Stay soft feat. Vetio l'Éclairé

Poppy la Rêveuse. Elle portait son nom mieux que personne. Au départ, Vetio était un peu confus quant à la proposition de son ami Basil. Accueillir quelqu'un de nouveau à la Guilde des Magiciens était certes son travail, mais habituellement, on lui proposait plutôt de jeunes combattants comme Ejo ayant besoin de pratiquer leur magie. Pas quelqu'un pour s'occuper de ses affaires. Pas quelqu'un pour faire le ménage ou ranger derrière lui sous prétexte qu'il a laissé des livres en vrac dans son bureau. Mais soit, il lui doit bien ça. Il ne s'était juste pas attendu à ça... Pas attendu à elle. Une jeune Kokiri qui semble vivre la tête dans un autre monde, trop lointain du sien, facile à berner mais d'une gentillesse à toute épreuve. Jeune, en l'occurrence, il lui reste bien des choses à apprendre de ce monde.

Alors, au début, il avait fait comme si de rien était. Il l'avait accueilli aussi chaleureusement que ses disciples, lui avait montré chaque coin de la forteresse pour qu'elle ne se perde pas, l'avait présenté à ses amis. Pourtant, à chaque fois, il bégayait sur le mot domestique et son visage s'étirait en des grimaces peu flatteuses. Il faut dire qu'en cent ans de vie, il n'avait jamais eu personne dans les basques pour s'occuper de sa désorganisation, et elle s'y prenait trop bien, si bien qu'il se demandait parfois comment il pouvait avoir vécu dans tant de bazar alors qu'une fois les choses rangées, il était si facile de les retrouver. Elle apportait une douceur et une ignorance à son quotidien qui le faisaient parfois rire car il a la fâcheuse manie de penser qu'elle se moque de lui. S'il était parfois si difficile de lire l'expression de son visage, c'est parce qu'il se surprenait à penser à cette époque révolue où Dune partageait sa vie d'une toute autre façon.

Traversant les couloirs avec Ginko assise confortablement sur les épaules, Vetio revenait d'une promenade qu'il avait effectué à l'aube au pied de la forteresse pour remplir des sachets d'herbes en tout genre. Il avait la même allure que tous les jours, avec son chapeau vissé sur la tête et sa longue cape brune qu'il interdisait à Poppy d'y toucher ou de la laver, car elle était trop précieuse pour cela. Empreinte de magie, il voulait être le seul à la laver et profitait de ce genre de sorties pour la nettoyer tranquillement à l'ombre des arbres. Après avoir retrouvé les portes de ses appartements, il s'y glissa avec la discrétion d'un chasseur et déposa ses effets dans l'espace dédié à l'entrée, retira ses chaussures d'extérieur et enfila ses chaussons de cuir avant de se remettre à marcher jusqu'au bureau, où il espérait croiser Poppy en train de ranger pour avoir une occasion de la saluer. Mais quand il passa le nez par la porte, il vit qu'elle n'était pas en train de ranger, mais confortablement installée à son bureau en train de lire. Déglutissant, il se fit tirer l'oreille par sa petite fée qui se précipita vers Poppy sans attendre, à afin de rejoindre Naya, que Ginko adorait déjà.

Le Kokiri se râcla la gorge alors qu'il s'approcha pour venir lire par dessus son épaule ce qu'elle avait dégoté. « Bien le bonjour, la Rêveuse. » lança-t-il en posant une main sur le document pour l'attraper, avant de venir s'asseoir sur le bord du même bureau et de froncer les sourcils, muet quelques secondes, en la regardant. Intérieurement, il s'amuse. C'est son petit jeu d'afficher un air neutre et de la regarder dans le silence de longues secondes pour la déstabiliser. « Insuffler la vie aux végétaux, hum ? » Il est vrai que malgré la lune passée ici, il ne connaissait rien de sa magie, puisque ses tâches quotidiennes en étaient dépourvues en sa présence. Il roula alors le parchemin et le reposa avec les autres. « La nature est un être tout entier. Imagine la comme un corps géant. Nous sommes des bêtes vivants sur sa peau pour l'entretenir. Les plantes sont comme des cheveux qui poussent, et qui finissent par tomber une fois morts afin de laisser d'autres cheveux repousser. Si tu décides malgré toi de raccrocher à la vie ce cheveu qui était tombé, tu risques de l'endommager. Puisqu'on ne ramène pas un être mort à la vie, il en va de même pour les plantes. Aie patience, et tu verras qu'avec un peu d'eau et de terre, tu n'auras même pas besoin de ce sort pour en prendre soin. » commente t-il en croisant les bras sur son torse, révélant ses ongles tâchés de terre. Poussant un soupir las, il tourna la tête pour observer son bureau en désordre. Visiblement, malgré l'heure, elle n'avait pas encore fait grand chose. En même temps, lui-même étant un procrastinateur, il ne peut pas lui en vouloir. « Pourquoi t'intéresses tu à ce sort ? » demande t-il finalement en penchant son grand corps en ayant, plissant des yeux avec curiosité en la regardant.

Le doute s'immisce dans son esprit. Elle a de beaux mots, un beau cœur aussi de ce qu'il entend. « Tu romps l'équilibre de la nature. Un animal sauvage qui n'est pas capable de se nourrir seul meurt. Pour tes îlots, c'est globalement le même principe. Les plus faibles dans ce monde n'ont pas besoin d'aide, juste de volonté de survivre. » Il plisse désormais les yeux. Un soldat sur le champ de bataille, qu'il soit bien nourri ou non, n'en devient pas meilleur. Seul l'entraînement, la volonté sont capables de l'endurcir. Ce n'est pas après cent ans de vie dans ce monde qu'il changera d'avis, bien au contraire. Il a ses principes de guerrier ancrés dans le sang, autant que sa passion pour les plantes. C'est probablement ce qui le déstabilise tant, quand il discute avec Poppy. La naïveté qu'elle porte sur le monde est une forme de beauté. Elle voit le monde avec ses défauts, et reste persuadée qu'elle pourra par son espoir y changer quelque chose. Et le pire, c'est qu'il a l'impression que ça pourrait marcher. Le seul problème, c'est qu'à la tête de chaque royaume, il y a des gens qui ne respectent pas ce point de vue. Ce n'est pas en prenant soin des plus faibles qu'on arrête une guerre. « C'est ce qu'il te faudra répondre si quelqu'un d'autre te pose la question. » lance t-il, sur la défensive. « Montre-leur que tu as le pouvoir de les laisser vivre ou mourir, s'ils te supplient. C'est ton seul moyen de t'en sortir. » Si je ne suis plus là pour te protéger d'eux, pense t-il en plongeant son regard dans le sien. Il a juré de prendre soin d'elle comme elle prendrait soin d'un îlot isolé. Il mettrait la terre à feu et à sang pour cela, sacrifiant ceux qui s'y opposeraient. Paradoxal avec ce qu'il a dit juste avant, et pourtant, il est sincère.

Il l'observe encore, sa poitrine se soulevant à peine au rythme de sa respiration. Il l'analyse, et réfléchit. Il parle rarement de manière précipité, choisissant les mots comme un sage le ferait. Calme en apparence, il ne sert à rien de courir dans un escalier sauf si l'on souhaite en tomber, s'est-il toujours dit. Elle le fascine de la même manière que les plantes qu'il croise dans la nature. Il a envie d'en connaître plus, et pourtant, son esprit efface chaque question qu'il souhaitait lui poser. Il aurait pu avoir un enfant, et il aurait eu son âge. Mais en tant que Kokiri, leur âge a-t-il une importance ? Oui. Peut-être devrait-il retourner dehors et trouver quelqu'un avec qui passer la nuit pour ne plus penser à rien, et surtout pas au regard de Dune, intense, qui ne le quittait pas. « Tu ressens un lien profond avec les forces de la nature. » répète-t-il en écho pour se raccrocher à la réalité. Il se pince le menton du bout des doigts avant de se lever. Il s'écarte du bureau pour venir se placer devant l'immense bibliothèque qui penche légèrement. Son doigt se promène sur chaque livre alors qu'il penche la tête, à la recherche de quelque chose. Il a toutes sortes de parchemins, et quelques livres rares également. « Qu'es-tu capable de faire de ta magie ? » demande t-il en récoltant plusieurs parchemins. Une fois les mains pleines, il revient. Il pose le premier sur la table. « Faire éclore une plante plus rapidement. Accélérer le cycle de la vie, un court instant. » Il en pose un autre. « Peu utile, permet de faire briller les plantes. S'en servir de nuit ou dans une grotte est pas mal, sauf s'il y a des prédateurs. » Un autre, puis deux, puis trois. Les parchemins s'entassent sur le bois du bureau. « Transformer une plante en insecte ou en animal pour invoquer son aide quelques secondes. Jamais testé. » Il hausse les épaules et penche son grand corps vers Poppy, son visage à quelques centimètres du sien, arborant un rictus. La déstabiliser, encore. Foutue idée qui ne le quitte jamais. « Commence par des choses simples, et un jour, tu pourras invoquer des torrents. » souffle t-il en lui donnant une petite pichenette sur le front.