Two souls on the same path (Talirian)

Une mission avec Eluna, à Melka, là où des innocents se tenaient, là où des parents d'amis vivaient, là où ils devaient semer le chaos. Il n'avait pas tremblé en souhaitant mettre à feu et à sang cette ville, comme s'il en avait réellement envie. Les débats avaient été courts, et les autres avaient rapidement approuvé son comportement. Il s'était mis en lumière, et leur chef l'avait mis dans les pattes de la rousse, la seule personne avec qui il aurait préféré ne pas passer ses dernières lunes. Bon sang, dans quel pétrin s'était-il fourré ? Suivait-il le bon chemin ? Chaque jour, il se le demandait. Et en même temps, même si sa nature de Zora le poussait à déserter pour tenter de retrouver ses amis, son esprit sait que tout cela est vain. La seule chose qu'il trouverait sur sa route serait la mort.

Quand vient l'heure de quitter la salle, il sent quelques picotements dans sa nuque, un léger tremblement dans son souffle, signes qu'il est en train de se dessécher. Sa première envie est d'aller plonger dans la première Oasis venue, de barboter avant d'aller se jeter dans les bras du premier Yiga venu qui aurait besoin de se changer les idées. Pourtant, son corps traîne à cette idée et son regard se promène sur les silhouettes autour de lui. A force, il se met à en reconnaître quelques unes mais elles restent en majorité des étrangers à ses yeux. Des étrangers qui, pourtant, marchent côte à côte comme une famille, ou plutôt, comme une seule et même armée.

Eluna. Il ravale sa salive en entendant son prénom dans sa bouche et redresse instinctivement le menton, affichant un air indifférent pour refouler son mal-être.  « Eluna. » articulent ses lèvres en écho à ses pensées. Eluna. Eluna. Eluna. Comme un poison qui vous envenime le corps et ne vous fait penser qu'à lui même dans vos sommeils les plus profonds. Eluna. Il a beau être rongé par sa présence, il ne se lasse pas de laisser son nom rouler sur sa langue comme si c'était un bijou précieux à déguster. Il pivote sur lui-même et coupe la foule pour la rejoindre sur le côté. Elle se tient aussi humblement que d'habitude, ne laissant rien paraître de ce qu'elle pense. Presque.

Son compliment gonfle son ego et il se surprend à sourire en coin. C'est sincère pour une fois, il n'a pas à en douter, et il la trouve pour la première fois belle dans sa sincérité. Cette simple phrase a fait briller son regard singulier, à elle, qui se prétend être insensible et qui pourtant a gardé la fleur qu'il avait fait naître pour elle jusqu'à ce qu'elle ne fane. « Ne crois pas que je l'ai fais pour toi. » prétend-il alors que son regard montre tout le contraire. Il est loin d'être comme elle, capable de cacher les émotions derrière son regard. Une seconde plus tard, il a l'impression qu'on l'a bousculé et il repousse la jeune femme contre le muret le plus proche. Pour ne pas qu'elle bascule, il s'accroche à sa taille, ancre ses jambes musclées dans le sol pour ne pas les entraîner dans une chute. La nausée le prend alors que l'air lui envoie l'odeur des cheveux roux de la jeune femme dans la figure et il recule brusquement, comme brûlé par ce contact non désiré. De toute façon, mieux vaut s'éloigner que de se retrouver soudainement castré pour l'avoir trop approchée.

Le souffle court, il jette un oeil parmi les Yigas qui sortent du palais mais est incapable de retrouver le malheureux qui lui a joué ce tour. Il serre discrètement le poing avant de reposer un regard sur Eluna. Il faut qu'il fasse comme si de rien était. Alors, affichant un sourire légèrement forcé, il finit par lui demander. « Et si on allait marcher ? J'ai l'impression que ce sont nos dernières heures de calme avant de nous lancer. On en profitera pour discuter. » Oh ça, ils en auront tout le temps sur le chemin jusqu'à Melka. Mais s'il peut marcher jusqu'à la destination de leur potentielle mort sans regretter de ne pas avoir profité, c'est mieux. Il ouvre alors lentement sa sacoche pour en montrer le contenu, une bouteille d'alcool, et il lui lance un clin d'oeil en souriant.

Ce simple contact inopiné a embrasé l'entièreté de son corps et de son âme, chose qu'il pensait impossible depuis longtemps. Pourtant, ce ne sont pas les contacts qui manquent depuis qu'il est arrivé chez les Yigas. Avec sa facilité à s'amuser et ses grands sourires, il a déjà cédé à la tentation et découvert ce que c'est que de s'unir à des races qu'il ne connait pas. Il vogue comme un poisson le ferait dans l'océan, à la recherche d'une anémone à choisir comme maison. Mais là, c'est tout différent. Il sait qu'il ne la déteste pas autant qu'il le faisait dès le début. Il a ses raisons, sûrement la solitude et le fait qu'elle est le seul visage familier depuis qu'il a intégré ce clan d'assoiffés de sang.

Au moins, elle ne relève pas et ils poursuivent la conversation comme si de rien était. Tant mieux, ce qu'il a vécu ne devait être qu'une illusion passagère, créée par son esprit à l'approche d'une guerre pouvant être mortelle pour lui. Quand elle le précise à nouveau, il sent des frissons parcourir ses bras et il referme son sac. A force d'être ici, déshydraté jusqu'aux écailles les plus profondes, il en est arrivé à la conclusion qu'il cherchait peut-être la mort en venant sur ces terres. Changer de vie car aucun destin ne l'attendait chez lui. Ses amis avaient disparu, la seule femme qui voulait bien le prendre pour époux tout en le laissant voguer à sa vie était morte. Avec le recul, une infime partie de lui avait poursuivi cette voix car il était assoiffé de sang, et assoiffé de sa propre mort. Il arrivait peut-être au bout de sa vie qu'il estimait ne pas avoir gâché. « Es-tu en train de me dire que j'ai vécu grâce à toi et que je mourrais grâce à toi ? Quel programme palpitant. » commente-t-il en haussant les épaules. Après tout, le passé hors des Landes Sauvages n'existait plus. Il aurait pu avoir un destin plus terrible que celui de mourir en mission avec celle qui lui a fait découvrir une nouvelle part de sa personnalité.

Se mettant en marche côte à côte, Talirian tente d'oublier la foule qui s'étale dans les rues comme un ras de marée. Il imagine non sans mal les corps se retrouver ou se trouver dans l'espoir de vivre leurs derniers fantasmes avant la mort, les gorges riant à gorge déployée, les mots dévoilés alors qu'ils étaient terrés au plus profond par pudeur, l'alcool coulant à flot pour se donner un coup de pouce au moral avant d'aller se battre. C'était le genre d'ambiance qu'il appréciait tout particulièrement. Il aimait entendre les joies, les pleurs, qui n'étaient rien d'autre que des sons de la vie. Il regrette presque de ne pas pouvoir en profiter. Tandis que tous festoieront, eux, ils seront seuls dans le calme. « Je ne t'ai jamais vue festoyer avec nous. » lance t-il sans la blâmer pour son choix. Il est juste curieux. Posant son regard sur elle, il continue d'avancer à un pas tranquille. « Détestes-tu à ce point les ambiances mouvementées, l'alcool, le bruit et tout ce qu'il l'accompagne ? » Le Zora hausse un sourcil intrigué. Peut-être s'y était elle déjà glissé par curiosité, dans l'ombre comme elle sait si bien le faire. Peut-être l'a-t-elle déjà vu complètement ivre en train de profiter avec ceux qui savent s'amuser, comme s'il faisait intégralement partie de leur communauté. Il est vrai qu'il aurait eu envie de l'y voir, de savoir si elle était capable de s'amuser un peu. « A moins que tu ne préfères mes petits concerts privés. » ajoute t-il, tout sourire, comme s'ils étaient complices depuis des années alors qu'il n'en était rien.