Stuck in the abyss, all on your own ↬ PV Midona

— An 1000, Lune 9, Jour 13.

Midona était bouleversée par le retour du traitre à Itzal et par les mots qu’ils s’étaient échangés la veille. Mortifiée, elle était rentrée tard de sa chevauchée sous la tempête la nuit dernière, refaisant brusquement surface alors que le rideau nocturne était tombé sur le pays depuis déjà quelques heures. Elle avait vu les visages soulagés de ses gardes pourpres lorsqu’ils l’avaient vu approcher du château, dans un état particulièrement lamentable. Son absence avait duré plusieurs heures et les avait alertés, bien qu’elle leur eût fait comprendre qu’elle avait besoin de ce temps, seule. La pluie n’avait pas lavé son chagrin et la tempête n’avait pas terrassée ses angoisses non plus. Elle avait hurlé de toutes ses forces, criant toute sa rage et sa rancœur au monde entier. L’impuissance était la pire des émotions. La rousse était rentrée tellement trempée de la tête au pied qu’elle n’avait pas réussi à se réchauffer une fois sous ses couvertures. Roulée en boule comme un nouveau-né, elle avait essayé d’oublier, au moins pour l’espace de quelques heures, les paroles échangées et les souvenirs déformés.

Le sommeil n’était jamais venu la cueillir et elle était restée tremblante une bonne partie de la nuit, maugréant Xanto et tous les souvenirs qu’elle avait en commun avec lui. Elle le haïssait. Elle l’aimait. Il était le pire des imbéciles mais elle ne pouvait se résoudre à lui donner la mort. Son visage arborait une expression douloureuse. Elle n’imaginait pas faire face à sa cour aujourd’hui. Son masque serait particulièrement difficile à porter après avoir vécu une telle gifle. Il lui faudrait assumer son choix de conserver le traitre à la couronne, emprisonné plutôt que de le mettre à mort lors d’une exécution publique. Elle voyait d’ici leurs regards accusateurs, elle entendait déjà les murmures sur son passage. Oh, elle n’avait pas la force de faire face à quiconque et surtout pas aux reproches de ceux qui savent mieux que tout le monde.

Assise sur le bord de son lit, la rousse se tenait la tête entre les mains. Totalement nue, elle ne désirait pas bouger de ses appartements et ne trouvait pas la force de se mettre en mouvement. Il était particulièrement tôt, l’aube ne perçait pas encore les épais nuages du ciel crépusculaire. Midona était épuisée, son visage était marqué par la fatigue mais elle savait qu’elle ne parviendrait pas à dormir tout de suite. Son corps n’était pas prêt à dormir, il était si tendu. Trop d’émotions se bousculaient dans sa tête, beaucoup trop pour qu’elle parvienne à les faire taire. Persécutée par celles-ci, elle dû se résoudre à se lever. Sa tête tourna un peu lorsqu’elle se redressa un peu trop vite et la jeune femme se retint à un meuble avant de poursuivre ses pas dans le grand appartement. Elle se laissa tomber mollement sur une chaise qui faisait face à un petit bureau que la Reine utilisait parfois pour travailler tard. Quelques paperasses y siégeaient, qu’elle mit rapidement de côté pour sortir son carnet. Elle y écrivit quelques lignes avant de s’arrêter net, se mordant férocement la lèvre inférieure pour que les larmes ne jaillissent pas de nouveau et fassent couler l’encre sur les pages.

« — Imbécile de corbeau… » Murmura-t-elle douloureusement, la mâchoire crispée.

Elle referma son carnet et le cacha dans une trappe secrète quand elle entendit les petits pas de sa dame de compagnie. Celle-ci entra et fut surprise de voir la Reine dénudée et dans un état de mélancolie. Avec douceur, elle lui proposa de lui faire couler un bain, ce que Midona refusa. Après un long silence, la rousse ne consentit qu’à se laisser habiller avant de congédier la jeune femme dans l’espoir de se retrouver seule. Elle aurait dû rester sur cette première idée et se confiner dans ses quartiers le temps que le chagrin ne s’estompe, mais elle décida qu’elle avait besoin de sortir et de rejoindre Ombre, son loup. Elle ressentait à nouveau le besoin de galoper sur sa jument, oublier quelques temps les tourments de son esprit. Bien que le vent continuât à battre les fenêtres, il ne pleuvait pas en ce début de journée. Vêtue simplement, elle n’aurait qu’à se glisser discrètement jusqu’aux écuries et à laisser un de ses gardes pourpres en arrière pour que personne ne s’inquiète de son absence de quelques heures. Peut-être comprendraient-ils son besoin de s’éloigner. Ou peut-être pas. Qu’en avait-elle à faire après tout ? Ce n’était pas eux qui venaient de perdre leur meilleur ami. Ils étaient tous des imbéciles. Personne ne pouvait comprendre son chagrin. À quoi bon essayer de leur expliquer son choix ?

Midona ouvrit finalement la porte et s’extirpa de la pièce. Elle remarqua avec surprise qu’aucun garde n’était devant ses appartements, ce qui lui provoqua un pic d’anxiété et de paranoïa. La rousse sursauta brusquement lorsqu’elle aperçut du coin de l’œil l’ombre d’un homme qui la scrutait, adossé au mur. Elle crut, pendant un instant, que c’était son ancien conseiller. Son sang ne fit qu’un tour. Était-il là pour la tuer ? Finir le travail qu’elle n’avait pas su achever ? Mais lorsque la voix familière pénétra l’esprit de la jeune femme, elle le reconnut aussitôt. Il n’y avait qu’une seule personne qui s’adressait à elle de cette façon.

« — Sylas. » Sa voix fut comme un murmure.

La Reine se renfrogna brusquement, fronçant le nez. Si son espion était là et qu’il attendait à sa porte, elle était certaine qu’il avait usé de sa magie et qu’il savait ce qu’il s’était passé. Quand allait-il comprendre qu’il était son espion à elle et qu’il ne devait pas l’espionner !

« — Je n’ai envie de voir personne. » Rétorqua-t-elle sèchement, lui adressant un regard de glace.

Certainement pas pour discuter de son ancien conseiller. Midona hésita à refermer la porte et à le laisser là, quitte à attendre toute la journée qu’il s’en aille. Il y avait fort à parier que l’homme attendrait toute la journée et la nuit si cela était nécessaire. Sa patience égalait celle d’un chat en chasse. Alors la rousse claqua la porte dans son sillage et le dépassa pour se diriger vers les écuries, bien décidée à aller au bout de son projet. Elle ne pourrait probablement pas l’ignorer indéfiniment mais elle pouvait essayer.

La rousse crut s’être débarrassée de l’inopportun en se défilant de la sorte. Elle marchait d’un pas rapide vers les écuries, bien décidée à se faufiler avant qu’il ne la rattrape. Peut-être abandonnerait-il pour aujourd’hui et la laisserait vaquer à ses occupations au moins jusqu’à ce qu’il se décide à revenir s’imposer à elle. Midona saurait qu’elle se devrait d’être encore plus discrète le lendemain si elle voulait éviter l’espion. De toute évidence, essayer de fuir un homme qui pouvait rentrer dans son esprit et voir à travers ses propres yeux, compliquait grandement son évasion.

Alors qu’elle arrivait aux écuries, elle discerna, perché sur le toit du bâtiment, le corbeau au ventre blanc. Midona s’arrêta un instant, laissa échapper un léger grognement d’agacement. Le corvidé était le fidèle compagnon de son espion et était particulièrement reconnaissable à ses plumes blanches. Elle n’eut pas de mal à savoir ce que sa présence voulait dire. À la façon dont il la toisait de ses deux petits yeux ronds, il la suivait et s’assurait que l’espion la garde dans sa ligne de mire. Sylas n’avait pas abandonné la partie mais se contentait de la laisser progresser pour l’attraper au vol en se mettant sur son chemin. À moins qu’il ne décide simplement de la suivre à tire d’ailes pendant qu’elle fuyait au grand galop sur sa jument. Elle n’aimait pas quand il la scrutait de cette manière, cela lui donnait une certaine sensation d’inconfort, comme s’il pouvait voir à travers son esprit.

Une sensation, un frisson… La Reine sursauta brusquement lorsqu’elle sentit sa présence juste derrière elle, quelques secondes avant que sa voix ne s’insinue de nouveau dans son esprit. Irritée par sa détermination, elle fronça le nez à nouveau. Elle prit conscience qu’il lui barrait la route et s’assurait que toute retraite demanderait un peu d’énergie. Ce qu’elle n’avait pas. Elle ne voulait voir, ni ne parler à personne, mais voilà qu’il l’y obligeait. Le visage de Midona restait fermé. Elle était décidée à ne pas s’arrêter pour parler avec lui, ni quiconque, afin de s’éloigner de tous ces gens. Elle voulait être seule ! Était-ce seulement trop demander ? Fallait-elle qu’elle prenne le bateau jusqu’à Portua pour être finalement seule ?!

Elle souffla par le nez et un rire rauque s’extirpa de ses lèvres lorsqu’il lui reprocha de fuir l’inexorable. Toujours à sortir les grands mots, celui-là. À cela, la rousse leva le menton et lui fit face. L’antipathie de l’espion avait parfois don de l’exaspérer, et elle avait tant l’habitude que personne ne discute ses paroles. En général, quand elle disait non d’une voix assez froide, personne n’insistait réellement. Sauf les personnes assez proches d’elle pour savoir qu’elle était bien moins dure qu’elle n’y paraissait. Sylas n’était pas un mauvais homme, elle le discernait bien dans le ton de sa voix qui s’était adoucit. Mais cela ne changeait rien au fait qu’elle n’avait aucun désir de faire appel aux souvenirs de la veille. Elle soupira et leva les yeux au ciel.

« — N’avez-vous jamais appris à respecter l’autorité de votre Reine ? » Rétorqua-t-elle à nouveau, d’un ton toujours aussi sec.

Les épaules de la rousse s’affaissèrent et son regard coula de nouveau vers l’oiseau qui ne cessait pas de la fixer. Elle croisa ses bras, agacée.

« — Ne me parlez pas de fuite si vous ne voulez pas m’énerver, Sylas. » Grinça-t-elle, la mâchoire serrée, plongeant ses prunelles dans les siennes. « Je sais pourquoi vous êtes là. Vous voulez me parler du traitre. » La rousse était crispée, ses mains tenant ses bras serrés contre son corps, comme pour se protéger inconsciemment. « Je sais que vous avez vu. » À cela, elle dévia son regard bleu du sien, comme si cela changeait quelque chose.

Elle peinait à cacher ses émotions derrière son habituel masque, taraudée par la fatigue qui la rendait encore plus à fleur de peau qu’elle ne l’était déjà.

Son regard retomba sur l’oiseau et le suivit lorsqu’il rejoignit l’épaule de son maître en quelques battements d’ailes. L’animal ne cessait pas de la fixer et la rousse ne savait pas si elle préférait regarder le visage de l’espion ou les deux petits yeux du corvidé. Alors elle détourna ses prunelles des siennes, les braquant sur l’écurie et sur son objectif d’évasion. Elle pouvait encore faire un pas de côté et le laisser là, avant qu’il ne l’importune davantage. Ce n’était pas à lui de venir la voir après tout ! C’était le monde à l’envers ! La rousse ne pouvait pourtant pas lui en vouloir. Sylas était un homme loyal à la Couronne. Elle avait confiance en lui. Enfin, elle n’avait pas eu de preuve du contraire. Elle restait naturellement suspicieuse avec toutes les personnes qu’elle avait toujours côtoyé sans se poser plus de questions. Il ne faisait pas exception.

La rousse se crispa lorsqu’il fit quelques pas dans sa direction. Ses mouvements n’étaient guère menaçants mais il la poussait doucement dans ses retranchements et sa voix coulait en elle sans qu’elle ne puisse la faire taire. Midona avait vécu trop de difficultés ces dernières lunes pour parvenir à gérer toutes ses émotions à la fois, elle sentait peu à peu qu’elle perdait pied et devait user de toutes ses capacités mentales pour conserver la face et ne pas sombrer définitivement dans le désespoir. Avec le sommeil en déficit, elle avait le sentiment que tout ceci ne tenait plus que par des petits fils qui s’étiolaient peu à peu, jusqu’à ce qu’ils finissent par craquer sous la pression. Reparler de son humiliation n’eut pas pour effet de l’apaiser, bien au contraire. Lorsqu’on lui tendait un bâton, elle n’avait plus qu’à mordre férocement dedans.

« — Je ne sais pas. Peut-être. » Elle prit une grande inspiration pour calmer les pulsations de son cœur. « Ma décision n’est pas finale. » Presque. Sa mâchoire était crispée, les mots sortaient difficilement. « Croyez-vous que je l’ai oublié ? » Cracha-t-elle brusquement à l’intention de son interlocuteur et de son corbeau. « Je n’ai pas oublié. Je n’ai pas oublié la violence de ses mots, ni la froideur de son regard, ni ses menaces pour moi-même et pour Metzli. Je ne peux pas oublier son visage. Jamais. » Sa respiration était un peu tremblante. Elle était bien incapable de discerner le sentiment qui dominait les autres.

Midona était profondément troublée et elle n’avait pas la capacité de le cacher. Pas alors que la plaie était encore si fraiche. Elle en était bien incapable et Sylas ne pouvait qu’admirer la faiblesse de la Reine, que celle-ci parvenait si bien à dissimuler habituellement sous ses mots acerbes. Il ne l’avait probablement jamais vu de cette manière. Si peu de gens avait été témoin de sa faiblesse et de son imperfection. Cela avait peu d’importance pour la rousse cette fois-ci. Elle avait autre chose à penser que l’image qu’elle renvoyait à la Cour en ce moment précis. Et puis, il n’y avait que cet homme pour admirer la flétrissure de sa Reine.

« — Je sais ce qu’il a fait. Il a essayé de me détruire. De me prendre la Couronne des Ombres. Il a œuvré dans mon dos pendant tout ce temps où j’étais en Hyrule, peut-être même bien avant que je me trouve si loin de mon Royaume. Il a cherché des moyens de me prendre le Trône. Il ne me pense pas assez forte, il me croit illégitime à diriger Metzli. » Gronda-t-elle avec douleur. « Mais je suis différente. Différente d’il y a cinq ans. Différente de la jeune Héritière de notre enfance. Différente de lui. » Un long soupir s’extirpa de ses lèvres tremblantes. Midona ferma les paupières. « Il a essayé mais il a échoué. Il n’a plus rien à voler, la Couronne est détruite. » Ce n’était pas vrai, il pouvait encore lui voler le Trône, son Royaume et son peuple. Mais pour cela, il lui faudrait la vaincre, et la rousse n’hésiterait pas à donner sa vie. Alors même que ces gens avaient douté d’elle à son retour.

Elle était plantée dans la cour, les mains jointes, serrées si fortes l’une à l’autre qu’elle en aurait des bleues. Midona ne comprenait pas tout à fait pourquoi elle se sentait si mal. Elle avait des nausées et ressentait de nouveau ce désir impérieux de se laisser aller à ses émotions. Elle était triste, si triste, que tout lui semblait fade. La rousse n’avait qu’un souhait à ce moment précis, oublier, un peu, la terrible décision qu’elle avait dû prendre. Et bien qu’elle ait toutes les raisons du monde de lui prendre la vie, elle en était incapable. Elle ne pouvait pas faire disparaitre Xanto. Cela aurait probablement été plus simple, mais elle ne le pouvait pas.

« — Je ne peux pas le tuer. » Sa voix était froide, sincère. Elle devait combattre ses émotions pour éviter qu’elle n’apparaisse pleinement sur son visage fatigué. « Je ne peux pas le tuer. » Répéta-t-elle. Elle était déboussolée, désemparée par cette réalisation. Elle ne pouvait pas tuer l’homme qu’elle avait tant aimé, qu’elle avait tant chéri auprès d’elle. Elle avait essayé. Oh, elle avait désiré qu’il cesse de respirer. Mais au moment de la prononciation de la sentence, elle s’était défaussée. Devant les regards incrédules de ses gardes et la stupéfaction du commandant de la garde pourpre, elle avait montré toute son impuissance face à cet homme.

Il lui tendit la main et Midona considéra la paume qu’il lui présentait. L’expression de son visage ne s’était guère améliorée. Les mots de Sylas étaient remplis de la vérité qu’elle ne voulait pas entendre, mais la rousse voulait espérer autre chose. Son ancien conseiller était un menteur, et malgré cela, elle ne savait pas tout à fait si ces mots étaient faux. Elle était perdue et l’état psychologique dans lequel elle se trouvait ne l’aidait guère à y voir clair.

« — Non, vous m’avez toujours été loyal. Mais il m’est difficile de discerner mes amis de mes ennemis, Sylas. » Elle laissa échapper un petit rire sardonique. « Comme vous pouvez le remarquer. »

Sa main rejoignit néanmoins la sienne d’un geste fébrile. Ses doigts froids rencontrèrent ceux de l’espion, les serrant doucement, presque timidement. Elle réprima un frisson à cette sensation.

« — Puisque vous avez été témoin de nos échanges, vous savez ce qu’il m’a dit. » Elle soupira, un peu embarrassée. « Vous me direz probablement que je suis une imbécile pour croire tout ce qui sort de la bouche de cet odieux traitre, et vous aurez peut-être raison. » Elle haussa les épaules. « Je ne pense pas qu’il mentait cette fois-ci. » Qu’en savait-elle ? Il lui avait menti tant de fois. Peut-être n’était-elle plus capable de discerner les mensonges de la vérité.

Les prunelles de glace de la Reine de Metzli s’étaient finalement figées sur le visage impassible de l’espion, détaillant ses traits, observant l’absence d’émotion sur ce visage de marbre. Il voulait l’aider, elle le savait, mais personne ne pouvait l’aider dans cette décision. Personne n’était à sa place. Malgré tout le malheur que Xanto lui avait provoqué, malgré la trahison de ce dernier, malgré ces dernières années de mensonges, elle ne pouvait pas l’abhorrer au point de lui arracher la vie.

« — Est-ce naïf d’espérer que le jeune homme avec lequel j’ai grandi, puisse ne pas être entièrement perdu ? » Le ton de sa voix était presque vide, cette fois-ci. Ni rage, ni chagrin, ni joie.