cadavre reposait auprès de ses ancêtres. Par amour, pour la voir heureuse, il aurait tenté de le sauver et regrettait presque de n'avoir été à ses côtés. Peut-être qu'une intervention de sa part aurait évité à son amie tout ce chagrin. L'on était capable de tout par amour, même pleurer celui qui le lui avait arraché. Douce ironie quand on y pensait. Ce qu'il disait n'avait rien d'hypocrite, simplement idéaliste, irréaliste aussi.

A ses mots douloureux, le visage rieur de son ami mercenaire lui parvenait : l'odieuse vérité serra sa gorge, jamais plus il ne le verra. Jamais plus il ne jouera à ce drôle de jeu de cartes dont il avait le secret. Balgor n'était qu'un énième nom dans une longue listes de disparus lors de cette bataille. Tout ça pourquoi ? Pour rien d'autre que de la souffrance des deux côtés. Trop de sang avait coulé pour la folie d'un seul : Kevan Cantell, lui aussi dont la vie avait été fauchée - et ce n'était sûrement pas le piaf qui allait le pleurer. Au contraire. Il jugeait d'ailleurs sa mort peu satisfaisante, loin d'être à la mesure de la souffrance qu'il infligeait aux populations dans son sillage. Tout ça pour la gloire ou autre, il ne saurait dire. La paix retrouvée sur l'île avait été payée lourdement, Migaro l'avait désormais compris : sa place était ici, aux côtés de la cheffe.

A force de se focaliser sur la détresse de la jeune femme, il en oublia ses propres blessures assez profondes. Celle de l'abdomen s'était certainement rouverte, le bandage blanc devenant plus foncé alors qu'il grimaçait en sentant une vive douleur le saisir. Face à l'inquiétude panique de Mélody, il se sentit tout penaud et bredouilla, surpris. "Je ne voulais pas t'inquiéter davantage." Dit-il en baissant les yeux sur sa main qui s'était posée sur son avant-bras. Elle avait réagit si brusquement que le Tanel en avait le souffle coupé d'étonnement. Cela lui faisait oublier durant quelques secondes la douleur qui irradiait son corps et la sensation désagréable de sentir son sang s'échapper de sa plaie béante. Il ne devait pas bouger s'il ne voulait pas que son état n'empire. Hochant la tête, il se pinça la lèvre. Par chance, un guérisseur passant par-là fut réceptif à sa quémande. Quant à Migaro, ce dernier luttait pour ne pas perdre conscience, il sentait les battements de son coeur s'accélérer, seule la voix de la piaf lui parvenait. Et de nouveau, elle le surprit à demander qu'il reste à ses côtés, lui qui se sentait peut-être de trop.

Confus, le garçon s'exécuta, ramenant un lit d'appoint à côté de celui de la cheffe sur lequel s'allongea le guerrier, lentement, le souffle court. Il avait également pris de quoi suturer la plaie. Et de nouveau, il eut droit à une nouvelle couture douloureuse, dans le vif de sa peau déjà abîmée. Il ne saurait dire combien de temps fut nécessaire, tandis qu'il émergeait légèrement, retrouvant un peu de couleurs mais restant en position allongée. Ses opales trouvèrent naturellement Mélody. "T'es prête à m'entendre ronfler ?" Sourire amusé tandis qu'il sentit ses paupières lourdes se fermer, Morphée le prenant dans ses bras sans qu'il n'eut le temps de l'empêcher.

(c) DΛNDELION

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