When we stand face to face the world stops and lies still • Sebastian Hesediel

La morsure de la lame dans son cou lui arracha une grimace tandis que son regard était désormais braqué sur son ami, le suppliant de ne pas commettre l’irréparable, qu’importe la raison. Plus il s’avançait et plus la lame appuyait sur sa peau, le forçant à s’arrêter pour contempler son impuissance. Elle le lui avait bien dit, de ne pas jouer au héros une nouvelle fois, et elle savait qu’il ne l’écouterait probablement pas. Il ne l’avait jamais fait. C’était pour cette raison qu’elle avait dû s’armer d’indifférence, afin de l’éloigner. Il était trop têtu, trop obstiné, sinon. Et elle le voyait bien, à son regard, qu’il avait pris une décision en la voyant ainsi, à la merci de ce couteau qui n’avait qu’à appuyer une bonne fois pour toute sur sa gorge pour trancher sa jugulaire et la laisser là, à se vider de son sang. Son royaume serait alors en proie à de terribles difficultés. Xanto reviendrait certainement comme un sauveur de son exil, pour prendre la place qu’il avait toujours convoité. Elle n’en doutait pas un instant. Était-il derrière tout cela ? Probablement pas, l’attaque d’Itzal l’avait autant desservi que lui. Mais il saurait probablement tirer son épingle du jeu, une fois qu’elle aurait été balayée de l’échiquier. S’imaginer cela, l’écœurait.

Elle s’en voulait, encore, de devoir lui faire vivre cela. Elle avait pourtant été prudente, mais il était apparu si soudainement dans son dos, qu’elle n’aurait pas été en mesure de le voir arriver. Sa seule faute avait été de s’éloigner un peu trop de celui qui était censé la protéger. Une petite erreur qu’elle ne voulait absolument pas payer de sa vie, ni de la sienne.

« — Vous êtes aux premières loges pour assister à leurs morts. Ne détournez pas le regard. Ceci est votre faute, Reine incompétente et incapable. » L’entendit-elle lui susurrer à l’oreille lorsqu’il s’y glissa.

Midona ne pouvait que regarder le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Le cœur au bord des lèvres, elle retint sa respiration, soudain mutique, lorsque le vieil homme manqua de lui ravir cet homme si précieux, d’un seul coup. Si elle n’avait pas senti les pulsations de son corps battre férocement dans sa poitrine, elle aurait pu croire qu’il s’était arrêté, tant l’angoisse l’avait étreint pendant quelques secondes, laissant les vestiges de son passage au coin de ses cils. Les larmes violemment réprimées et la panique dépassée, ce fut la colère qui apparut. Elle serra les poings, ses ongles mordant dans sa chair avec fureur. Le sol trembla sous leurs pieds lorsque la magie fut détournée de son axe initial et, dans l’agitation, la rousse parvint à glisser l’une de ses mains derrière sa cuisse afin d’établir un contact discret avec l’homme qui la tenait.

« — Un de moins. » Ajouta l’homme d’une voix moqueuse. « Le meilleur pour la fin. »

Le Capitaine Myre tomba à terre en se tenant l’abdomen, la main ensanglantée et gémissant de douleur. Midona scruta avec anxiété l’homme qui se roulait par terre et se surprit à être soulagée que ce ne soit pas Sebastian à sa place, bien qu’elle soit désolée pour le marin. Le pauvre homme ne méritait pas un tel sort et c’était certainement grâce à lui que l’Hesediel se tenait toujours sur ses jambes, même si sa stature semblait bien chancelante. Son regard retomba sur son ami, soucieuse. Ce dernier ne mit pas bien longtemps avant de se venger, utilisant ses ombres pour le frapper en plein cœur, tailladant grièvement son adversaire. Le vieil homme agonisant s’écroula sur le sol en gémissant et Midona tourna un peu la tête vers celui qui la tenait toujours.

« — Un de moins. » Répéta-t-elle.

Elle n’entendit pas tout à fait les paroles de Sebastian, saisissant simplement la fin « demoiselle en détresse », et vit au regard qu’ils échangèrent, ce qu’il attendait d’elle. La rousse n’accepterait certainement pas d’être qualifiée de la sorte. Elle avait prouvé, au cours des dernières lunes, qu’elle était indépendante et forte. Même si elle ne se montrait probablement pas sous son meilleur jour. Trop crispée pour lui offrir ne serait-ce qu’un rictus. Trop angoissée à l’idée qu’il ne s’effondre et qu’il ne se relève pas. Trop concentrée sur sa propre magie et sur les mouvements de l’homme derrière elle. Ce dernier était étonné par le pouvoir de son ami et cherchait à s’éloigner des ombres, craignant qu’il ne puisse l’atteindre. Il était pourtant évident que la magie de Sebastian n’était plus que peau de chagrin et qu’il finirait par tomber.

C’était le moment où jamais.

Profitant de ce léger moment de flottement, sa main se crispa et rentra en contact avec la cuisse de son ravisseur. L’instant d’après, les rôles étaient inversés. L’homme fut surpris quand la rousse s’esquiva de son emprise pour se retrouver derrière lui, quittant la menace du couteau. Se retrouvant dans une position de force et profitant de l’effet de surprise, elle posa brutalement ses deux mains contre son dos. Une boule d’ombre dans chacune de ses paumes apparut et elle le frappa violemment. L’homme n’eut pas le temps de se retourner pour réagir, et fut projeté sur quelques mètres, s’écrasant contre le phare dans un craquement sinistre. Midona ne s’arrêta pas là. Aveuglée par la rage, elle rappela sa magie pour que les orbes d’ombre dansent autour d’elle, avant qu’elles ne s’écrasent à nouveau sur cet homme qui l’avait menacé. La fureur accompagnait chacun de ses pas, chacune des orbes qu’elle matérialisait, pour qu’elle accable ce corps de toute sa rage. Elle sentait un torrent d’émotions l’envahir, qu’elle s’efforçait d’utiliser dans sa magie. La colère était une essence particulièrement puissante aux ombres qu’elle envoyait.

Sa magie s’amenuisait et elle avait le goût du sang sur la langue quand elle se mit à saigner du nez sous l’effort que cela lui demandait. Elle était épuisée. Mais elle continua. Encore. Encore. Jusqu’à ce que le corps qui gisait sous les décombres ne soit plus qu’un amas de chair et de sang. Il payait pour tout ce qu’on lui avait fait vivre au cours des dernières lunes, de toute la colère qu’elle avait emmagasinée et qu’elle avait gardée précieusement enfoui depuis tout ce temps. Elle ne voyait pas que le visage déformé de cet homme, mais ceux de tous les autres, celui de Ganondorf en premier, qu’elle aurait tant désiré pouvoir écraser de la sorte. Le phare tremblait sous l’effet de l’acharnement, les morceaux se délitant, la lumière vacillante lorsqu’elle toucha le mécanisme.

« — Je n’ai pas survécu à tout ça pour me faire tuer comme un animal ! » Cracha-t-elle avec rancœur.

Elle fut bien incapable de dire pendant combien de temps elle s’acharna de la sorte. La fureur retomba lorsque la magie lui fit défaut, la ramenant dans le moment présent, détachée de sa rage. La fatigue lui tomba dessus lourdement mais l’adrénaline lui permettait de tenir encore debout. La Reine Crépusculaire porta une main à son visage, essuyant le sang du dos de celle-ci avant de se tourner et de chercher du regard le capitaine, et surtout Sebastian. En quelques pas lourds, elle rejoignit ce dernier et le prit dans ses bras pour le serrer contre elle, avec toute la force qu’il pouvait bien lui rester, s’agrippant à lui comme s’il risquait de s’évaporer. Elle murmura son prénom, pour chercher à savoir s’il était toujours conscient, effleurant son visage fiévreux de sa main. Difficile de savoir s’il était encore conscient, les yeux à semi-ouverts, et la respiration sifflante. Il s’était donné dans ses derniers retranchements. Elle prit peur lorsqu’il ne réagit pas à son toucher mais n’osa pas le secouer pour autant.

« — Sebastian… Réveille-toi… » Le supplia-t-elle dans un souffle, cherchant le contact avec sa peau du bout de ses doigts tremblants. « Tu m’entends ? » Elle avait la gorge nouée. « Excuse-moi… » Pour tout ce qu’elle lui avait fait vivre, pour l’état dans lequel il se trouvait, pour son imprudence.

Elle se pencha un peu sur son visage, le berçant de ses bras, espérant qu’il lui montrerait une étincelle de vie. Elle savait reconnaitre les effets d’un surmenage mais elle savait aussi que trop de fatigue pourrait le faire sombrer dans un coma et elle ne voulait pas que cela arrive. Pas tout de suite en tout cas, il fallait déjà se sortir d’ici. Ses doigts tapotèrent doucement ses joues, cherchant à éveiller une réaction de sa part. Soudain, elle entendit du bruit et sursauta violemment lorsque la porte du phare s’ouvrit à la volée, certaine que c’était le reste de la bande qui venait l’achever. Sa main tremblante chercha à prendre le poignard qu’elle dissimulait sous sa robe, prête à se défendre avec l’énergie qui lui restait, aussi peu qu’il pouvait lui en rester. Mais elle reconnut finalement les visages anxieux de deux des marins qui les avaient accompagnés et pu se détendre un peu lorsqu’ils s’approchèrent d’elle. Ces derniers, armés, se détendirent également quand ils se trouvèrent face à la Reine.

« — On s’est dépêchés dès qu’on a vu qu’y avait un problème ! » Fit l’un d’eux en scrutant Sebastian.

Midona désigna le Capitaine Myre de la main et ils le rejoignirent sans attendre. Ils tombaient à pic car elle aurait été bien incapable de s’occuper des deux en même temps, et était beaucoup trop préoccupée pour se décider à redescendre seule. En plus de cela, elle serait bien incapable de porter les deux en même temps, n’étant pas certaine de pouvoir descendre tous ces escaliers d’elle-même. Il fallait pourtant qu’elle se fasse violence. Usant de toute l’énergie qu’il pouvait lui rester, elle mit l’un des bras de Sebastian au-dessus de ses épaules pour le soulever et essayer de le faire marcher, ou de le trainer si nécessaire. Après avoir fait quelques pas, l’un des deux marins vint l’aider à descendre les escaliers tandis que l’autre aidait le capitaine. Ils arrivèrent difficilement jusqu’aux barques puis ils furent hissés dans le bateau à l’aide du reste de l’équipage. On les accompagna jusqu’à la cabine dans laquelle ils installèrent deux petits lits de camp sur lesquels le capitaine et Sebastian pourraient se reposer, le temps de retourner à Abyssal. Midona s’assit près de ce dernier, soucieuse. À mesure que l’adrénaline se dissipait, elle sentait son corps se faire plus lourd, plus fatigué, et ses muscles plus douloureux. Elle tenait pourtant, s’interdisant à tout prix de sombrer, qu’importe si sa tête devait lui faire aussi mal.

« — Excuse-moi… » Souffla-t-elle à nouveau en lui prenant la main.

Au moins, il n’aurait pas le mal de mer cette fois-ci.

Le sommeil menaçait de l’emporter, bercée par les mouvements de la goélette qui reprenait vie sous leurs pieds. Elle avait donné tant d’énergie et de magie qu’elle se sentait doucement partir dans un autre monde qui lui semblait alors bien plus réconfortant que celui dans lequel elle luttait pour rester éveillée. Tout son corps était si lourd qu’elle n’était même pas certaine de pouvoir se relever maintenant qu’elle était assise. Cela n’avait pas d’importance puisqu’ils étaient en sécurité, à moins qu’il n’arrive une autre péripétie avant leur retour à Abyssal. Elle n’était pas certaine de pouvoir sortir du bateau et il était hors de question qu’on la voit portée hors de ce dernier par les marins. Soit il fallait qu’elle se remette rapidement, soit elle exigerait de se reposer un peu sur le bateau. Juste le temps qu’elle reprenne un peu de couleur. L’une de ses mains glissa jusqu’à son cou et suivit l’entaille ensanglantée sur sa gorge, essuyant le sang avec ses doigts, avant de le regarder comme s’il appartenait à une autre personne. Midona ne prenait pas tout à fait conscience de ce qu’il venait de se passer. Tout était arrivé si vite. Est-ce qu’elle avait bien failli mourir aussi bêtement que cela ? Quelle imbécile elle faisait.

Elle releva le nez lorsqu’il remua un petit peu près d’elle et qu’il ouvrit les paupières pour la regarder. Il était dans un piteux état et elle s’en voulait terriblement qu’il le soit, même si elle était reconnaissante que sa vie compte à ce point pour qu’il mette en danger la sienne. Quelque chose lui disait qu’il n’était pas entièrement question de son rang dans ces actes héroïques. Elle le ressentait au regard qu’il lui adressait, à la tiédeur de sa main contre la sienne, à cette vaine tentative de réassurance qu’il souffla d’une voix déformée par la fatigue. Elle prit un linge pour essuyer ses lèvres lorsqu’il toussa, fronçant un peu le nez pour lui signifier que ce n’était pas vrai, avant qu’un sourire tendre apparaisse sur les lèvres. Bien sûr qu’il y avait des raisons de s’inquiéter.

« — Et je suis soulagée que tu sois vivant. » Dit-elle doucement. « Nous sommes quittes… Pour l’instant. Cependant, si je dois te porter jusqu’à l’auberge, nous ne le serons plus. » Ajouta-t-elle avec une touche d’humour. Était-ce la seule raison de son aide ? Pour effacer les dettes de leurs dernières escapades ? « Et puis, le sommes-nous réellement ? » Sa voix était plus sérieuse, un peu éraillée également. Elle se racla la gorge. Ce n’était pas le moment de partir sur de grandes discussions et sa tête la lançait douloureusement. Elle voulait aborder un sujet et hésita à se lancer. « Je veux dire… J’ai encore l’impression de te devoir quelque chose. Et… » Après quelques instants de réflexion, elle se ravisa, serrant ses doigts dans la paume de sa main. « …Cela peut atteindre que nous soyons en meilleur état. » Conclut-elle avec une petite grimace.

Le bateau tanguait doucement et continuait de la bercer. Elle finirait par s’assoupir à force de subir ce rythme régulier et agréable, reposant et réconfortant. Le monde semblait s’être de nouveau calmé, son esprit apaisé, du moment qu’elle l’avait près d’elle. Ils auraient certainement du travail à leur retour qui prendraient quelques jours, du fait de leurs états. Elle avait intérêt à récupérer un peu avant de se présenter à Itzal dans son état. On lui poserait trop de questions. Elle avait hâte de savoir si tout ce qu’ils avaient vécu, leur servirait. Sebastian était bien plus doué qu’elle dans ce domaine-là, alors elle compterait beaucoup sur sa participation dans ces recherches. Elle lui faisait confiance pour l’éclaircir sur ces points d’ombre. Alors, peut-être oserait-elle lui poser cette question une prochaine fois, celle qui lui picotait le bout de la langue et qu’elle aurait dû lui poser il y a bien longtemps.