Les mots de Xanto s’immiscèrent en elle comme un poison que l’on vous injecte et qui prend peu à peu possession de vos membres, les paralysent, s’insinue dans votre cerveau et vous fait perdre la tête. Elle tombait de haut, de très haut, et cela eut l’effet d’un coup de poignard planté profondément dans son cœur. À vrai dire, elle avait le sentiment de recevoir à nouveau le coup de trident de Ganondorf dans la poitrine, la transperçant de part en part, la laissant pour morte sur le sol poisseux de son sang écarlate. Le visage de Midona était défait, elle scrutait son conseiller avec un regard froid dont elle ne pouvait pas cacher la surprise ni le dégout d’une telle manœuvre. Voilà donc qu’il se présentait au grand jour.

Il se tournait ensuite vers le peuple de Metzli, son peuple, et elle se sentit bouillonnée encore davantage alors que les poignards pleuvaient. Comment avait-elle être pu si aveugle devant cet homme ? Il s’était servi d’elle pour obtenir sa couronne et voilà qu’il se dressait devant une cour doutant de sa reine légitime, prête à laisser sa chance à un autre roi. En un sens, elle était responsable de la situation, et Xanto était le vautour qui venait se repaitre de sa carcasse encore fumante.

« — Je reconnais donc là le pressentiment que j’avais envers toi, Xanto. » Ses mots sortaient tels des crachats tant elle brulait de haine et que la rage la dévorait.

Très rapidement, Kayn Hamell vint se positionner devant elle pour la protéger. Midona restait immobile bien qu’elle jetât un regard furtif à son arme. Il était le deuxième homme en lequel elle avait une confiance inébranlable, et le premier venait tout juste de la trahir. La prudence était de mise dans une telle situation, et la confiance ne semblait plus tout à fait inébranlable.

« — Tu déformes tout pour le mettre à ton avantage. Je me suis interposée pour le Roi d’Hyrule car j’ai la certitude que nous devons retrouver une bonne entente avec le Royaume de Lumière et vivre avec notre temps. Le temps de la damnation est terminé. Nous sommes le peuple de Metzli, nos ancêtres ont saigné pour devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Qu’as-tu fait, toi ? À part minoder dans l’ombre et chercher la faille pour destituer TA reine ? » Elle grondait, la rage dans le cœur. « Le seul tort que j’ai eu fut de te faire confiance. J’aurai dû voir la vilenie qui se cache dans ton cœur, que tu dévoiles enfin au grand jour. J’aurais du voir à quel point tu ne vis que par l’ambition et l’obscurité. » Elle baissa la voix, murmura. « J’ai été aveuglé par l’affection que je te portais. Traitre. »

Elle se tourna vers Cardan, le sondant d’un regard de mépris tandis qu’il l’insultait ouvertement. L’homme n’avait jamais été énormément dans son cœur mais elle n’avait jamais eu de réels sentiments négatifs à son égard. C’était chose faite. Ils avaient tout manigancé. Voilà donc ce qui expliquait cette ambiance électrique qu’elle ressentait depuis son arrivée. Les vautours en avaient eu assez de tournoyer autour de la carcasse, ils fondaient désormais dessus pour y dévorer le meilleur morceau : sa couronne.

« — Je n’ai pas pu protéger le Roi d’Hyrule mais j’aurais au moins eu le mérite d’avoir essayé. Qu’avez-vous fait, VOUS ? À part comploter dans l’ombre en attendant que je ne revienne ? Est-ce cela la face du nouveau Roi de Metzli ? Un homme sournois qui attaque en trahissant les siens sans jamais se mettre en danger ? » Elle avait repris un certain calme, peu révélateur de la tempête qui évoluait dans ses tempes. « Ce conseil n’a rien de mystérieux. Je ne sais pas ce que vous vous évertuez à vouloir m’accuser, mais je ne nourris aucune ambition à vouloir blesser mon peuple. Je suis consciente des difficultés dans lesquelles je l’ai mis. Mais je suis également consciente de tous les sacrifices que cela m’a fait endurer. Et vous, Monsieur, qu’avez-vous fait ? Si ce n’est vous présenter devant moi aujourd’hui, me cracher dessus alors que je suis votre reine et que vous me devez le respect ? » Sa voix était glaciale et grondante comme les grognements d’un loup prêt à lui sauter à la gorge.

Un des gardes pourpres, Adir Porphyr, qu’elle ne connaissait pas très bien, se dressait devant elle alors. Il la toisa et osa la menacer de son arme. Avaient-ils perdu la tête ? S’imaginait-elle réellement qu’elle avait compté fleurette en Hyrule ? Était-ce pour ça qu’elle avait sué sang et eau pendant ces derniers mois ? Pour aider ces personnes-là qui la traitaient désormais comme un insecte ? Ils ne la méritaient pas. Ils ne méritaient pas tout ce qu’elle avait fait pour eux ces derniers mois, toutes les angoisses qu’elle avait ruminé, tout le sang qu’elle s’était rongée.

Elle se tourna vers Trascer Citeri.

« Ne me parlez pas d’amour, ôtez ces mots de votre bouche, car ce n’est pas de l’amour ici présent mais seulement l’opportunisme d’un serpent. » Elle avala sa salive. « Tout ne pourra pas se régler en un jour, j’en suis consciente, et il faudra bien que le conseil se rejoigne à un moment pour prendre des décisions. Est-ce si difficile pour vous de le comprendre ? Allez-vous appeler ça une trahison ? Qu’une Reine veuille discuter avec ses conseillers ? Ne me faites pas rire. Vous ne vous entendez pas parler. Vous ne m’accusez que d’avoir été absente POUR VOUS. » Elle avait envie de hurler, de pleurer de rage, tant la situation lui semblait injuste. Elle savait qu’elle n’avait pas été parfaite mais méritait-elle toute cette haine ? Toute cette trahison alors qu’elle n’avait jamais cessé d’avancer pour Metzli. Par-dessus tout, elle avait envie de vomir. « Êtes-vous devenu l’ombre de vous-même ? Peut-être bien. Mais ne rejetez pas la faute de votre incompétence sur ma personne. Que faites-vous désormais, chevalier errant ? Que vous a promis Lord Odair ? Une bonne place ? À la bonne heure ! Quel valeureux chevalier avons-nous là, un déserteur ! »

Elle inspira profondément, faisant son possible pour conserver son calme. Elle sentait néanmoins ses mains trembler. Non pas de peur, mais de rage.

« — Vous êtes bien rapide en besogne, tous, pour vous mettre du côté de Lord Odair alors qu’il a été absent ces dernières lunes et qu’il s’est marié avec une femme d’Hyrule, conseillère de la Reine elle-même. Vous questionnez mon absence mais pas les manœuvres politiques de mon conseiller pendant mon absence et derrière mon dos. Il est donc normal de forniquer avec eux mais pas de les aider ? Ai-je eu tort de me dresser contre Ganondorf ? Ne pensez-vous pas que cet homme, tout puissant qu’il est, ne viendra jamais quémander un morceau dans notre Royaume ? Allez-vous attendre qu’il gagne en puissance ? Ou peut-être préférez-vous pactiser avec l’homme, puisque vous dresser contre votre reine ne semble pas vous déranger, pourquoi pas rejoindre un hors-la-loi ? Vous êtes des traitres. » Son regard s’arrêta sur chacun des hommes qui la menaçaient. Un regard bleu comme glace mais si sombre qu’il rappelait l’abysse des océans.

Elle se tourna vers la cour. Son regard se posa sur Lord Hesediel et le remercia de son soutien par ce regard. Elle n’avait pas imaginé qu’elle aurait tant de détracteurs mais elle était soulagée de compter encore des soutiens parmi certains nobles. Elle vit également Lady Vajanska, sa cousine, et craignait qu’il n’arrive quelque chose à sa parentèle, si la situation devait mal tourner. Elle chassa cette idée de sa tête pour l’instant, se redressa et s’avança d’un pas, dépassant Lord Hamell sans pour autant tellement s’éloigner de son protecteur.

« — Peuple de Metzli… » Elle commença, tentant de calmer sa colère, de poser le ton de sa voix. « Je sais que je vous ai failli et je m’en excuse. Je ne peux que vous demander de me croire quand je vous dis que chaque minute que j’ai passé hors de mon royaume, je les passais en m’inquiétant du sort de chacun ici. Mais, ne vous détrompez pas. L’homme qui se tient devant vous n’est qu’un menteur et un manipulateur. Il n’en a que faire de vous, il ne désire que le pouvoir. Il utilise son ton mielleux et ses jolis mots pour endormir votre méfiance. Mais il saura vous poignarder dans le dos dès qu’il en aura l’occasion, comme il l’a fait pour moi. Est-ce donc cela que vous désirez ? Accepter qu’un homme si peu loyal soit votre porte-parole ? Être dirigé par un homme qui a obtenu la couronne par la manipulation et la trahison ?! » Elle appuya ce dernier mot, le crachant presque, tant il était inconcevable pour Midona. « Il est loin le temps où nous étions le rebus du Royaume d’Hyrule. Nous sommes un peuple à part entière aujourd’hui, grâce aux efforts de nos ancêtres et au sang qu'ils ont versé. Accepter Xanto comme Roi, c’est nier notre passé, notre souffrance à tous, et accepter de souffrir davantage. »

Midona était sur le qui-vive et prête à utiliser sa magie si quelqu’un se rapprochait un peu trop d’elle. Elle n’hésiterait pas à se défendre si elle en venait à devoir sauver sa peau.

« — Xanto n’est pas digne de la couronne. Il ne l’a jamais été. S’il l’avait été, il aurait reçu la couronne du premier coup, lors des épreuves, où J’AI été couronnée. » Elle gronda, jetant un nouveau regard à Xanto. « N’est-ce pas ? Dois-je rappeler à tous votre échec lors de ces épreuves ? Les épreuves que J’AI GAGNÉ ? » Elle n’avait jamais osé lui parler de cette manière mais cela lui faisait beaucoup de bien. Elle avait envie de lui hurler dessus, de lui cracher à la figure, de lui faire du mal. « Il n’y a que les tyrans pour renverser l’état en place pour le mettre à leur avantage. » Ses prunelles glissèrent sur l’assemblée. « Je ne pensais pas que le peuple de Metzli demandait un tyran. Vous plaidez la démocratie mais c’est une dictature que Lord Odair vous propose. Ouvrez les yeux. Qu’ai-je fait pour recevoir toute cette haine et cette rancœur ? » Elle marqua une pause. « J’ai eu tort, c’est vrai, de rester loin si longtemps. J’avais confiance en Dame Merlyn, et je suis persuadée qu’elle a fait ce qu’elle a pu. Mais je vous promets à tous de régler tout cela maintenant que je suis là. Et j’aurai besoin d’un nouveau conseiller. »

Elle nia les paroles du garde pourpre Adir Porphyr : « Ce n’est pas vous qui décidez ce qu’il faut faire pour qu’il soit couronné. Vous êtes un garde pourpre, vous avez prêté serment pour protéger le détenteur de la couronne. Et jusqu’à preuve du contraire, je suis la REINE. » Elle inspira profondément, marquant un silence en se tournant à nouveau vers son ancien conseiller, désormais traitre.

« Pour cette trahison, Xanto Odair, vous méritez la mort. »

La reine du crépuscule s’attendait à ce que son ex-conseiller lui réponde, à ce qu’il démente ses paroles, à ce qu’il gave chaque individu présent de grossiers mensonges. Elle le sondait de son regard de glace. Les traits de son visage étaient crispés, douloureux, mais pas plus que l’étreinte cruelle de la trahison sur son cœur palpitant. À la suite de ses derniers mots, le silence était tombé brusquement et chacun semblait retenir son souffle. Les cœurs semblaient s’être presque arrêtés. Mais celui de Midona battait bien et chaque battement lui procurait une intolérable sensation. Elle était partagée entre la rage, la haine et la souffrance. Et il n’y avait pas de raison qu’elle soit la seule à souffrir. Si Midona n’avait jamais été une jeune femme cruelle jusqu’à maintenant, elle était désormais au bord du gouffre et plus rien ne semblait la retenir. Comment pourrait-elle se remettre de la trahison de l’homme qui avait été si présent dans sa vie ? Comment pourrait-elle accepter qu’il soit la personne qui se dresserait devant elle ? Comment pourrait-elle vivre avec ces souffrances ? À nouveau, elle ressentait ce désir morbide de lui faire du mal. De le faire souffrir par la torture physique et psychologique. De lui faire ressentir l’amer désolation qui avait épris son corps.

Le silence se poursuivit encore un peu et les anciens amis se toisaient avec la même haine. L’une était beaucoup plus ancienne que l’autre, mais ça, Midona n’en avait pas conscience. Bien sûr, elle avait pris conscience que tous les héritiers qui avaient échoués lors des épreuves avaient été amers à sa victoire. Cela avait été le cas de Lirna Durrendon, autrefois une amie, elle s’était sentie trahie par le couronnement de la jeune femme. Kayn Hamell et Remna Merlyn s’étaient tournés de son côté, et Xanto également. Elle avait cru qu’il y avait de l’affection entre eux. Une affection qui le dressait du côté de la jeune reine, et non contre elle.

Comment pourriez-vous imaginer que vos amis finiraient par vous trahir ?

Pour l’ambition, le pouvoir, et cette satané couronne qui l’avait, en plus, désertée depuis quelques mois. Qu’avait-elle fait pour que le mauvais-sort s’attarde autant sur sa personne ? Elle aurait pu être tirée de cette souffrance par le trident de Ganondorf. Mais non, elle n’avait pas fini son chemin de croix visiblement.

La réaction de Xanto finalement, démontra à quel point l’homme n’était plus que l’ombre de lui-même. Le désir de pouvoir avait déformé le jeune homme qu’elle avait jadis connu. Midona se rembrunit quand il reprit la parole. Elle restait droite devant lui, soutenant son regard à chaque instant, bien décidée à ne pas lui montrer de faiblesse. Car s’il pensait que la haine qu’elle éprouvait envers lui était une faiblesse, il se mettait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Cela ne la rendrait que plus froide, plus dure et résolue. Il est vrai que c’était cette haine qui parlait quand elle prononçait ce vœu de mort à son endroit. Pourquoi laisserait-elle vivre un homme qui la trahissait et désirait la destituer ? Que pourrait-elle faire d’autres ? S’il n’avait pas été aussi ouvertement acteur de cette trahison, elle aurait pu l’exiler et l’oublier sans pour autant l’éradiquer, au moins au nom de l’affection qu’elle avait pu lui porter. Elle aurait probablement pu agir de la sorte. Mais en aurait-elle eu envie ? Aurait-elle désiré l’épargner après une telle trahison ? La rage qui habitait son cœur lui susurrait douloureusement que non.

Elle le regarda faire quand il enleva son manteau noir et le laissa choir à son côté. Il montra une imposante cicatrice, se donnant en spectacle et se plaisant à se faire valoir de sacrifiée. Ce comportement étira un rictus cynique sur les lèvres roses de la jeune femme.

« — Tu aurais mieux fait de rester mort. » Grinça-t-elle, levant le menton. « Dois-je également me dévêtir pour montrer la cicatrice du trident de Ganondorf au-dessus de ma poitrine ? » Répondit-elle d’une voix moqueuse à l’attention de l’audience. « Tu n’es pas le seul à avoir donné de ta vie pour la couronne. » Sa propre mort avait été au bout d’un trident, baignant dans une mare de sang, laissée pour morte. Jusqu’à ce qu’elle soit sauvée par la lumière.

C’est alors qu’il plongea une main dans sa poche et qu’il en ressortit un fragment d’obsidienne. Le cœur de Midona sembla lâcher, elle hoqueta et darda sur le caillou des prunelles abasourdies. Le salaud. Ses paroles sonnaient comme des bourdonnements tant la rage envahissait son être. C’est pour elle qu’il devait ramener ce fragment. Voilà donc pour ça qu’il ne lui avait pas donné de nouvelles. Il était allé chercher le fragment pour ses propres ambitions. Il avait réussi à l’obtenir. Alors que la jeune reine avait remué ciel et terre, qu’elle était sur une piste sans pouvoir réussir à la concrétiser tout de suite. L’homme, lui, avait réussi à en obtenir un. Midona ne pouvait s’empêcher de ressentir de la stupéfaction devant son comportement.

« — Et aller chercher ce fragment sous mon ordre, pour le garder pour tes propres ambitions, n’est-ce pas BÊTE ET FAIBLE ? » Elle rugissait de haine. « Tu n’as pas pu obtenir la couronne d’une honnête manière, il a donc fallu que tu uses de stratagèmes. » Elle marqua une pause, prit une grande inspiration. « Tu es complètement dément. Peut-être es-tu revenu à la vie mais tu n’es plus qu’une ombre. Une ombre vengeresse et désireuse de pouvoir. Tu es pitoyable. » Son peuple était hébété, indécis, elle le sentait bien.

« — J’aurais tant aimé que vous mettiez cette dévotion à servir votre reine. » Elle soupira et se tourna vers les autres personnes présentes. « Je dois bien avouer que je suis impressionnée. Tu n’étais pas mon conseiller pour rien. Je te savais puissant et assez intelligent pour me la ramener. Je ne te pensais pas assez perfide pour me trahir, cependant. » Midona n’était pas aveugle. Elle voyait bien que ramener la gemme n’avait pas dû être aisé. En cela, elle reconnaissait sa force.

« — De quelle vérité parles-tu, Xanto ? De celle de ta propre trahison envers ta reine ? Je n’ai pas menti, j’ai omis de dire la raison pour laquelle je restais en Hyrule. La raison, elle est là. » Il n’y avait plus de raison de cacher les choses. Elle pointa du doigt la pierre d’ombre. « Je recherchais cette pierre afin de réanimer ma couronne, que Ganondorf a court-circuité en essayant de la voler. J’ai envoyé mon plus fidèle conseiller à la recherche de cette pierre. Une tâche ardue pour sûr. De mon côté, je cherchais d’autres pistes. Pendant 8 mois, j’ai cherché inlassablement. J’ai vécu dans la crasse et le déshonneur, pendant que lui se pavanait au bras de la conseillère de la Reine d’Hyrule, pendant qu’il minaudait son plan de me faire tomber. » Elle regarda l’audience. « Tout ce malheur pour cette pierre. » Elle était lasse.

Elle jeta un regard sur les gardes pourpres et un silence s’installa dans la salle du trône. Un silence de mort et de souffrance. Un silence si faux. Que devait-elle faire ? Aller au bout de sa sentence ? Abattre Xanto et ses partisans risquaient de s’en prendre à la cour. Ne rien faire et elle leur donnait raison de croire qu’elle était faible. Ils ne leur donnaient pas le choix.

Cardan prit à son tour la parole, l’accusant de toutes les calamités qui s’étaient effondrées sur le Royaume. Devait-elle être responsable de la mort de certains nobles ? Alors qu’elle n’était même pas présente ? Elle aurait pu en rire tellement cela lui semblait insensé de la rendre responsable à ce point, de toutes les plaies qui s’étaient abattues sur le royaume. Midona fut tentée de l’ignorer tant ses remarques lui semblaient idiotes. Un ramassis de bêtises crachées à sa figure pour espérer l’accabler davantage.

« — Si je suis lâche, alors que cela fait-il de vous ? Un opportuniste, probablement. Un idiot, surement, d’avoir cru tout ce que Xanto vous a promis. Je ne suis pas responsable de tous les morts survenus en Metzli. Jusqu’à preuve du contraire, je ne suis que Reine, et pas Déesse. Dame Talia sait à quel point la perte de son époux me chagrine, et elle sait également que j’aurais fait tout en mon pouvoir pour l’aider. » Elle soupira, adressa un regard à sa cousine, un regard désolé et plein de compatis envers la jeune femme. Bien sûr, elle aurait peut-être pu l’aider. Ou peut-être pas. Il était si facile de chercher à remodeler le destin quand on avait déjà le mot de la fin. « Néanmoins, je constate que vous n’êtes guère plus efficace que moi, car vous n’avez pas pu le sauver non plus, votre ‘bien-aimé frère’. » Répondit-elle sur un ton cynique, dardant sur l’homme un regard de glace. « Ne me parlez pas de lâcheté car nous n’avons visiblement pas la même définition. Vous êtes un lâche doublé d’un affabulateur. Regardez la vérité en face, vous êtes trop faible pour aider votre propre frère. Vous ne valez pas mieux que mon cher traitre de conseiller. En cela, vous méritez la même sentence. » Elle ne prononça pas les mots mais ils lui pendaient au bord des lèvres. Elle tourna le regard vers les gardes pourpres, s’immobilisa, souffla. « Qui vous dit que j’ai peur ? » Elle se redressa, retroussa ses lèvres à la manière d’une louve prête à lui sauter à la gorge. Elle n’en fit rien.

Effectivement, il était trop tard pour faire demi-tour. Non loin d'elle, Aleksander Hesediel évoquait les doutes sur la pierre en elle-même et sur les pouvoirs qu'elle cachait. La gemme brillait d'un tel éclat qu'il ne pouvait pas y avoir de doute pour la Reine, cependant.

« — Donne-moi la pierre, elle me revient. » Elle tendit la main vers lui. Elle aurait la pierre également si elle le tuait, mais ce serait plus douloureux de devoir mettre à mort son ami.

Alors qu’elle avait la main tendue vers son ancien conseiller, une ombre se glissa à ses côtés, bondit au-dessus d’elle, chaparda son bien. Hébétée, sa réaction de porter les mains à sa tête fut d’une seconde trop tard. Sa couronne lui échappa, entre les mains d’un voleur qui s’en vanta bien vite, ricanant comme un dément. Était-ce une nouvelle farce de Xanto ? Son regard coula vers l’ancien conseiller mais le visage stupéfait de celui-ci fut une excellente réponse à son questionnement. Il n’avait rien prévu de la sorte. Si la Reine ne venait pas de se faire voler sa couronne, elle aurait pu s’en tordre de rire. Midona se redressa et s’apprêta à ordonner à ses gardes de réagir. À quoi servaient-ils pour laisser passer un homme en pleine audience ?

« — GARDES ! Attrapez cet hom-… » Sa voix mourut alors que l’environnement se mit à gronder brusquement. Le château en entier sembla vociférer une longue plainte douloureuse.

L’attention de la Reine de Metzli se décrocha du voleur alors que les murs autour d’eux commencèrent à s’ébranler avec férocité, à se fissurer dans de grandes ramifications sinistres. La poussière tombait en averse sur tous les individus présents alors que le château d’Itzal tempêtait sous leurs pieds, à leurs côtés et au-dessus de leur tête. Midona leva la tête alors que le plafond de la pièce du trône sembla brusquement si lourd et si fragile. Que se passait-il ? Le château était-il attaqué ?

Son corps lui sembla alors si lourd. Ses épaules s’affaissèrent et elle du rassembler des forces surhumaines pour conserver ses pieds au sol tandis que tout son corps était irrémédiablement attiré vers le sol. Une immense force magique leur intimait de ne pas bouger. À nouveau, les prunelles de Midona se tournèrent vers Xanto, guettant ses réactions, mais l’homme était désormais hors de ses gonds, incapable de contrôler la rage qui s’éprenait de son corps. Midona, quant à elle, était davantage dans la sidération. Ses sens en alerte, elle était prête à aider son peuple. Même si celui-ci désirait la destituer encore quelques minutes auparavant. Elle serait prête à se défendre, à les défendre. Ses dents s’entrechoquèrent alors qu’elle forçait pour conserver sa prestance.

Puis, doucement, les corps se firent plus légers. La sidération s’emparant de tout un chacun. Et brusquement, le plafond céda.

« — AUX ABRIS ! » Gueula-t-elle alors, invoquant d’un même geste des sphères protectrices autour d’elle, forçant son pouvoir pour protéger ses plus proches voisins, Kayn notamment qui se trouvait très proche d’elle.

Prise dans l’effondrement du château, elle eut un mouvement en avant pour rejoindre le voleur et lui récupérer la couronne. Elle n’eut même pas le temps d’esquisser un mouvement qu’un énorme morceau du plafonnier s’écroula sur l’homme en un bruit de chair écrasé immonde, éclaboussant les environs de poussière et de sang. La couronne qu’il tenait du bout des doigts explosa en mille morceaux et se répandit sur le sol aux pieds de l’audience affolée. La vision de la Reine se brouilla alors que les prunelles de Midona s’emplirent immédiatement de larmes. Elle se tourna aussitôt vers un Xanto désemparé, pleurant la perte de l’objet sacré. Elle semblait s’apprêter à se jeter à sa gorge pour le tuer une bonne fois pour toutes. Elle constata, en croisant les prunelles sinistres de son ancien conseiller, qu’il éprouvait la même rage de tuer et, alors que des morceaux de mur et de poussières s’écroulaient tout autour d’eux, ils semblaient prêts à en venir aux mains. Le temps fut suspendu, juste un instant. Un instant de folie et de désespoir. Ébranlés par une violente secousse, Xanto se contenta de lui réitérer la haine qui lui vouait devant une Midona tendue au possible.

« — Ferme là, Xanto. » Articula-t-elle entre ses dents serrées étroitement une fois qu’il eut finit de parler. « FERME LÀ ! » Un débris tomba en direction de son ancien ami et souleva tant de poussière qu’elle le perdit des yeux, ces derniers s’emplissant de larmes.

De nouveaux poignards furent plantés dans son cœur alors que l’homme la maudissait, maugréant qu’elle ne lui échapperait pas. Midona savait ce que cela signifiait. Il n’y aurait plus jamais de période d’innocence, plus de confiance possible en quiconque. En cela, Xanto en ressortait victorieux car elle ne serait plus jamais comme avant. Un débris conséquent heurta l’une de ses boules protectrices, déviant la trajectoire du projectile qui se serait écrasé sur sa tête en l’absence de protection.

Une brume turquoise emplit la pièce alors que les murs continuaient leurs courses sur le sol effondré de la salle du trône. Dans la panique, des hommes et des femmes courraient dans tous les sens, cherchant la sortie dans la poussière ambiante. Vociférant des cris de panique, des individus blessés se trainaient sur le sol. Sa garde pourpre se rassembla autour d’elle pour la protéger mais Midona leur hurla de s’écarter et d'aider ceux qui n'avaient aucun moyen de se protéger, tandis qu’elle faisait son possible pour aider les personnes qui peinaient à sortir du château.

« — SORTEZ ! Sortez ! Vite ! » Pressa-t-elle tout le monde présent.

La poussière qui régnait lui piquait les yeux et, rapidement, Midona eut le réflexe de déchirer un morceau de sa robe pour essayer de se protéger de cette brume étrange. Elle savait qu’elle creusait sa tombe si elle restait trop longtemps au milieu des débris. Et le château ne tarda pas à le lui rappeler quand un morceau du plafond lui tomba sur le coin de la tempe malgré un amortissement par une boule d’ombre qu’elle avait invoqué. Cela lui laissa une trace sanglante sur le côté du visage. Elle trébucha et se retrouva brusquement sur ses genoux, le souffle coupé. Sa tête commençait à lui faire mal mais elle n’était pas capable de savoir si c’était par la surutilisation de son pouvoir, ou si c’était le coup qu’elle venait de recevoir sur la tête. Elle sentit une force la relever et l’aider à poursuivre son chemin hors de la salle.

Elle avait perdu son ami.

Elle avait perdu sa couronne.

Elle avait perdu son château.

Sans l’avoir réellement destitué, son coup d’état l’avait brisé.