Parle-moi feat.Zachary

Le château était si silencieux. Il ne saurait dire à quel moment remontait la dernière fois où il régnait une telle quiétude sur le berceau du royaume. Zachary était habitué à l’agitation qui régnait habituellement entre les murs de la forteresse, rythmée par la vie de la Cour, même de nuit, pourtant, cet instant d’accalmie était le bienvenue. Il avait eu du mal à chasser les valets et autres serviteurs qui voulaient s’assurer qu’il ne manque de rien, alors qu’il voulait simplement qu’on le laisse souffler en arrêtant de venir le déranger, bien obligé d’ordonner qu’il en soit fait ainsi. Accoudé au bord de sa fenêtre entrouverte, il pouvait laisser ses pensées aller et venir librement tandis qu’il observait les étoiles, luttant de toutes ses forces afin de repousser le sommeil. Il n’aurait pas le choix tôt ou tard, mais la chaleur de ses draps ne parvenait pas à chasser la glace qui s’insinuait dans ses entrailles lorsque le moment de fermer les yeux approchait, chaque nuit, depuis son retour à la Citadelle.

Il avait survécu tout ce temps pour une unique raison : revenir parmi les siens. Ce n’était qu’une douce chimère, de toute évidence. Personne n’était présent pour l’accueillir à bras ouvert et effacer cette sensation désagréable d’être un étranger chez lui, même si le fait qu’il soit bel et bien ici risquait de faire beaucoup de bruit. Le prince avait fait demander sa famille, mais son père s'était engagé auprès de la Garde dans ce conflit au nord et sa mère … Oh, sa pauvre mère. Il lui avait brisé le cœur. Il était son seul enfant, son unique fils qu’elle avait vu devenir un homme, et lui n’en avait jamais fait qu’à sa tête, jusqu’à mettre sa vie en danger et disparaître dans la nuit comme tous ces hurlements qui le hantaient encore maintenant, dans le silence de sa chambre vide, accentuant son malaise. Avait-il encore seulement sa place ici ?

Résigné, Zachary se leva pour enfiler un manteau épais et sombre, à la recherche de chaleur, et pour dissimuler sa faiblesse peut-être. Une bougie à la main, il se mit à errer dans les couloirs du château. Ce n’était pas suffisant pour repousser les ombres qui l’entouraient et qui menaçaient de resurgir dès qu’il s’arrêtait une seconde pour songer à ce qui lui était arrivé, mais il n’avait pas encore eu la force de se rendre jusqu’au temple d’Hylia. La honte et l’échec étaient de lourds fardeaux à porter, d’autant plus lorsqu’on est seul pour le faire. Et il était seul, plus que jamais. Il étouffait.

La bibliothèque était vide, et il avait déjà lu chacun de ses livres. Ce ne serait pas suffisant pour occuper ses pensées. Les remontrances de la cuisinière lui revinrent en mémoire : il devait manger plus pour reprendre des forces. Il avait esquissé un mince sourire, promettant de faire des efforts, par simple politesse. En vérité, il ignorait s’il en était capable. Il avait perdu tous ses repères. Que voulait-il ? Il voulait que la douleur cesse dans son cœur. Lorsqu’il sortit de ses pensées, Zachary se frotta les yeux du revers de la main en poussant un profond soupir. Il pourchassait d’autres fantômes de ce passé qu’il ne pouvait récupérer. Le silence semblait alors se moquer de lui, en écho à ce tourment qu’il tentait de fuir. Ah ! Quelle cruelle plaisanterie ! Il ne pouvait pas fuir la prison de son propre corps maudit par cette sorcière !

Cet éclat de lucidité mêlé de colère l’arrêta brusquement dans cette course sans but alors qu’il ne trouverait que des portes closes. Voilà ce qu’il craignait. Voilà ce qu’il fuyait. Son propre reflet. Il s’approcha prudemment de la fenêtre, déposant la bougie à ses pieds afin de prendre appui contre la rambarde. La froideur du métal contre ses mains usées le fit légèrement frissonner avant qu’il ne releva un regard incertain devant lui. Pendant qu’il était prisonnier, Zachary était si concentré à sa simple survie et à protéger son cœur dans le domaine de l’Avatar du Néant qu’il n’avait pas pu prendre le temps de pleurer tout ce qu’il avait perdu. Maintenant qu’il était libre, il devait se confronter à la réalité. L’homme qu’il avait devant lui n’avait presque plus rien à voir avec le jeune chevalier de la Garde Blanche qui avait disparu lors du Millénaire et ce n’était pas parce qu’il avait les cheveux plus courts ou les joues creuses. Il ne serait plus jamais le gamin insouciant et un peu présomptueux qu’il avait été, bruyant et prompt à rire par simple joie de vivre. Le prince de la lumière voyait dans son regard éteint un homme fatigué et méfiant. Il se demandait s’il avait perdu à jamais cette partie de lui ou s’il l’avait simplement enfouie en lui pour se protéger. Il se demandait surtout s’il n’avait pas fini par succomber à la folie, sans s’en rendre compte tout à fait jusqu’à maintenant. Il avait vu l’envers du miroir et c’était égaré dans le savant labyrinthe qui séparait le mensonge de la vérité. Saurait-il retrouver son chemin ?

Un soupir las s’échappa de ses lèvres. Le chagrin était en train de le submerger et il ne voulait plus lutter. Quelle importance de toute façon s’il était seul ? Ses mains se serrèrent autour du garde-fou, le dos courbé, jusqu’à ce que ses doigts crispés en deviennent presque blancs, pourtant il ne pouvait pas le faire plier en deux, juste s’empêcher de fléchir complètement. Une première larme échappa à ses paupières à demi-closes, puis une autre, et encore une autre, jusqu’à ce que son corps soit finalement secoué de sanglots violents et silencieux. Il pleurait ses morts et son peuple qu’il avait abandonné derrière lui. Il pleurait pour lui aussi et chacun de ses regrets.

Zachary s’était écrasé tout doucement contre la rambarde, le front collé contre la surface, quelques secondes de plus que nécessaire quand ses pleurs se calmèrent enfin. Ses mains tremblaient encore. Momentanément vidé de toute son énergie, il se laissa glisser jusqu’au sol au lieu de tenter de faire quelques pas en direction du petit salon non loin. Il se retourna légèrement, replié sur lui-même, resserrant le manteau sur ses épaules et contre sa tête recouverte d’une fine couche de sueur. Sa respiration lui semblait si courte et à la fois rapide. Il était en état de détresse. Il n’aurait probablement pas dû faire le vide autour de lui.

Lorsqu’une main douce s’était déposée sur son épaule pour couper à travers l’épais brouillard qui était en train d’envahir son esprit, Zachary s’était immédiatement crispé. Il ne désirait pas être vu ainsi. Il désirait encore moins être touché. Instinctivement, les nerfs encore à vif, sa main gauche se leva pour saisir brusquement le poignet qui avait osé l’approcher avec assez d’audace pour aller à l’encontre de sa volonté, même si c’était un geste motivé par la sollicitude face à la souffrance d’un homme qui aurait dû être mort.

Le prince réalisa trop tard son erreur. Il n’avait pas prêté attention au bruit de ses pas légers. Il n’avait pas su tout à fait ressentir sa présence à travers le tissu. Il parvenait désormais à reconnaître cette main délicate qu’il avait tenue si souvent, d’un soutien indispensable pour lui, encore plus dans cette nuit sans fin où tout ce qu’il avait de plus laid remontait à la surface bien trop aisément. Il se répéta que tout allait bien jusqu’à ce que la pression de ses doigts se relâche. Il ne voulait pas entraîner quelqu’un d’autre dans sa chute. Encore moins quelqu’un qui lui était si précieuse. Nadë …

Des sentiments contradictoires venaient s’ajouter à son souffle douloureux pour troubler davantage son regard sombre et qui aurait pourtant pu paraître familier s’il ne lui dérobait pas ainsi ses traits. Zachary faillit bien se retirer malgré tout, dans un mouvement de recul, quitte à trébucher sur son manteau et se blesser. Ce toucher lui brûlait la peau et lui rappelait sa prière silencieuse bafouée par la chamane. Cela lui rappelait chaque instant passé au fond de sa cellule poussiéreuse. Sa chair implorait encore maintenant un maigre réconfort auquel il n’avait pas eu droit, auquel il ne se sentait pas digne, impur, incapable de laisser qui que ce soit le toucher ou seulement l’approcher. Il valait mieux l’oublier.

La voix douce et bienveillante de la Zora mit fin à ce silence oppressant qui lui enserrait le torse et lui donnait un regard fuyant. Alors, seulement, il ne put résister plus longtemps à l’envie de relever légèrement son menton vers le visage de son amie fidèle, malgré les sillons humides qui devaient encore marquer ses joues creuses comme de fines cicatrices. Il devait lui offrir un tableau bien pitoyable, son grand chevalier qui n’avait peur de rien ni personne. Il serra légèrement les dents en affrontant son regard. Ce ne serait pas la première fois qu’elle était déçue. Il le savait. Pourtant, il ne pouvait lire qu’une compassion infinie sur le visage de Nadë, de la tendresse, et une petite pointe d’inquiétude aussi, au-delà de cette blessure.

Zachary ne trouvait pas les mots, lui non plus. Que pourrait-il dire ? S’excuser ? Il n’y avait pas besoin de mots lorsque deux âmes en peine résonnent à l’unisson. Il avait bien cru qu’il ne la reverrait jamais ... Il leva simplement les bras pour étreindre la jeune femme qui l’avait retrouvé et venir enfouir son visage contre le ventre de sa dame. Il n’était plus un enfant. Il voulait tout de même rester encore ainsi un petit moment, pour que sa terreur s’éloigne, et que sa respiration s’apaise tout doucement, avant qu’elle ne l’aide à se relever, avec dévouement, patience et bienveillance, sans jugement, comme il l’en savait capable. S’il avait de la difficulté à trouver la force d’avancer, alors il pouvait emprunter la sienne. Il s’agissait de l’unique vérité en ce monde, pour le moment.

« Nadë … Est-ce que … c’est bien toi ? »

Il ne savait pas si sa voix étouffée et faible lui parvenait aux oreilles. Elle ne comprendrait probablement pas le sens véritable de sa question et pourquoi il avait tant besoin d’être rassuré. Cela n’était pas important. Elle l’attendait … Elle espérait son retour. Cette simple pensée suffit à faire renaître quelques larmes au coin des paupières du prince, des larmes de soulagement silencieuses, cette fois, tandis qu’un léger frisson secouait ses os, le cœur serré d’émotion. Tout n’était peut-être pas perdu.

Zachary semblait en ce moment être fait de porcelaine sur le point de se briser au moindre faux mouvement. Tout lui rappelait qu’il avait échoué dans son devoir. Pleurer n’était pas suffisant, mais il ne pouvait pas hurler toute sa douleur pour s’en défaire peu à peu. Il en perdrait la voix, ou la raison, et il effraierait tout le monde, il l’effraierait, elle, alors qu’il ne lui restait rien d’autre pour le consoler. Il avait probablement besoin d’une boisson chaude ou d’un vrai repas pour se ressaisir, ou encore d’une longue conversation, pas de rester dans un lieu aussi public quoi qu’il en soit, mais il n’était pas certain de vouloir retrouver la quiétude de sa chambre et de ses draps bien trop soyeux, si cela devait le priver de ce moment avec sa bien-aimée. Il resserra sa prise autour de la taille fine. Il ne souhaitait pas la relâcher si vite s’il pouvait l’éviter. Il refusait de la laisser disparaître une fois de plus comme un simple mirage dans la nuit lorsqu’il ouvrirait les yeux. Elle n’avait pas le droit de l’abandonner.

Alors que Nadë avait délicatement posé sa main sur l’épaule du prince, il réagit de manière inattendue, se crispant comme si un courant électrique l’avait traversé. Un frisson de surprise et de confusion traversa les yeux de la naïade alors que l’Hylien saisissait son poignet, la prise ferme mais tremblante. Le regard de Zachary était alors fuyant et tourmenté, comme s’il venait d’être pris en faute, comme s’il avait peur de quelque chose. Ses doigts se desserrèrent légèrement et il lâcha doucement sa prise. Il semblait à la fois reconnaissant de la présence de la jeune femme et en même temps, effrayé par le réconfort qu’elle lui offrait.

Au lieu de s’excuser de lui avoir fait peur, la Zora murmura simplement son nom d’une voix douce. Elle cherchait à apaiser ses craintes. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui avait provoqué une réaction aussi intense de sa part. Était-ce à cause d’une blessure, d’une douleur invisible sous son manteau ? Ou y avait-il autre chose ? Quelque chose qu’il ne pouvait pas lui dire ?

Nadë sentit ensuite les bras de l’Hylien se resserrer autour d’elle. Elle pouvait alors ressentir les tremblements du corps du blond, la tension de ses muscles tandis qu’il s’accrochait à elle comme s’il avait peur de la perdre à nouveau. Non en effet, il n’avait plus rien de l’enfant insouciant et intrépide qu’elle avait connu autrefois. Il était vulnérable à cet instant, cherchant de la sécurité dans les bras de la naïade qui l’accueillie avec dévotion. Zachary vint même enfouir son visage à la recherche d’un refuge dans ce moment chaotique. La Zora hésita, un petit instant, avant de passer doucement sa main dans les cheveux du prince, caressant ses mèches blondes d’un geste tendre. Ses doigts effleurèrent doucement sa nuque, une tentative silencieuse de lui transmettre son soutien, son amour, tout ce qu’elle n’arrivait pas encore à mettre en mots.

« Oui…. C’est moi. » Répondit-elle doucement, la voix légèrement tremblante tandis qu’elle serrait un peu plus fort l’homme qu’elle tenait dans ses bras, lui rappelant qu’elle ne le laisserait pas affronter ses démons tout seul. « Je suis là. Tu n’es pas seul. »

Encore une fois, les paroles de la naïade étaient douces, emplis d’une tendresse infinie. Elle espérait qu'à travers ces mots, il pourrait sentir la profondeur de son engagement envers lui et l'amitié inébranlable qui les unissait toujours. Elle ne pouvait pas effacer les horreurs qu'il avait vécues, mais elle pouvait lui offrir sa présence, son écoute, et un soutien sans faille.

Dans le silence de l'instant, Nadë sentit le poids de la douleur de Zachary, mais elle refusa de le laisser sombrer dans l'abîme de son chagrin. Elle serait sa lumière dans l'obscurité, sa force quand il se sentirait faible, son espoir quand tout semblerait perdu. Elle resta là, lui offrant son épaule sur laquelle pleurer, sa main pour le guider à travers les ombres, et son cœur, ouvert et chaleureux, pour l'accueillir sans jugement.

La Zora se laissa ensuite guider par son instinct. Elle glissa doucement ses bras autour du prince, cherchant elle aussi du réconfort. Elle se blottit contre lui, posant sa tête contre son épaule, cherchant la chaleur apaisante de sa présence. Elle aurait alors pu jurer entendre leur cœur battre en harmonie, trouvant du soutien dans le rythme régulier de l’autre. Dans le silence de leur étreinte, Nadë prit une profonde inspiration, rassemblant tous on courage pour briser le poids terriblement pesant de l’atmosphère. « Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis heureuse de revoir. » Dit-elle la voix étranglée par l’émotion qu’elle peinait à contenir. Les mots se bloquèrent encore une fois dans la gorge de la blonde, mais elle savait qu’elle devait les exprimer. Tremblante, elle se redressa un peu, son regard noisette cherchant désespérants les yeux océans de Zachary. « J’ai eu tellement peur… de ne plus jamais te revoir. » Ses lèvres chevrotèrent et un sanglot étouffé s’échappa de sa gorge. Des larmes, silencieuses mais puissantes, commencèrent alors à couler le long des joues de Nadë.

Tu n'es pas seul. Zachary s'était égaré parmi les ténèbres de son esprit et cette promesse brillait doucement, avant de grandir peu à peu, nourrie par la force de chaque souvenir partagé entre ces deux jeunes gens. Il n'avait plus besoin d'avancer à tâtons. Il resserra légèrement son étreinte et accepta la chaleur qui lui était gracieusement offerte. À son tour, il lui était impossible d'être aveugle et sourd au lourd chagrin qui enveloppait la frêle demoiselle. Il connaissait trop bien cette peur qui lui avait dévoré l'esprit pendant toutes ces lunes d'isolement. Il ne lui avait jamais dit à quel point il tenait à elle, bien qu'il le lui avait démontré de tant de manières différentes.

« Je suis là. »

Il espérait que sa voix calme et assurée lui apporterait un maigre réconfort. Tout le monde n'avait pas eu la même chance, après tout, et ce serait encore pire maintenant pour rectifier l'affront à l'Avatar du Néant. Zachary pensait notamment à son cher ami qui avait vaillamment combattu à ses côtés pendant le Millénaire de l'Unification. Il avait envie de se confier à ce propos à la naïade, à voix basse, à demi-mots, bien qu'elle devait s'en douter en le voyant revenir en si piteux état plutôt qu'en héros couronné de gloire, mais lorsqu'il leva de nouveau ses iris bleus sur le visage d'ange de celle qui lui avait donné tant de courage dans les heures les plus sombres et qui continuait à le faire en cet instant précis par sa simple présence, un détail qu'il avait négligé jusqu'alors balaya tout le reste. La stupeur se peignit sur les traits aiguisés de l'Hylien et il leva la main par instinct pour recueillir la peau tuméfiée dans la fraîcheur de sa paume, avec délicatesse, plus inquiet pour les autres que pour lui, fidèle à lui-même. Nadë était blessée !

« Je n'étais pas là alors que tu avais besoin de moi ... »
 chuchota-t-il, percé d'effroi et de chagrin.

Zachary avait l'impression que les mots exprimés plus tôt perdaient tout leur sens. Il était arrivé trop tard. Il entendait d'avance une protestation courtoise naître dans l'esprit de la Zora. Ce n'était pas sa faute, tout de même, s'il était retenu entre les griffes de l'ennemi. Le prince retint un rictus mince et amer. Il n'avait pas envie de débattre sur la question. Il n'avait surtout pas l'énergie ni la patience nécessaire pour éviter une querelle, alors qu'il ne savait pas ce qu'elle avait traversé, lui non plus, et qu'elle n'était pas obligée de lui en parler. Tout ce qu'il savait, au fond de lui, c'était qu'il partageait sa détresse : cette crainte de ne plus jamais pouvoir la revoir. Une crainte qui prenait vie sous ses yeux à cet instant, et l'écho d'une promesse sinistre s'élevait dans l'air autour de lui, suffisante pour le faire légèrement tressaillir : tout ce que tu as de plus précieux sera réduit en cendres.

En effet, son irritation trouvait uniquement sa source dans sa profonde mélancolie et sa lassitude face à sa situation. Il ne douterait jamais que la maîtresse de l'eau à ses côtés soit capable de transformer leurs larmes en quelque chose de magnifique, afin d'alléger l'atmosphère et de les distraire au moins pendant quelques minutes. Qu'en était-il de lui ? Que pouvait-il faire ? Il n'était pas guérisseur, par Hylia. Il était d'ailleurs soulagé que ce n'était rien de grave, à première vue, mais cela ne l'empêchait pas d'être furieux contre la personne qui avait osé faire du mal à Nadë, par delà même la brume de ses cauchemars. Il comptait bien obtenir le fin mot de cette histoire et un nom.

Son regard égaré dans celui de la blonde lui souffla la réponse qu'il cherchait. Il n'avait pas besoin de faire rien de plus que retrouver ses côtés afin de l'apaiser et de l'épauler autant que faire se peut, malgré ses propres obstacles, qui l'empêchaient en ce moment de trouver une taquinerie appropriée pour la faire rire. Comme il aimait entendre son rire. Il aurait voulu l'entendre, ce soir, alors que toutes les certitudes s'envolaient durant cette époque sombre qui ne prendrait pas fin malgré cette petite victoire et le retour à la liberté. Il y en avait une, cependant, que le Temps ne savait changer. Il était amoureux de son amie d'enfance. C'était cet amour, et celui de sa famille qu'il espérait pouvoir retrouver, qui lui donnait la force d'affronter la réalité au lieu de s'enfuir comme un mendiant. Peut-être pourrait-il compter sur l'amitié fidèle de quelques-uns également.

« Nadë ? »


Sa voix n'était plus qu'un souffle à peine audible parmi le silence. Il ne saurait dire s'il l'avait interrompue. Leurs visages étaient déjà si près. Son intention devait être lisible dans l'éclat nouveau de ses yeux. Puisqu'ils pouvaient mourir demain, alors que les ennemis d'Hyrule et des Nohansen semblaient devenir de plus en plus nombreux, comme dans les temps anciens, le prince ne souhaitait pas garder son secret plus longtemps, et elle ne l'arrêta point. Il cueillit ses lèvres comme on vient cueillir une fleur au printemps, symbole d'espoir, un contact bref, léger et éphémère qui serait pourtant gravé à jamais dans leurs mémoires. Il s'en dégageait l'hésitation habituelle du jeune homme. Ce moment aurait dû être porteur d'allégresse. Ils l'avaient espéré depuis tant d'années en silence. Pourtant, le sourire timide de Zachary s'était décomposé tandis qu'il détournait le regard en baissant la tête et qu'il rétablissait même une certaine distance entre lui et sa meilleure amie, une distance qui s'apparentait à un abîme béant après avoir échangé ce baiser inespéré. Il gardait ses mains de poupée entre les siennes plus usées, pour le moment, car il n'était ni cruel, ni rongé de regrets, en ce qui le concerne. Il était simplement réaliste. Il n'avait rien à lui offrir : ni vertu, ni honneur, ni sagesse, juste sa dévotion et son coeur fragile.

« Entends-le bien, Nadë. L'homme que tu connaissais et admirais naguère n'est plus qu'un spectre condamné à errer sur ces plaines, désormais, je le crains. Tu ne le trouveras pas ici. »


Il n'était peut-être guère mieux loti qu'un infirme à présent, son bras retenu par une peur innommable et ses blessures, même s'il en venait à récupérer toute sa vigueur d'antan. Il ne voyait pas encore comment la vaincre autrement que par une haine aveuglante qui le terrifiait tout autant. Il ne serait alors plus jamais un grand seigneur en ses terres, mais bien un objet de pitié et de murmures. Est-ce que c'était véritablement un avenir que son ambassadrice préférée pourrait envisager à ses côtés ? Il ne pouvait s'empêcher de craindre que son bonheur s'effrite alors qu'il le touchait du bout des doigts. D'une main et en silence, il guida lentement la main de Nadë jusqu'à la joue qui portait encore cette fine cicatrice presque invisible aujourd'hui et qu'elle avait soigné. Il espérait qu'elle comprendrait son message. Son titre de haute noblesse ne l'avait pas épargné, au contraire, il avait attisé le mépris des ennemis d'Hylia. Un jour, la Zora lui avait promis qu'elle ne lui tournerait pas le dos, quoi qu'il advienne de lui. Il se demandait s'il ne devait pas la délivrer de ce serment envers lui.

« Il aurait dû te dire plus tôt qu'il t'aimait, tout ce temps. »


Plus aucun doute n'était permis. Ce n'était pas un simple moment d'égarement, poussé par un besoin de tendresse au coeur de la tempête. Il s'agissait de l'honnêteté d'un homme blessé qui ne désirait pas douter qu'il soit encore digne de son affection ou non, même si elle ne possédait pas toutes les pièces du casse-tête, et qu'ils devraient encore parler longuement de choses et d'autres, pas toutes agréables mais nécessaires, jusqu'à ce que la nuit leur semble moins sombre et froide. Il était prêt.

La réponse qui fut offerte au prince le surprit et il retourna légèrement son regard en direction de la Zora qui se tenait forte et fière devant lui. Ce n'était pas tant le fait qu'elle puisse comprendre ce qu'il ressentait qui l'étonnait, mais plutôt qu'elle affirme tout son amour pour lui sans une once d'hésitation.

La Nadë qu'il connaissait aurait certainement rougi devant sa déclaration, si franche et directe, quitte à lui en couper le souffle. Elle se serait peut-être même légèrement mordu la lèvre en lui demandant si c'était une autre de ses plaisanteries sans oser affronter le regard bleu et sûr qui lui faisait face. Le Zachary qu'elle connaissait, quant à lui, n'aurait pas pu s'empêcher de pouffer de rire avant de la soulever de terre par la taille et de lui prouver à quel point elle était précieuse en son cœur, dûsse-t-il lui chuchoter des compliments pendant des heures. C'était une vision agréable ... Mais ce n'était rien de plus qu'une tendre chimère née dans un esprit rêveur. Deux ombres jumelles qui dansaient autour d'eux dans la poussière et le silence. Les masques tombaient. Les rôles semblaient s'être inversés. Il était celui qui avait perdu son courage. Ou alors, il l'avait oublié.

« ... D'accord. » souffla-t-il, presque douloureusement.

Un sourire revint se poser sur ses lèvres, signe que cette détermination avait quelque chose d'amusant, et de charmant, malgré tout. Zachary resserra légèrement le manteau sur ses épaules, arborant ainsi sa nouvelle armure, à la recherche d'un peu de chaleur à saisir entre ses doigts glacés. Avec hésitation, comme s'il craignait de se brûler, il accepta la main qui lui était tendue pour se relever lentement, ayant du mal à retrouver son équilibre, prenant appui contre les épaules de son amie. Il faillit s'excuser. Pourtant, il n'avait pas bu une seule goutte d'alcool. La tentation avait été présente. Il connaissait chaque recoin du château qui pouvait lui offrir une boisson épicée qui éteindrait doucement la douleur en lui. Toutefois, ce n'était qu'un poison différent. Une ombre de plus au tableau. Son humeur était déjà suffisamment instable sans ajouter de l'huile sur le feu.

« Je crois que je suis entre de bonnes mains. » Il essayait de récupérer les morceaux de l'homme qu'il était afin de pouvoir les recoller ensemble. Maladroitement, peut-être, mais c'était ce qu'il avait de mieux à offrir. Les larmes lui piquaient encore les yeux, alors il s'éclaircit la gorge pour tenter de retrouver contenance et sortir de sa tête. « Tu ne m'as pas dit ce que tu faisais debout. Est-ce que tu as faim ? »

Cela lui donnerait une bonne raison de se débarrasser discrètement de son repas abandonné sur le coin de la table dans ses quartiers, sans que les serviteurs ne s'inquiètent davantage, pendant quelques heures de répit. Son teint pâle devait témoigner de son état véritable. De toute façon, Nadë devait l'avoir senti lorsqu'il l'avait serrée dans ses bras. Il était à bout de forces. Il faisait peine à voir en tant que soldat et en tant que prince ...

Zachary connaissait trop bien son amie d'enfance pour manquer la déception qui marqua ses traits, bien qu'elle tenta de le masquer. Il n'aurait peut-être pas dû l'embrasser. Pas ici ; pas maintenant ; pas alors qu'il tremblait encore entre ses bras. Comprendrait-elle que le manque de détermination qu'elle croyait discerner n'était que l'effet de sa faiblesse générale ? Il l'espérait de tout son cœur.

Hébra ? Il ne voyait honnêtement aucune raison pour laquelle la naïade aurait pu attirer l'attention ou la colère de ces Piafs. Il mènerait son enquête à ce sujet plus tard. Sa simple question semblait avoir troublé Nadë, aussi, il n'insisterait pas. Tous deux avaient déjà assez de poids à supporter pour cette nuit, malgré le fait qu'il soit parfois plus facile d'affronter une douleur lorsque celle-ci était partagée. Zachary se laissa guider jusqu'à sa chambre, bien qu'il eut un moment d'hésitation avant d'acquiescer, par égard pour les convenances sociales. Il n'était pas certain qu'il aurait été capable d'en faire autant par ses propres moyens. Il demanda même un petit moment d'arrêt. Il laissa échapper un court soupir d'aise lorsqu'il fut enfin installé sur le fauteuil confortable. Un peu d'eau fraîche lui ferait en effet le plus grand bien. Il tenterait également de manger un peu de pain. Pour le moment, néanmoins, il ne souhaitait pas bouger d'un pouce.

« Nadë ... Est-ce que ... tu pourrais chanter pour moi ? » hésita-t-il.

Le prince sembla chercher quelque chose sur son visage soucieux. Il tentait surtout d'oublier la crainte que tout ceci ne soit qu'une douce chimère de plus puisque ces couloirs qui lui étaient si familiers étaient dépourvus de leurs visages et de leurs rires. Il ne voulait pas vraiment qu'elle le laisse seul mais cela ferait jaser. Même si le château était pratiquement désert. Alors, il garda le silence sur ce point précis, déposant simplement sa tête sur l'un des genoux de sa précieuse ambassadrice, ne lui demandant rien de plus que de rester, le temps qu'il s'endorme.

« Lorsque je ferme les yeux, tout ce que j'entends, ce sont des cris. » chuchota-t-il. Souvent ceux des autres qu'il avait abandonné derrière lui. Parfois les siens aussi. Si ceux-ci ne le poursuivaient pas au-delà du réveil. La voix douce de la naïade saurait peut-être percer les ténèbres, au moins pour cette fois. Il ne repousserait certainement pas sa main si celle-ci venait se perdre contre son front ou ses cheveux afin de l'apaiser avec tendresse. Il aurait tant aimé pouvoir en faire de même. Elle devrait se contenter de sa présence comme seul réconfort pour le moment.