Au nom des larmes qui nous désarment

lune 8 jour 26

Mélody avait repoussé cet événement des jours durant.
Aujourd’hui pourtant, ce n’était plus possible. Elle ne pouvait plus faire semblant. Johan était mort ; la vérité était là, elle avait toujours été là, depuis le moment où on le lui avait annoncé jusqu’à l’instant où elle avait posé les yeux sur son corps meurtri. Car oui, elle s’était imposé cette souffrance, inapte à complètement accepter la réalité, il lui fallut voir le cadavre de son mari pour que son esprit accepte… ou du moins, comprenne… la vérité.

La vérité qui était ainsi ; sa moitié était morte. Le père de son fils avait été tué en protégeant les enfants de la grotte. Oh, combien elle s’en voulait encore d’avoir proposé d’enfermer les enfants et les plus faibles du village là-bas…
Pourtant, les choses se seraient-elles vraiment passées autrement, si elle n’avait pas pris cette décision ?

Cette fatalité l’obligeait à faire face à autre chose : l’annonce. Car oui, bien qu’elle vécût douloureusement la mort de son époux, Mélody avait un devoir dorénavant. Celui de l’annoncer à ses proches. Colin ne comprenait pas complètement la disparition de son paternel. Il saisissait, éclat par éclat, qu’il ne reviendrait pas. Parfois, Mélody le retrouvait en larmes la nuit. Il cherchait les bras forts de son père pour lui rappeler que les méchants ne viendraient plus perturber leur petite île.
Elle tentait de remplir ce rôle, mais ses bras n’avaient rien d’une forteresse impénétrable.

Aussi, profondément blessée, esseulée (surtout avec le récent départ de Migaro), Mélody avait repoussé incessamment cette lettre. Pour autant, un jour, il lui sembla évident qu’elle n’aurait plus le choix, ne serait-ce que par respect pour sa belle-sœur.

La rédaction fut difficile. Autant dire qu’elle jeta de nombreuses feuilles, alors noyées de larmes. On lui proposa de la rédiger pour elle, mais Mélody respectait trop Margaery pour ne pas lui dire les choses avec ses propres mots.
Naturellement, elle ne lui dévoila rien dans cette lettre. Elle se contenta de lui demander de venir la rejoindre sur l’île— que c’était de la plus haute importance.
La confirmation de sa visite laissa un poids lourd et noueux dans l’estomac de la piaf.

« Mélody, un navire de Mercant’île est en approche. » La cheffe de l’île redressa le nez de sa paperasse, un sentiment glacé dans la poitrine. Ainsi, Margaery était arrivée. Elle hocha de la tête, laissant l’employé s’esquiver de la porte de son bureau, puis se leva du bureau pour contempler le port par la fenêtre.
Les bureaux de poste de l’île se situaient en hauteur, permettant aux piafs postiers de quitter les lieux depuis les balcons. D’ici, l’on pouvait observer la quasi-totalité de l’île du Dragon. Bien que petite, Mélody reconnu la silhouette de Margaery qui avançait, accompagnée de protecteurs. Ce n’était pas inhabituel.
Le visage de Mélody se mua dans une expression douloureuse. Comment allait-elle l’aborder ?
Comment lui dire ?

Ses pas la menèrent automatiquement jusqu’au dehors, les mains jointes ensemble, nerveuses, tentant de se réconforter d’une auto-étreinte inutile. Vêtue d’une robe modeste dans les tons sable, un chignon négligé sur la tête, elle approcha sa belle-sœur avec un sourire qui se voulait sincèrement… sincère.
« Oh Margaery, quel plaisir de te voir. Tu es ravissante. » Elle ne tendit pas les mains pour prendre les siennes, se gardant de transmettre son mal-être. Elle ne voulait pas qu’elle se rende compte de ses tremblements ou des palpitations nerveuses qui fourmillaient sous sa peau. « Le voyage s’est bien passé ? Je peux t’offrir quelque chose ? » Les cordialités, les banalités…
Une façon d’esquiver le sujet, de le repousser.

BY PHANTASMAGORIA