Encounter in deadly waters (Talirian)

Chaque pas supplémentaire est une torture. Ses pieds sont lourds sur le sol de la forêt dense où il est venu se réfugier pour la journée. Après des lunes à surveiller la région et à achever des monstres un à un, avant de revenir supporter un foyer qui l'insupportait de par sa naïveté, il avait ressenti le grand besoin d'être seul. La forêt de Firone est l'endroit parfait pour ça. Assez proche de Prokis pour qu'il soit rentré d'ici le milieu de la Nuit, mais assez loin pour que ses insupportables frères n'aient pas envie de le suivre. Suffisamment au calme pour abriter quelqu'un qui l'intéressait au plus haut point.

Un imbécile de première, croisé au détour d'une taverne et qui avait juré par tous les Dieux que son passif de guerrier Yiga lui assurait une longue retraite les bourses pleines, ou quelque chose dans ce style là. A vrai dire, après le mot Yiga, Talirian avait cessé d'écouter, mais pas d'observer. Cet homme, il pouvait être un allié de taille, celui qui l'aiderait à comprendre comment fonctionne ce clan et comment l'intégrer.

Perché dans les branches solides d'un arbre, le Zora en profitait pour se reposer, son mollet commençant à le faire souffrir après avoir tant galopé. De toute façon, l'autre était rentré chez lui, et il était visiblement assez bête pour ne pas recouvrir ses traces. Silencieusement, l'homme poisson garda sa position, dégustant une pomme alors que son cœur tambourinait fortement dans sa poitrine. Pas un bruit, juste un silence pesant autour de lui, lui rappelant sans cesse que son esprit ne parvenait pas à trouver la paix.

Venger à tout prix. Depuis sept lunes, il ne semble tourné que vers un seul et même objectif. Sept lunes à rêver chaque nuit de cet instant où tout a basculé autour de lui. Il s'amusait, retrouvait ses amis, sa famille, après de longues années de voyage sans comprendre le but de sa vie. Au moment où il semblait l'avoir trouvé, les Dieux lui confirmèrent son dessein en supprimant la seule personne qui aurait pu lui assurer un réel avenir. Si sa silhouette s'était jetée dans ses bras, ce n'était pas par simple envie de se rapprocher. C'était pour le sauver de la cruauté d'une lame et lui confier une seule et unique mission pour le restant de ses jours. Si elle était venue le chercher plus tôt, il aurait pu la sauver. Il aurait pu tous les sauver, quitte à ce que ce soit lui qui abandonne son âme et sa vie.

Poussant un soupir las, le Zora se mit à masser la paume de sa main pour se calmer et refouler cet élan de colère qui lui enserrait le cœur. Il mettrait juste une lame sous le cou de cet homme, lui ferait suffisamment peur pour qu'il crache les bonnes informations puis il l'assommerait pour se faire oublier. Il disparaîtrait de sa vie et le laisserait sauf. Un plan simple et efficace. Reposant ses paupières sur le ciel au dessus de sa tête, Talirian se décide enfin à quitter sa cachette discrètement. Aucun monstre ne semble l'avoir suivi alors, alors il se remet en route, claudiquant, suivant les traces laissées par l'homme pour gagner sa cabane. Après quelques minutes à gambader, il aperçoit la masse de bois devant lui et ses épaules se détendent quelques secondes, avant de se rendre compte que la porte est ouverte. Il a sûrement dû sortir, car le vent n'aurait pas pu ouvrir la porte derrière lui.

Pas à pas, le lord commence sérieusement à douter. C'est comme si... Comme s'il y avait quelque chose d'étrange dans l'air. Un parfum inhabituel et pourtant familier. S'emparant de sa dague enfouie dans la doublure de son manteau en cuir, il s'avance jusqu'à arriver devant cette porte. Le silence qui émane de cette cachette est si pesant qu'il se met à douter. Il s'est sûrement trompé. « Excusez moi ? » lâche t-il dans l'entrebâillement de la porte, passant juste le bout du nez pour s'apercevoir que l'ambiance sombre et la fraîcheur de l'endroit sont loin d'être les premiers signes de vie habituels. Nerveux, il finit par franchir la porte en plissant les paupières. Quand il referme le bois derrière lui, son instinct lui souffle qu'il a fait une énorme bêtise. Il tourne la tête lentement et manque de vomir en voyant que l'homme qu'il cherche est écroulé sur le sol, du sang coulant jusqu'à ses propres pieds. « Oh non, c'est pas vrai... » marmonne t-il en s'approchant d'un pas du cadavre qu'il touche du bout du pied. Il est bien inerte et le sang est frais. Talirian comprend alors qu'il n'est pas seul. Il se retourne brusquement vers le coin le plus sombre de la pièce et tend sa dague vieillie devant lui, observant la silhouette qui semble avoir un véritable talent pour se cacher. « Montre toi. » grogne t-il, regrettant que ce soit peut-être la dernière chose qu'il voit en ce monde, une silhouette fonçant sur lui pour l'égorger à son tour.

C'est une ombre qui fonce sur lui. Tel un faucon se ruant sur sa proie, elle n'hésite pas à l'attaquer en premier, et tel un mulot pris au piège, Talirian s'écroule sur le sol dans un bruit sourd. Son dos fracassé contre le bois du sol le fait pousser un râle de douleur alors que sa dague lui échappe et glisse un peu plus loin. Assommé, il lui faut quelques secondes pour rouvrir les yeux et voir les formes qui se présentent devant lui. C'est d'abord le poids qui le cloue au sol qui l'intrigue. Un poids plume qui pourtant sait user de toute sa force. Tout de suite, il pense à un assassin, les soldats ayant pour habitude d'être plus bourrins.

« Comme si je pouvais bouger... » marmonne-t-il, les mains désarmées. Ce serait stupide de tenter quoi que ce soit pour la désarmer à son tour, puisque, maladroit comme il est, il risquerait de se planter lui-même sans qu'elle n'ait rien à faire. Elle. Tout à coup, l'évidence le frappe de plein fouet. Rien qu'à sa voix et son odeur partiellement masquée par le sang, il le sait, que c'est une femme et un court instant, la nausée le prend. Même si ce n'est pas elle, la mèche rousse qui s'est échappé de sa capuche et le replonge des années en arrière, assombrissant son regard. Pourtant, elle est morte, contrairement à celle, bien vivante, qui prend plaisir à s'asseoir sur lui. Alors pourquoi, par le Mal, sa voix sonne familière ? « Je ne te demande pas de m'épargner. »

Bête comme un âne, Talirian sent l'adrénaline parcourir ses veines et ses naseaux prennent une nouvelle inspiration, tant il reste vivant. « Si tu avais voulu me tuer, tu aurais dû le faire avant de te jeter sur moi. Tu ne connais même pas mes pouvoirs. Tu prends un gros risque, non ? Et puis, honnêtement... d'habitude, ce n'est pas pour me tuer qu'on me chevauche comme ça. » Un rictus amusé étire ses lèvres. Sans doute devient-il fou à l'approche de la mort, pour tenir des propos si désobligeants. Alors qu'il y a un cadavre qui empeste à côté de lui, et qu'il va sûrement cesser de respirer dans quelques minutes, le pauvre Zora tente d'user d'un peu d'humour. Levant la main au passage, il vient frôler les quelques mèches de la jeune femme du bout des doigts, impressionné. « On ne voit pas une telle couleur tous les jours... » commente-t-il, tentant probablement de détourner l'attention pour s'en sortir.

Il pourrait aisément trouver un moyen de s'enfuir. Comme... La frapper ? Non, le temps qu'il la retourne et l'assomme contre un meuble, avec sa jambe abîmée et le coup qu'il vient de prendre sur la tête, il ne pourrait rien. Comme toujours, il se retrouve impuissant dans une situation où une vie est en danger, la sienne. De son regard, il cherche à trouver celui de l'inconnue pour y déceler une dernière lueur d'espoir et de compassion. Malheureusement, il ne voit rien. La couleur de ses yeux est indéfinissable et les couleurs de ses joues se dessinent à peine. Voilà donc le visage de la mort : indéfinissable, mystérieux, et probablement éternellement beau. Quel gâchis de mettre ses talents à disposition pour un si sombre dessein.

Cette remarque fait sourire bêtement le pauvre Talirian. Ce n'est pas la première fois qu'on lui dit une telle chose. Il se souvient combien de fois son frère a pu le lui dire, ou son maître d'armes, tout ça parce qu'il essayait de gagner du temps pour ne pas avoir à se battre. Alors qu'il était soldat, il en a déstabilisé plus d'un de cette manière. Pourtant, on a de cesse de lui répéter que son caractère lui coûtera un jour la vie. Ce sera peut-être pour aujourd'hui.

En tout cas, il semble avoir compris qu'il est temps de retourner la situation en sa faveur. Il ne rétorque pas, bien qu'une moue torde les jolis traits de son visage. Il sait qu'il a réussi à semer le doute dans son esprit. Il remarque l'hésitation dans ses gestes, bien qu'elle s'applique à garder la lame fermement sur sa gorge. Il déteste ça, révéler la fragilité de chacun juste à cause de ce qu'il peut dire ou faire, mais c'est plus fort que lui. Ca lui donne l'impression de prendre momentanément le dessus, sauf qu'il n'a jamais souhaité régner sur quiconque. « Ah bon ? » Il aurait juré le contraire, rien qu'en prenant en compte le fait qu'il est encore en vie. En fait, il pourrait encore s'en sortir, mais il lui faudrait courir à l'extérieur et aller chercher sa lyre, qu'il a caché avec sa sacoche dans un arbre non loin de là. Il pourrait facilement la ralentir en continuant à la déstabiliser de la sorte. Il la pousserait et lui ferait manger l'humus s'il le fallait. Et plus elle le regarde sans bouger, plus il sent le serpent de la colère naître en lui.

« Crois tu vraiment qu'il n'y ait qu'un seul Dieu ? » Cette simple pensée le fait rire cruellement, révélant la fêlure de son âme. Chacun semblait persuadé que son Dieu existe, mais était ce seulement vrai ? Si c'était le cas, Hylia aurait sauvé l'âme d'Elizée. Si c'était vrai, alors il ne serait pas là, car il aurait été capable de l'aimer pour la sauver de son funeste destin. Au lieu de ça, il s'était dit qu'avec le temps et l'éloignement, il pourrait échapper à ses principes.  « Si c'était un Traître à son Dieu, alors tu devrais m'achever, car je ne vaux pas mieux que lui, et pas mieux que toi. » C'est fou ce qu'il ressent du soulagement d'expier ces paroles retenues en lui depuis longtemps. Comme si la violence de ses émotions le frappaient enfin de plein fouet, faisant trembler sa main.

La dirigeant vers elle à nouveau, il frôle sa joue du bout du pouce, déglutissant alors que sa pomme d'Adam manque de s'écorcher contre la lame ensanglantée. D'un geste incertain, il profite de cette faiblesse pour repousser sa capuche vers l'arrière, animé par la curiosité de voir son visage. Pourtant, il est incapable de la regarder ensuite dans les yeux, son simple regard le brûlant de l'intérieur. Dans un dernier élan de courage, et de sa main libre, il s'empare de son poignet fermement plaqué contre sa gorge et le repousse de toute ses forces. La rage de s'en sortir vivant est née au fond de son regard et il ne lui laisse pas le temps de réfléchir. Il plaque ses mains sur ses épaules, la repousse de toutes ses forces et rampe pour s'éloigner, s'en allant vomir ses tripes un mètre plus loin. Dos à elle, il sait qu'il court un grave danger. Pourtant, il n'est concentré que sur le battement saccadé de son cœur, mû par l'odeur âcre du sang dans lequel il a malheureusement planté ses mains, lui rappelant de terribles souvenirs.

« Je ne le connaissais pas, mais j'avais besoin de lui. » souffle-t-il en tournant la tête pour planter son regard dans le sien. « Pourquoi l'avoir tué ? Es tu envoyée pour venger son Dieu ? Si tu as le même que lui, inutile de t'acharner sur moi... Nous sommes du même camp, toi et moi. » lui reproche t-il, ne comprenant visiblement pas les raisons de ses actes. Jetant un coup d'œil à sa dague, il se demande s'il ne va pas être obligé de se battre. Contrairement à elle, il n'a jamais tué personne, juste des monstres. Il ignore ce que cette soif de sang engendrerait en lui. Il n'en a pas envie. Plus maintenant qu'il a pu voir son visage et cette chevelure flamboyante, à l'image du Mal qu'il convoite tant. Il porte la main à sa gorge, y répandant le sang de l'inconnu alors qu'il essaie d'oublier la sensation froide de la mort tout près de lui. C'est un désastre, mais il reste encore de l'espoir.

Sa beauté est tout aussi cruelle que sa voix et ses gestes. Elle a la grâce d'un félin en pleine chasse, les pas aussi légers et discrets que le souffle du vent dans la nuit. Si elle avait été aussi disgracieuse qu'un gobelin, aussi peu assurée qu'une sauterelle, ça l'aurait clairement arrangé. Il n'aurait pas eu besoin de faire semblant, et il n'aurait certainement pas rendu le seul repas de la journée. Ce pauvre homme ne sera pas le dernier de la journée à lui tourner le dos, Talirian l'affirmera jusqu'à ce que cette prophétie ne se produise.

Poussant un soupir, le Zora tente d'oublier le sang dont l'odeur lui fait tourner la tête autant que la douleur qui s'est relancé dans sa jambe. Le médecin l'avait prévenu de faire attention, que s'il ne se reposait pas, il ne guérirait pas. A croire que le Mal dans son cœur l'empêchait de guérir physiquement, ce qui était peut-être vrai. Une vérité qu'il balaie d'un revers de la main, ne gagnant que quelques secondes supplémentaires de vie. « Oui, quelquefois, on a besoin des autres. » souffle t-il face à l'étonnement de cette jeune femme qui ne semble compter que sur elle-même. Elle a e la change, songe t-il, si c'est vraiment le cas, car il n'a jamais croisé personne qui soit en mesure de survivre seul dans ce monde. Lui non plus, ne fera pas long feu, puisqu'il perd ses alliés un à un.
 
Une nuance, toujours des nuances... Comme si cela pouvait expliquer chaque situation. Ce thé est bon. Nuance, ce thé est bon, mais moins que le meilleur thé d'Hyrule. Ces cheveux sont de mille nuances de feu, et sa tenue de mille nuances de noir. Voilà tout ce que ça lui évoque, quand elle crache ces mots comme du poison. Peu importe d'où elle vient, ce qu'elle fait là, il a désormais la confirmation de son camp alors même qu'il n'a pas annoncé le sien. Petit sourire en coin, il est ravi d'avoir pu lui soutirer au moins cette information. Une Yiga, donc, l'une de celles dont il a besoin pour franchir les différentes étapes de son Ascension. « Ah oui, et qu'est-ce que tu veux que je tente, dans cet état ? » grommelle t-il, légèrement vexé. Il désigne sa tenue dépourvue de tout objet tranchant, de ses mains ensanglantées et de sa lame, hors de portée. S'il se jette, il se fera planter, autant dire que c'est loin d'être ce qu'il souhaite à l'heure actuelle.

Lorsqu'elle avance, il s'interdit de reculer davantage et redresse encore le menton, en espérant avoir l'air encore digne de quoi que ce soit. Il baisse les yeux sur la lame, pinçant les lèvres aussi fort que possible pour s'empêcher de produire un son désagréable, qui ressemblerait à un mot. Il passe sa langue contre son palais, contre ses dents pour déglutir, comme pétrifié. Et quand il redresse les yeux sur elle, il est parcouru de ce nouveau frisson désagréable qui le suit depuis tout à l'heure. « J'ai toujours admiré les personnes qui parviennent à menacer d'une arme un Lord sans même trembler. » commente t-il le plus sincèrement possible.

Il s'essuie les mains sur le tissu de ses vêtements qui sont complètement ruinés, et sourit, aussi bêtement que c'est possible. « Tu as qu'à m'appeler Lord Talirian, si tu tiens tant à savoir mon nom. Mais ça ne t'éclairera pas sur qui je suis. » Jouer avec les mots a toujours été son jeu préféré. Il passe une main tremblante dans ses boucles, y répandant quelques gouttes de sang, en laissant une couler le long de son front et s'écraser sur sa joue, avant de poursuivre son chemin vers le sol. Il s'avance d'un nouveau pas, laissant volontairement la lame se frotter à son torse. Ce ne sera qu'une cicatrice supplémentaire servant à prouver sa bravoure à qui veut bien lui retirer sa chemise. « J'avais besoin de lui pour les mêmes raisons dont j'ai désormais besoin de toi. Peut-on devenir Yiga, en tuant un Yiga ? » la provoque t-il sans quitter son regard d'une seconde, fulminant déjà à l'idée d'être pris pour le dernier des imbéciles. Il ne la tuera pas, elle est trop précieuse pour ça. Mais il a besoin de montrer sa valeur, et il la menacera autant que c'est possible pour y parvenir.

Il aurait dû s'en douter qu'elle se moque éperdumment des titres. Après tout, lui aussi, il est comme ça. S'il l'évoque aujourd'hui, c'est pour voir s'il a une chance de sortir de ce cabanon vivant ou s'il finira par croupir à côté de cet homme. S'il traverse les royaumes en mentant sur qui il est réellement, c'est aussi parce qu'il souhaiterait se débarrasser de ce titre comme on se débarrasse d'une couronne : en la jetant aux requins pour qu'elle finisse soit dévorée, soit entre les mains d'un autre. Puisqu'il n'a pas d'autre solution, il menace, comme un chien enragé, le cerveau partagé entre folie et raison.

Quand il se rend compte que ça ne marche pas, mais qu'en plus, elle guette les sorties, il comprend que malgré l'air froid qu'elle essaie d'afficher, la crainte n'est jamais loin. Si quelqu'un les trouvait là, ce serait un massacre. Ils pourraient bien essayer de le tuer et de s'enfuir, le malheureux ne serait pas venu seul, comme eux, et ils seraient pris au piège. Enfin, ce qu'il imagine, c'est surtout qu'elle le laisserait croupir ici et qu'elle s'enfuirait, le laissant porter la culpabilité de son crime. Il est hors de question que ça arrive. « Ah. » Ce n'est pas tout à fait la réponse qu'il attendait de sa part. La tuer a peut-être été envisageable pendant quelques secondes mais maintenant qu'il a vu son visage, il n'en a plus envie. Ses yeux de biche reviendraient à vie le hanter et il se demanderait pourquoi et comment il en est arrivé là. Quitte à choisir, le Zora préfère la hanter elle que l'inverse pour le restant de ses jours.

Talirian déglutit en entendant son propre nom dans sa bouche. Les syllabes n'ont plus rien de noble et il n'entend que des couteaux aiguisés siffler à ses oreilles. Pourtant, elle n'a rien fait voler. C'est juste ce qu'il est en train de s'imaginer tandis qu'il cède à la panique. Le jeune homme a un mouvement de recul quand elle lui touche le menton et il fronce le nez comme un chiot égaré. Ses mains tremblent et quand il le remarque, il prend à nouveau conscience que le sang est en train de sécher. Pour se nettoyer, il se frottera pendant de longues minutes dans l'eau de la rivière et s'appliquera une épaisse couche de boue pour effacer l'odeur persistante de la mort. « Lesquelles ? » Il déteste l'ascendant qu'elle a pris sur lui, tout à coup. Il se sent petit, faible et lâche. Alors qu'il déglutit, sa lèvre tremble et son regard vacille. Il a toujours été faible face aux âmes féminines de ce monde. Et visiblement, encore plus face à celles qui côtoient la mort de près.

Il essaie de gonfler ses poumons d'air mais ça ne fait que le rapprocher de la lame qui attend de le poignarder. Alors, il fait la chose la plus bête possible quand on est menacé : il ferme les yeux et laisse ses oreilles bourdonner encore plus fort. « Je... » Il avait longtemps juré qu'il ne voulait pas oublier ce qu'il s'était passé cette nuit-là, mais aujourd'hui, il souhaiterait que ce soit l'inverse, que la scène devienne flou ou qu'on lui jette un sort pour passer à autre chose. « Elizée. » souffle t-il sans savoir si c'est le bon comportement à adopter. De toute façon, il a de fortes chances de la retrouver dans la tombe d'ici peu, alors autant évoquer son nom, bien qu'il doute qu'elle se soit fait appeler comme tel parmi ce clan. Elle ne peut pas avoir été aussi cruelle que cette assassin, il refuse de le croire. « Je n'ai jamais été courageux, tu te trompes sur moi. » Quand ses pupilles bleu-vert se montrent enfin et se posent sur le visage de la rousse, c'est avec une expression toute autre, emprunte de nostalgie et pourtant d'une grande envie de battre. « Tu ne la connais peut-être pas, ou si c'est le cas, pas comme moi je la connais. C'est elle qui m'envoie, elle m'a ordonné de vous rejoindre. Si je ne t'avais pas trouvé là, je serais venu à toi, ou à n'importe qui d'autre. Je ne m'arrêterais pas tant que je n'aurais pas obtenu ce que je veux. Plus de force, plus de pouvoir. » Ses pupilles ont la couleur de la vengeance. Malgré lui, une expression cruelle étire ses traits et souffle les mèches de ses cheveux quand il poursuit. « J'égorgerais celui qui lui a fait subir ce sort et je tremperais ma capuche dans son sang. Je le ferais avec chacun de ces traîtres jusqu'à ce que le sang coagule et qu'il ne reste d'eux plus que ce piètre souvenir. Je ruinerais le plus précieux des règnes. » Quand il souffle le dernier mot, Talirian a l'impression que son esprit s'est à nouveau empreint de ce Mal qui le ronge et qui l'attire. De colère, il lève la main et attrape la lame de la dame dans sa paume, la serrant jusqu'à ce que son sang ne s'additionne à celui du malheureux mort à leurs côtés. « Quel est ton nom ? » demande t-il courageusement, prêt à perdre sa main pour avoir une chance de vivre un peu plus longtemps.

Non. Au fond de lui, il se moque de son nom, et de ceux de ses proches. Il voulait ne pas le savoir, pour ne jamais avoir à le prononcer. Ne jamais le connaître de crainte qu'il ne devienne trop familier. Cette femme est l'incarnation de la mort, et il est certain qu'il pourrait regretter d'avoir été aussi familier. Pourtant, si elle le lui donne, il aura milles chances de prendre l'ascendant sur elle, si les choses tournent mal. Poussant un juron de douleur quand elle récupère son arme, elle l'achève de trois syllabes qu'il se jure à jamais de haïr. Eluna. Un prénom qui signe indéniablement la fin de tout ce qu'il a vécu jusqu'ici.

Le cœur lourd, il replie son bras pour garder sa main bêtement blessée près de lui. Quand il en observe la plaie sanguinolente, une partie de lui regrette, l'autre jubile. Cette fois, il guérira seul et Ejo n'en saura jamais rien. La dernière fois, il a laissé son ami le soigner d'une plaie qui risquait de le tuer, aujourd'hui, il n'aura pas besoin de lui. Se contentant de la regarder, il sent la colère monter au fond de lui, surtout quand son regard se pose à nouveau sur cet homme dont la vie a été arrachée pour les mauvaises raisons. Il ne doute pas qu'un jour il sera ainsi étendu sur le sol, à sa place, s'il a daigné prendre les mauvaises décisions. Son avertissement est bien pris en compte, et il n'oubliera jamais l'odeur du sang, ce corps sans vie, les menaces ni la mort lui pendant au nez. 

La paume douloureuse, il ne lâche aucun autre mot quand elle passe la porte. Bizarrement, il ne parvient à détendre les muscles de ses épaules et à respirer que quand il n'entend plus ses pas à l'extérieur. Désormais seul, Talirian se sent plus fragile que jamais, pesant le pour et le contre de cette décision dans son esprit. Elle est trop dangereuse, et s'il ne la suit pas, il sait qu'elle serait capable de revenir se venger. Elle a son nom, ce ne serait pas difficile de le trouver. Il refuse que ses proches ne meurent sous ses yeux ou le retrouvent mort parce qu'il n'a pas réfléchi à ses actes. Et s'il la suit, leur destin sera pire encore. Le zora comprend que tout se joue maintenant. Pas de possibilité d'aller serrer une dernière fois ses parents dans ses bras, taquiner ses frères, retrouver ceux que l'on a enlevés à sa vie. Näde. Zachary. Mysa. Ejo. Et d'autres encore. « Puissiez vous tous me pardonner. » murmure-t-il, lâchant un sanglot en espérant que ce soit le seul. Pourtant, les larmes montent et il finit par les laisser affluer. Il n'a même pas le temps d'enterrer ce pauvre homme et encore moins les moyens de faire brûler la cabane sans se faire repérer. Tremblant, il quitte à son tour la pièce et ferme la porte derrière lui, laissant la nature faire le reste du travail.

L'immensité de la forêt et la vie qui y règne semblent tout à coup vertigineux pour le pauvre Lord dont l'esprit est complètement désorienté. Après avoir lentement analysé les alentours, il s'éclipse pour récupérer sa besace et une fois accrochée à son épaule, il gagne le lac qu'elle lui a indiqué. Il ne met pas longtemps à la trouver, seul point rouge au milieu de tout ce vert, et il fronce les sourcils en la trouvant si paisible. La mâchoire toujours autant serrée par la haine qu'il éprouve tout à coup pour elle, il s'approche de l'eau et s'accroupit pour venir laver ses mains. Sa paume le brûle mais au moins, le Zora en lui est rassuré de sentir cet élément. Alors, il prend conscience qu'il n'a pas pris le temps de l'observer, elle. Il ignore quel genre de créature elle peut être, ni quel genre de magie elle sait manipuler. S'il n'a pas utilisé ses pouvoirs dans la cabane, c'est que, soit comme lui, elle est obligée d'utiliser un outil extérieur, soit il était trop dangereux ou peu utile. Il mouille également son visage et ses mèches de cheveux collantes, et lui jette un nouveau coup d'oeil.

Oubliant momentanément tous les dangers qu'il court, Talirian se redresse. Avec sa dague abîmée, il vient déchirer la jambe de son pantalon pour s'en faire un bandage qu'il enroule autour de sa paume. Maintenant, il a une allure pitoyable avec son bandage et ses vêtements tâchés et rapiécés. Même ses cheveux ne tiennent plus en place et lui donnent un air trop sauvage pour être un Lord. Peu importe où il passe, il aura l'air misérable. « Je t'ai déjà vu dans les Landes, j'en suis sûr maintenant que je te vois en pleine lumière. » On ne peut pas oublier un tel visage, mêlant autant de beauté que de cruauté. S'approchant d'elle, il tend sa main en bon état dans un soupir las. S'ils doivent faire un bout de route ensemble, il leur faudrait oublier un peu de leur rancœur mutuelle; ou le trajet serait interminable. « C'est là-bas qu'on doit aller ? » demande t-il, espérant qu'elle prenne sa main pour se lever, plutôt que de la trancher pour avoir osé l'aider. « Je suis un peu lent avec ma patte folle. Je serais plus à l'aise et plus rapide si on suivait le cours d'eau le plus longtemps possible. Tue-moi au moindre écart, ou à la moindre tentative de fuite. » explique t-il, préférant jouer carte sur table avec elle. Pourvu qu'il arrive vivant à destination.