The thing we need is never all that hard to find • Robyn Patel

L’attaque de la bête fut rapide et elle eut juste le temps de l’intercepter avec sa magie avant qu’il ne les frappe tous deux, de plein fouet. Brutalement arrêté dans son élan par les sphères d’ombre intangibles de la rousse, il tituba en arrière en échappant un léger jappement. Dans la panique et la précipitation, Midona en aurait presque oublié le désir qui l’avait encombré quelques secondes plus tôt. Elle en avait même oublié la bienséance et le vouvoiement envers Robyn, elle ne s’en était pas tout de suite rendu compte. L’avait-il entendu ? Puisque la bête dardait désormais sur eux deux grosses billes jaunes, elle était certaine qu’autre chose occupait son cerveau à cet instant précis.

Le monstre qui leur faisait face, ressemblait énormément au loup gris qu’elle avait comme affilié. Cette chose, cependant, était armée de d’énormes griffes et de dents démesurés. D’un seul coup de canine, il pourrait certainement lui trancher la gorge, ou lacérer assez profondément pour qu’elle se vide de son sang en quelques minutes. Mieux valait rester loin de lui et de ses attributs tranchants si elle voulait revoir un jour le Royaume du Crépuscule. Et Midona n’était pas décidée à rendre son dernier soupir tout de suite, au moins était-elle déterminée à combattre à pleines capacités pour montrer aux deux toutous qu’on ne s’attaquait pas à elle impunément. Concentrée sur le loup monstrueux qui se relevait après avoir été propulsé en arrière par le retour de son impulsion, elle n’entendit pas l’autre s’approcher dans son dos.

Un grognement de surprise s’extirpa de sa gorge lorsque Robyn l’attrapa brusquement. Elle percuta son torse avant qu’elle n’ait eu le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, surprise d’être entrainée dans cette soudaine danse. La Reine avait été sur le point de faire appel à sa magie mais la boule d’ombre qu’elle tenait dans sa main mourut aussitôt. Sa concentration fut perdue pendant quelques instants. Assez longtemps pour que son sang ne se glace et que le grondement sinistre d’un autre monstre lui retentisse dans les oreilles. Il y en avait deux ! Elle déglutit avec horreur alors qu’elle prenait conscience qu’elle n’était pas passée loin des gigantesques griffes du monstre et qu’il avait probablement arraché quelques-uns de ses cheveux dans son attaque.

Elle ne comprit pas la suite des évènements. Tout se passa un peu trop vite. Midona était un peu sonnée. Une barrière mentale sembla s’ériger juste en face d’eux, les protégeant tous deux du couple bestial qui était décidé à les réduire en encas. La jeune femme ne s’était absolument pas attendue à voir une telle magie de la part de son compagnon de voyage. Savait-elle seulement qu’il était capable d’en invoquer ? Son regard changeait sur lui. Il lui semblait soudainement bien moins innocent qu’elle n’avait imaginé. Peut-être l’avait-elle trop dévisagé car le Piaf s’en plaignit avec véhémence et lui ordonna de récupérer son poignard. La rousse, toujours un peu désarçonnée, se demanda simplement où était son arme et comprit qu’il devait tout simplement se trouver dans le fourreau qui était à côté du feu. Non loin d’eux, mais assez loin pour que la perspective ne lui fasse pas particulièrement plaisir. L’arme avait été utilisée pour dépouiller le cadavre de lapin de sa fourrure.

Lui faire confiance ?! Voilà une chose bien compliquée pour la jeune femme, même dans une situation telle que celle-ci. Comment le Piaf pourrait-il se sortir de cette situation ? Était-il fou ? N’avait-il pas remarqué la taille de leurs crocs ? Midona fronça les sourcils, déglutit difficilement. Quand avait-elle réellement utiliser sa magie la dernière fois ? Les quelques boboklins qu’elle avait croisé sur son chemin n’avaient été que du menu fretin. Les deux monstruosités qui s’étaient rejointes dans la confusion après l’apparition de la barrière magique de Robyn, n’avaient pas l’air aussi benêt. Et puis, cela remontait à plusieurs lunes. Ce n’était pas le moment de douter de ses capacités !

« — Je sais me battre, Robyn ! » Rétorqua-t-elle avec humeur, piquée dans son orgueil.

Midona était bien trop fière pour le laisser prendre les devants de cette manière. S’il pensait que la Reine de Metzli était une jeune femme sans défense, il serait bien surpris. Une chose était sûre cependant, la magie de Robyn ne serait pas éternelle et si elle n’attaquait pas maintenant, elle perdrait certainement une occasion. Alors, relevant sa jupe, Midona attrapa la dague qu’elle gardait dissimulée à sa cuisse et la prit fermement entre ses doigts. Elle était têtue mais pas inconsciente. Peut-être Robyn avait-il déjà fait face à ces bêtes-là ?

Peut-être devrait-elle lui dire que sa pratique de combat en corps à corps n’était pas des plus développée, mais elle décida de garder cela pour elle. Heureusement, elle avait sa magie et comptait bien l’utiliser pour défaire les deux trouble-fêtes. Redressant son torse, Midona fit appel à ses orbes d’ombre qui se matérialisèrent autour d’elle, deux au-dessus de ses épaules, ainsi qu’une dans sa main libre. Elle fit en sorte qu’elles ne soient pas trop nombreuses et de privilégier leurs tailles. Elle n’attaqua pas, incertaine de la portée de sa magie et si elle pouvait traverser la barrière de son compagnon. Elle les maintint près d’elle, prêtes à être catapultés contre leurs ennemis à chaque instant.

Pendant que le premier Lobo restait face à eux, le second tentait de les contourner pour les prendre à revers et permettre au premier de percer leur défense. Ce dernier se redressa sur ses pattes arrières, ouvrant grande sa gueule en un grognement sinistre, battant ses pattes griffues contre la barrière magique.

« — Allez, viens mon loup. » Murmura-t-elle à l’adresse de l’autre, une étincelle lugubre dans le fond de ses prunelles, la poigne ferme sur sa dague. « Quand tu veux... » Tonna-t-elle à l'intention de Robyn.

Puisqu’il avait une idée, elle le laisserait mener la danse. Juste pour cette fois. Il ne fallait pas qu’il s’y habitue trop. Midona restait prête à bombarder de sa magie les deux bêtes à la première occasion.

Midona était cramponnée à sa dague qu’elle tenait fermement entre ses doigts, prête à l’utiliser d’une manière ou d’une autre, dès qu’elle recevrait le feu vert de son acolyte. De compagnon de voyage, voilà qu’il devenait un partenaire de combat. En voilà une surprise ! Elle espérait qu’il ne serait pas trop mauvais au combat, au moins savait-il manier sa magie. La barrière qu’il avait invoqué contenait brillamment les attaques répétées des Lobos. Et elle avait l’utilité de pouvoir les protéger tous les deux en même temps, alors que ses boules d’ombre ne pouvaient réellement que protéger son corps. Enfin… Techniquement, elle n’avait jamais essayé de les utiliser pour protéger quelqu’un d’autre. Peut-être que cela fonctionnerait tout aussi bien ?

La jeune femme ne pouvait que deviner le plan de Robyn et celui-ci lui fut évident lorsque la barrière s’écroula brusquement, relevant un nuage de poussière en même temps. Surpris dans son élan, les griffes du Lobo rencontrèrent soudain l’air et il perdit l’équilibre, retombant gauchement sur ses pattes juste devant Midona, surprise elle-aussi. Surprise mais prête à agir. Lorsqu’elle entendit le cri de Robyn, elle avait déjà plongé vers le monstre pour essayer de transpercer fourrure et peau avec son arme, visant le cou et sa vulnérable jugulaire. Elle sentit sa dague s’enfoncer alors que le Lobo hurlait de douleur. Du sang jaillit de la plaie et Midona fut brutalement repoussée en arrière par un violent mouvement d’épaule du monstre, laissant la dague fichée dans sa chair. Elle se rattrapa avant de tomber sur ses fesses et se rapprocha instinctivement de Robyn.

Le Lobo qu’elle avait touché se débattait comme un diable pour retirer l’arme de son cou. Du sang s’écoulait de la plaie en continu. Il hurlait, gesticulait, grognait, devant une Midona qui restait campée sur ses jambes, prête à réagir. Quand il se jeta sur elle pour se venger de son attaque, dans le désespoir de la fin imminente, la Reine était prête à réagir. Elle envoya deux de ses boules d’ombre contre la bête qui fut propulsée en arrière, s’écrasant dans la poussière un peu plus loin, dans un glapissement pitoyable.

« — J’ai réussi ! » S’émerveilla-t-elle en se retourna vivement vers le Piaf.

Lorsque ses prunelles se posèrent sur le visage de son ami, un frisson lui tomba le long de la colonne vertébrale. Il était blanc comme un linge et le liquide vermeil qui se répandait sur sa main et entre ses doigts illustraient un macabre contraste. Il suait à grosses gouttes et peinait à se tenir sur ses deux jambes. Midona parcourut le peu de distance qui l’éloignait du Piaf pour lui attraper une épaule, de crainte qu’il ne s’écroule.

« — Robyn ! » Son visage arborait toute l’inquiétude qu’elle éprouvait en le voyant dans cet état, incapable de cacher ses émotions derrière son masque de porcelaine.

Est-ce qu’elle pouvait s’occuper de l’autre monstre, seule ? Elle en avait bien mis un en déroute mais elle n’avait plus sa dague et elle ne devrait compter que sur sa magie. Non pas que la perspective l’angoissait mais Midona était très incertaine quant à l’étendue de ses capacités. Elle n’aurait pas le loisir de douter davantage car elle aperçut du coin de l’œil l’autre monstre qui rodait et se rapprochait dangereusement du duo. La rousse hésita à réagir. Deux solutions s'offraient à elle, l’une était plus dangereuse que l’autre mais elle ne voulait pas mettre son ami en danger. Alors que les crocs du Lobo se rapprochaient dangereusement d’eux deux, il lui fallut prendre une décision. Et quand il bondit, Midona utilisa sa dernière boule d’ombre contre le monstre. La magie explosa lorsqu’elle heurta la cage thoracique du monstre, le déviant un peu de sa trajectoire, mais pas assez. Il allait s’écraser sur eux.

Alors Midona se saisit brusquement des épaules de Robyn et se concentra sur le chariot. Elle scruta ses prunelles et, l’instant d’après, le Piaf n’était plus en face d’elle mais téléporté à l’abri quelques mètres plus loin, sur les linges douillets du carrosse. Pris dans son élan, Le Lobo s’effondra en partie sur elle avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir davantage. Elle s’écroula au sol, sentant les griffes s’enfoncer dans la chair de son épaule, lui arrachant un grognement de douleur. Le monstre ouvrit grande sa gueule et la menaça de ses crocs, lui bavant allègrement sur le visage. Fatiguée par son sort de téléportation, la rousse invoqua de nouveau des boules d’ombre, plusieurs mais de petites tailles, qu’elle propulsa à la figure du Lobo pour le faire lâcher-prise. Le monstre glapit mais ne la lâcha pas, enfonçant ses griffes dans la peau blanche de la Reine. Gémissante à travers sa mâchoire serrée, Midona essayait de retenir la bête de lui croquer un membre, utilisant ses boules d’ombre pour le faire reculer mais sa magie s’amenuisait à grande vitesse et elle sentait sa tête s’alourdir à mesure que les minutes passaient. Quelle idée d’utiliser la téléportation si rapidement dans le combat !

Elle se débattait de toutes ses forces, plantant ses ongles dans le visage de la bête, retenant ces crocs de s’abattre sur elle. Ses orbes d’ombre jaillissaient d’elle pour s’écraser sur son assaillant mais celui-ci tenait fermement sa prise et ne semblait pas prêt à la laisser lui passer entre les griffes. La fatigue rendait ses boules d’ombre de plus en plus petites et elle savait qu’elle ne pourrait bientôt plus les invoquer correctement si elle insistait. La rousse ne voulait pas non plus trop utiliser sa magie et risquer de s’effondrer face au monstre et lui laisser tout le loisir de la dévorer en paix. Oh, si elle devait se défendre avec seulement ses ongles, elle le ferait sans hésiter. Elle n’eut pas à le faire, cependant, car un sifflement lui passa proche des oreilles et le cri du Lobo attesta de la flèche qui venait d’atterrir dans l’un de ses flancs. Enragé, il se redressa et manqua de lui arracher la main en passant, Midona ayant eu le réflexe de se protéger le visage de ses bras. Peut-être crut-il que cela venait de Midona car il essaya encore davantage de s’en prendre à elle. Elle sentit son poids toujours au-dessus d’elle, la molester violemment, grondant comme un dément.

L’instant d’après il n’était plus sur elle et fondait, en pleine furie, vers l’assaillant à plumes. Estomaquée, Midona se redressa un peu pour voir où il se rendait, levant une main pour essayer de l’arrêter à l’aide de sa magie, mais celle-ci ne réagit pas. La bête s’effondra finalement, tout près de Robyn, l’une des flèches qu’elle avait vu plus tôt dans le chariot, profondément plongée dans la boite crânienne du Lobo. Le corps de la jeune femme se détendit lorsque celui de la bête cessa de remuer, échappant un long soupir de concert, battant des paupières, un peu prise de vertige. Ils étaient sortis d’affaire. Heureusement pour elle, Robyn savait manier un arc à la perfection. Échappant un grognement, elle porta une main à son épaule pour la soutenir pendant qu’elle ramenait ses jambes sous elle pour se relever. Elle n’avait pas besoin d’y jeter un œil pour savoir que ses vêtements étaient tachés de son sang, autant du sien que de ceux de ses ennemis. Essuyant son visage pour retirer la bave de la bête de ses joues, elle tituba un peu avant de se précipiter vers son sauveur et s’assurer qu’il ne lui avait pas sauvé la vie dans un dernier geste héroïque, avant d’exhaler son dernier soupir.

Son état était bien lamentable, quand elle le rejoignit enfin. Il avait un petit air goguenard sur les lèvres mais tout le reste de son visage blafard lui dévoilait à quel point il avait souffert du brusque effort. Les sourcils froncés, Midona se rapprocha prudemment de lui en cherchant du regard une blessure, n’écoutant pas la sienne qui la lançait terriblement. Ce n’était pas important pour le moment. Toujours sous le choc et la gorge serrée, elle ne répondit rien à ses mots et le cueillit lorsqu’il s’effondra contre elle après avoir essayé de faire quelques pas dans sa direction, manquant de la faire tomber par l’impact de son poids. La Twili tint bon, le tenant fermement contre sa poitrine pour éviter qu’il ne tombe. Elle restait muette au brin d’humour qu’il fit, utilisant son corps pour le soutenir. Face à ses paroles, Midona ne pouvait que le dévisager avec inquiétude tant les mots lui manquaient. Elle avait réellement été effarée à l’idée qu’il puisse mourir pour elle. Certainement davantage que sa propre mort. Elle n’était pas sa Souveraine, il n’avait aucun droit de mourir pour elle. Pourquoi se sacrifier pour elle ?

« — Imbécile. » Marmonna-t-elle, plus reconnaissante et adoucie que réellement agacée de son comportement. « Il n’y a pas de dernières volontés à avoir… » Le rassura-t-elle, autant qu’elle espérait se rassurer elle-même.

Si elle l’embrassait, il ne s’en souviendrait probablement pas puisqu’il ne semblait déjà plus conscient. Elle ne désirait pas embrasser un mort. Les paupières closes et le teint aussi blafard que le sien, il devait déjà être loin dans le monde des songes. Alors Midona, usant ses dernières forces, le hissa dans le chariot où il pourrait être en sécurité auprès de sa renarde et de la poulette. La jeune femme n’écouta pas la fatigue de son corps et entreprit de ranger le peu d’affaires que les Lobo avaient disséminé dans le campement. Elle avait besoin de ce temps de silence pour assimiler ce qu’il venait de se passer. Quand elle revint, quelques temps plus tard, pour s’enquérir de l’état de Robyn et lui éponger le front avec l’eau qu’elle avait trouvé dans une gourde, elle retrouva le Piaf lové en boule, contre la renarde. Attendrie, la rousse s’approcha et retira le sang qui tâchait son visage, ses lèvres et ses mains. Ses gestes étaient doux et tendres, affectueux, elle ne voulait pas le réveiller par la douleur bien que le froid du linge sur son visage aurait pu le sortir de ses songes.

Le silence était retombé et il serait bientôt perturbé par les chants matinaux des oiseaux car l’aube ne tarderait pas à peindre l'horizon en rose. Midona se perdit à nouveau sur son visage et sur la douceur de ses traits endormis. Elle n’hésita pas davantage cette fois-ci, par fatigue ou par envie de le remercier. Il lui avait sauvé la vie, elle pouvait bien accéder à sa volonté, bien que ce ne soit pas la dernière. Doucement, elle se pencha vers lui et déposa un timide baiser sur la joue accessible. La sensation de sa peau, à la fois froide et moite, lui provoqua un frisson et elle repoussa quelques cheveux qui lui tombaient dans les yeux. Reconnaissante et anxieuse, elle ne savait pas reconnaître ce qui se jouait dans sa poitrine. Elle était un peu déboussolée qu’un homme tel que Robyn se soit démené pour la sortir de cette situation. Il avait essayé de donner sa vie pour qu’elle n’ait pas à donner la sienne. Il aurait pu s’enfuir à tire d’ailes en un rien de temps et Midona aurait eu bien du mal à venir au bout des deux Lobos. S’il avait été un espion ou un assassin, l’excuse était toute trouvée. Mais non, le Piaf avait démontré un sursaut de bravoure qu’elle n’avait pas soupçonné et il en payait désormais le prix de sa santé.

« — Vraiment, est-ce que ça en valait la peine ? » Balbutia-t-elle au Piaf inconscient. « Je t’interdis de mourir pour moi, Robyn. » Elle frotta doucement sa joue contre la sienne dans un geste de tendresse.

Quelques heures de sommeil ne suffiraient peut-être pas à retrouver une forme complète mais cela l’aiderait à retrouver un teint de peau décent. Ses propres paupières tombaient d’épuisement. Il n’était plus temps de combattre la fatigue et le sommeil. Son corps s’affaissa à ses côtés et ses bras rejoignirent les siens tandis qu’elle s’installait finalement tout contre lui, recherchant autant sa chaleur que la réassurance de sa présence.

Son sommeil avait été profond et dénué de rêves. Pas de cauchemar pour la tirer de son sommeil en sursaut cette fois-ci. C’était si rare qu’elle n’aurait pas su dire depuis quand elle n’avait pas dormi profondément de la sorte, sans avoir craint pour sa vie. Heureusement pour Robyn qui aurait probablement subis une nouvelle attaque si cela avait été le cas. Non, elle avait eu le sentiment de dormir dans du coton, doucement bercée par les cahots de la route. C’est d’ailleurs lors d’un mouvement un peu plus brusque que les autres quand la roue heurta un gros caillou, qu’elle émergea. Lorsque ses paupières s’ouvrirent doucement, plissées par la violence des rayons du soleil, même adoucis par la toile du chariot, elle fut aveuglée un instant. Un grognement endormi s’échappa de ses lèvres et elle voulut mettre un bras sur ses yeux pour ne plus voir la lumière. Par mégarde, elle utilisa son bras blessé et la décharge de douleur qui tétanisa son membre eut pour effet de la faire sursauter en lui arrachant un gémissement. Agissant comme memento du combat passé, la douleur l’aida à revenir dans le moment présent.

De son bras valide, elle chercha la présence des plumes dont elle était persuadée d’avoir senti la douceur contre son visage quelques moments plus tôt. À moins que ce ne soit celle de la cocotte ? Celle-ci s’était installée tout près d’elle, pratiquement dans ses cheveux roux, comme pour la couver. La renarde était là aussi, lovée un peu plus loin, ouvrant un œil lorsqu’elle remua pour se redresser. Elle ne se souvenait plus tout à fait de comment elle s’était endormie, ni à quel moment, mais cela devait faire un moment puisque les arbres ne se dessinaient plus sur le chemin du chariot qui avait repris sa course tranquille.

« — Oust… » Grommela-t-elle mollement en poussant doucement l’animal de ses cheveux. La cocotte ne se démonta pas pour autant, s’agita un peu, visiblement peu encline à se déranger.

La rousse dû insister encore un peu pour qu’elle daigne se pousser. Encore heureux pour elle, la cocotte n’avait pas pondu dans ses cheveux. Oh, elle imaginait déjà le visage hilare de son compagnon si cela était arrivé ! En pensant à lui, ses pensées revinrent brusquement dans le moment présent et elle se redressa pour croiser le regard de Robyn, de retour à sa place de cocher. La jeune femme plissa les yeux et fronça le nez, gênée par les rayons du soleil et agacée de le voir debout. Elle était, bien sûr, soulagée qu’il soit en assez bon état pour se tenir droit. Au moins n’était-il plus en train de cracher du sang. Il était juste un peu plus présentable que la veille mais sa peau restait assez peu colorée en comparaison à d’habitude.

« — Tu aurais dû me réveiller. » Répondit-elle d’une voix graduellement moins endormie. « C’est toi qui devrais dormir. Je peux conduire. » Le tutoiement était devenu naturel. Après tout, il lui avait sauvé la vie. Cela méritait bien d’outrepasser le vouvoiement ?

Midona n’avait aucune idée de comment se conduisait le chariot mais puisqu’il y avait deux rênes comme pour diriger un cheval monté, cela devait être sensiblement identique. Elle le laissa reprendre la parole tandis qu’elle s’asseyait un peu dans un premier temps. Sa tête était encore lourde mais elle avait déjà vécu des jours bien plus difficiles par le passé. Changer leurs vêtements… Le regard de la rousse tomba sur les siens et sur le sang qui tachait son haut et sa jupe. Elle était désolée pour les vêtements de sa cousine. Cela ne serait pas facile à détacher. Le haut finirait à la poubelle car il était déchiré. Elle porta une main à son épaule, les griffes du Lobo avait creusé de profondes balafres suintantes dans la peau, arrachant au passage certaines petites écailles qu’elle avait sur l’épiderme à cet endroit. Le sang avait coagulé et la peau était rouge et boursoufflé. C’était assez moche mais elle n’avait rien sur elle pour soigner cette blessure. Elle hésita à le cacher de Robyn. Il n’avait pas besoin de s’inquiéter davantage. Mais rien ne lui permettait de dissimuler son état alors elle dû s’en accommoder. Elle avait un peu honte car elle n’aurait pas dû se laisser blesser par ces monstres. Elle avait agi impulsivement sous le joug de l’angoisse qu’il ne meure, quand il avait commencé à se vider de son sang. Néanmoins, le regret ne faisait pas partie de ses émotions cette fois-ci.

Elle se leva prudemment et le rejoignit tout de même quand il l’invita à le rejoindre, prenant soin de ne pas cogner son épaule dans le processus. Peut-être que si elle arrêtait de penser à la douleur lancinante, elle disparaitrait d’elle-même ? Elle pouvait toujours essayer de ne plus trop y songer et d’attendre qu’ils s’arrêtent plus tard pour acheter de l’onguent et en mettre sur les plaies pour qu’elles ne s’infectent pas. Les plaies étaient certainement plus moches qu’elles n’étaient graves, mais elles lui brulaient assez pour que ce soit difficile de passer à autre chose.

Une fois installée près de lui, Midona darda sur le Piaf des prunelles agacées. Il était encore si pâle qu’il était certain qu’il ne soit pas remis entièrement de l’abus de sa magie. Depuis le temps qu’elle maniait sa magie, elle savait reconnaitre les symptômes d’un dépassement de limites. Contenant ses émotions, elle réfléchit à toutes les choses qu’elle voulait lui dire. Il lui était difficile d’admettre qu’elle avait eu peur pour la vie de cet homme, peur qu’il soit blessé de façon permanente, ou même tué, pour avoir voulu la protéger. Peur également qu’il puisse disparaitre. Mais cela était inconcevable, qu’elle craigne autant pour un homme tel que lui, n’est-ce pas ? Il n’était qu’un Piaf d’un Royaume voisin, elle ne le connaissait pas si bien. Mais il lui avait sauvé la vie. Ses amis à Metzli auraient-ils défendus leur Reine avec plus de vigueur et de cœur ?

Une seule question subsistait réellement et elle peinait à passer la barrière de ses lèvres. À quoi bon la poser ? À quoi bon comprendre le pourquoi de son acte ? Pourquoi l’avoir protégée ? pourquoi ne pas s’être enfui ? Elle se doutait, maintenant, qu’il était un homme bien plus droit et brave qu’elle n’avait imaginé lorsqu’elle avait posé, pour la première fois, les yeux sur lui, plusieurs lunes plus tôt. Midona aurait pu lui dire à quel point elle avait craint pour sa vie, l’angoisse qu’elle avait ressentie en le voyant se vider de son sang de la sorte, l’effroi lorsqu’il était tombé sur elle avant de s’évanouir. Elle aurait pu, mais les mots lui manquaient et semblaient dérisoire. Court-circuitée par le regard hésitant du Piaf, Midona se contenta de se pencher sur lui et de l’embrasser.

Un baiser doux, un peu timide, sincère.

Quand elle se redressa, un fin sourire tenait sur ses lèvres. Elle ne croyait plus qu’il allait la poignarder dans le dos. Peut-être était-ce la raison pour laquelle son sommeil avait été si calme ? Elle se sentait en sécurité sous ses plumes et son regard. Sa bonne humeur lui manquerait probablement quand elle arriverait à Metzli. Elle ne voulait pas trop y penser.

« — Merci. » Souffla-t-elle doucement. « Je ne sais pas si cela était du courage ou de la folie… » Probablement un peu des deux. Le guide parfait, en somme. Et dire que quelques jours plus tôt, elle avait manqué de l’étrangler en le menaçant avec toute l’antipathie dont elle savait faire preuve.

Surprise et un peu décontenancée, elle ne chercha pas à se détacher de ses lèvres lorsqu’il lui rendit son baiser. Elle ne put pas s’empêcher de rougir sous l’effet de son visage si proche du sien, ce qu’elle avait particulièrement désiré. Il lui semblait que ses lèvres avaient encore le goût du fer. Elles étaient douces, chaudes, entreprenantes, contre les siennes plus timides. C’était une sensation agréable. Un baiser bien différemment de celui qu’elle avait connu par le passé. La rousse était un peu fébrile lorsqu’il recula finalement son visage en riant doucement et lui faisant une remarque qui eut le don de faire rougir ses joues. Son corps se figea sous l’effet de ses doigts et au contact de cette douce caresse fugace sur son bras. Midona aurait pu en désirer plus, la curiosité et l’envie l’y auraient poussés, mais elle en était incapable pour toutes les autres raisons. Il y avait trop de risque à prendre que de s’abandonner dans ce désir vagabond alors qu’elle retournait dans son Royaume pour y assumer ses devoirs. Même pour les beaux yeux de son emplumé, elle ne pouvait pas s’aliéner à un tel caprice.

Fort heureusement pour elle, Robyn n’insista pas et le contact de ses doigts sur sa peau s’évanouit doucement lorsqu’il se releva et rejoignit l’arrière du chariot. Le cœur au bord des lèvres, elle conserva son silence. Incapable de dire quoi que ce soit, le fait qu’il s’éloigne l’arrangea bien pour le moment. Elle n’aurait pas besoin de sentir le poids de son regard sur son visage alors qu’il la scrutait avec un sourire malicieux. Midona se retrouva un peu interloquée. Elle allait devoir mener le chariot ! La rousse attrapa les rênes de ses deux mains fébriles, grimaçant un peu lorsqu’elle mobilisa son épaule blessée. Cela ne devait pas être si compliqué !

« — Oui, oui… » Murmura-t-elle d’une petite voix à la demande de Robyn de le réveiller à Portua.

Le reste de la route se passa sans encombre. Midona prit rapidement le pli de conduire le vieux canasson du Piaf. L’animal était bien dressé et écoutait facilement ses directives du bout de ses doigts. De temps à autre, elle le faisait avancer un peu plus vite car elle avait l’impression qu’ils se trainaient. Le chemin lui semblait si long, la route interminable. Accompagnée par les ronflements réguliers de son compagnon de voyage, elle manqua plusieurs fois de piquer du nez. Au bout d’un moment, la cocotte la rejoignit sur le banc, emmitouflée dans toutes ses plumes. Un sourire sur les lèvres, elle adressa une caresse à la petite bête qui lui tint compagnie pendant un bon moment.

Midona dû bien s’arrêter de temps à autre pour abreuver le cheval ou pour se dégourdir les jambes. Elle avait mal partout. Portua approchait mais elle n’atteindrait pas la ville avant la nuit, alors elle s’arrêta sur la route, quelques kilomètres avant l’entrée du port d’Hyrule, là où Robyn avait dit connaitre du monde. Ils furent reçus avec gentillesse et générosité et proposèrent des vêtements propres à chacun d’entre eux, ainsi que de quoi désinfecter les plaies de la rousse. Elle put faire un brin de toilette, essuyer la sueur de ce long voyage et masquer les traces du dernier affrontement. Son compagnon de voyage s’était réveillé plusieurs fois pendant le voyage, l’avait épaulé de façon un peu endormie. Les échanges étaient restés légers, innocents presque, et Midona s’efforçait de ne pas lancer le sujet de leur rapprochement.

La nuit se passa sans encombre, et ils reprirent le chemin vers Portua le lendemain. Il était autour de la mi-journée lorsqu’ils arrivèrent au port. Robyn s’était endormi à nouveau vers la fin du voyage et la rousse avait consentit à finir la route, bien incertaine quant à ses facultés à manier un chariot dans un lieu bondé. Elle tenta d’éviter quelques pieds mais certaines personnes durent se ramasser sur son passage pour éviter de se faire percuter. Elle arrêta le chariot du Piaf à quelques encablures des quais et s’étira longuement. Alors que son compagnon s'éveillait doucement, elle se faufila vers les quais pour se mettre en quête d’un transport pour rejoindre son Royaume. Toujours vêtue comme une jeune paysanne, elle se présenta devant plusieurs capitaines, cherchant une traversée jusqu’à Abyssal. Elle en profita pour étendre ses recherches jusqu’aux îles. La besogne faite, elle retourna vers le Piaf.

« — Nos bateaux partent bientôt… » Lui dit-elle en remontant dans le chariot pour rassembler ses affaires. « J’ai déjà payé pour les traversées. Pour Abyssal et pour les îles. Voler jusque là-bas n'est pas prudent dans ton état. » Elle avala doucement sa salive.

Ce serait le moment de se dire au revoir. Midona n’était pas certaine de le revoir un jour. Elle hésita un moment, elle craignait tant la suite qu’elle ne savait pas quoi dire de plus que l’éternel « au revoir », si seulement tout pouvait bien se passer à son retour.

« — Nos chemins se séparent ici, Robyn. J’espère que nous nous reverrons mais je ne peux pas te le promettre. » Trop d’incertitudes l’accompagneraient dans ce bateau. « Je ne sais pas ce qui m’attend à mon retour à Itzal. » Elle serra sa besace contre elle, sa couronne précieusement fourrée à l’intérieur. « Tu as ma parole… Pour ta mère. Si j’en ai le pouvoir, alors je ferai en sorte de la retrouver. Je ne peux rien te promettre d’autre. » Elle lui adressa un sourire terne.