In this house of mine nothing ever comes without a consequence • Robyn Patel

— An 1000, Lune 9, Jour 5.
@Robyn Patel

Missive à Robyn:

Elle était désolée de ne pas avoir pu le retrouver avant, quand il était arrivé au château. La Reine avait été happée par ses devoirs à son arrivée à Itzal. Sidérée par la violence de la trahison de son ancien conseiller, elle avait accepté toutes ses responsabilités et s’y était perdue, afin d’oublier un peu, de mettre de côté, les émotions qui ne semblaient jamais se taire dans son être. Le chambellan Valamond avait été très efficace dans l’objectif de la tirer de ses rêveries et de ses angoisses. Elle avait peu de temps pour elle et donc pour réfléchir à ce qui la pourrissait de l’intérieur. Incapable de se lancer dans cette quête qui lui prendrait certainement beaucoup de temps, elle l’avait confié à Talia. Qui d’autre que sa chère cousine pour mettre la main sur cette femme si chère au Piaf ?

Une lettre était arrivée, des informations du Royaume voisin. Les attaques de son persécuteur avaient touché plusieurs villes. L’une, tout particulièrement, avait attiré son attention et lui avait glacé le sang. Elle était passée à Melka quelques jours avant l’attaque. S’ils avaient attaqué plus tôt, elle aurait pu se retrouver dans le feu du village. Elle aurait peut-être pu empêcher l’incendie qui l’avait ravagé. Que ce serait-il passé si elle avait été présente ? Cette question l’avait un peu trop hantée ces derniers jours. À quoi bon après tout, puisqu’elle avait été déjà à Itzal, faisant face à sa propre tragédie. Mais il n’y avait pas que Melka. Les paroles du Piaf résonnaient sombrement en elle. Le village d’Hébra avait été attaqué par son persécuteur lui-même. Il n’était pas rasé de la carte mais il avait été bien abîmé et nul doute que d’apprendre que les deux villages chers à son cœur avaient été attaqués le même jour par les Yigas, pouvait engendrer des répercussions importantes dans l’esprit de l’emplumé. Était-il au courant de ces informations ? Celles-ci n’arrivaient que tardivement à la Reine mais peut-être Robyn les aurait reçus avant elle.

La seule bonne nouvelle était que Talia avait pu retrouver la mère de son ami et qu’elle l’avait ramenée à Itzal. Robyn avait déjà dû la voir et elle avait entendu que cette femme ne reconnaissait toujours pas son fils. Sa cousine lui avait confirmé que la magie était puissante et qu’ils ne savaient pas comment faire pour lui faire retrouver la mémoire perdue, et si seulement cela était possible. La rousse avait permis à Talia de faire appel à tous les meilleurs mages de la Cour de Metzli, mais il n’y avait pas encore de résultat. La rousse ne pouvait que s’en remettre aux mages et à leurs talents, ainsi qu’à l’espoir que cette femme puisse un jour se souvenir de l’identité de son fils. En attendant, elle avait consenti à lui faire une place à Itzal car elle se révélait être douée en divination.

Exceptionnellement, Midona était au domaine de sa famille. Elle avait profité d’un voyage d’affaire de son paternel pour se glisser dans le grand manoir qui avait été sa demeure pendant son enfance. Elle y était déjà retournée depuis son retour et avait fait férocement face à la colère de son père. Les échanges avaient été houleux, de la vaisselle avait été brisée, une dispute habituelle dans la famille en somme. Bien que cela avait toutefois été plus véhément qu’à l’accoutumé, des mots avaient pu sortir, couvés depuis trop longtemps. Leur relation aurait dû être meilleure, plus sincère, mais la rousse avait toujours autant de mal à s’adresser à l’homme qui l’avait élevé. Cela viendrait peut-être avec le temps. Quand elle rentra à nouveau dans la demeure, elle était vide, à l’exception du majordome qui l’accueillit avec respect. Le domaine était sous surveillance de deux de ses gardes pourpres, qu’elle avait laissé à la porte. Le majordome s’assurait qu’il ne lui manquait rien alors que la jeune femme arpentait les longs couloirs, scrutait par les fenêtres pour retrouver les visions de son enfance. Cela lui provoquait un drôle de sentiment. Jeune, elle avait tant rêvé de sortir de cet endroit, de vivre une grande aventure. Maintenant qu’elle en avait vécu une, elle ne savait plus trop quoi en penser. La rousse leva les yeux au ciel, ouvrit une fenêtre après s’être assurée que le majordome n’était pas dans le coin.

Quand elle avait su que Robyn était à Itzal, elle avait cherché un moyen de le voir mais il lui avait semblé assez évident que, étant donné les circonstances, le retrouver dans le château ne serait pas une très bonne idée. Le Piaf devait se trouver dans un élément bien étranger au sien. Elle le savait puisqu’elle avait pu être témoin de son mode de vie. Elle avait pu voir la ferme de son ami, ferme qui avait très certainement brulée depuis. Cette idée lui provoqua un frisson lugubre. Elle ne pouvait qu’imaginer le désespoir de son ami face à une telle tragédie. La rousse avait donc envoyé une missive à Robyn, lui intimant à la rejoindre au domaine de sa famille ce jour-ci, pour qu’il puisse se soustraire à l’ambiance douloureuse qui régnait dans son château et dans la ville. La demeure était un peu excentrée, peut-être y trouverait-il un peu de calme. Elle avait signé par son initial, ajoutant qu’il devait être discret. Connaissant l’oiseau, elle craignait un peu sa façon de débarquer dans la demeure. Après réflexion, elle aurait dû préciser qu’elle ne serait pas vraiment seule puisqu’elle avait des gardes et des servants, mais Robyn devrait bien s’en douter, non ?

Alors elle l’attendait, ne sachant pas si elle devait réellement l’attendre puisqu’il n’avait pas répondu à sa missive. Elle espérait qu’il répondrait à son invitation. Il lui avait manqué.

Elle scrutait le ciel distraitement, laissant ses pensées voguer aux grés des vents et de la course des nuages. De nombreux évènements assiégeaient son esprit en tout temps et il n’y avait pas un seul moment où elle parvenait à les mettre à distance. La tranquillité du ciel crépusculaire lui apportait un peu de sérénité cependant. Elle préférait cet endroit au soleil épuisant et si lumineux du Royaume d’Hyrule. Son errance ne lui manquait pas. Enfin, pas totalement. Vivre au jour le jour lui manquait un peu, finalement, sans qu’elle ne puisse réellement se l’avouer. Elle avait souffert de ces doutes et de cette incertitude sur l’avenir, mais se trouvait parfois à se languir de ne plus y vivre. Quand il y avait des doutes, les choses pouvaient encore se passer de la bonne manière. Ce n’était pas une solution pourtant, que de vivre dans la fuite pour éviter d’affronter la réalité.

On la tira de ses rêveries. Des voix à l’extérieur lui parvinrent. Ses gardes pourpres avaient trouvé un intrus qu’ils avaient appréhendé. Un peu inquiète, la rousse se dépêcha de rejoindre l’entrée de la demeure pour jeter un œil à la personne qu’ils avaient prise dans leur filet. Quelque chose lui disait que Xanto lui-même ne viendrait pas la rejoindre ici. Il n’était pas assez stupide pour apparaitre devant la porte de la demeure de la famille royale pour lui présenter ses excuses. Et, connaissant les talents de son ami à plumes pour la discrétion, quelque chose lui disait que les gardes avaient plutôt mis la main sur lui plutôt que sur le traitre. Un coup d’œil à la fenêtre suffit pour s’en assurer. Elle expira un souffle de résignation. Bien sûr, elle aurait dû s’en douter !

La rousse sortit dans la cour d’un pas déterminé pour rejoindre les deux gardes qui tenaient en joug le Piaf. Elle entendit l’un des hommes se vanter de leur arrestation face à la Reine, celui même qui se décomposât en voyant le regard de la rousse s’assombrir comme seule réponse. Ses mains jointes en dessous son ventre se crispèrent pour ne pas se saisir violemment du garde et le repousser. Elle ne pouvait pas malmener ses gardes non plus, ils restaient un symbole du pouvoir du Souverain de Metzli. Et elle avait bien besoin de leur soutien après les innombrables doutes qu’elle avait essuyé de leurs parts au cours des dernières lunes.

« — Ôtez vos mains de cet homme ! » Fulmina-t-elle sévèrement.

Le regard glacial qu’elle adressa au garde qui menaçait le Piaf ne suffit pas tout de suite à le faire lâcher-prise. Le garde darda sur sa Reine un regard un peu circonspect. Il ne comprenait probablement pas ce que faisait la Reine de Metzli avec un roturier, ni pourquoi elle désirait le protéger. Midona avait l’impression de toujours devoir se justifier auprès des gardes pourpres et la découverte de traitres dans leurs rangs n’aidait pas à ce qu’elle se sente réellement entendue auprès d’eux. Son commandant n’était pas le dernier à discuter ses ordres parfois. Elle avait dû leur laisser trop de lest et ils pensaient désormais qu’ils pouvaient ne pas respecter les paroles de la Reine. Où était Kayn quand elle avait besoin de lui ? Au moins son garde personnel était un homme loyal. Les épaules droites, elle fit un pas vers le garde qui tenait encore Robyn au sol.

« — Votre Majestée… Il doit y avoir erreur… Nous avons surpris cet homme en train de roder autour du domaine. Il est un-… » Étranger.

La rousse lui coupa la parole avant qu’il n’ait eu le temps d’ajouter ce dernier mot.

« — Ai-je bégayé ?! » Rugit-elle. Elle prit une grande inspiration pour canaliser la colère qui lui grimpait en flèche dans les veines. « Relâchez-le ! Cet homme est mon invité. Il n’a rien à voir avec le traitre. » Sa voix se radoucit un peu.

Devant la colère de leur Reine, les deux hommes fièrement carapaçonnés de leurs armures noires, relâchèrent leur prise sur Robyn et se redressèrent d’un même mouvement, marmonnèrent des excuses. Ils ne l’aidèrent pas à se relever pour autant, le considérant avec un certain dédain. Bien qu’elle soit en colère devant l’excès de zèle des gardes, elle ne pouvait pas réellement leur en vouloir. La paranoïa qui vivait à Itzal était plus féroce que jamais. Chaque individu louche était un possible partisan de l’héritier Odair, envoyé par ce dernier pour se débarrasser de la Reine de Metzli.

« — Vous feriez mieux de garder cet incident pour vous si vous désirez garder vos postes, ser. » Gronda la rousse devant les visages penauds des deux gardes qui baissèrent les yeux et reprirent leurs postes. Que l’histoire ne s’ébruite pas était également dans son intérêt premier. Si son père apprenait qu’elle invitait un étranger dans la demeure, il ne serait certainement pas heureux de l’entendre. Elle imaginait déjà ses deux billes glaciales le fusiller. Déjà qu’il avait cru qu’elle était restée en Hyrule pour les beaux yeux d’un Hylien…

Midona invita Robyn à pénétrer dans la grande demeure, lui jetant un regard crispé. Elle n’avait certainement pas imaginé leurs retrouvailles de cette manière. Bien au contraire, elle aurait aimé le recevoir avec toute la distinction d’un homme qui lui avait jadis sauvé la vie, et qui avait été un réel soutien pour elle. Au lieu de ça, le pauvre avait été jeté au sol et considéré, à nouveau, comme un voleur. Il ne devait pas être dépaysé, cependant, puisque cela était redondant lors de leurs rencontres, bien que ce soit Midona qui le menaçait d’ordinaire. Une fois que le majordome se fut esquivé pour aller chercher des boissons, la rousse conduisit Robyn dans le grand salon finement décoré. Il y avait quelques photos sur les murs mais toutes avaient été réalisées de façon très protocolaire. Le sourire de la rousse sur ces photos était identique à celui qu’elle portait actuellement sur les lèvres : crispé.

Élégamment vêtue de noir et de gris dans des parures finement ouvragées, elle ne ressemblait plus à la femme des champs que Robyn avait sauvé quelques temps plus tôt. Son air sérieux lui donnait un air féroce. La seule chose qui lui manquait était la couronne qui avait jadis coiffée son chef. De premier abord, elle adressa à Robyn un visage un peu sévère, qui s’adoucit peu à peu alors qu’elle reconnaissait ses traits, redécouvrait son visage, ses yeux, les lèvres qu’elle avait goûté dans un élan de courage. Elle était étonnamment soulagée de le revoir.

« — Excuse-moi pour cet accueil. Je ne leur ai pas précisé que j’attendais un piaf. » Elle arborait un petit sourire embarrassé sur ses lèvres. « Les tensions à Itzal sont particulières en ce moment, mon retour a été difficile, comme je l’appréhendais. Les gardes sont sur le qui-vive et… Je ne les aide pas tellement dans leur tâche. » Elle baissa les yeux.

Quant à l’homme qui lui faisait face, il avait beau ressembler à celui qu’elle avait quitté une lune auparavant, il avait également beaucoup changé. Son regard était différent.

« — Ne me regarde pas comme ça. J’ai beau avoir toutes les fanfreluches royales, le château, les servants, les gardes… » Dit-elle, un sourire en coin. « …Je reste la même personne qu’il y a un peu plus d’une lune auparavant. Enfin presque. » Une ombre passa mais la rousse la remit bien vite dans le fond de sa tête. Elle n’était pas là pour parler d’elle. « Installe-toi. » Les mots étaient énoncés avec douceur mais cela restait un ordre.

Cet homme pourtant d’ordinaire si jovial et enjoué semblait avoir perdu un peu de son tempérament badin. Son sourire était moins franc et son visage plus sombre que par le passé. Il était bien différent que lorsqu’elle l’avait quittée à Portua. Elle discernait aisément l’ombre qui se tapissait désormais dans le fond de ses prunelles tristes. Le chagrin habitait son être et le dévorait lentement. Bientôt, il ne deviendrait plus qu’une ombre errante dans le monde des vivants. À moins qu’il ne l’eût déjà été. Midona ne pouvait pas laisser faire ça. Il était impensable que l’homme qui l’avait aidé à s’ouvrir un peu aux autres, ne devienne plus qu’une âme en peine, terrassée par la souffrance et les regrets, tourmentée par les souvenirs. Mais quels pouvoirs avait-elle sur ses tourments ? Elle n’était pas toute-puissante bien qu’on la regardât parfois comme si elle l’avait été.

Il s’installa dans un fauteuil du salon et elle en fit de même, face à lui. Après un silence qui sembla être très long à la rousse, il se lança. La Reine se crispa lorsqu’il lui rappela la tragédie du village de son ami. Les flammes avaient dévoré sa vie là-bas, et probablement une bonne partie des personnes qu’il avait connu et côtoyé. Il ne restait plus que ses souvenirs, devenus certainement trop douloureux pour l’instant. Le temps pourrait peut-être les rendre moins douloureux, un jour, ou elle l’espérait.    

« — J’ai appris… Pour Melka. » Sa voix était hésitante. Elle cherchait la meilleure façon de lui dire les choses, de lui faire entendre à quel point elle le rejoignait dans sa tristesse. Il pourrait probablement lui rétorquer qu’elle ne pouvait pas s’imaginer son chagrin car elle n’avait jamais vécu une telle tragédie. Qu’aurait-elle pu y répondre ? Midona inspira pour se donner du courage. Une chose après l’autre. Elle n’était pas habituée à ménager son audience, pourtant. « Je suis désolée pour ta ferme, tes chèvres… » Elle hésita à nouveau, s’arrêta. Pas la peine de lui rappeler tout ce qu’il avait perdu. Elle ne savait pas trop comment amener la suite et lui confier ce qu’elle savait. Elle craignait à nouveau d’être maladroite. Il n’aurait jamais dû aborder ce sujet en premier. Trop tard. Une question la taraudait car il devait bien avoir un père ? Elle n’avait que les grandes lignes, pas les noms de tous les morts du village. Lorsqu’il annonça ne plus avoir que sa mère, le visage de la rousse se crispa. Ce silence était bien plus équivoque que les mots.

Elle maudissait la place qu’elle avait aujourd’hui, face à cet homme qu’elle considérait comme son ami. Elle aurait pu décider de ne pas lui dire et de garder le silence jusqu’à ce qu’il l’apprenne autrement. Mais Midona n’était pas une menteuse. Son regard s’assombrit lorsqu’il évoqua Bourg-Clocher. Il ne savait pas. Elle allait devoir lui annoncer la terrible nouvelle et faire face. La jeune femme avala sa salive, détourna son regard, incapable de faire face plus longtemps à l’espoir qui faisait revivre son visage, illuminant ses traits d’insouciance. Il lui prit les mains et elle se figea, incertaine. Après quelques secondes, elle eut le réflexe de les retirer, gênée par ce contact physique. La fuite, toujours la fuite. Elle éprouvait des difficultés à consentir à un rapprochement, encore davantage venant de cet homme-ci, sachant qu’elle allait le précipiter dans un cauchemar. Elle ne méritait pas de sentir à nouveau la douce chaleur de sa peau contre la sienne, pas maintenant, pas ici. Elle était nerveuse et peinait à le cacher. Comment lui dire ? Elle avait espéré avoir un peu de temps pour trouver la façon et la force de le lui dire, mais elle ne pouvait pas rester silencieuse face à ce qu’il venait de lui dire. Ce n’était pas envisageable non plus de faire comme s’il avait le loisir d’espérer. Elle ne pouvait pas le laisser chasser vainement des chimères. Il fallait que quelqu’un lui dise la vérité. Elle prit une grande inspiration et scruta son visage, une expression mêlée de douceur et d’appréhension.

« — Je ne pense pas, non. » Elle secoua doucement la tête, grimaça. « Robyn… » Ses prunelles cherchèrent les siennes, passant de l’une à l’autre, comme si elle ne trouvait pas les mots, comme si précisément elle les cherchait. Elle ne pouvait définitivement pas le lui dire. Oh… Elle allait lui faire si mal.

Il allait la détester pour ce qu’elle s’apprêtait à lui dire. Pourquoi fallait-il que ce soit à elle d’apporter de si mauvaises nouvelles ! Les mots échangés au sujet de Bourg-Clocher dans les appartements de la Citadelle d’Hyrule lui revinrent douloureusement. Elle n’entendait plus que l’espoir dans la voix de cet homme qui avait tant espéré retrouver son village comme il l’avait laissé. Tous les souvenirs, tous les visages familiers, tous ces moments si doux, réduits en cendre et maculés de sang. Elle devait lui dire. Elle le devait. Elle ne pouvait pas. Son regard tomba temporairement sur ses mains crispées sur ses cuisses, prenant conscience qu’elle était en train de se pincer douloureusement la peau. Midona releva finalement les yeux. Elle n’avait pas le choix.

« — …Bourg-Clocher a été attaqué le même jour que Melka. » Fallait-il en dire plus ? Le Piaf saurait certainement ce qu’il en retournerait, rien qu’en croisant le regard sombre de la rousse. Il avait le droit de connaitre la vérité. « Le village a été détruit en partie par les Yigas. Il est, très certainement, méconnaissable. » Ses épaules s’affaissèrent. Elle voulut ajouter que les personnes que sa mère avait connues, avaient très certainement disparus, mais elle n'en trouva pas la force. Pour quoi faire ? Il n’était pas idiot.

Midona changea de place pour s’asseoir à côté de lui, hésita un instant, puis lui prit les mains cette fois-ci. Elle les serra en signe de réconfort et de soutien, prête à faire face aux émotions qu’elle aurait libérée. Aucun des mots qu’elle trouvait ne serait assez fort pour exprimer ce qu’elle ressentait. Elle était désolée, si désolée. Mais que pouvait-elle faire ? Elle était bien impuissante face à la souffrance de Robyn. Bien impuissante à lui ramener sa mère. Impuissante sur tant de choses, à vrai dire, alors que pouvait-elle faire de plus que lui offrir son épaule sur laquelle il pourrait s’épancher ?

Il mit quelques minutes à prendre conscience de ses mots. À moins que ce n’ait été des secondes ? Le temps sembla passer si lentement brusquement, comme si le silence portait un lourd fardeau. Un temps pendant lequel Midona se retrouva complètement déboussolée, incertaine quant à la réaction qu’elle se devait d’avoir dans cette situation. La voix de son ami était presque inaudible, s’évacua comme un murmure, avant que le chagrin ne le terrasse, dans une grande vague de détresse. La rousse s’y était préparée, malgré tout elle peinait à faire face à un tel flot de sanglots. Il retint son souffle, son corps brusquement tétanisé et elle craignit qu’il ne s’évanouisse. Elle accueillit ses émotions avec un certain embarras, principalement parce qu’elle n’était pas habituée à y faire face. Midona ne chercha pas à parler, s’enfermant dans un douloureux mutisme. Elle n’avait rien à dire, rien à ajouter de plus. Le chagrin se passait de mots. Ébranlée par la déferlante d’émotions qu’elle n’était pas habituée à subir, elle se contenta de lui proposer ses bras. Ceux-ci enlacèrent doucement le Piaf contre elle, l’une de ses mains s’immobilisa dans son dos tandis que l’autre rejoignait sa nuque et caressait doucement la naissance de ses cheveux. Impuissante.

Elle n’avait pas les mots, ni les gestes. Maladroite, elle resta un moment, la tête penchée vers Robyn, le nez presque dans ses cheveux. Son esprit ne pouvait guère se détacher du malheur de son ami. Elle le tenait avec une certaine douceur, contre elle, le temps que la tempête passe. Si celle-ci pouvait réellement passer entièrement. Son odeur de plumes lui avait manqué, réalisa-t-elle. Après un long silence chargé de sanglots et de larmes, Midona ouvrit la bouche. Elle hésita un instant, puis se lança.

« — Les souvenirs d’antan restent. Les bâtiments se reconstruisent. La vie trouvera toujours un moyen, comme la forêt qui revit plus belle après un incendie. » Elle releva un peu la tête de Robyn, essuya une larme avec son pouce tandis qu’elle tenait son visage. « S’il te faut pleurer, alors pleure. Crie, même. Si cela peut t’aider à évacuer toute la frustration, l’injustice et le chagrin. Prends tout le temps qu’il te faudra pour faire ton deuil. » Elle ne savait pas tellement si ses mots étaient utiles. Peut-être ferait-elle mieux de rester silencieuse face à ses larmes. Ne disait-on pas que le silence était aussi éloquent que les mots dans ces situations ? « Tu n’es pas seul, dans cette épreuve. Tu peux compter sur moi. » Et peut-être sur d’autres personnes. Elle n’en savait rien.

Midona lui adressa un sourire triste. Elle n’aimait pas voir ce visage habituellement si joyeux, bouffi par le sel de ses larmes. Il était hors de question qu’il ne devienne qu’une ombre car il ne méritait pas ce destin. La rousse ne pouvait pas lui assurer certaines choses, comme la mémoire de sa mère, mais elle pouvait au moins faire en sorte qu’elle soit en sécurité pour un temps.

« — J’ai déjà tenu ma promesse de retrouver Lyssandra Patel, de la ramener à Itzal. Je mettrai tout en œuvre pour trouver un moyen de lui rendre sa mémoire, de te la rendre entièrement. » Elle fit la moue. « Je ne peux pas te le promettre, je le sais. Et face aux mutilations de ta maison et de ton village, mes mots ne sont que du vent. Mais je veux que tu saches, que tu es le bienvenu ici, à Metzli. Tu peux y rester le temps qu’il te faudra. Personne ne te fera aucun mal. » Elle ne laisserait pas cela arriver.

Midona lui accorda le temps nécessaire pour reprendre ses esprits. Il était bouleversé et elle était bien incapable de trouver les mots pour apaiser son chagrin. Les Twilis n’étaient pas des personnes très émotives, ceux qu’elle connaissait, du moins, ne l’étaient guère. Pas comme ça. À part la colère, les émotions de tristesse étaient plus rares. La rousse ne les extériorisait donc pas naturellement, elle encaissait tout ce qui lui tombait sur la tête et attendait que la douleur passe. C’est pourquoi elle se sentait mal à l’aise face aux larmes de son ami. La rousse conserva ses bras autour de lui encore un moment puis se détacha lentement lorsqu’il s’éloigna d’elle, les larmes ayant séché sur ses joues. Le chagrin restait tapis au fond de ses prunelles, elle le discernait bien, mais que pouvait-elle faire de plus ? Elle souffla par le nez, un léger rire sur les lèvres, lorsqu’il lui dit vouloir jeter l’argenterie de sa famille.

« — Tu vas simplement tourmenter le majordome. Peut-être parviendrais-tu à mettre en colère mon père également, bien que ce rôle me revienne la plupart du temps. » Fit-elle un peu crispée, un léger sourire sur le bord des lèvres.

Il lui signifia rapidement qu’il ne le ferait probablement pas. Midona ne lui en aurait pas voulu s’il avait commencé à jeter ses affaires par les fenêtres. Le domaine était un endroit qu’elle affectionnait par principe. Il revenait à sa famille depuis des générations et accueillait les différents Vajanska depuis leurs naissances jusqu’à leurs morts. Sa mort à elle, cependant, ne se passerait probablement pas ici, mais au château d’Itzal, dans le meilleur des cas, puisqu’elle devrait être Reine jusqu’à sa mort. À moins que Xanto ne parvienne à lui subtiliser le pouvoir. La jeune femme dévia son attention du Piaf et porta son intérêt sur les babioles dans l’une des bibliothèques non loin, des choses sans importance, qu’elle avait une fois eut le malheur de vouloir jeter à son père lorsqu’il l’avait sermonnée. Cela ne lui avait pas plu. De vieux souvenirs, assurément. Elle n’était même pas certaine d’avoir des émotions heureuses liées à cet endroit. C’était ici qu’elle avait grandi mais elle ne se sentait pas vraiment chez elle. Seule la pression dans sa poitrine l’accompagnait lorsqu’elle passait la porte du grand manoir de sa famille.

Le majordome ramena finalement des petits gâteaux, des biscuits, et une grande théière pleine d’un thé noir fumant. Elle espérait que l’homme n’irait pas dire à son père qu’elle avait invité un étranger chez elle pendant son absence. La jeune femme avait beau se persuader qu’elle avait le droit de faire ce qu’elle voulait, elle peinait devant les deux iris glaciales de son paternel lorsqu’il la réprimandait. Elle redevenait alors une petite fille et il lui était particulièrement difficile de faire face, même si elle le faisait davantage désormais. La rousse suivit l’homme du regard, lui intimant de sortir, ce qu’il fit rapidement après s’être assuré que tout était en ordre.

« — Je ne viens pas souvent ici, de toute manière. » Fit-elle comme pour meubler le silence qui s’installait. « J’ai grandi ici. Je devrais m’y sentir bien. Cela fait cinq ans que j’ai gagné l’Épreuve des Héritiers, que j’ai été couronnée, et cinq ans que j’évite cet endroit. Je me sentais mieux au château, enfin jusqu’à récemment. » La vision de son château détruit et la discrète paranoïa l’empêchaient de se sentir en sécurité nulle part, désormais.

Elle n’avait pas faim. La rousse lorgna sur les petits gâteaux tandis que Robyn se laissait aller dans ses tendances boulimiques en les engloutissant avec appétit. Ses prunelles tombèrent sur sa tasse de thé et elle ramena la tasse sous son nez, humant distraitement l’odeur doucement épicé du thé que son père affectionnait. Elle aurait bien bu un peu de vin pour se redonner un peu de vigueur, vu les circonstances. Midona reposa la tasse sans avoir essayé de boire, cela lui semblait trop chaud et elle n’avait pas si soif non plus. Quelque chose d’autre occupait son esprit maintenant qu’elle avait balayé les deux sujets concernant Robyn. Elle tourna finalement son visage vers lui et le dévisagea quelques secondes, pendant qu’il gloutonnait les sucreries comme si sa vie en dépendait. Tant de choses avait changé depuis qu’ils s'étaient quittés à Portua. Elle craignait bien de manquer de tact pour ce qu’elle allait désormais amener et espérait que Robyn ne lui en tiendrait pas trop rigueur, à la lumière des récents évènements. Ce n’était pas personnel, elle appréciait le Piaf, même si celui-ci pouvait en douter à la manière dont il avait été accueilli par ses gardes pourpres. Elle ne voulait pas que cela soit violent pour le Piaf, qu’il se sente brusquement interrogé alors qu’elle venait tout juste de lui retirer tout espoir qu’il pouvait bien encore conserver dans son cœur, mais elle devait savoir. Midona n’avait pas eu le désir de parler d’elle mais son interrogation ne concernait pas que ses propres désirs, mais bien tout le Royaume de Metzli.

« — Je dois savoir quelque chose, Robyn. Promets-moi d’être sincère avec moi, de me répondre honnêtement. » La rousse hésita, les mots sortaient difficilement de sa gorge crispée. Peut-être devait-elle donner plus de contexte pour qu’il comprenne. « Le soir de mon retour à Itzal, j’ai… » Oh, par où commencer ? Devait-elle lui donner toute l’histoire ? Cela l’intéresserait-il seulement ? Midona se mâchouilla la lèvre un instant, égarée dans les prunelles de Robyn. « Le château a été attaqué. L’un de mes conseillers et ami d’enfance, a essayé de me renverser. Avant qu’il n’y parvienne, un homme a tenté de voler la Couronne des Ombres. Mais un tremblement de terre a provoqué l’effondrement d’une partie du château et l’homme est mort sous les décombres, emportant ma couronne avec lui, la réduisant en morceaux. » Ainsi que sa légitimité. Elle marqua une pause, parfaitement immobile. « Il maniait la gravité » Elle fit la moue, il devait bien comprendre où elle voulait en venir désormais.

Elle avait tant besoin de soutien et elle pensait réellement que Robyn n’était pas un homme mauvais. La rousse avait beau être rancunière, elle savait aussi se souvenir quand on lui sauvait la vie. Mais son esprit était embrumé par les récentes trahisons et les innombrables doutes. Elle craignait que Robyn ait pu se servir d’elle. À côté de la soudaine trahison de son ami d’enfance, celle d’un étranger croisé au détour d’un chemin, ne semblait pas si délirante. Personne ne pouvait jouer la comédie à ce point-là, n’est-ce pas ? Elle était simplement devenue beaucoup trop méfiante, comme si elle ne l’avait pas déjà été assez, par le passé. Pour autant, si Midona soutenait Robyn avec tant de douceur, c’était bien parce qu’elle était prête à lui faire confiance. Peut-être n’apprenait-elle pas si vite de ses erreurs, après tout. À moins qu’elle ne puisse pas concevoir qu’une personne puisse œuvrer de tant de manipulations et la regarder avec ces yeux-là.

« — Je ne connais pas cette magie. Mais elle était puissante. La plupart des personnes présentes pouvaient à peine se tenir debout. J’ai été témoin de ton pouvoir même si je n’ai pas vu tout à fait la même chose que ce soir-là. J’ai besoin de savoir si tu connais des personnes qui manient cette magie. J’ai besoin de savoir si tu as quelque chose à voir avec eux. » L’expression sombre sur le visage de la Reine démontrait toutes les ténèbres dans lesquelles elle baignait depuis son retour. « Est-ce que je peux te faire confiance, Robyn Patel ? Jure-moi que tu n’as rien à voir avec cet homme. »

Elle allait probablement le faire fuir puisqu’elle doutait à nouveau de ses intentions. Il lui avait sauvé la vie. Elle se souvenait aisément du sang qui s’était écoulé de ses lèvres, de sa mine désolée, de sa douceur. Midona éprouvait une tendre affection envers cet homme, était-ce la raison pour laquelle elle s’en méfiait autant ? Elle craignait tant qu’il se serve d’elle, que tout ceci ne soit qu’une manière de la blesser, une manœuvre de Xanto pour la faire souffrir encore un peu plus, comme si son cœur ne saignait déjà pas assez.

« — Jure-le-moi. » Déglutit-elle, ses mains cherchant les siennes.

Elle aurait dû s’en douter. Il ne pouvait pas comprendre ce qu’elle avait vécu, ce qu’elle vivait toujours. Et comment aurait-il pu quand il était lui-même en proie à ses propres angoisses et inquiétudes, sur l’avenir et sur sa mère. Midona se renfrogna lorsqu’elle sentit tout le poids de sa colère dans ses prunelles. Il était outré qu’elle doute à nouveau de sa confiance. C’était certainement légitime. Elle aurait aimé pouvoir faire autrement. Savoir d’un coup d’œil si elle pouvait faire confiance à une personne ou non. Mais elle n’était pas douée de ce pouvoir et ne savait pas discerner les intentions des gens, même ses plus proches amis, alors un homme qu’elle ne connaissait pas tant que ça ? Il aurait très bien pu cacher ses véritables intentions, après tout, et qu’est-ce qui le retenait de l’achever désormais ? Pourtant, et en dépit de ce qu’elle venait de lui dire, la rousse pensait Robyn digne de confiance. Mais c’était plus fort qu’elle, il avait fallu qu’elle pose la question. Pour être certaine et pour l’entendre le lui dire. Même s’il devait la blesser au passage. Et s’il devait s’éloigner, alors elle ferait le dos rond. Comme elle l’avait toujours fait. La Reine ne baissa pas les yeux et ne quitta pas son regard bien que l’envie la taraudât férocement. Elle accusa le coup lorsque sa voix résonna en crescendo sur les murs de la pièce et qu’il finit par lui hurler dessus. Midona ne broncha pas, le dos droit et le regard fixe. Comme figée, elle essaya de le raisonner ou de lui faire entendre qu’elle n’y voyait pas du mal là-dedans. Elle ne l’accusait pas vraiment. Mais que c’était plus fort qu’elle.

« — Je n’ai rien dit de t-… » Commença-t-elle avant de s’arrêter net, lorsque le Piaf prit une soucoupe entre ses mains.

La soucoupe aurait bien pu finir sur sa tête qu’elle n’en aurait pas été étonnée. À la place, elle vola dans la direction opposée et heurta avec grand fracas un pan du mur. La rousse n’avait pas bougé et son regard n’avait pas suivi la course de la vaisselle. Immobile, son corps ne tressaillit pas, patiente en attendant que la tempête ne passe. Tant pis pour la discrétion et pour des retrouvailles en douceur. Elle avala sa salive et se tût, réceptionnant les coups à mesure que le Piaf déversait tout son fiel, certainement animé par le chagrin et la frustration de ses propres pertes. Elle ne pouvait pas tout à fait lui en vouloir. C’était sa faute, après tout. Trop tard pour revenir en arrière désormais, et le Piaf lui en voudrait certainement d’avoir encore des doutes. Et elle ne pourrait pas le tenir pour responsable de ces sentiments. Elle n’était pas une bonne amie. Trop égoïste et peu attentive, elle était encore et toujours maladroite quand les sentiments étaient en jeu. La vérité est qu’elle n’avait jamais su comment se comporter face à Robyn tant ils étaient si différents.

Après un long silence pendant lequel Midona ne le quitta toujours pas des yeux, elle échappa un long soupir et passa une main sur son visage, se soustrayant finalement à son regard. Avant qu’elle n’ait eu le temps de rétorquer quoi que ce soit, la porte s’ouvrit et le majordome pénétra dans la pièce, escorté par un des gardes. Elle n’était pas surprise. Le fracas de la vaisselle détruite et les éclats de voix les auraient alertés.

« — Votre Majestée ! Est-ce que tout va bien ?! » Lança le garde tandis qu’il s’approchait déjà de Robyn, une main sur la garde de son épée.

La rousse, toujours assise, adressa aux deux hommes un visage lassé et se leva en silence pour venir s’interposer devant le Piaf.

« — Sortez. » Siffla-t-elle.

L’homme hésita et dévisagea longuement Robyn puis de nouveau Midona. Le temps sembla suspendu et les quelques secondes furent particulièrement longues. Le majordome commençait déjà à ramasser les morceaux de porcelaine et se crispa lorsque la voix forte et sévère de la rousse retentit une nouvelle fois.

« — SORTEZ ! » Éructa-t-elle avec colère.

Cette fois-ci, le ton de sa voix ne laissèrent place à aucune hésitation et les deux hommes sortirent rapidement de la pièce avant d’être les victimes de la colère de la jeune femme. Lorsque tous furent de nouveau à l’extérieur de la pièce, la rousse se retourna vivement vers Robyn. La colère sifflait dans ses tympans et elle eut envie de le secouer. Elle, aussi, avait envie de casser de la vaisselle. Pourquoi devrait-elle être la seule à accepter qu’on lui crie dessus sans rien répondre en retour ?!

« — T’utiliser ?! » Rugit-elle avec fureur. « Est-ce que j’ai l’air de t’utiliser, là ? Penses-tu, vraiment, réellement, que je prendrais autant de pincettes pour t’annoncer ces mauvaises nouvelles, et mes doutes, si je voulais simplement t’utiliser ? Je n’en sais rien ! De tes intentions, de celle de quiconque ! J’avais confiance en toi jusqu’à mon retour ! » Elle hurlait à son tour et prit une grande inspiration pour contrôler le tremblement de sa voix et pour baisser d’un ton. « Comment veux-tu que je sache tes intentions si je ne suis même pas capable de voir le mensonge d’un ami de toujours ? » Rumina-t-elle avec aigreur.

Midona s’éloigna de lui, délassant ses mains douloureuses pour se mettre dos à lui, la mâchoire douloureusement crispée. Elle ne voulait plus croiser son regard accusateur. C’en était trop.

« — Tu penses que je le fais exprès, de douter de toi… » Comment pouvait-elle lui expliquer ? « …Je n’y peux rien si la coïncidence m’a troublé. Je ne t’accuse pas. Je sais que tu m’as sauvé la vie et je t’en suis reconnaissante. Je suis certainement une imbécile de douter, mais je ne peux pas faire autrement. » Sa voix froide s’était un peu calmée mais elle articulait ses phrases avec la même impétuosité. « Jamais je n’irais dire que tu as abandonné ta mère. Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Ce que tu vis, je ne peux pas l’imaginer. Tu sais que j’en suis désolée. Je ne t’ai jamais menti. »

Un soupir quitta ses lèvres tremblantes tandis qu’elle réfléchissait quelques secondes, se réfugiant dans le silence de la pièce. Il avait parlé des fragments et de la mission sur laquelle Midona avait désiré le lancer, la première fois qu’ils s’étaient croisés. Tant de lunes étaient passées depuis ce temps.

« — Je te libère de ta promesse. Tu n’as pas à risquer ta vie pour moi, ni pour Metzli. Je t’ai demandé cela dans d’autres circonstances. C’est différent, maintenant. » Différent car elle n’avait plus de couronne et parce qu’elle ne désirait pas l’envoyer dans un piège. C’était qu’elle tenait tout de même à lui. « Et je ne te laisserais pas te lancer dans une mission suicide juste pour prouver je-ne-sais-quoi ! Je n’ai pas non plus l’intention de t’emprisonner. » Elle hésita. « Il faudra plus que quelques assiettes détruites pour finir aux cachots. » Elle ramassa un morceau de la soucoupe que le majordome n’avait pas eu le temps de prendre, et le regarda dans la paume de sa main. « Je ne suis pas ton ennemie. »

Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il remit sur le tapis leur rapprochement et le baiser qui lui avait échappé. La rousse sentit la chaleur monter dans ses joues et peindre ses oreilles, colorant de rouge sa peau pâle sans qu’elle ne puisse rien y contrôler. Elle n’avait pas anticipé qu’il puisse en reparler, mais elle aurait dû s’en douter puisque le Piaf ne perdait jamais une occasion de la mettre mal à l’aise. Il devait y prendre un certain plaisir, il n’y avait pas d’autres explications. Son corps se crispa sans qu’elle ne se tourne vers lui tout de suite. Dans d’autres circonstances, Midona aurait probablement cherché à le faire taire pour qu’il regrette de s’attaquer à elle sur ce terrain. Elle n’était pas certaine de ce qu’elle ressentait maintenant qu’elle était de nouveau devant lui. La situation était différente, ses responsabilités royales pesaient lourdement sur ses épaules de nouveau, et celles-ci entravaient tout écart à la bienséance. Est-ce qu’elle regrettait ce moment hors du temps ? Si elle n’avait pas retrouvé un certain érudit, elle aurait pu. Et puis, elle savait que Robyn n’avait jamais réellement été intéressé par sa personne. Il ne l’aurait pas remplacé si rapidement si cela avait été le cas.

La jeune femme se souvenait encore aisément des émotions qui l’avaient traversé à ce moment précis. Elle avait été saisie d’une puissante pulsion de se rapprocher de lui, de s’abandonner, l’espace de quelques instants, d’apaiser ses tourments dans les bras d’un homme qu’elle considérait de confiance. Le sentiment de protection qu’elle avait ressenti auprès de lui n’avait probablement pas été innocent à ce mouvement irréfléchi. Elle en avait eu besoin. Pour le remercier. Peut-être également pour se sentir vivante après avoir frôlé la mort. Jamais elle n’avait désiré le manipuler. Son cœur avait parlé cette fois-là, il ne pouvait pas le lui reprocher alors qu’elle l’écoutait si rarement.

« — Ce n’était pas de la manipulation. » Grinça-t-elle avec amertume.

Midona se redressa, tournant le morceau de la soucoupe entre ses doigts. Elle ressentait de la colère et de l’agacement, face à ses mots. Elle ne voulait certainement pas qu’il lui reproche cet écart de conduite qu’elle pourrait déjà se reprocher elle-même. Ce n’était pourtant pas le cas. Mais s’il insistait, peut-être en viendrait-elle à regretter d’avoir embrassée cet emplumé. Après un moment, elle se tourna de nouveau vers lui et le dévisagea.

« — Et c’était… Avant. » Elle se sentait franchement stupide et aurait bien préféré se terrer dans un trou de souris que de penser à cela, alors qu’elle était dans la demeure castratrice de son paternel. « Je ne regrette pas, non plus. » Elle allait mourir de honte. « Ce n’était rien de plus qu’un baiser. J’ai eu peur pour toi. J’étais perdue. J’avais besoin… » De réconfort, de douceur, d’affection. « …Peu importe de ce dont j’avais besoin. » Fit-elle après un silence. « Ce n’est plus important. » Ou peut-être que ça l’était mais qu’elle ne voulait pas penser à cela maintenant.

L’homme se radoucit et Midona se rapprocha finalement de lui, d’un pas lent. Elle s’était également radoucie, sous le poids de ses dernières paroles. Il lui jurait finalement qu’il n’était pas son ennemi. Bien qu’elle n’ait jamais réellement doutée de lui, l’entendre le lui dire provoqua un soulagement chez la jeune femme qui sentit ses épaules s’affaisser. Elle l’observa curieusement parler avec ses mains et l’écouta lorsqu’il insista sur le fait qu’il devait essayer d’utiliser un Fragment d’Ombre pour aider sa mère à retrouver sa mémoire perdue. Était-ce seulement utilisable pour cela ? Elle ne chercha pas à lui donner tort. Elle n’en savait rien, et Talia en saurait certainement davantage à ce sujet.  

« — Je t’interdis de chercher toi-même un Fragment. » Rétorqua-t-elle avec humeur. « Ce ne sont pas des choses à prendre à la légère. La magie est puissante. Sais-tu combien de personnes sont devenus folles en posant les mains sur de tels artéfacts ? C’est hors de question que tu prennes ce risque, même pour ta mère. Ta vie n’a-t-elle pas d’importance à ce point ?! Penses-tu réellement qu’une mère voudrait que son seul enfant risque sa vie pour elle ?! » Elle prit une grande goulée d’air. Elle ne pouvait qu’imaginer que ce ne serait pas le désir d’une mère. En réalité, elle n’en savait rien. La rousse n’avait pas eu le plaisir de grandir avec une figure maternelle.

Ses prunelles ne le quittaient pas, admirant toute la détermination dans le regard du Piaf. Elle le voyait bien, qu’il irait contre sa volonté, si la rousse n’allait pas dans sens et qu’elle refusait qu’il soit mêlé aux Fragments d’Ombre. Midona ne pouvait pas non plus se passer d’une personne en qui elle avait confiance. Il y en avait si peu.

« — Mais… Puisque tu ne me laisses pas le choix. J’accepte que tu y prennes part. » Ce n’était pas comme si elle en avait le choix. Elle hésita un peu avant de poursuivre. « Mais n’embarque pas Fallon là-dedans. » Dit-elle d’un ton plus doux bien que sa voix conserve une certaine sévérité.

Midona le scruta longuement, lui signifiant qu’elle savait et que cela ne lui plaisait pas tant que ça. Au-delà d’une petite pointe de jalousie qu’elle aurait pu ressentir, les pensées de la rousse tombèrent indubitablement sur le frère de la Twili. Elle ne voulait absolument pas être mêlée à cette histoire qui sentait le roussi jusqu’ici. Pas la peine d’être devin pour imaginer la colère de Sebastian lorsqu’il apprendrait que sa sœur fréquentait un étranger, même si celui-ci était un de ses amis. La jeune femme s’entendait encore dire au Twili qu’il s’entendrait bien avec le Piaf avec sarcasme. Peut-être l’avait-il déjà rencontré ? Midona soupira légèrement. Sur toutes les Twilis de Metzli, il avait fallu qu’il s’attache à une Hesediel.

« — Les Twilis ne sont pas tous très accueillants vis-à-vis des étrangers, comme tu as pu le remarquer. Vivre reclus pendant des siècles n’aide pas à s’ouvrir sur le monde lorsque celui-ci apparait, vois-tu. La famille Hesediel est importante à Metzli, et elle m’est précieuse par leur soutien. » Elle fit une grimace, certaine qu’elle allait le blesser en se mêlant de ses affaires. Au point où elle en était. « C’était une très mauvaise idée, de te rapprocher d’elle, Robyn. » Elle hésita. « Même si tu es protégé par un ordre direct de la Reine, cela ne te sauvera pas de tout, pas de la colère de sa famille, lorsqu’ils l’apprendront. Si tu trouves que je suis mal aimable, tu n'as évidemment pas encore rencontré son frère. » Elle aurait pu en sourire mais elle sentait son corps se crisper de nouveau, rien que d’imaginer la colère de cet homme ténébreux.  

Midona oubliait parfois qu’elle parlait à un Piaf qui n’avait aucune connaissance de l’histoire de son Royaume. Elle ne pouvait donc pas lui en vouloir de s’imaginer pouvoir partir à la chasse aux Fragments comme si cela était une promenade de santé. Ces artéfacts étaient si précieux qu’il fallait au moins être prêt à risquer sa vie. Et qui serait assez fou pour le faire dans le but d’obtenir un joli caillou ? Robyn avait bien l’espoir de redonner la mémoire à sa mère mais personne ne pouvait savoir à l’avance si un tel pouvoir existait dans la pierre. Ce serait prendre un risque inconsidéré pour de simples espoirs sans fondement. Puisqu’il était son ami, il devait savoir à quoi s’attendre avant de plonger dans le précipice. Elle entendait sa colère et la comprenait entièrement puisqu’elle était légitime. Si elle avait été dans la même situation, elle n'aurait pas supporté non plus de ne pas être en mesure d’agir. La patience ne la caractérisait pas.

« — Je ne sais pas. » Répondit-elle simplement, haussant les épaules. « Je n’ai pas les réponses. » Elle pivota un peu la tête, le scrutant toujours. « Pourquoi serait-ce une mauvaise idée que de lui dire ton identité ? Mieux vaudrait qu’elle l’apprenne de tes lèvres, Robyn. Elle est amnésique, pas stupide. Elle se rendra bien compte, à un moment, de quelque chose. Elle saura entendre des paroles, remarquer une ressemblance… Et alors, tu te trouveras bien obligé de faire face à ce moment, sans y avoir été préparé. » Elle marqua un silence, se redressa. « Tu peux rester à Metzli pour passer du temps avec elle. Cela prendra certainement du temps, il ne faut pas que tu désespères. »

Le sujet de sa compagne vint alors sur la table et Midona ne quittait pas des yeux son invité. Peut-être la Twili et le Piaf ne partageaient-ils que de l’affection, pas davantage. Qu’importe car le jugement des autres importait davantage. Il serait sévère et implacable, sur l’étranger, mais bien plus sur la jeune femme. Aleksander était-il un homme capable de laisser sa fille s’enticher d’un homme venu tout droit d’Hyrule ? Midona ne connaissait pas assez son instructeur pour répondre avec certitude à ce questionnement. Ses enfants étaient importants pour lui, il désirait le meilleur pour eux, et laisser sa fille partir vivre sur les chemins en compagnie d’un bandit, ne représentait certainement pas l’idée qu’il s’était fait de son avenir. Alors pourquoi cela agaçait tant la rousse ? Après tout, elle n’avait rien à voir là-dedans. Ou presque. Puisque l’homme en question était à Metzli un peu par sa faute. C’était elle qui lui avait promis de l’aide en échange de la sienne. Elle ne pouvait donc pas se considérer tout à fait étrangère à toute cette histoire. Du moins, on ne la considérerait pas comme telle dès que les langues commenceraient à se délier.

Il ne réfuta rien face à ses paroles et son silence était criant de vérité. Il appréciait Fallon, cela se voyait aussi clairement que les ailes qu’il portait dans son dos. C’en aurait presque été attendrissant s’il ne s’agissait pas de la sœur de Sebastian. Midona fronça les sourcils. Elle avait encore en mémoire les discussions sur son côté volage et sur sa faculté à goûter à différentes femmes sans y ressentir aucune honte. Cela ne lui plaisait guère d’imaginer qu’il puisse avoir ce genre de relation avec elle, ou même se servir d’elle. Mais sur ce dernier point, elle en doutait. Robyn était un homme passionné, à l’image de ses baisers.

« — Différent, j’espère. » Répliqua-t-elle. « Elle n’est pas la fille d’un vendeur de fruits du village. C’est une noble… Tu ne peux pas faire n’importe quoi… » Elle devait prendre garde à ce qu’elle lui disait mais il devait également comprendre dans quoi il mettait les pieds. S’il pensait savoir, il était certainement bien en-dessous de la réalité.

S’il se rapprochait d’elle, ce n’était probablement pas pour le goût du risque. Robyn n’était pas assez stupide pour s’amouracher d’une jeune noble juste pour le plaisir de cocher une case dans le carnet de ses conquêtes. Il l’appréciait et cela agaçait la rousse plus que de raison, car il ne voyait pas les conséquences. Comment pouvait-il ne pas les voir alors qu’elle avait passé sa vie à les craindre ? Un tel aveuglement la terrifiait et forçait presque le respect. Elle en serait bien incapable. Midona resta crispée lorsqu’il se défendit face à son avertissement au sujet du frère de la Twili. La Reine serra la mâchoire, consternée.

« — Tu n’en feras qu’une bouchée ? » Un rire moqueur déborda de ses lèvres. « Sebastian n’est pas un homme que tu devrais sous-estimer. » Elle, ne s’y risquerait pas.

Midona ouvrit la bouche pour poursuivre mais les mots restèrent coincés dans sa gorge lorsqu’il poursuivit et appuya lourdement ses paroles de sous-entendus. Difficile de dire quelle émotion apparut la première sur son visage, celle de la colère peut-être, à moins que ce ne soit l’embarras ? Elle le fusilla du regard en silence, prête à se défendre face à son accusation outrageuse. Le désir de lui arracher la bouche se lisait clairement dans le fond de ses prunelles inquisitrices. Pour qui se prenait-il à lui parler de la sorte ?! Elle aurait certainement pu clamer la diffamation mais il lui était bien difficile de dissimuler la couleur qui affluait sur son visage si pâle quelques secondes auparavant. Elle se détourna vivement pour se soustraire à son regard et à son air goguenard. Faisait-elle si peu illusion pour qu’il devine aussi rapidement de quoi il était question ?

« — Fais attention à ce que tu dis... » Bafouilla-t-elle. « …Ou je le laisserai te torturer le moment venu, au lieu de t’aider. » Elle lui lança un regard noir. « Ce n’est pas ce que tu crois. » Se défendit-elle tout de même bien que la couleur de ses joues laissât entrevoir une autre vérité. « Il ne s’est rien passé… » Elle hésita à parler. « …Autrefois, nous étions proches. J’avais… Beaucoup d’affection pour lui. Je me suis éloignée quand je suis devenue Reine. Nous étions trop différents. » Et elle était trop égoïste, trop déterminée. Il n’aurait pas dû faire partie de son avenir. Elle aurait dû finir avec Xanto quand ce dernier devait ressortir victorieux des épreuves. Inutile, donc, de s’enticher d’un autre homme.

Non mais quel culot ! Midona s’enferma à nouveau dans le silence, son refuge préféré lorsqu’il était question de ses sentiments. Elle ne savait pas quoi ajouter, ni comment s’expliquer. Ce n’était pas comme si elle devait la moindre explication à cet homme ailé. Elle détestait sa manière de la pousser dans ses retranchements. Elle avait trop de filtres quand il en était parfaitement dénué. La rousse passa une main sur son visage, écartant ses cheveux de ses joues et les rangeant derrière ses oreilles, essayant de reprendre ses esprits et de reconstruire ses barrières.

« — Tu as intérêt à garder ça pour toi. » Exigea-t-elle d’une voix nerveuse.

Elle avouait, par cette phrase-là, qu’il y avait bien quelque chose. Quant à savoir quoi, elle ne pouvait pas le dire elle-même. Midona craignait qu’il ne soit un jour confronté au Twili et qu’il ne lui lance quelque chose à son sujet, qui puisse l’éloigner d’elle d’une manière ou d’une autre. Il était susceptible et leur lien semblait beaucoup trop fragile pour survivre à une seule tempête. Et la situation dans laquelle Robyn était en train de s’enfoncer pourrait bien être cette tempête. Quand l’Hesediel apprendrait que le Piaf qui fréquentait sa sœur était précisément la personne dont elle avait déjà fait mention, il ne serait pas tendre. Elle n’avait qu’à fermer les yeux un instant, pour voir ses deux prunelles ténébreuses la dévisager avec férocité. Entre la haine et l’indifférence, difficile à savoir laquelle serait la plus difficile à vivre.

« — D’où la connais-tu ? » Le questionna-t-elle, curieuse. Mieux valait avoir toutes les informations, au cas où.

Il était touchant lorsqu’il lui avouait sa crainte, celle d’être rejeté par sa propre mère alors qu’il avait seulement voulu la protéger pendant tout ce temps. Elle pouvait le comprendre, ce désir impérieux de protéger, au détriment de son propre corps, par amour ou par affection, par devoir ou par instinct. Elle l’avait vécu aussi, à plusieurs reprises. Lui-même en avait déjà été témoin, lorsqu’elle l’avait extirpé des griffes du Lobo qui désirait en faire son dîner. Certes, il lui avait sauvé la vie par la suite, mais elle avait été la première à se mettre en travers du chemin de ces crocs, pour s’assurer qu’il ne perdrait pas la vie pour sa personne. La rousse hocha donc la tête, s’enfermant dans un silence éphémère lorsque le voile sombre retomba sur les joues colorées du Piaf. Au moins lui donnait-il raison, en voilà une réponse censée. Elle était Reine après tout, bien sûr que tout ce qu’elle disait n’était pas stupide et qu’elle savait raisonner dans le bon sens ! Pourquoi fallait-il que tout le monde en doute ? Prise au dépourvue par sa question sur la ressemblance qu’elle avait mentionnée, la rousse échappa un petit rire, exacerbé par la tension qu’elle ressentait dans sa poitrine.

« — Je ne l’ai vu que de loin… Mais vous avez le même regard et le même profil, droit. » Elle le dévisagea longuement, détaillant les traits de son visage. Le même regard un peu rieur alors qu’au fond de leurs prunelles ne se trouvait que le chagrin.

Lorsqu’il mentionna ses conseils au sujet de Sebastian, le sourire de Midona s’étiola et elle secoua lentement la tête. Non, elle n’en était pas capable. S’il n’appréciait pas les mensonges, il abhorrait encore davantage la faiblesse. La rousse n’avait pas la force de faire face à ce regard-là, inquiète à l’idée qu’il puisse lui tourner définitivement le dos pour de bon si elle lui avouait les émotions qu’elle ressentait auprès de lui. Elle avait vécu avec son indifférence par le passé mais elle l’avait alors provoqué. Comment ferait-elle pour vivre sans lui alors qu’il devenait si important dans son cœur ?

« — Des rumeurs… Quelles rumeurs ? » Elle plissa les yeux. « Personne n’est au courant de quoi que ce soit et ceux qui oseraient l’ouvrir ne prendraient pas le risque d’y perdre leur langue. » Gronda-t-elle, l’incluant dans ces personnes.

Elle en avait trop dit. Elle n’avait qu’à planter son regard dans le sien pour y voir toute la bêtise à venir. Oh, elle aurait mieux fait de tenir sa langue, ou d’apprendre à mentir. Quelle imbécile elle faisait. Si Sebastian l’apprenait de la bouche de quelqu’un d’autre, qu’en penserait-il ? S’il la trouvait peu loquace, le Piaf n’avait évidemment jamais rencontré le Twili. Néanmoins, ce dernier était différent, il avait changé, tout comme elle. Et leur rapprochement était indéniable, qu’elle veuille l’admettre ou non. Midona ne pouvait pas nier les battements de son stupide cœur lorsqu’elle se surprenait à penser à lui de façon tout à fait hasardeuse dans la journée, à désirer savoir où il était, à vouloir lui demander de la rejoindre. Elle se faisait violence pour garder tout ceci à l’étape de pensées, incapable d’avouer réellement ses sentiments envers cet homme qu’elle avait renié par le passé, simplement parce qu’il avait cette façon de la faire se sentir vivante. Son visage avait désormais pris une teinte cramoisie malgré tout le mal qu’elle se donnait pour le dissimuler aux yeux du Piaf. Plus il insistait sur cette histoire de jolie lingerie, de dentelle et de… S’asseoir sur ses genoux, vraiment ?!

« — Robyn ! » Elle sentit le besoin de couvrir sa bouche, un peu éberluée par tout ce qu’il venait d’insinuer. « Je ne peux… ! Non ! » Elle allait mourir de honte, c’était certain. « Tes idées sont… Non, non, non… Ce n’est pas une question de… De couleurs ou de dentelles… » Bafouilla-t-elle, offusquée. « C’est hors de question ! Tu n’as pas honte ?! » Ses joues allaient prendre feu.

Elle échappa un long soupir, roulant des yeux lorsqu’il poursuivit, son visage toujours autant balafré de rouge.

« — Je vais faire comme si tu ne venais pas de me conseiller de lui montrer ma poitrine. » Maugréa-t-elle en lui jetant un regard noir. « Je suis certaine qu’il est plus intéressé par ses livres et la magie, ou ses foutues énigmes, que par moi. » Enfin, pas si certaine, car il lui avait laissé entendre que ce n’était pas le cas. Mais là était bien le problème, il ne parlait pas beaucoup et Midona n’était pas très délicate pour entendre les sous-entendus. Tout ce qu’elle voyait dans ses yeux ou ses gestes demandaient une confirmation verbale pour qu’elle l’entende réellement. Elle détourna le regard, s’intéressant faussement à la vaisselle brisée. « Je l’ai repoussé autrefois, il a certainement fait sa vie de son côté. C’est mieux ainsi. »

Pourquoi est-ce que cette conversation avait divagué sur le Twili ? Qu’importe, elle fut particulièrement soulagée lorsqu’il reprit sur le sujet de Fallon. Ou pas.

Promets-moi de ne pas te mettre en colère ! La rousse se crispa aussitôt lorsqu’elle l’entendit oser lui dire une telle phrase. Bien sûr qu’elle allait se mettre en colère ! S’il lui disait cela, c’était parce qu’elle avait des raisons de le devenir et, lorsqu’il s’expliqua avec toute la gêne et l’embarras dont il pouvait faire preuve, qui aurait pu être adorable dans d’autres circonstances aux yeux de la jeune femme. À mesure qu’il déroulait ses phrases, la colère et l’indignation apparaissaient sur ses traits. Il essayait de s’expliquer et d’y mettre les formes, sans que cela ne change rien au fait qu’il avait attaqué la jeune femme au détour des routes avec ses petits copains bandits. Debout, face à lui, elle leva les bras en l’air en signe de désespoir, expirant un souffle rageur par le nez.

« — Tu as fait QUOI ?! » Rugit-elle, en passant une main sur son visage pour essayer de se calmer. « C’est vrai, se faire attaquer par des bandits sur les chemins, je me demande bien comment elle a fait pour avoir pu imaginer, une seule seconde, qu’elle se faisait enlever ! » Dans ses prunelles transparaissaient toute son exaspération et sa furie. « À quoi est-ce que tu pensais ?! Je… Ah ! » Elle secoua vivement la tête. « Et après je te promets MA protection ! Comment veux-tu que je passe pour une bonne souveraine ! Quand je protège l’homme qui attaque les Twilis ! On marche sur la tête ! » La rousse s’était détournée de lui, n’entendait plus vraiment ses explications, marchant dans la pièce, furibonde.

Comment pouvait-il être aussi insouciant ! Aussi stupide ! Dire qu’elle l’avait embrassé ! Elle s’arrêta lorsqu’il la supplia de ne pas la lui enlever et le regard qu’elle lui adressa s’adoucit un peu, bien que la colère restât dans le fond de ses prunelles de glace. Il avait baissé les yeux et rejeté son attention sur son thé qui tournait dans sa tasse. Midona fronça les sourcils et prit une grande inspiration, aussi agacée qu’elle était désolée. Ça lui crevait les yeux, qu’il était réellement attaché à la Twili.

« — Je crois qu’il faudra plus qu’une tenue affriolante pour détourner l’attention de son frère lorsque tu apparaitras à son bras. » Soupira-t-elle. « Je ne te l’enlèverais pas… Mais, si tu tiens vraiment à elle, tu vas cesser de te comporter comme un bandit. Je ne vous empêcherais pas d’être ensemble. » Aucune loi n’empêchait les Twilis de se fondre avec les autres races, bien que l’idée aurait pu être soufflée par d’anciens Rois qui voyaient la pureté de la lignée comme une obligation absolue. Puisque les frontières étaient fermées pendant tout ce temps, la question ne s’était jamais posée. « Et je te promets de te défendre si cela est nécessaire… Mais, s’il te plait, n’aggrave pas ton cas et garde ces détails pour toi. » Elle se rapprocha de lui, effleura son menton du bout des doigts pour l’obliger à lever la tête pour la regarder. « Et si tu oses dire quoi que ce soit au sujet de… Tu sais lequel… Tu te débrouilleras seul ! »

Midona lui lança un regard exaspéré lorsqu’il ajouta qu’il lui poserait des questions innocentes, comme si cet homme-ci pouvait faire preuve d’innocence. Cela lui arracha un léger sourire, néanmoins, un peu crispé tout de même, puisqu’il parlait tout de même d’un sujet qui lui provoquait beaucoup de doute et de crainte. Il était toujours à côté de la plaque, même s’il ne l’était pas tant que ça, cette fois-ci. Il avait compris très vite la raison de son emportement et de sa gêne, celle-ci même qui peignait ses joues d’un rouge vif, qu’elle parvenait difficilement à apaiser sous ses traits habituellement si sévères. Elle craignait, par-dessus tout, que l’affection que Robyn portait pour la jeune Hesediel ne lui porte préjudice. Elle n’était pas prête à faire une croix sur l’aîné de la famille, même si cela faisait d’elle une femme parfaitement égoïste. Du fait de son statut, elle pourrait aussi prendre ce qu’elle désire, quand elle le désire, mais du fait de l’historique qu’elle avait avec cet homme, elle s’en trouvait bien incapable.

« — C’est vrai que Metzli s’est bien portée lorsque je n’étais pas là. Ce n’est pas comme s’il y avait eu des attentats, des meurtres et une tentative de coup d’état à mon retour. » Fulmina-t-elle sur un ton sarcastique, en lui lançant un regard noir.

Victime collatérale de la boisson de son ami, elle laissa échapper un grognement exaspéré quand sa robe se trouva un peu mouillée par le thé. Elle passa ses mains sur le tissu mouillé et s'agaça un peu, ce n'était pas comme si elle pouvait la retirer, cette robe. Alors, elle se contenta de lui lancer un énième regard de travers sans faire de remarque cette fois-ci. Sa vengeance attendrait. Elle contourna la petite table du salon et retourna s’asseoir. Elle prit la tasse qu’elle berça tranquillement dans ses mains, se perdant un instant dans la réflexion de son visage dans la noirceur de son thé, incertaine quant aux pensées qui s’insinuaient dans son esprit. Elle y porta ses lèvres, goutant le liquide épicé, et grimaça légèrement lorsqu’elle en prit une gorgée. Il était déjà tiède.

« — Mais… Tu n’as peut-être pas entièrement tort. » Aussi difficile que cela était de lui donner raison, elle comprenait parfaitement où il voulait en venir. « Toute ma vie j’ai vécu pour cette couronne. Je m’y suis perdue. Parce qu’il fallait que je sois la parfaite petite fille, l’élève studieuse, l’irréprochable héritière. Parce que, même si je ne croyais pas en ma victoire, je ne pouvais pas tourner le dos à ceux qui croyaient en moi. » Elle effleura la surface du thé du bout de son index. « Et lorsque j’ai obtenu la couronne, celle-ci m’a ravi de ce qu’il me restait de volonté. Et je n’avais pas de raison de m’en plaindre. Une Reine se doit de vivre exclusivement pour son peuple, de se marier en conséquence, avec une famille influente de Metzli. Mon corps était censé être une sorte de monnaie d’échange pour la certitude du soutien et de l’alliance sur du long terme. »

Midona porta à nouveau la tasse à ses lèvres pour en boire une autre gorgée, appréciant finalement le goût une fois que la première gorgée était passée. Elle ne savait pas pourquoi elle disait tout cela. À Robyn, en plus. Est-ce qu’il pouvait seulement comprendre ? Lui, qui s’abandonnait si facilement dans les bras de toutes les femmes qu’il désirait. La rousse posa la tasse sur la table, effleurant ses lèvres du bout des doigts, pensive. Elle évita soigneusement son regard dans un premier temps, toujours embarrassée.

« — C’est toi, qui m’as fait en prendre conscience, Robyn. » Sa main rejoignit la sienne avec pudeur. « Ce n’est pas si simple. Je reste, quand même, enchaînée à mes devoirs, mais j’ai également envie de vivre un peu. » Un sourire sincère sur les lèvres, elle se sentit rougir à nouveau. « Je t’envie à te montrer aussi naturel, à désirer aussi pleinement que passionnément car j’en suis incapable. »

Elle se tourna finalement vers lui, ses yeux cherchant les siens, un peu plus doux.

« — J’ai confiance en toi, je sais que tu ne feras rien pour lui faire du mal ou pour la rendre malheureuse. Qui suis-je pour te dire comment vivre ta vie ? Techniquement, tu n’es pas un de mes sujets. » Il restait tout de même dans l’obligation de l’écouter puisqu’elle représentait l’autorité dans ce royaume. Mais il n’était question que d’affection et de cœur, rien qui ne puisse avoir besoin du jugement express de la Reine de Metzli. « Que comptes-tu faire, maintenant ? »