Il y a des demeures qui sont bruyantes. A l'inverse, celle de Cardan est toujours silencieuse, à tel point qu'on la croit inhabitée. Même sa tante, quand elle vivait entre ces murs, ressemblait à un fantôme quand elle s'y promenait. Les pas résonnant facilement sur le parquet démuni de tapis, le Twili comprit aussitôt que quelqu'un s'était introduit chez lui. Enfermé dans un second salon aménagé en atelier, il avait le nez dans du tissu pâle et volumineux, une aiguille pincée entre ses lèvres. Quand il leva son regard vers la porte close de l'atelier, il poussa un grognement mécontent. Il abandonna malgré tout son travail pour se lever le plus discrètement possible et saisit un couteau de lancer dans chaque main, le troisième fermement accroché à sa ceinture. Heureusement, il comprit vite qu'il n'allait tuer personne dans le couloir quand la voix forte et puissante d'un ami y résonna, lui arrachant un sourire amusé. « Je n'accorde que rarement des visites impromptues. J'espère ne pas avoir été dérangé pour rien. » plaisante-t-il également, laissant sa voix voler dans la maison. Il remit ses deux autres couteaux avec leur partenaire à sa ceinture, puisqu'il n'en aurait pas besoin.

Cardan traversa les couloirs à pas feutré, apparaissant après quelques secondes dans le hall où était planté Xanto. Le cadet des Vundhar n'était pas surpris de la voir ici sans s'être annoncé auparavant. Il l'était seulement de se rendre compte qu'il avait déjà choisi de poser pied à terre après son long voyage. Etrangement, le géant était heureux de le retrouver sain et sauf. Contournant le lustre qui pendait au plafond, et s'approcha pour lui rendre également sa poigne, sûr de lui. Il n'a même pas pris la peine de remettre des gants pour cacher les écailles de sa main gauche qu'il hait tant. La confiance qu'il lui a toujours accordée se ressent dans ce simple geste. S'il y a bien une personne qu'il n'a jamais trahi, c'est cet ami de longue date. A vrai dire, il n'y a jamais songé, ce qui est plutôt bon signe venant de lui. « Quelle question, évidemment que tu m'as manqué ! » A vrai dire, à chaque fois que quelqu'un part à l'aventure dans ce monde, on est jamais sûr de le revoir en un seul morceau. « A merveille, comme tu peux le voir. Et toi ? Je ne t'attendais pas de sitôt. J'étais persuadé que tu prendrais un peu de temps avec ta femme avant de venir me visiter. »

D'un geste de la tête, il l'invita à le suivre dans ce pouvait ressembler à un dédale de couloirs pour des étrangers. Une fois dans le petit salon vert muni d'une cheminée, il sortit deux verres et une jarre d'alcool qu'il cachait sous son fauteuil préféré. Il avait beaucoup à lui raconter, notamment cette histoire de fiançailles qu'il n'avait pas communiqué par missive puisque les jeux étaient juste fait. « Installe toi, tu es ici chez toi. » D'ailleurs, c'étiat un détail avec lequel sa future épouse devrait vivre, puisque Xanto avait cette manie d'entrer sans jamais s'annoncer. Enfin, il espérait qu'elle ait le cœur assez accroché pour vivre à ses côtés, et lui aussi, devrait fournir tous les efforts du monde. S'asseyant dans un premier fauteuil, il leva un sourcil intrigué vers son ami. « Par où commencer ? » demande t-il en souriant grandement, curieux de connaître les anecdotes du second Twili, et des affaires qui l'amenaient aujourd'hui ici.

Rares sont ceux qui, après le mariage, considèrent davantage leurs plus anciens alliés avant leur femme. Il en a vu, des hommes, perdre l'esprit parce que leur femme devenait le centre de tout. Il en a vu un, particulièrement, et il n'a pas très bien fini. Aujourd'hui six pieds sous terre, les cendres emprisonnés dans sa statue au sein de la Crypte familiale. Tout ça à cause de son propre frère. L'amour est un poison auquel Cardan n'a jamais cédé, car il avait déjà failli le tuer. Il ressentait encore l'humiliation de cette instant jusqu'au plus profond de ses écailles.

Jetant un coup d'œil à la porte de la pièce, Cardan hésita. Il n'y avait pas une seule âme vivante autre que lui dans cette demeure, sauf pour l'heure des repas et du ménage. De toute façon, la gouvernante n'oserait même pas écouter aux portes. A peine croiserait elle son regard qu'elle vendrait son âme au Diable. En revanche, sa tante pouvait être plus coriace. Il l'avait congédiée, mais ignorait si elle pouvait se terrer dans l'ombre. Afin de s'en assurer, il tendit sa main vers le sol et laissa son ombre s'incruster à celle des rideaux, des meubles, et ce jusque dans toutes les pièces voisines de cet étage pour ne pas s'épuiser inutilement. Puisqu'aucun cri de douleur ne retentit, il estima qu'ils étaient seules, et la laissa revenir à lui en poussant un soupir de soulagement.

S'installant confortablement dans son propre fauteuil, le Vundahr fronça les sourcils, intrigué en voyant la posture de son ami changer. Il allait lui annoncer quelque chose qui allait lui plaire, il n'en doutait pas. Naturellement, il afficha un sourire amusé. « Ce que tu as fais ? » Le Twili sait que ce voyage n'était pas qu'un voyage pour le plaisir, et que le Odair avait une idée bien précise en tête. Ce qu'il se demande en cet instant, c'est jusqu'où a-t-il été pour parvenir à ses fins, car ils savent tous les deux qu'ils sont prêts au pire pour cela. « Oui, j'en ai entendu parler. » Puisque ces rumeurs étaient fondées, il avait eu raison de s'inquiéter. La Couronne d'Ombre avait été créée par l'âme de leur ancêtre, et c'est grâce à ce pouvoir que quelques rares lignées pouvaient accéder au pouvoir, dont celle des Odair. Alors, quand la nouvelle de sa destruction était tombée, le noble avait pris conscience de la gravité de la situation. Leur pouvoir était si fragile qu'une telle nouvelle risquait de placer n'importe qui d'autre sur le Trône.

A l'évocation de ces souvenirs et de ce récit, le visage de Cardan se déforme. Une grimace étire ses lèvres et il recale son dos contre le fauteuil, comme s'il vivait le voyage à l'instant présent. Il n'avait jamais été au-delà de Metzli parce qu'il était effrayé de ce qui pouvait arriver aux Twilis de l'autre côté de l'ancienne frontière. Xanto l'avait fait, à ses risques et périls. Même s'il était en vie et entier en face de lui aujourd'hui, ça aurait pu ne pas être le cas. Buvant une nouvelle gorgée d'ambre pour calmer son esprit, le regard glacé de ce dernier cherche à percer les mystères de celui qui lui fait face. Muet pour ne rater aucun détail, le plus jeune se concentre sur chaque mot. « Elle les a trahis et bannis en créant le Miroir d'Ombre, envoyant des fragments de leurs âmes en tout Hyrule... » commenta t-il en se souvenant de ce qu'il avait appris et lu. Comme quoi, toutes les fratries sont nées pour se trahir. Fronçant davantage les sourcils, il déglutit alors que son regard s'assombrit. Il reposa son verre sur la petite table et se pencha en avant, soudain plein d'espoir.

Bien que ce ne soient que des mythes, Xanto ne pouvait pas les évoquer sans aucune raison. S'il en parlait, s'il avait tant voyagé et pris de risques, ce ne pouvait pas être vain, se dit le Twili. « Dis-moi que tu as trouvé où ils sont, ou que tu en as déjà trouvé un. Tu ne serais pas revenu juste avec ces informations à me transmettre, tu es bien plus malin. » ajoute t-il en hochant lentement la tête. « Si cette histoire n'était qu'un Mythe, les écrits que tu as trouvés n'auraient pas été aussi bien cachés. On les aurait envoyés dans les Bibliothèques du Royaume pour en faire les louanges et les étudier, on aurait estimé des lieux où ils pouvaient se trouver, et bien des assoiffés de pouvoir s'y seraient rendus. » pense t-il à voix haute, tentant de raisonner chacun des actes de Xanto, et d'accepter l'idée que tout cela était vrai. « Non, si tout ça a été caché, c'est forcément parce qu'il y a une part de vérité là-dedans. Tu as trouvé un Fragment d'Ombre. »

Cardan ignore si un seul fragment suffirait à raviver le pouvoir de la Couronne, ou s'il faudrait la totalité de ses Fragments pour que le pouvoir se réveille. Dans tous les cas, ce n'était qu'une question de lunes ou d'années avant que son plus précieux allié ne puisse s'emparer du Trône. Les mains fermement accrochées aux accoudoirs du fauteuil, Cardan tente de rester en place, mais sa curiosité éveille son esprit et son corps. « As-tu trouvé un des fragments ? » demande t-il finalement plus bas, comme si on pouvait encore les écouter alors que ses yeux ne sont que deux fentes sur son visage. Ils n'ont jamais été aussi proches du but pour lequel ils se battent depuis trop longtemps.

Le silence qui planait dans la pièce ne faisait que faire chauffer l'engrenage des méninges de Cardan. En regardant son ami, il voyait tout de suite qu'il ne s'était pas trompé, ni dans son récit, ni dans ses propositions. Étrangement, le Twili en ressentait un certain apaisement. Après des mois d'incertitude et de traque, après des années à souffrir du pouvoir en place, tout allait enfin changer pour le meilleur.

Le fragment est aussi magnifique que terrifiant. Quand il l'observe, Cardan a l'impression d'être happé par le pouvoir qu'elle dégage. Il y a quelque chose de beau dans le chaos qu'elle pourrait créer en ce Royaume, et une infime partie de lui voudrait posséder un objet aussi puissant. Puis, l'instant d'après, son esprit revient à lui et il se rend compte de la stupidité des actes de son frère. Vouloir lui offrir tout le pouvoir était un cadeau extraordinaire, mais en contemplant le fragment, il sait qu'il pourrait sombrer dans la folie rien qu'avec une couronne sur la tête. Il a toujours su que ce n'était pas le type de pouvoir qui l'attirait, mais désormais, il en est sûr. En revanche, cette couleur sied parfaitement à Xanto. C'est comme s'il était destiné à trouver ce précieux objet qui redonnerait sa splendeur d'antan à la Couronne qui avait été ruinée par Midona. Un juste retour des choses à la normale, voilà ce qu'il entrevoit maintenant que ce plan est concret.

Fronçant les sourcils, le regard du couturier glisse sur le torse de Xanto. Il ne l'imagine pas se poignarder volontairement, il n'imagine pas non plus le sang éclabousser sa chemise et jaillir jusqu'à lui ôter le dernier souffle de vie. L'imaginer mort le met plus que mal à l'aise et revient à perdre une partie de lui. Il finit d'une traite son verre pour noyer son malaise et s'essuie le menton du revers de la main. « Tu as vraiment fait ça ? » Heureusement, les explications ne tardent pas à venir, ne rassurant pas tellement le pauvre homme. « C'était fou. Et dangereux. » S'il n'y avait pas eu le pouvoir de son épouse pour l'en sortir, il aurait rejoint Océrian dans le monde des morts. Tous les efforts que le conseiller a déployé jusque-là auraient pu être anéantis, et Cardan n'aurait plus aucune raison de vivre sur cette terre en sachant qu'il n'a plus de but. Des frissons le parcourent, et il fait taire le pouvoir qui s'agite au fond de lui. En fermant les doigts autour du fragment, il tente de rester calme malgré la tempête qui s'agite à l'intérieur.

S'il y a plus d'un fragment, les autres épreuves sont probablement similaires. Pourvu que seul celui-ci suffise pour que la Couronne retrouve son éclat, car il ne survivrait pas à trois récits identiques. Levant l'objet vers la lumière pour en admirer les couleurs qui lui donnaient aussitôt de l'inspiration pour de nouvelles tenues, il finit par soupirer de soulagement. « Je ne peux pas cacher que ce récit ne me réjouit pas. Si ça n'avait pas marché, j'ignore ce qu'il serait advenu, et je crains que chaque fragment te pousse à nouveau à prendre seul ce genre de décision. » souffle t-il, honnête. « Mais je dois avouer que je suis impressionné. Et plus que jamais soulagé de constater que tu te tiens face à moi. Je pensais que ce genre de pouvoir de résurrection aurait des conséquences. Tu aurais pu ne revenir qu'à moitié, ou devenir complètement fou. » Ce ne sont que des suppositions, mais les extérioriser l'aide à prendre conscience que mettre Xanto sur le Trône est une tâche plus ardue que prévue.

Se penchant légèrement en avant, un air sérieux sur le visage, Cardan enchaîne, plein d'espoir. « Je vais avoir besoin de ta protection et d'un service. Les plans n'ont pas changé, mais de nouveaux éléments s'y sont ajoutés. » Tout à coup, une peur s'installe en son sein et son cœur bat plus vite. L'inquiétude qu'il ressent est si réelle qu'il n'a aucune honte à réclamer un dû alors qu'il a seulement assuré le secret des ambitions de Xanto. « Le moment venu, Midona sera sûrement folle de rage. Tu ne seras probablement pas le seul à réclamer la Couronne et cela pourrait entraîner des dommages collatéraux. Je serais là, bien évidemment, pour te protéger par mes lames et par mes ombres. Mais j'aurais besoin que tu mettes une autre personne sous protection, car je ne pourrais pas endosser ta défense et la sienne en même temps. » Juste au cas où les choses s'envenimeraient. Il y a en ce Royaume des partisans de Midona, et en déclarant haut et fort leur soutien à Xanto, on pourrait s'en prendre à lui. Peu importe s'il y perd la vie, en vérité, il ne souhaite juste pas que sa position politique n'entache pas la réputation des autres. « J'ai besoin de m'assurer que, quoi qu'il advienne, Fallon Hesediel, fille d'Aleksander Hesediel et ma future épouse soit protégée du danger imminent et des représailles que notre plan pourraient faire naître. » Si elle tient véritablement de son père, elle saura probablement se défendre. Mais Cardan n'est pas prêt à prendre ce risque de se mettre à dos la moitié de la Cour, et encore moins celui de mourir embroché par son père. Le pire, ce serait de mourir en sachant pertinemment qu'elle pourrait ne plus jamais vivre sereinement ni trouver un autre mari après lui, juste à cause de cette réputation. Alors, s'il mourait ainsi, il ne serait jamais en paix, car il n'aurait pu sauver personne dans son entourage, provoquant tout simplement leur chute.

Sourcils froncés, le jeune Vundahr se force à ancrer dans son esprit cette conversation. Car si un jour il a un doute sur le comportement de Xanto, cela voudra dire qu'il avait eu raison, et qu'il sera le seul à pouvoir agir en conséquence. Comment ? Il l'ignore. Les mots ne suffiront pas. Irait il jusqu'à provoquer la colère de l'héritier Odair, irait il jusqu'à se battre, et serait-il capable de l'achever si les choses tournaient mal ? Non. Se battre, peut-être. Cardan ne saurait résister à la colère sourde qui gronde en lui depuis trop longtemps. Face à un ami, il perdrait son sang-froid. Pourtant, il se laisserait mourir pour ne pas avoir à le faire. A voir si dans un contexte différent, si le Royaume est menacé, s'il irait au bout de sa pensée. Il y a une part de lui qui veut qu'il se différencie de sa tante, mais il est trop longtemps resté sous son joug pour la refouler. Ce serait un massacre. Et le pire, c'est qu'il ignore que ce qu'il va se produire l'ébranlera totalement, et qu'il sera aussi perdu et brisé que le Royaume de Metzli le sera. Ils seront sûrement aussi fous l'un que l'autre dans cette bataille.

Alors, il tente sa chance. Il n'a plus rien à perdre. Face aux risques, il lui faut prendre des précautions et il réclame quelque chose qu'il n'est pas sûr que Xanto puisse lui donner. D'ailleurs, ce dernier donne raison à ses pensées secrètes en mentionnant Aleksander, dont le nom fait tressaillir Cardan. Il s'accroche un peu plus aux accoudoirs, les sourcils froncés par la concentration. « Tu ne m'apprends rien. » Cette révélation, aussi évident soit-elle, commence à lui mettre le doute. Lui aussi, était partisan des coutumes du pays et ça ne l'a pas empêché de retourner sa veste. Ils l'ont tous les deux fait. Il garde le silence, imaginant la scène sous plusieurs angles. S'il le faut, il défendra Xanto et se battra contre Aleksander, quitte à le décevoir. Cardan admire ce professeur profondément et sincèrement, malgré leurs opinions divergentes. Mais s'il fait ça, il ne pourra plus épouser Fallon. Il pourrait la prendre en otage pour forcer son père à accepter cette union, mais il se sentirait mal d'agir de la sorte. S'il laisse Xanto se faire embrocher, en revanche, il gagnera certes le respect du Hesediel mais ce serait une trahison envers son plus proche allié. Fallon craindrait alors d'être trahie à son tour. Voilà qui l'amène à la conclusion que, malgré ses choix, il finirait par trahir une ou plusieurs personnes et y laissera des écailles. Massant ses tempes du bout des doigts, Cardan tente de fonder un scénario logique dans son esprit, en vain. « Alors, je devrais gagner la confiance de Fallon. » soupire t-il d'un air désespéré. La faire tomber amoureuse de lui pour qu'elle lui pardonne ses pires actes à venir. Cette idée est loin d'être honnête et donne la nausée au couturier. Il n'en sera jamais capable. Corrompre une femme et lui briser le cœur comme on le lui a fait à l'époque ? Non. Il ne le supporterait pas. Pourtant, il garde cette idée dans un coin de son esprit, juste au cas où. « D'accord. Je me contenterais de ça. Je te remercie, mon frère, pour ta compassion. Tu sais que tu as mon soutien et ma reconnaissance quoi qu'il arrive. » Il y a des facteurs qu'ils ne pourront pas contrôler. Au moins, il est rassuré à l'idée que Xanto essaiera. Ils y arriveront, à prendre cette Couronne et protéger les leurs. Ils n'ont pas le choix.

Cardan roule des yeux et termine son verre, l'air faussement vexé tandis qu'un soupir s'échappe de ses lèvres. « Ah, mon frère. » grommelle-t-il avec cet air bougon qui trahit sa contrariété. « Ce n'est guère qu'un mariage arrangé. Je ne l'ai rencontré qu'une fois. Si je n'ai jamais eu de flamme en moi, ce n'est pas en un regard qu'elle risque de s'allumer. » Il sourit sincèrement, se relevant enfin de son fauteuil pour commencer à tourner dans la pièce. Il a cédé trop facilement à sa tante en pensant que c'était la bonne décision. Il aurait pu faire demi-tour plusieurs fois mais s'était jeté à pieds joints dans cette aventure, alors que son cœur n'a jamais été prêt pour cela. « J'ai toujours trouvé l'amour futile, tu le sais mieux que quiconque. Mais ce n'est pas son cas. C'est une jeune femme, épargnée par le mariage alors que son père aurait pu la laisser à un autre homme il y a des années. Et comme toutes les femmes, elle s'attend à ce que l'amour lui tombe dessus, surtout en connaissant la réputation de mon frère, on s'imagine que je suis comme lui. » A ces mots, il s'arrête devant la petite bibliothèque dans la pièce et observe le dos des livres, où les titres sont écrits tantôt en doré, tantôt en argent.

Il aurait voulu être comme lui, ça aurait été plus facile. Comme Océrian, ou même comme Xanto qui avait un lien avec sa femme. Lui, il n'était rien qu'une coquille vide, se dévouant corps et âme à une cause qui peut causer sa perte à tout moment. S'il n'avait pas brûlé les preuves, il serait mort à l'heure qu'il est. Il a des secrets qu'il devra garder, malgré la curiosité et les sentiments que sa future épouse pourrait lui porter. « Elle ignore ce qui l'attend ici. Je voudrais au moins lui épargner ma sale réputation, et surtout celle de ma tante. » Une réputation qui a déteint sur lui jusqu'à la moelle. Si sa mère n'avait pas été aussi effrayé de son cadet, elle lui aurait épargné toute cette souffrance. Après quelques secondes, le Twili fronce les sourcils et se retourne pour regarder son ami. « Tu es en train de détourner mon attention. Je n'aime pas ça. Ne me fais pas parler de moi. » Comme d'habitude, Cardan se referme comme une huître. Parler d'amour, de sentiments, il n'a jamais aimé ça, et n'aimera jamais ça.

Si Xanto n'était pas son ami, Cardan n'aurait pas hésité à l'inviter à quitter son domicile sur le champ avant d'avoir envie de le provoquer en duel. Vouloir faire parler de Vundhar d'amour est dangereux pour ceux qui ne savent pas si prendre. Son cœur semble être maudit à jamais de ce sentiment, tout ça à cause d'une seule et même personne. Pire encore, il y avait renoncé de lui-même, et avait pleinement conscience qu'il ne pourrait jamais aimer sa fiancée comme un Roi aime sa Reine. Il ne pourra jamais aimer personne comme son frère aimait Talia. « Je te ferais d'autres plaisirs quand le moment sera venu, pour compenser ma monstruosité. » lâche le brun en jetant un regard sombre à son ami pour le faire taire. Pourtant, un sourire étire le coin des lèvres du couturier, qui aurait eu le même comportement que le conseiller si les rôles avaient été inversés.

Il observe Xanto se diriger vers la fenêtre et le rejoint, jetant un œil sur la nature broussailleuse à l'extérieur, révélatrice des montagnes s'étendant derrière sa propriété. Hochant la tête, le Twili sent ses méninges se mettre en branle aux premiers mots de son futur Roi, tentant d'aligner les pièces d'un même puzzle pour faire un sens, avant de transformer ce puzzle en un plateau stratégique de guerre. S'emparer de la Couronne est un réel coup d'État, et ils iront combien d'alliés se cachent parmi les nobles. Lentement, incapable de remettre ses idées en place, Cardan se dirige vers la bibliothèque et en sort un vieil ouvrage où il est écrit Lutte et accalmie. Il se tourne à nouveau vers Xanto en venant poser son butin sur la table, un grand sourire aux lèvres. « Je serai là. » assure-t-il en sortant l'un de ses couteaux fétiches de leur fourreau, celui gravé d'un cœur, le levant son propre cœur pour prouver sa loyauté. « Je te défendrai de ma propre vie et ne mourrait pas avant t'avoir aidé à accomplir ta destinée. » assure-t-il, le regard plus déterminé que jamais. Vendre son âme au Diable a toujours été un de ses traits toxiques. Son frère avait voulu le mettre sur un chemin ? Eh bien, il l'emprunterait et ne quitterait pas la route avant d'avoir atteint sa destination.

Alors, il s'approche de la table sur laquelle il a posé le livre et remet le couteau à sa place, ouvrant son œuvre préférée dans laquelle il a glissé une carte du Royaume et une autre du château de Metzli. « Il faut le faire lorsque Midona... Pardon, notre Reine... » Il appuie ces mots avec un sourire amusé, pas désolé pour un sou de l'avoir appelé par son prénom plutôt que par son titre. « Sera la plus faible. Nous devons montrer sa faiblesse à son peuple. L'anéantir, écraser son cœur entre nos doigts jusqu'à ce que nous le réduisions en poussière. » Alors qu'il mime sa pensée d'un geste de la main, refermant le poing dans le vide, Cardan sent la colère brouiller son jugement. Il souffle un coup pour se calmer et lève les yeux vers son allié, sourcils froncés. « Mais nous ne devons pas sous-estimer ses loyaux sujets. Je pense notamment à Talia. Je l'éviterais soigneusement, si j'étais toi, pour éviter qu'elle n'ait envie de s'infiltrer dans tes pensées. » Il hoche la tête, certain qu'elle en serait capable si elle portait des doutes sur eux. « Il faut semer le doute dans ton assemblée. Avoir dix coups d'avance. Les pousser à se diviser pour mieux les rallier à ta cause. » Le silence se fait alors qu'il caresse son menton tout en réfléchissant. « Quelle était ton idée ? » Quand il pose les yeux sur Xanto, il espère sincèrement qu'il a réfléchi à son plan dans son intégralité. Le temps court vite et il a l'intuition que l'opportunité de prendre la Couronne va bientôt se présenter. Ils doivent être prêts à tout éventualité.

En voyant le regard de Xanto quand il énonça Talia, il se retint de lui lancer un commentaire désobligeant que seul un frère se permettrait de lancer. Pourtant, il se retint, presque exaspéré, espérant que le Twili avait conscience de chaque danger. Si Cardan ne pensait pas à tout ça, qui sait depuis combien de temps Xanto aurait perdu la tête. C'était d'ailleurs étonnant qu'il soit revenu vivant seul de son périple, pensa son ami. « Très bien. Ta prévoyance te sauvera la vie. » Pourvu que le sort soit assez puissant pour ça. Car s'il empêchait Talia de lire dans son esprit, il ne l'empêcherait pas de deviner l'avenir ou le présent. C'était une jeune femme incontrôlable. Oh, elle avait été contrôlable, quand son frère avait encore la tête sur ses épaules. Si seulement...

Faisant jouer ses ongles sur le bord de la table, le twili ne lâcha pas leur futur Roi des yeux, plissant les sourcils en tentant de comprendre ce qu'il lui racontait. Puis, il porta aussi son regard sur le Fragment, essayant de se convaincre que c'était le bon plan. La patience, ils en avaient. Ils avaient déjà attendu si longtemps pour en arriver là. D'ici quelques lunes, il faudrait frapper fort pour réussir à assouvir leur rêve profond. Rien dans le plan de Xanto Odair n'était concret. Il ne s'agissait que de suppositions, et n'importe qui d'extérieur aurait poussé les questions plus loin pour essayer de trouver un point faible dans ce plan. Attendre, montrer, prouver, convaincre, conquérir. Mais Cardan oublia bien vite de chercher des explications plus concrètes, mû par la détermination de Xanto. Il semblait si sûr de lui qu'il aurait été difficile de ne pas lui faire confiance. S'il estimait qu'il était temps de frapper, cela voulait dire qu'il ne faudrait pas chercher d'autres point faible à ce plan. Un jour, Cardan regretterait sûrement l'admiration qu'il lui a toujours porté. « Son statut est déjà fragile, et elle est déjà humiliée par son absence. » commenta Cardan satisfait. Si Xanto a une dent contre elle, elle devient également son ennemie, même si elle est la jolie Reine de Metzli que tout le monde admire. Océrian ne sera pas mort en vain, ses péchés seront lavés, il pourra épouser Fallon Hesediel et être heureux comme il l'avait espéré. Xanto lui aura offert tout ce que son frère n'aura jamais pu lui obtenir.

Hochant la tête, le couturier faillit s'étrangler quand son allié lui proposa un cadeau qu'il ne saurait refuser. Un poste de conseiller à ses côtés. Il n'avait jamais espéré être à ce poste un jour. Pour lui, c'était Trascer qui aurait dû y être, et lui, serait resté dans la lumière de son art, et l'ombre de Xanto. Pourtant, arborer le titre de conseiller Vundahr le fit soudainement rêver. Le détaillant du regard, Cardan hocha la tête et s'approcha pour poser les genoux à terre. Il sortit une lame de son étui à sa cuisse et baissa la tête, la lame devant son visage, lame pointée vers le sol. Ce n'était peut-être pas la façon traditionnelle de prouver sa valeur, mais à ses yeux, c'était la seule qui prouvait sa loyauté. « Je ne te décevrais pas. » Alors qu'il allait ajouter quelque chose, la clochette de la porte d'entrée retentit. Surpris, Cardan se releva et jeta un œil à la porte de la pièce, imaginant le couloir, visualisant mentalement chaque pièce jusqu'à la porte d'entrée. Il l'entendit s'ouvrir comme si la personne était chez elle, et son regard changea. Quand il le posa sur Xanto, il posa également sa main sur son épaule et lui sourire sincèrement. « Il est temps pour toi de partir pour peaufiner ton plan, mon frère. » Seule sa tante pouvait se permettre de faire comme chez elle. « Je te raccompagne. » annonça t-il, un poids soudainement libéré de ses épaules. Ils allaient réussir, aucun doute là-dessus.