[PERSONNELLE] (***) avec Midona Vajanska et Aleksander Hesediel - Sois plus ardent que le feu des volcans

An 1000, Lune 8, Jour 15
@Aleksander Hesediel

La Reine crépusculaire avait pris ses quartiers dans l’aile Ouest de son château, épargnée par l’effondrement que la bâtisse avait subi quelques jours plus tôt. Elle avait passé les derniers jours à tourner comme une lionne en cage, réfléchissant à la manière de redresser le royaume. Son sentiment de persécution s’était un peu calmé pour l’instant. Elle était lasse de ne pas parvenir à faire une nuit de sommeil complète, réveillée par des cauchemars et par des sensations qu’elle ne comprenait pas toujours. L’obscurité avait pourtant un effet apaisant sur ses angoisses et il lui arrivait régulièrement de se glisser hors de ses appartements, juste avant l’aube pour profiter de l’obscurité paisible qui précédait le lever du jour. C’était ce qui était arrivé aujourd’hui. Elle s'était levée plusieurs heures auparavant, alors que la lumière du jour baignait tout juste l’horizon d’une lueur prune. Elle s’était habillée et était sortie pour rejoindre les décombres du château.

« Ai-je parcouru Hyrule pour qu’un fragment se trouve juste là, sous les pierres de mon propre château ? » songea-t-elle quand elle regarda d’un œil agacé les pierres qui gisaient les unes sur les autres où son trône s’était tenu jadis. Il devait encore être là, brisé en morceaux, comme l’était sa couronne. On avait commencé à déblayer les pierres et à faire un chemin pour préparer timidement la reconstruction de l’Aile Est ainsi que la salle du Trône et rebâtir l’édifice. C’est alors qu’on était venu la voir, un soir, quelques jours après la tragédie, pour lui signifier la présence d’une crypte souterraine. Les historiens étaient persuadés que cela datait de la Reine Pratima, du temps où elle désigna les familles héritières et quand elle créa le Miroir des Ombres. Se pourrait-il qu’un fragment puisse être enseveli sous le château ? « Ils pensent que c’est ce qu’il y a là-dedans qui a provoqué cette formidable énergie et qui a tout détruit. Mais… Pourquoi cacher quelque chose sous le château sans l’écrire nulle part ? Et si c’était quelque chose qui avait été banni de ce temps-là, et qu’il ne fallait pas réveiller ? » Elle réfléchit encore, fronçant le nez. « Et si les fragments étaient garants de cette énergie, d’où son réveil aujourd’hui alors que la couronne est sans pouvoir ? » Il y avait tant d’interrogations et elle mourrait d’envie de descendre dans cette crypte secrète. Mais elle devait attendre encore car le chemin n’était pas entièrement déblayé. En attendant, elle avait donné l’ordre formel de ne pas s’en approcher et de lui amener quiconque oserait agir contre ses ordres.

Perdue dans ses questionnements, elle eut un sursaut quand elle sentit une truffe humide se lover dans le creux de sa main.

« — Ombre ! » S’exclama-t-elle avec un sourire en se tournant vers l’animal.

Le loup gris la scrutait de ses prunelles d’or dans l’obscurité, s’approchant d’elle pour venir frotter sa joue contre sa paume. Midona rejoignit son geste et caressa le haut de la tête de son affilié, jusqu’à sa nuque et son dos. Elle se baissa pour se mettre à sa hauteur et le caresser des deux mains, un sourire sur les lèvres, heureuse de pouvoir retrouver l’animal et surtout, que celui-ci ne semble pas lui en vouloir de son absence.

« — Tu m’as manqué, mon gros. » Dit-elle affectueusement en lui grattant sous la gorge.

L’aube baignait désormais le monde et elle décida de rejoindre ses appartements pour aller grignoter quelque chose et prendre des forces. Ses réflexions ainsi que ses angoisses pour la suite ne lui faisaient prendre conscience que d’une seule chose : elle devait être plus forte. Il fallait qu’elle soit prête à toute éventualité. Si elle devait se battre, que ce soit contre des traitres, ou contre de nouveaux ou anciens ennemis, il fallait qu’elle soit plus puissante. Son canidé la suivit en trottinant tranquillement derrière elle et l’accompagna lors de son déjeuner, ravit de grapiller quelques morceaux. Le déjeuner prit, elle s’habilla d’une tenue plus saillante et donc plus confortable qu’une robe pour s’entrainer. Sa tenue restait sombre, pratique, habillée d’argent sur le col et la ceinture. C’était moins formel que d’habitude à la Cour mais elle avait pris l’habitude de ne pas s’habiller impeccablement lors de son errance, et cela serait bien assez confortable pour ce qu’elle souhaitait faire. Midona attrapa la dague qu’elle avait acheté peu de temps auparavant, qu’elle cacha dans ses vêtements, puis s’extirpa de ses appartements. Son loup gris sur ses talons, elle rejoignit la salle qui lui avait servi d’entrainement quand elle était plus jeune. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas entrainée à la pratique de la magie et elle savait qu’elle ne partait pour des heures de plaisir. Mais il le fallait.

« — Allez me quérir Lord Hesediel. » Ordonna-t-elle à un homme de sa Garde Pourpre qui l’avait suivi de loin depuis le début de sa journée.

Qui d’autre pour perfectionner son art que son instructeur de toujours ?

Midona était résolue et déterminée quant à la suite des évènements dans son Royaume. Les Twilis étaient restés trop longtemps à l’écart du reste du monde. Elle avait passé trop de temps en dehors des siens. Il était temps que Metzli l’embrasse complètement et qu’il oublie la tentative avortée du coup d’état de son ex-conseiller. Elle avait la chance de pouvoir utiliser tous les évènements qui s’étaient déroulés ce jour-là pour accabler Xanto, et mettre un peu d’eau dans son propre moulin. Le voleur, l’effondrement du château, le déferlement de cette puissance enfouie… Tout cela, elle pouvait le faire peser sur les épaules du traître et ainsi s’en laver les mains. Même si la Reine du Crépuscule ne se considérait pas tellement fautive, sauf de ne pas être rentrée assez vite dans son Royaume, avoir un bouc-émissaire aidait grandement à faire remonter sa propre réputation. Elle n’allait donc pas cracher dessus, encore moins après les dernières lunes passées qui avaient été particulièrement longues et éreintantes.

Elle faisait les cent pas dans la pièce, tandis que le loup restait assis dans un coin à la regarder aller et venir. Jusqu’à ce qu’il s’en lasse et qu’il ne se glisse hors de la pièce. C’est à ce moment-là que le garde pourpre pénétra dans la pièce, suivit de près par Lord Hesediel. Celui-ci rejoignit la régente en quelques longues enjambées avant de s’incliner respectueusement en face d’elle. Le garde resta en retrait et Midona lui fit rapidement signe de sortir de la pièce. Elle n’avait aucune raison de se méfier de l’homme qui se tenait en face d’elle. La jeune femme toisa son ancien instructeur, un mince sourire sur les lèvres. Elle eut un léger rictus quand il dit la voir « en pleine forme » car, si Midona avait été peu blessée lors du coup d’état et de l’effondrement de son château, son cœur avait été profondément entaillé. Les blessures de l’esprit se soignaient toujours plus difficilement que celles de la chair, si seulement elles arrivaient à guérir. Quant à son instructeur, il arborait un visage fatigué et des traits tirés. Le sommeil devait être tout aussi difficile à atteindre pour lui qu’il ne l’était pour la rousse.

« — Je vous remercie d’être venu, Lord Hesediel. » Répondit-elle poliment en retour, lui faisant signe de se relever. « Votre présence m’est précieuse. »

Il se redressa pour lui faire face et en vint rapidement à la questionner sur la raison de sa présence auprès d’elle. La jeune femme hocha lentement la tête et fit un pas de côté, gardant ses prunelles bleues sur celles de son interlocuteur. Nul besoin de tourner autour du pot, Aleksander était un homme intelligent, il devait déjà se douter de la raison de sa venue.

« — Compte tenu des récents, et moins récents évènements, je dois absolument devenir plus forte. » Répondit-elle d’une voix fébrile. « Tout ce qu’il s’est passé depuis le début de cette année, est la faute de ma propre faiblesse. Si j’avais réussi à tuer ce satané Yigas… » Elle serra les dents, ainsi que le poing, consciente de toute la colère accumulée lors de ces huit lunes. Elle garda ses mots en suspens et laissa échapper un soupir. « Je n’ai pas oublié vos enseignements lorsque j’apprenais à contrôler ma magie. »

Elle fit un pas en arrière, étira un bras et fit appel à sa magie. En un instant, elle fit apparaitre une boule d’ombre dans le creux de sa main. De la taille d’une orange, elle la conserva un instant dans sa main, visant les mannequins de métal qui se tenaient dans le fond de la salle sans pour autant passer à l’attaque.

« — Je me dois d’être plus forte pour faire face aux ennemis de Metzli. Je désire me venger des humiliations passées. Je dois être prête pour ces futures confrontations, je ne compte pas me faire dominer une fois de plus. » Elle lui adressa à nouveau un regard. « Aidez-moi à améliorer mon offensive, Lord Hesediel. Aidez-moi à gagner en puissance. »

Elle relâcha la sphère d’ombre qu’elle tenait encore dans sa main en direction d’un mannequin. La sphère vint percuter le corps du pantin en un sifflement.

C’était éreintant de ne pas ployer le dos face à toutes ces difficultés, de ne pas montrer sa faiblesse et de garder la tête haute devant ses sujets. Elle n’avait pas pour habitude de s’apitoyer sur son sort et ce n’était pas tant l’accablement qui vivait dans ses traits mais bien la colère et le sentiment d’avoir été trahie sur toute la ligne. Cela aurait des conséquences durables sur sa confiance en autrui, elle en était persuadée. Mais pour le moment, elle préférait ne pas réfléchir à tout ça car il fallait bien appréhender les évènements les uns après les autres. Alors qu’elle avait ordonné qu’on localise le traitre, elle avait décidé de mettre tout en œuvre pour devenir plus puissante. Elle ne doutait pas que son ex-conseiller en ferait de même. Il était si orgueilleux et si fier que sa défaite avait dû dangereusement l’ébranler également. Du moins, elle l’espérait car il n’y avait pas de raison qu’elle soit la seule à en souffrir.

Elle reconnut bien vite le comportement de son instructeur, son fasciés et ses gestes. Le voir si inébranlable à l’épreuve du temps avait quelque chose de rassurant bien qu’elle ne se gardât de lui en faire part ou de le montrer sur son propre visage. Elle acquiesça quand il lui fit part de son attention de l’aider dans sa volonté d’améliorer sa magie. La Reine ne s’était pas attendue à ce qu’il refuse sa requête, mais l’entendre restait agréable à ses oreilles. Elle ne répondit rien car leurs regards vinrent conclure le marché.

Rapidement, Aleksander leva la main pour lui intimer d’arrêter alors qu’elle allait à nouveau appeler sa magie dans le creux de sa main. Elle avorta cet appel et se concentra sur son instructeur qu’elle écouta avec soif, silencieuse. Il avait raison, si elle voulait s’améliorer, elle devait également apprendre à être plus endurante et à ne pas trop utiliser de magie d’un coup. Elle le suivit du regard alors qu’il joignait ses mains dans son dos et qu’il marchait d’un pas lent tout en parlant. Midona se revit encore une enfant, face à lui, alors qu’elle se concentrait pour contrôler sa magie. C’était il y a tant d’années, et pourtant… Voilà qu’elle avait de nouveau l’impression d’avoir dix ans et d’être étouffée par le poids des attentes de ses parents.

Il n’était pas l’heure d’être nostalgique, elle devait rester concentrée sur la leçon en cours. Elle cligna des paupières et releva un peu la tête en rejoignant le regard du vieil instructeur. Elle échappa un sourire en coin à sa mise en garde.

« — Pas d’inquiétude à ce sujet, je le ressens entièrement. » Répondit-elle à voix basse mais bien assez fort pour qu’il l’entende. Étonnant comme les habitudes sont si férocement ancrées.

Une fois fini de parler, c’était à son tour de lui montrer qu’elle avait été attentive, et qu’elle l’était encore. La jeune femme étendit ses bras et joignit ses deux paumes l’une contre l’autre. Elle figea ses prunelles sur ses mains alors qu’elle les écartait peu à peu l’une de l’autre de quelques centimètres, sentant l’énergie galoper le long de ses veines et au bout de ses phalanges jusqu’à ce qu’une boule d’ombre ne se forme emprisonnée entre ses mains. Elle la maintint entre ses doigts, ouvrant un peu plus les mains et permettant à la forme de s’épanouir un peu plus. Ce n’était pas un exercice très difficile, elle avait répété cette exercice un nombre incalculable de fois. Pour autant, elle avait à cœur d’user correctement de sa magie et, comme quand elle était sa jeune élève, craignait d’avoir mal fait et de souffrir les réprimandes d’un instructeur déçu.

La voix cassante de son instructeur résonna et Midona cessa son geste d’un seul mouvement comme seule réponse. Sa magie s’éteignit entre ses doigts et elle joignit à nouveau les paumes, redressant sur Aleksander un regard embarrassé. Pourquoi avait-elle tant l’impression d’être une enfant alors que tant d’années s’étaient écoulés ? Elle grimaça à cette idée tandis qu’elle voyait à nouveau l’enfant qu’elle était se donner corps et âme dans ses leçons, donner le meilleur d’elle-même… Et avoir toujours le sentiment que ce n’était pas assez. Ses parents n’avaient jamais cessé de la pousser. Et si l’objectif avait certainement été de la pousser dans ses retranchements pour qu’elle ne cesse pas de s’améliorer, cela avait surtout provoquer un besoin de perfection. Rien ne semblait jamais assez parfait. La laissant parfaitement insatisfaite, en tout temps.

La rousse se mordit la lèvre inférieure de manière inconsciente, écoutant attentivement Aleksander. Elle était déterminée à lui montrer qu’elle n’était plus l’enfant de jadis, et voilà qu’elle démontrait tout le contraire. Quelle idiote.

Les paupières closes, elle creusa dans ses souvenirs les leçons qu’il lui avait autrefois enseigné. La jeune femme se redressa, hocha la tête et leva le menton tandis qu’elle tentait de faire le vide dans son esprit. Il fallait qu’elle mette de côté les visages des traitres, les éboulements du château, la perte de sa couronne… Tant de choses à mettre dans le coin de sa tête. Tant d’angoisse et de colère. Tant d’incertitude. Elle savait que son instructeur avait raison. Il le lui avait répété tant de fois quand elle était plus jeune.

« — Bien, Maître. » Murmura-t-elle, immobile, à ses ordres.

À nouveau, elle écarta lentement ses paumes l’une de l’autre et en appela à sa magie. Rouvrant les paupières, elle se concentra et répéta prudemment l’exercice. Un orbe d’ombre naquit entre ses mains, qu’elle couva un instant dans le creux de ses paumes. La magie grandissait doucement du bout de ses doigts et cette sensation grisante lui décocha un sourire qui mourut bien vite dans l’effort de concentration de l’exercice. Lentement, ses mains s’éloignèrent pour permettre à l’orbe de se diviser pour parvenir, avec précision, à former deux orbes distincts. Les deux orbes s’épanouirent dans ses mains sans que sa magie ne tressaute entre ses doigts. Elle n’était pas si rouillée, après tout.

« — Facile ! » Fit-elle avec un sourire en coin.

Elle n’en menait pas large pour autant.

Lancer de dés:

Bien que l’exercice soit d’une simplicité déconcertante, la tension et la pression qu’elle ressentait face à son instructeur de jadis, la mettaient dans une situation de nervosité. Elle craignait que cette nervosité ne l’empêche de réaliser avec facilité les exercices demandés, et qu’elle ne s’humilie devant Aleksander. Que penserait-il de la Reine de Metzli si elle s’écrasait sur les exercices les plus simples ? Encore davantage quand il s’agissait d’entrainements qu’elle avait répété tant de fois étant enfant qu’ils étaient censés être devenus des automatismes.

Elle tenait toujours les deux orbes d’ombre dans ses paumes, sentant la magie émaner de l’irruption de son pouvoir. Le regard de son instructeur ne la quittait pas et il reprit ses pas autour d’elle pour la toiser tandis qu’il reprenait la parole, de sa voix forte, tranchante. Il expliquait à nouveau que la magie était plus puissante lorsqu’elle se trouvait en contact avec son corps, ou tout proche.

« — Je me souviens, en effet. » Répondit-elle en acquiesçant.

Son regard, qui avait quitté son œuvre pour se tourner sur Lord Hesediel, se concentra à nouveau sur les orbes de magie qu’elle tenait entre ses mains. Comme elle pouvait s’y attendre, Aleksander lui ordonna de recommencer ce qu’elle venait de faire, mais en plus d’éloigner les orbes de ses mains tout en y conservant sa maitrise. Elle hocha la tête une nouvelle fois et fit disparaitre les orbes en un instant en un sifflement léger.

Elle s’attela à recommencer l’exercice, émanant davantage de magie en elle pour augmenter la taille de la sphère. Elle y parvint de la même manière que la première fois. Elle n’eut pas non plus de difficultés quand elle scinda la sphère en deux orbes. Mais là commençait l’exercice périlleux. Il fallait qu’elle les éloigne d’elle. Et il ne fallait pas qu’elle hésite ou que sa magie vacille. Plus facile à dire qu’à faire. Relevant les mains pour les mettre perpendiculaire à son buste, elle se concentra pour repousser les orbes dans le fond de la pièce sans perdre de sa maitrise, sans que sa magie ne vacille.

Et elle y parvint. Les deux orbes se mirent à flotter dans l’air, rejoignant l’autre bout de la pièce sans que Midona ne perde la maitrise sur celles-ci. Elle avait toujours le sentiment de les sentir entre ses mains alors qu’elles étaient à plusieurs mètres de son corps.

« — Comme vous pouvez le voir, je n’ai pas oublié vos enseignements. » Dit-elle avec un sourire, plutôt satisfaite de ses résultats jusqu’à maintenant. « Il va falloir me donner des exercices plus ardus si vous voulez me challenger. » Ajouta-t-elle avec une pointe de malice.

Lancer de dés:

Le visage de son instructeur perdit son éternel sérieux, lui adressant un sourire amusé à sa dernière boutade. Elle l’avait rarement vu sourire car Lord Hesediel était un homme peu enclin à montrer ses émotions à autrui, même aux personnes qui le côtoyaient quotidiennement. Cette façon de porter un masque sur son visage avait également été très important dans la construction du Moi de la jeune femme. Elle s’était façonnée une image dure qu’elle ramollissait avec plaisir au contact de ses proches. Mais cette fois-ci, voir son instructeur sourire pourrait également être de mauvais augure. Peut-être lui préparait-elle un exercice qui la mettrait en échec. Peut-être en jubilait-il d’avance. Elle ne le quitta pas des yeux quand il fit quelques pas en arrière et comprit rapidement qu’il avait une autre idée en tête. Idée qui ne plaisait pas tant à son élève.

Effectivement, il s’attendait à ce qu’elle l’attaque directement. Midona n’était pas particulièrement satisfaite de cet exercice-là. Elle craignait de blesser l’homme qui la soutenait, alors qu’il n’avait pas entièrement récupéré de ses blessures. Cela ne lui plaisait pas. D’un autre côté, elle savait que la magie de son instructeur était puissante et qu’il serait assez doué pour se prémunir de ses attaques directes. Mais il n’était pas au maximum de sa forme après l’effondrement du château. Elle s’en voudrait si elle arrivait à le blesser. Elle avait pourtant envie de s’essayer à ce duel contre son maître. Elle désirait rendre compte de ses progrès, en s’attaquant directement à la personne qui l’avait aidé à améliorer sa magie.

La Reine de Metzli se positionna donc, dardant ses prunelles de glace sur son instructeur. Elle fit appel à sa magie de la même manière que les fois précédentes, ancrant bien ses pieds dans le sol. Ses orbes apparurent dans ses mains avec la même puissance qu’auparavant. Mais quand elle les lança sur Aleksander, elle comprit que ce n’était pas assez, elles vacillèrent, perdant de la puissance en s’échappant de ses mains. Et, forcément, elles manquèrent leur cible, s'écrasant à ses pieds ou à ses côtés.

« — Excusez-moi mais ne pouvez-vous pas appeler un de vos élèves pour ce duel ? » Hésita-t-elle. « Vous n’êtes pas entièrement remis… »

Lancer de dés:

Est-ce qu’elle manqua sa cible parce qu’elle craignit de le toucher et de blesser ou se servait-elle de cette excuse pour dissimuler son échec ? Il est vrai qu’elle ressentait une certaine pression face à son vieil instructeur, un homme qu’elle respectait particulièrement pour ne pas risquer de le blesser, alors qu’il avait déjà survécu à la mort face à l’effondrement de son propre château. Il n’avait pas l’air diminué pour autant. L’homme qui lui faisait face arborait le même visage, la même expression de confiance en soi et de droiture. Il savait ce qu’il faisait et ne craignait nullement les attaques de la Reine contre lui. C’était autant contrariant que c’en était un soulagement.

Elle entendit ses paroles et acquiesça. Il n’avait pas tort. Mais il n’avait pas raison non plus, car dans cette situation particulière, personne ne le forçait à lui faire face. Néanmoins, elle respecta sa décision et, puisqu’il était certain de son choix, elle ne reviendrait pas dessus. Elle ne pouvait certainement pas le tuer, n’est-ce pas ? Il était trop fort pour être terrassé par sa magie.

Soudain, une sensation fortement désagréable prit possession de son corps, s’insinuant dans ses veines et broyant ses jambes sous une pression qu’elle ne reconnut pas tout de suite. Elle grimaça en essayant de mouvoir ses jambes, de faire un pas, mais que son corps ne lui répondit pas. Elle était incapable de bouger le bas de son corps. D’un regard, elle perçu l’évidence de leurs ombres jointes. Elle ne ressentait aucune douleur, seulement la désagréable sensation de ne plus être maîtresse de son propre corps.

« — Ai-je heurté votre orgueil, que de vous avoir pensé trop faible pour vous battre contre moi ? » Se pouvait-il qu’il ait été contrarié par ses paroles qui étaient pourtant parties d’une bonne intention ? L’idée la fit sourire. « Bien. Je ne vais pas retenir mes coups. Vous êtes prévenu. » Elle gronda doucement.

Passé la surprise de la paralysie de ses jambes, elle se concentra à nouveau pour faire apparaitre sa magie. Deux orbes d’ombre furent invoqués dans ses mains, elle les conserva un instant dans ses paumes avant de se concentrer à nouveau sur son adversaire. Elle ne devait pas rater sa cible, tant pis si elle le blessait. Un instant passa. C’était assez désagréable de ne pas sentir ses jambes et de ne pas pouvoir bouger.

Elle propulsa sa magie en direction de son mentor. Ses orbes filèrent en un sifflement lugubre vers son adversaire du jour et elle sut tout de suite qu’elle ne manquerait pas sa cible. Son jet était précis. Mais il manqua de puissance. Elles toucheraient Aleksander mais ne parviendraient pas à démontrer l’étendue de sa puissance. Elle avait sauvé la face, au moins un peu. Cependant, la Reine Crépusculaire avait été élevée pour être la meilleure et tant qu’elle n’obtenait pas un résultat parfait, tout le reste n’était guère une réussite, presque un échec.

Lancer de dés:

Si ses orbes d’Ombre avaient fait mouche et qu’elle était parvenu à le toucher, elle avait manqué de puissance et savait que cela ne passerait pas auprès du vieil instructeur. Le bas de son corps se libéra un instant et elle sentit du nouveau toute la hauteur de ses jambes, mais fut de nouveau entravée par les ombres alors qu’Aleksander se redressait et faisait de nouveau face. Incapable de décoller ses pieds du sol, elle grimaça. Elle n’aimait décidemment pas cette sensation de ne pas être entièrement maîtresse de son corps. Mais si elle voulait que cela cesse, il lui faudrait le forcer à la lâcher. Leurs ombres devaient se désunir car c’était de cette manière qu’il tenait l’emprise sur la Reine.

La rousse plissa les yeux lorsque son instructeur leva l’une de ses paumes vers le haut, signe évident de l’usage de sa magie. Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la régente en anticipation de ce qu’elle allait subir. Elle en avait tant vécu auprès d’Aleksander que cela aurait pu être n’importe quoi même si elle avait bien sa petite idée. La méthode était peu conventionnelle, il la poussait toujours dans ses retranchements et Midona avait excellé sous la pression de cet enseignement dur et sévère.

Elle grimaça brusquement et darda ses prunelles sur ses pieds qui s’étaient mis à la picoter. Elle avait la désagréable sensation d’avoir une multitude de petites aiguilles qui cherchaient à percer la peau dure de la voute plantaire. Il discerna alors une fumée d’ébène qui commençait lentement à lécher ses pieds. Elle reconnaissait cette attaque de l’Hesediel et encaissa en silence la punition de son échec. Si elle voulait s’en défaire, elle n’avait d’autre choix que de l’envoyer voler à l’autre bout de la pièce, de l’ébranler assez fort pour qu’il ne puisse pas poursuivre le contrôle de sa magie.

Midona serra la mâchoire et tenta de s’appliquer pour lancer son prochain sort. La douleur naissante sous ses pieds progressait sur ses orteils et jusqu’au-dessus de son pied. Elle peinait à se concentrer sur sa magie. Les orbes d’ombre apparurent une nouvelle fois dans les paumes de ses mains, elle tenta de se concentrer sur la silhouette immobile de son adversaire et visa.

Hélas pour elle, les orbes filèrent rapidement de chaque côté d’Aleksander, le frôlant presque dans leur course folle. La Reine fulmina devant ce cuisant échec.

« — Bon sang ! » Grogna-t-elle.

Elle se préparait déjà à essayer à nouveau de le viser, parasitée par la douleur.

Lancer de dés:

Elle n’avait pas besoin d’entendre son vieux maître lui dire qu’elle avait été l’une des meilleures. Elle avait été avant tout, l’une des plus assidues. Pour tout. Mettant de côté tout ce qu’elle pouvait, tout ce qu’elle n’avait jamais désirée. Pour obtenir le but que sa famille lui avait mis entre les mains, le but qu’on lui avait toujours asséné, être le sien propre. Midona en avait toujours été certaine. Elle voulait être Reine. Elle voulait être la meilleure. C’était ainsi qu’elle s’était lancée dans les épreuves pour conquérir le Trône. Il avait alors été impensable qu’elle n’y parvienne pas car elle avait tout sacrifié, pour se donner une chance de rafler cette couronne.

Était-ce ces dernières lunes qui la faisaient douter ? Elle avait rencontré tant de personnes différentes qu’elle n’aurait jamais affublé d’un regard, si elle n’avait pas été dans la position dans laquelle elle s’était mise. Des roturiers, dirait-on d’eux. Certains étaient devenus des personnes en qui elle pensait pouvoir faire confiance. Presque. Car Midona n’était pas de celles à faire confiance d’un simple sourire.

Elle doutait d’elle. De sa magie. De sa couronne, surtout. De sa légitimité sur le Trône.

La rousse serra à nouveau la mâchoire, tenta de mettre de côté la douleur qui remontait sur ses pieds, léchait ses chevilles. Elle leva les mains, à défaut de pouvoir lever les pieds, et menaça à nouveau son instructeur de deux imposantes boules d’ombre tournoyante dans chacune de ses paumes.

À nouveau, la Reine se concentra et fit de son mieux pour être certaine de sa force avant de lancer sa magie contre son adversaire. Quand ses orbes quittèrent ses paumes, elles suivirent une trajectoire parfaite contre son instructeur. Elles le touchèrent au torse, toutes les deux, mais manquaient, encore une fois, de la puissance nécessaire pour faire lâcher Aleksander. Il ne recula même pas à l’impact.

« — J’ai un peu de mal à voir cet atout. » Grommela-t-elle.

Il était une cible facile, immobile, innocente. Mais elle ne parvenait pas à le frapper correctement, avec toute la puissance dont elle pouvait faire preuve. Soit elle était mauvaise, soit elle était incapable d’œuvrer contre son instructeur et le blesser. Midona baissa les bras puis passa une main sur son visage. Est-ce qu’elle allait passer toute sa journée à manquer l’exercice et à s’humilier devant lui ?

« — Ça ne sert à rien. Je n’y arrive pas. » Gronda-t-elle en grimaçant, toujours sous l’emprise de la magie d’Aleksander. « Peut-être ai-je perdu davantage de pouvoir lorsque j’étais en Hyrule. À moins que ce ne soit l’effet de la couronne. » Elle regrettait d’avoir fait venir son instructeur pour se montrer aussi décevante.

Lancer de dés:

La jeune femme s’attendait à recevoir le courroux de son instructeur, l’obligeant à réitérer l’exercice encore et encore, jusqu’à épuisement et surtout jusqu’à la réussite. Mais ce ne fut pas le cas, Aleksander était un homme intelligent et il savait lire les gens par leur magie. Au-delà de la magie, les sourcils froncés et le visage soucieux de la rousse montraient aisément qu’elle peinait à se fixer dans le moment présent. En plus d’avoir emmagasinée frustration et colère lors des dernières lunes, voilà qu’elle devait vivre avec toute une ribambelle de nouvelles déceptions et désillusions. Si la Reine avait souvent imaginé son retour à Metzli, elle n’aurait jamais pu prévoir les évènements qui s’étaient déroulés. Est-ce que cela aurait pu être pire ? Bien sûr que oui. Elle aurait pu perdre davantage. Ses proches auraient pu mourir. Elle aurait pu être exilée ou tuée. La trahison d’un homme qu’elle aimait grandement n’était rien en comparaison. Ou du moins, c’est de cette manière qu’elle tentait de dédramatiser. En vain.

Les liens d’ombre de son instructeur disparurent en un mouvement de main et elle sentit de nouveau pleinement ses jambes. La douleur s’évanouit également bien qu’elle conserva une sensation désagréable dans les pieds. Elle se sentit presque honteuse lorsqu’Aleksander reprit la parole et évita son regard tout d’abord. La rousse l’écouta tandis qu’elle fixait son regard sur un élément d’armure dans le fond de la pièce. Il ne savait pas tout ce qu’elle avait vécu lors des dernières lunes. Comment pourrait-il l’imaginer ? Elle avait donné les grandes lignes lors de son retour mais les choses avaient été bien plus complexes que cela. Les routes qu’elle avait parcourues, les personnes qu’elle avaient rencontrées, la façon de vivre si différente, la fatigue, le manque, l’absence, l’angoisse, la terreur, l’espoir, la déception. Tant de sentiments et émotions l’avaient submergé. Elle n’était plus la même femme que lorsqu’elle était partie en direction d’Hyrule quelques lunes plutôt. Elle était différente. Seul le temps pourra dire si ce changement aura été bénéfique pour elle, pour son Royaume et pour son avenir.

Une autre raison à son manque de concentration ? La rousse releva la tête ainsi que son regard pour voir le visage de son instructeur. Immobile, elle l’observa s’approcher d’elle en levant un doigt en l’air puis directement en direction de sa poitrine. Midona sentit son cœur se serrer et sa mâchoire se crisper. Aleksander n’avait jamais été un homme sentimental, elle fut surprise qu’il amène le sujet de la trahison de Xanto sur le tapis. Il avait été témoin de cette humiliation et avait fait partie des voix qui s’étaient élevées pour la soutenir. Elle en était reconnaissante et n’avait pas encore eu l’occasion de le lui dire de vive voix. L’entendre de sa bouche fut particulièrement difficile. Elle avala difficilement sa salive.

Il avait raison. Colère, chagrin, rancœur, injustice. Toutes les émotions qui se lovaient dans le creux de son cœur, sous la cicatrice laissée par le Roi des Landes Sauvages, ravivée par la trahison d’un homme qu’elle croyait pouvoir innocemment appeler son ami. Le terreau était particulièrement fertile. Elle était vulnérable et faible. Ses épaules s’affaissèrent et elle sentit l’émotion déborder. Elle ne pleurait pas. La seule fois où elles avaient débordé fut lorsque sa couronne s’était brisée dans l’éboulement du château. La colère et le chagrin se mêlaient inlassablement, faisant place l’un à l’autre. Mais Midona ne pleurait pas. Elle n’en avait pas le droit. Une Reine ne pouvait pas se le permettre.

Elle était si vulnérable. Fallait-il qu’elle s’humilie face à Aleksander pour qu’elle en prenne conscience ? Quand la rousse porta ses pupilles sur celles de l’Hesediel, elle vit celle du fils de ce dernier et son cœur vacilla un instant. Que lui aurait-il dit, lui ? Il était proche d’elle désormais, le bout de son doigt si proche de son cœur sans la toucher, tandis qu’elle restait immobile, le visage fermé et les yeux humides.

Le silence l’enveloppa. Elle ne savait pas quoi répondre à ses mots et elle craignit que sa voix ne se brise tant sa gorge lui faisait mal, serrée d’émotion. À vrai dire, elle avait contenu ses derniers en elle depuis son retour. Elle avait bien vu Zarg mais ce n’était pas pareil, elle ne pouvait pas se confier à lui comme elle se confiait à sa cousine. Et celle-ci ne s’était toujours pas réveillée. Cela faisait dix longs jours qu’elle gardait le silence, morte et vivante à la fois.

Midona prit une grande inspiration et baissa les yeux sur sa main. Elle fit apparaitre une boule d’ombre dans une de ses paumes et ferma les paupières pour essayer de concentrer sa magie dans le creux de sa main. La rage qu’elle avait ressentie et qui étreignait toujours son cœur, elle devait la modeler pour s’en servir. Mais comment faire ? Comment contrôler des émotions ? Quant à la douleur toujours aussi vivace, comment pouvait-elle la faire entrer dans cette boule de magie ?

« — Je ressens… » Elle hésita, les paupières toujours closes. « Je ressens une telle violence en moi lorsque j’y pense. Je suis furieuse… Furieuse après moi-même de ne pas avoir été assez forte pour me faire respecter une fois pour toute. Alors la couronne n’aurait pas été dérobée et détruite. » La mâchoire serrée, les mots s’extirpaient lourdement de ses lèvres. « Furieuse d’avoir été si aveugle, de lui avoir fait confiance. Furieuse d’avoir été si naïve ! » À mesure qu’elle parlait, sa voix s’élevait et la rage l’imprégnait.

La boule d’ombre dans sa main grandit tandis que ses doigts se crispaient autour. La magie se nourrissait de ses émotions, grandissant doucement sans pour autant l’alourdir.

« — Défier mon autorité alors que j’ai eu la couronne dans les règles ! De quel droit ?! » Elle grondait, sa voix résonnant dans la pièce.

Elle ne voyait plus Aleksander mais Xanto face à elle, qui lui crachait au visage toute sa rancœur et son venin. Elle l’entendait à nouveau lui hurler à quel point il la haïssait. À mesure qu’elle revivait la scène, son corps se mit à trembler de rage. Midona fronça les sourcils et, d’un geste rageur, envoya voler la boule d’ombre contre le mur derrière Aleksander, si puissamment que la pièce en trembla.